Quotients compacts des
groupes ultramétriques de rang un
Résumé.
Soit l’ensemble des -points d’un groupe algébrique semi-simple connexe de -rang un sur un corps local ultramétrique . Nous décrivons tous les sous-groupes discrets de type fini sans torsion de qui agissent proprement et cocompactement sur par multiplication à gauche et à droite. Nous montrons qu’après une petite déformation dans un tel sous-groupe discret agit encore librement, proprement et cocompactement sur .
Abstract. Let be the set of -points of a connected semisimple algebraic group of -rank one over a nonarchimedean local field . We describe all finitely generated torsion-free discrete subgroups of acting properly discontinuously and cocompactly on by left and right multiplication. We prove that after a small deformation in such a discrete subgroup keeps acting freely, properly discontinuously, and cocompactly on .
1. Introduction
Soient un corps local et l’ensemble des -points d’un groupe algébrique semi-simple connexe sur , de -rang un. Nous nous intéressons aux sous-groupes discrets de qui agissent librement, proprement et cocompactement sur par multiplication à gauche et à droite. De manière équivalente, ce sont les sous-groupes discrets de qui agissent librement, proprement et cocompactement sur l’espace homogène , où désigne la diagonale de . Pour un tel groupe , on dit que le quotient est une forme de Clifford-Klein compacte, ou plus simplement un quotient compact, de .
Pour , par exemple, les quotients compacts de ont été largement étudiés par W. M. Goldman [Gol], T. Kobayashi [Ko2], [Ko3], R. S. Kulkarni et F. Raymond [KR], F. Salein [Sa1], [Sa2]. Ils apparaissent naturellement en géométrie : les variétés anti-de Sitter compactes de dimension 3, c’est-à-dire les variétés lorentziennes compactes de dimension 3 de courbure sectionnelle constante égale à , sont exactement les revêtements finis des quotients compacts de . Cela résulte de la complétude de ces variétés [Kli] et d’un résultat de finitude du niveau [KR] (cf. l’introduction de [Sa2]). Pour , les quotients compacts de ont également été étudiés par É. Ghys [Ghy] en lien avec les déformations de structures complexes sur les variétés compactes homogènes sous .
Dans cet article, nous nous intéressons au cas d’un corps local ultramétrique, c’est-à-dire d’une extension finie de ou du corps des séries de Laurent formelles à coefficients dans un corps fini . L’une de nos motivations vient de l’étude des quotients compacts de la quadrique
qui s’identifie à l’espace homogène (cf. [Kas], § 5.3).
Pour tout groupe algébrique semi-simple connexe sur , de -rang un, l’espace homogène admet un quotient compact. En effet, admet un réseau cocompact sans torsion ([Lub], th. A) ; le groupe agit librement, proprement et cocompactement sur . Les questions suivantes se posent alors naturellement :
-
(1)
décrire tous les quotients compacts ;
-
(2)
comprendre le comportement de ces quotients compacts lorsque l’on déforme dans ; en particulier, déterminer si l’action de reste propre et cocompacte ;
-
(3)
établir l’existence d’un quotient compact tel que soit Zariski-dense dans .
Dans cet article, nous répondons aux trois questions. Nous obtenons ainsi des analogues ultramétriques de résultats connus pour .
1.1. Énoncé des résultats principaux
Rappelons que le groupe admet une décomposition de Cartan de la forme , où est un sous-groupe compact maximal de et une chambre de Weyl de l’ensemble des -points du centralisateur d’un -tore -déployé maximal de ; à cette décomposition de Cartan est naturellement associée une projection de Cartan (cf. paragraphe 2.1). Par exemple, si , le théorème de la base adaptée induit la décomposition de Cartan , où est l’ensemble des matrices de déterminant un à coefficients dans l’anneau des entiers de et l’ensemble des matrices diagonales telles que soit de valeur absolue ; la projection de Cartan associée envoie la matrice sur , où désigne une valuation (additive) fixée de .
On sait décrire en fonction de tous les sous-groupes discrets sans torsion de qui agissent proprement sur ([Kas], th. 1.3). Dans cet article, nous établissons un critère pour que le quotient soit compact (théorème 3.1). Nous obtenons ainsi une description de tous les quotients compacts de par un groupe discret de type fini sans torsion.
Théorème 1.1.
Soient un corps local ultramétrique, l’ensemble des -points d’un -groupe algébrique semi-simple connexe de -rang un, la diagonale de et une projection de Cartan de .À la permutation près des deux facteurs de , les sous-groupes discrets de type fini sans torsion de agissant proprement et cocompactement sur sont exactement les graphes de la forme
où est un réseau cocompact sans torsion de et un morphisme de groupes qui est admissible, au sens où pour tout on a pour presque tout .
On dit ici qu’une propriété est vraie pour presque tout si elle est vraie pour tout en dehors d’un ensemble fini.
Cette description est spécifique au rang un : au paragraphe 3.4 nous donnons en caractéristique nulle un exemple de quotient compact où et où est le produit de deux sous-groupes infinis de .
Le théorème 1.1 est également valable pour d’après [Ko2], th. 2, et [Ko1], cor. 5.5, ainsi que [Kas], th. 1.3. Les arguments de [Ko1] utilisent la dimension cohomologique de . Dans le cas ultramétrique, ces arguments ne conviennent pas ; nous les remplaçons par des raisonnements géométriques sur l’arbre de Bruhat-Tits de .
Nous apportons ensuite une réponse positive à la question (2).
Théorème 1.2.
Soient un corps local ultramétrique, l’ensemble des -points d’un -groupe algébrique semi-simple connexe de -rang un et un sous-groupe discret de type fini sans torsion de . Si agit proprement et cocompactement sur , alors il existe un voisinage de l’inclusion canonique dans tel que pour tout , le groupe agisse librement, proprement et cocompactement sur .
On note ici l’ensemble des morphismes de groupes de dans , muni de la topologie compacte-ouverte. Pour toute partie génératrice finie de , une suite converge vers un élément si et seulement si pour tout .
Le théorème 1.2 est également valable pour et par la complétude des variétés anti-de Sitter compactes [Kli] et par un principe, dû à Ehresmann, de déformation des holonomies de -structures sur les variétés compactes (cf. [Sa1]).
Notons qu’aucun analogue du théorème 1.2 n’est connu pour les autres groupes réels semi-simples de rang un, même pour . Le seul résultat connu pour ces groupes est l’existence d’un voisinage du morphisme trivial dans formé de morphismes admissibles ([Ko3], th. 2.4).
Enfin nous répondons positivement à la question (3).
Proposition 1.3.
Soient un corps local ultramétrique, l’ensemble des -points d’un -groupe algébrique semi-simple connexe de -rang un et la diagonale de . Il existe un sous-groupe discret de qui agit librement, proprement et cocompactement sur et qui est Zariski-dense dans . On peut choisir de sorte qu’aucune de ses deux projections naturelles sur ne soit bornée.
1.2. Stratégie de démonstration
Soient un corps local ultramétrique, l’ensemble des -points d’un -groupe algébrique semi-simple connexe de -rang un et un réseau cocompact sans torsion de . Pour démontrer les théorèmes 1.1 et 1.2, nous étudions l’action de sur son arbre de Bruhat-Tits, qui est un arbre simplicial sur lequel agit proprement par isométries, avec un domaine fondamental compact. Nous rappelons la construction et les principales propriétés de cet arbre au paragraphe 2.1.
Soit une décomposition de Cartan de . Pour démontrer le théorème 1.1, nous associons à tout élément un point du bord de l’arbre de Bruhat-Tits de , obtenu à partir d’une décomposition de Cartan de . L’étude des points nous permet de montrer que sous les hypothèses du théorème 1.1, si est un sous-groupe discret de type fini sans torsion de et un morphisme de groupes admissible, et si le graphe
agit proprement et cocompactement sur , alors est un réseau cocompact de . Il s’agit du point le plus délicat de la démonstration du théorème 1.1, cette démonstration faisant l’objet de la partie 3.
Quant au théorème 1.2, il découle d’un résultat plus général sur les groupes d’isométries d’arbres réels simpliciaux (proposition 4.1). Plus précisément, pour tout arbre réel simplicial et toute isométrie de , notons
(1.1) |
la longueur de translation de , où désigne la distance de . L’application ainsi définie est continue. Par exemple, si est l’arbre de Bruhat-Tits de , on a pour tout , où et désignent les deux valeurs propres de et une valuation (additive) fixée sur . Pour tout arbre réel simplicial et tout sous-groupe discret sans torsion de , on a pour tout . Dans la partie 4, nous montrons que si agit cocompactement sur , alors pour tout arbre réel simplicial et tout morphisme de groupes , la borne supérieure des quotients , où , est égale à la plus petite constante de Lipschitz d’une application continue qui est -équivariante, au sens où
pour tout et tout . Nous montrons que cette borne supérieure est atteinte sur une partie finie de indépendante de et de , ce qui généralise un résultat non publié de T. White sur l’outre-espace, dont une preuve a été donnée par S. Francaviglia et A. Martino [FM]. Nous en déduisons le résultat suivant.
Théorème 1.4.
Soient un corps local ultramétrique, l’ensemble des -points d’un -groupe algébrique semi-simple connexe de -rang un et un réseau cocompact sans torsion de . Pour tout morphisme de groupes , notons la borne inférieure des réels pour lesquels il existe tel que pour tout .
-
(1)
Soit le sous-ensemble fini de formé des éléments tels que , où désigne le nombre de sommets de . Pour tout morphisme on a
où désigne l’application définie par (1.1) pour l’action de sur son arbre de Bruhat-Tits.
-
(2)
Un morphisme est admissible si et seulement si .
L’ensemble ci-dessus est bien fini car l’application est propre et le groupe discret dans . Ainsi, le caractère admissible d’un morphisme dépend d’un nombre fini de conditions ouvertes, ce qui prouve que l’ensemble des morphismes admissibles est ouvert dans pour la topologie compacte-ouverte. Ceci implique le théorème 1.2 en utilisant une propriété des déformations de réseaux cocompacts sans torsion de (lemme 5.2).
La condition suffisante du point (2) est immédiate sachant que est propre et discret : le morphisme est admissible dès que . De même, si est admissible on a l’inégalité large . Toute la difficulté du point (2) tient au fait que nous voulons obtenir une inégalité stricte.
1.3. Un résultat complémentaire
Une autre application du théorème 1.4 est la suivante.
Corollaire 1.5.
Soient un corps local ultramétrique, l’ensemble des -points d’un -groupe algébrique semi-simple connexe de -rang un et un réseau cocompact sans torsion de . Il n’existe pas de morphisme de groupes admissible qui soit injectif d’image discrète.
1.4. Plan de l’article
La partie 2 est consacrée à quelques rappels sur les décompositions de Cartan et l’arbre de Bruhat-Tits de d’une part, sur les isométries d’arbres réels simpliciaux d’autre part. Dans la partie 3, nous démontrons le théorème 1.1 en étudiant les points du bord de l’arbre de Bruhat-Tits de mentionnés précédemment. La partie 4 établit un résultat général sur les groupes d’isométries d’arbres réels simpliciaux (proposition 4.1), dont nous déduisons les théorèmes 1.4 puis 1.2 dans la partie 5. Dans la partie 6 nous décrivons le lien entre la proposition 4.1 et l’outre-espace et démontrons le corollaire 1.5. Enfin, la partie 7 est consacrée à la démonstration de la proposition 1.3.
Remerciements
Je remercie vivement Yves Benoist pour de nombreuses discussions, ainsi que Frédéric Paulin et Mladen Bestvina pour leurs indications sur l’outre-espace.
2. Notations et rappels
2.1. Arbre de Bruhat-Tits, décompositions et projections de Cartan
Soit un corps local ultramétrique, c’est-à-dire une extension finie de ou le corps des séries de Laurent formelles à coefficients dans un corps fini . Fixons une valuation (additive) sur à valeurs dans .
Nous notons les -groupes algébriques par des lettres majuscules grasses (par exemple ) et leurs -points par la même lettre majuscule non grasse (par exemple ).
2.1.1. Centralisateurs de tores et sous-groupes compacts ouverts de
Soit un -groupe algébrique semi-simple connexe de -rang un. Fixons un -tore -déployé maximal de et notons (resp. ) son centralisateur (resp. son normalisateur) dans . Soit un générateur du groupe des -caractères de et soit une racine restreinte de dans , c’est-à-dire un poids non trivial de dans la représentation adjointe de . Quitte à remplacer par , on peut supposer que est indivisible, c’est-à-dire que n’est pas une racine. Pour tout -caractère de , la restriction de à est de la forme , où . Pour tout on note le réel défini par pour tout , et l’on pose
Le groupe agit sur par translation selon , et cette action se prolonge (de manière unique à une translation près) en une action affine de sur . Notons (resp. ) le -sous-groupe unipotent connexe de normalisé par d’algèbre de Lie (resp. ), où désigne le sous-espace vectoriel de l’algèbre de Lie de formé des éléments tels que pour tout ([Bor], prop. 21.9). Pour tout , l’ensemble possède un unique élément, qui agit sur par la symétrie de centre pour un certain . Pour tout , posons
d’après [BT2], c’est un sous-groupe de . On définit de même un sous-groupe de pour tout . Posons et notons le sous-groupe de engendré par , et . Le groupe est compact et ouvert dans , et maximal pour ces propriétés.
2.1.2. Arbre de Bruhat-Tits de
On définit une relation d’équivalence sur en posant s’il existe un élément tel que et . Notons l’ensemble des classes d’équivalence de pour cette relation. D’après [BT1] l’ensemble , muni de la topologie quotient induite par la topologie discrète de et la topologie usuelle de , est un arbre simplicial bipartite de valence , appelé arbre de Bruhat-Tits de . Il ne dépend pas du choix du -tore -déployé maximal . Le groupe agit sur par
où désigne l’image de dans . C’est une action propre, cocompacte, par automorphismes d’arbre simplicial. Par construction, pour tout et tout , le fixateur de dans est le sous-groupe compact ouvert . D’après [BT1], si l’on pose , alors les droites réelles plongées dans sont exactement les ensembles , où . On munit de la distance pour laquelle le plongement naturel de dans est une isométrie pour tout . Le groupe agit par isométries pour cette distance, toutes les arêtes de ont la même longueur et les droites sont les géodésiques de . Nous renvoyons le lecteur aux textes fondateurs [BT1] et [BT2] pour plus de détails, ainsi qu’à [Rou] pour des explications plus élémentaires et à [Ser], § II.1, pour le cas de .
2.1.3. Décompositions et projections de Cartan
Notons le fixateur dans du sommet de . D’après [BT1], le groupe agit transitivement sur l’ensemble des couples , où est une droite géodésique de et une arête contenue dans . On en déduit la décomposition de Cartan : tout élément s’écrit , où et . Si , où et , et si , alors et . Posons ; on a
(2.1) |
donc ne dépend pas de l’écriture de comme produit d’éléments de , et . L’application ainsi obtenue est continue, propre, bi--invariante ; son image est l’intersection de avec un réseau de . On dit que est la projection de Cartan associée à la décomposition de Cartan . Lorsque est déployé sur , on a et , où . Ce n’est pas le cas en général, contrairement à la situation des groupes réels.
2.1.4. Sous-additivité des projections de Cartan
D’après (2.1) on a
(2.2) |
pour tous et
(2.3) |
puisque agit sur par isométries. Rappelons que les -tores -déployés maximaux de sont tous conjugués sur ([BoT], th. 4.21). D’après (2.2), si (où ) est un autre -tore -déployé maximal de et si est une projection de Cartan associée à , il existe une constante telle que
pour tout . Ainsi, à une constante additive près, l’application ne dépend pas du choix de .
2.2. Isométries d’un arbre réel simplicial
Nous considérons ici des arbres simpliciaux au sens de [Ser], déf. 6. Rappelons qu’un arbre réel simplicial, ou -arbre simplicial, est un arbre simplicial muni d’une distance pour laquelle l’image de tout chemin injectif est isométrique à un segment réel. Toutes les arêtes n’ont pas nécessairement la même longueur pour cette distance.
Fixons un arbre réel simplicial de valence , notons la distance sur et le groupe des isométries bijectives de envoyant sommet sur sommet et arête sur arête. Cette dernière condition est toujours vérifiée si est de valence . On munit de la topologie pour laquelle les fixateurs (point par point) des parties compactes de forment une base de voisinages compacts ouverts de l’identité. Le groupe est localement compact pour cette topologie.
2.2.1. Isométries hyperboliques et elliptiques
Un élément est sans point fixe dans si et seulement s’il existe une droite géodésique , stable par , sur laquelle agit par une translation non triviale ([Ti1], prop. 3.2, ou [Ser], prop. 25) ; on note alors la longueur de cette translation et l’on dit que est hyperbolique, d’axe de translation . La figure 1 illustre l’action de sur dans ce cas. Comme est un arbre, pour tout , le projeté de sur est bien défini : c’est l’unique point de dont la distance à est minimale. On a
Les points , , et sont alignés dans cet ordre sur une même droite géodésique de , d’où
(2.4) | |||||
En particulier on a
Un élément qui admet un point fixe dans est dit elliptique ; l’ensemble de ses points fixes est alors un sous-arbre de . La figure 2 illustre l’action de sur dans ce cas. Si pour tout on note le projeté de sur , alors . De plus, l’intersection des segments géodésiques et est réduite à , d’où
(2.5) |
Par analogie avec le cas hyperbolique, on pose
2.2.2. Bord de l’arbre
Comme tout espace hyperbolique au sens de Gromov, l’arbre admet un bord , défini comme l’ensemble des classes d’équivalence de demi-droites géodésiques de pour la relation “être à distance de Hausdorff finie” ou, de manière équivalente ici, “être égales en dehors d’un compact”. Si désigne la classe d’une demi-droite géodésique , nous dirons que est l’extrémité à l’infini de . Fixons un point et un réel . Comme est un arbre, pour tout il existe une unique demi-droite géodésique d’extrémités et . Pour tous on pose , où
Ceci définit une distance sur . L’action naturelle de sur est continue pour cette distance. Le fixateur de agit sur par isométries. Un élément est hyperbolique si et seulement s’il agit sur avec exactement deux points fixes, l’un attractif, noté , et l’autre répulsif, noté ; ces points fixes sont les deux extrémités de l’axe de translation . Si est elliptique et fixe , alors fixe (point par point) toute une demi-droite de d’extrémité .
2.2.3. Groupes discrets sans torsion d’isométries de
Un sous-groupe discret de agit librement sur si et seulement s’il est sans torsion. Dans ce cas est un groupe libre ([Ser], th. 4) et tous ses éléments non triviaux sont hyperboliques. Plus précisément, pour tout domaine fondamental connexe de pour l’action de , si l’on pose
et si désigne une partie de telle que soit l’union disjointe de et de , alors est une partie libre génératrice de ([Ser], th. ). Si est de type fini, c’est un groupe de Schottky au sens de [Lub], déf. 1.4. L’union des axes de translations , où , est un sous-arbre de . On dit que l’action de sur est minimale si . Lorsque est de type fini, son action sur est minimale si et seulement si le graphe est fini ([Bas], prop. 7.9, et [BL], th. 9.7). Rappelons que l’ensemble limite de dans est par définition l’adhérence dans de l’ensemble des points fixes , où . Si l’action de sur n’est pas minimale, l’ensemble limite de dans est un fermé strict de . Ceci nous sera utile dans la démonstration du lemme 3.5.
3. Une condition nécessaire et suffisante de cocompacité
Cette partie est consacrée à la démonstration du théorème 1.1. Dans toute la partie, nous notons un corps local ultramétrique, l’ensemble des -points d’un -groupe algébrique semi-simple connexe de -rang un et la diagonale de . Nous fixons une décomposition de Cartan et notons la projection de Cartan associée.
D’après [Kas], th. 1.3, les sous-groupes discrets sans torsion de agissant proprement sur sont, à la permutation près des deux facteurs de , les graphes de la forme
où est un sous-groupe discret sans torsion de et un morphisme de groupes admissible (au sens du théorème 1.1). Pour démontrer le théorème 1.1, il suffit donc d’établir le résultat suivant.
Théorème 3.1.
Soient un corps local ultramétrique, l’ensemble des -points d’un -groupe algébrique semi-simple connexe de -rang un et la diagonale de . Soient un sous-groupe discret de type fini sans torsion de et un morphisme de groupes admissible. Notons
le graphe de . Le quotient est compact si et seulement si le quotient l’est.
Nous utilisons pour cela l’existence d’un isomorphisme
de -variétés algébriques sur , où agit sur par translation à gauche et sur par
Cet isomorphisme induit un isomorphisme de -ensembles sur les -points.
Notons l’arbre de Bruhat-Tits de , muni de la distance définie au paragraphe 2.1.2, et son bord, muni de la distance définie au paragraphe 2.2.2 en prenant par exemple pour le cardinal du corps résiduel de . Pour traiter l’implication directe du théorème 3.1, nous introduisons certains points du bord de l’arbre de Bruhat-Tits de , obtenus à partir de la décomposition de Cartan .
3.1. Points de associés à la décomposition de Cartan
Pour tout élément hyperbolique , notons (resp. ) son point fixe attractif (resp. répulsif) dans . Notons le point fixe répulsif commun à tous les éléments hyperboliques de .
Soit de décomposition de Cartan , où et . Si , le point
(3.1) |
est bien défini, car si est une autre décomposition de Cartan de , où et , alors (cf. paragraphe 2.1). Le lemme suivant montre que lorsque est hyperbolique et grand, le point est proche du point fixe répulsif .
Lemme 3.2.
Pour tout élément hyperbolique , on a
Démonstration. Soit un élément hyperbolique ; écrivons , où et . Les points , , et sont alignés dans cet ordre, donc . D’autre part, comme fixe , on a
donc car est un arbre. On en déduit
Or, d’après (2.1), (2.3) et (2.4) on a
d’où le résultat. ∎
L’intérêt d’introduire les points est de contrôler la projection de Cartan de certains éléments de , comme dans le lemme suivant.
Lemme 3.3.
Pour tout élément hyperbolique et tout réel , il existe des constantes telles que pour tout vérifiant on ait
pour tout entier .
Démonstration. Soient un réel et un élément hyperbolique. Posons
et montrons que et conviennent. La figure 3 illustre notre raisonnement. Pour tout , les points , et sont alignés dans cet ordre sur la demi-droite géodésique , d’où
(3.2) |
Soit tel que . Écrivons , où et . L’intersection est un segment géodésique dont l’une des extrémités est ; notons son autre extrémité. On a par hypothèse. Soit un entier. D’après (3.2) on a
donc les points , et sont alignés dans cet ordre et par (2.1) on a
(3.3) |
Comme fixe , on a , et ce point appartient à . Le point appartient lui aussi à , donc
En utilisant (2.1) et (2.3), on obtient
(3.4) |
Or, est le projeté de sur , donc les points , et sont alignés dans cet ordre, d’où
(3.5) |
En utilisant (2.1), (3.3), (3.4), (3.5) et le fait que agit sur par isométries, on trouve
d’où le résultat puisque . ∎
3.2. Démonstration de l’implication directe du théorème 3.1
Pour obtenir l’implication directe du théorème 3.1, nous raisonnons par contraposition : il suffit de démontrer la proposition suivante.
Proposition 3.4.
Soient un sous-groupe discret de type fini sans torsion de et un morphisme de groupes admissible. Si n’est pas cocompact dans , alors pour tout il existe un élément tel que pour tout .
Pour démontrer la proposition 3.4, nous établissons l’existence d’un élément hyperbolique tel que pour presque tout , le point donné par (3.1) soit suffisamment éloigné du point fixe attractif (lemme 3.5). Nous utilisons ensuite le lemme 3.3.
Lemme 3.5.
Soit un sous-groupe discret de type fini sans torsion de , non cocompact dans . Il existe un élément hyperbolique et un réel tels que pour presque tout .
Démonstration. Comme est discret, sans torsion, de type fini et non cocompact dans , son ensemble limite dans est un fermé strict de (cf. paragraphe 2.2.3). Notons le complémentaire dans de cet ensemble limite. Soit un élément hyperbolique tel que . Il existe un réel tel que
Par définition on a alors pour tout . Le lemme 3.2 implique
pour tout . Or, l’application est propre et le groupe discret dans , donc pour presque tout . ∎
Nous pouvons à présent démontrer la proposition 3.4.
Démonstration de la proposition 3.4. Supposons non cocompact dans . D’après les lemmes 3.3 et 3.5, il existe un élément hyperbolique et des réels tels que pour tout en dehors d’un certain ensemble fini , on ait
(3.6) |
pour tout entier . Soit . Comme est admissible, on a
(3.7) |
pour tout en dehors d’un certain ensemble fini . Posons
Comme est hyperbolique, la suite tend vers l’infini avec d’après (2.4). En particulier, il existe un entier tel que . Fixons un tel et montrons que l’élément convient. D’après (2.2), (3.6) et (3.7), pour tout on a
et pour tout on a
Ceci achève la démonstration de la proposition 3.4. ∎
3.3. Démonstration de l’implication réciproque du théorème 3.1
Pour terminer la démonstration du théorème 3.1 (et donc du théorème 1.1), il suffit d’établir le résultat suivant.
Proposition 3.6.
Soient un réseau cocompact sans torsion de et un morphisme de groupes admissible. Il existe une partie compacte de telle que
Démonstration. Par cocompacité de dans et continuité de , il existe un réel tel que
Comme est admissible, on a
pour tout en dehors d’un certain ensemble fini . Posons et montrons que le compact
convient. Pour cela, il suffit d’établir que pour tout élément vérifiant il existe tel que ; on peut alors conclure par récurrence.
3.4. Le cas de rang supérieur
La description donnée par le théorème 1.1 est spécifique au rang un. En effet, voici en caractéristique nulle un exemple de quotient compact où est de -rang et où est le produit de deux sous-groupes infinis de . Fixons un élément non carré . Soient la forme quadratique sur donnée par
et le groupe spécial orthogonal de . Notons la restriction de à et soit le groupe spécial orthogonal de , vu comme sous-groupe de . Choisissons une racine carrée de dans une clôture algébrique de et notons l’élément non trivial du groupe de Galois de l’extension quadratique . Soient la forme hermitienne sur donnée par
et le groupe unitaire de . En identifiant à par l’application qui à tout associe , on voit comme un sous-groupe de . Par un analogue ultramétrique de [Ko1], prop. 4.9, le groupe agit proprement et cocompactement sur , donc agit proprement et cocompactement sur . Si est de caractéristique nulle, les groupes et admettent des réseaux cocompacts sans torsion et ([BH], th. A, et [Sel], lem. 8). Le groupe agit alors librement, proprement et cocompactement sur .
4. Longueurs de translation et constantes de Lipschitz
Reprenons les notations du paragraphe 2.2. Le but de cette partie est de démontrer le résultat suivant.
Proposition 4.1.
Soient et deux arbres réels simpliciaux de valence . Soit un sous-groupe discret sans torsion de tel que le graphe quotient soit fini, et soit un morphisme de groupes.
-
(1)
Il existe une application affine par morceaux qui est -équivariante, au sens où pour tout et tout . Une telle application est lipschitzienne.
-
(2)
La borne inférieure des constantes de Lipschitz de telles applications est atteinte.
-
(3)
Fixons un point et soit le sous-ensemble fini de formé des éléments tels que , où désigne le nombre de sommets du graphe fini . On a
Remarquons que l’hypothèse que est un sous-groupe discret sans torsion de tel que le graphe soit fini est équivalente à l’hypothèse que est un groupe libre de type fini agissant sur librement, minimalement, par isométries (cf. paragraphe 2.2.3).
Nous notons ici la distance sur ou et disons qu’une application est affine par morceaux si pour toute arête de , il existe une constante telle que
(4.1) |
pour tous . Une telle application est continue.
Remarque 4.2.
Une application affine par morceaux est entièrement déterminée par les images par des sommets de .
Notons que pour tout , tout et toute application -équivariante et -lipschitzienne , on a
L’inégalité
(4.2) |
en résulte immédiatement. Le point (3) de la proposition 4.1 affirme que cette inégalité est une égalité et que la borne supérieure dans le terme de gauche est atteinte sur un sous-ensemble fini indépendant de .
Dans le cas particulier où est injectif d’image discrète et cocompacte, ce résultat est équivalent à un résultat de T. White obtenu en étudiant une certaine “distance asymétrique” sur l’outre-espace ([FM], prop. 3.15). Nous nous inspirons de la preuve de White, qui nous a été aimablement communiquée par M. Bestvina.
4.1. Applications -équivariantes affines par morceaux
Le point (1) de la proposition 4.1 est facile.
Démonstration du point (1) de la proposition 4.1. Montrons tout d’abord qu’il existe une application -équivariante et affine par morceaux. Comme le graphe est fini, il existe un système fini de représentants de l’ensemble des sommets de modulo l’action de . Pour tout , choisissons un sommet de . D’après la remarque 4.2, il existe une unique application affine par morceaux telle que pour tout et tout . Cette application est -équivariante.
D’autre part, toute application -équivariante et affine par morceaux est lipschitzienne. En effet, comme le graphe est fini, il existe un système fini de représentants de l’ensemble des arêtes de modulo l’action de . L’application est lipschitzienne de constante , où est donnée par (4.1). ∎
4.2. Une constante de Lipschitz minimale
Dans le cas particulier où est injectif d’image discrète et cocompacte, toute application -équivariante affine par morceaux induit une application affine par morceaux du graphe fini vers le graphe fini ; le point (2) de la proposition 4.1 est alors une conséquence immédiate du théorème d’Ascoli.
Le cas général est plus compliqué : un argument supplémentaire est nécessaire pour montrer que l’on peut se ramener à des applications à valeurs dans un compact de et appliquer le théorème d’Ascoli. Nous allons distinguer plusieurs cas selon le nombre de points fixes du groupe dans . Commençons par un lemme.
Lemme 4.3.
Soient un arbre réel simplicial, des isométries de sans point fixe commun dans et un réel. Posons
-
—
Si les isométries n’admettent pas de point fixe commun dans , alors est compact.
-
—
Si les isométries admettent exactement un point fixe commun dans , il existe une demi-droite géodésique de d’extrémité telle que pour tout .
-
—
Si les isométries admettent deux points fixes communs et dans , on a pour tout , où désigne la droite géodésique de d’extrémités et .
Démonstration. Pour tout , si est hyperbolique, notons l’axe de translation de dans . Si est elliptique, notons l’ensemble des points fixes de dans ; c’est un sous-arbre de et les points fixes de dans sont exactement les extrémités à l’infini des demi-droites géodésiques incluses dans . D’après (2.4) et (2.5), on a pour tout et tout .
Supposons que les n’admettent pas de point fixe commun dans et qu’ils soient tous elliptiques. Alors l’intersection des est vide car les n’admettent pas de point fixe commun dans par hypothèse. Comme est un arbre, il existe deux entiers et tels que . Pour tout , nous avons vu que pour tout . On en déduit facilement que pour tout , où désigne le projeté de sur . Ainsi, le fermé est borné, donc compact.
Supposons que les n’admettent pas de point fixe commun dans et qu’il existe un entier tel que soit hyperbolique. Alors l’intersection des est un sous-ensemble convexe fermé de la droite géodésique . Il ne contient pas de demi-droite géodésique par hypothèse, donc c’est un segment géodésique , défini comme l’intersection de deux sous-demi-droites géodésiques et de . Comme est un arbre, il existe deux entiers et tels que et . Pour tout , nous avons vu que pour tout . Si l’on avait , alors le projeté de sur serait l’extrémité dans de la demi-droite et l’on aurait , d’où une contradiction. Par conséquent, on a pour tout , et de même pour tout . Comme est un arbre, on en déduit pour tout . Ainsi, le fermé est borné, donc compact.
Supposons que les admettent exactement un point fixe commun dans . Si tous les étaient elliptiques, il existerait une demi-droite géodésique d’extrémité fixée (point par point) par tous les , ce qui contredirait le fait que les n’ont pas de point fixe commun dans . Par conséquent, il existe un entier tel que soit hyperbolique. L’intersection des est un sous-ensemble convexe de la droite géodésique ; comme les admettent comme unique point fixe commun dans , cette intersection est une sous-demi-droite géodésique de d’extrémité . Considérons un entier tel que . Pour tout , nous avons vu que . Si l’on avait , alors le projeté de sur serait l’extrémité dans de la demi-droite et l’on aurait , d’où une contradiction. Ainsi, on a pour tout .
Supposons que les admettent deux points fixes communs et dans . Par le même argument que ci-dessus, il existe un entier tel que soit hyperbolique. L’axe de translation de est la droite d’extrémités et . D’après ce qui précède, on a pour tout . ∎
Nous sommes maintenant en mesure de démontrer le point (2) de la proposition 4.1.
Démonstration du point (2) de la proposition 4.1. Si le groupe admet un point fixe dans , alors l’application constante d’image est -équivariante, affine par morceaux, de constante de Lipschitz nulle donc minimale. Dans tout le reste de la démonstration, nous supposerons donc sans point fixe dans . Soit un domaine fondamental connexe pour l’action de sur . L’ensemble
est un système générateur fini de . Comme est un arbre, pour tout il existe un unique couple de points de tels que . La restriction de à induit une bijection entre l’ensemble des applications -équivariantes et affines par morceaux et l’ensemble des applications affines par morceaux telles que pour tout . Cette bijection préserve les constantes de Lipschitz. Fixons un réel et notons l’ensemble des éléments de de constante de Lipschitz ; il est fermé et uniformément équicontinu dans l’ensemble des applications continues de dans , muni de la topologie de la convergence uniforme. Pour pouvoir appliquer le théorème d’Ascoli, nous allons nous ramener à un sous-ensemble de à valeurs dans un compact de , en distinguant plusieurs cas selon le nombre de points fixes de dans . Commençons par remarquer que si l’on pose
alors pour tout et tout on a pour tout .
Si n’a pas de point fixe dans , alors est compact d’après le lemme 4.3. On peut donc appliquer directement le théorème d’Ascoli, qui affirme que l’ensemble est compact pour la topologie de la convergence uniforme. On en déduit l’existence d’un élément , et donc d’un élément , de constante de Lipschitz minimale.
Supposons que admette un unique point fixe . D’après le lemme 4.3, il existe une demi-droite géodésique de d’extrémité telle que pour tout et tout . Fixons une isométrie hyperbolique dont l’axe de translation contient et dont est le point fixe répulsif dans . Soit une suite d’éléments de dont la constante de Lipschitz tend vers . Si l’on note l’extrémité de dans , alors pour tout il existe un entier tel que soit inclus dans le compact
Pour tout , la suite est bornée : en effet, comme fixe par hypothèse, il existe une demi-droite incluse dans telle que ; pour tout on a pour tout , donc est bornée par définition de la topologie sur (cf. paragraphe 2.2). Quitte à extraire une sous-suite, on peut donc supposer que pour tout la suite converge. En particulier, il existe un entier tel que pour tout et tout , les isométries et coïncident sur le compact . Par conséquent, pour tout et tout on a
Comme de plus est une isométrie de , l’application a même constante de Lipschitz que ; elle appartient donc à pour tout . L’image de étant incluse dans le compact , on peut appliquer le théorème d’Ascoli, qui affirme que la suite est d’adhérence compacte dans le fermé pour la topologie de la convergence uniforme. En particulier, cette suite admet une sous-suite qui converge vers un certain . Comme la constante de Lipschitz de tend vers , celle de aussi, et est de constante de Lipschitz minimale.
Le cas où admet deux points fixes et dans se traite de manière analogue. Plus précisément, soit la droite géodésique de d’extrémités et . D’après le lemme 4.3, on a pour tout et tout . Fixons une isométrie hyperbolique d’axe de translation . Soit une suite d’éléments de dont la constante de Lipschitz tend vers . Si désigne un point quelconque fixé de , alors pour tout il existe un entier tel que soit inclus dans le compact
Pour tout , la suite est bornée : en effet, la droite est (globalement) stable par car fixe ses extrémités par hypothèse ; pour tout on a pour tout , donc est bornée par définition de la topologie sur (cf. paragraphe 2.2). On conclut comme dans le cas où n’admet qu’un seul point fixe dans . ∎
Notons que est la constante de Lipschitz minimale de toutes les applications lipschitziennes et -équivariantes de dans (non nécessairement affines par morceaux). En effet, si est -équivariante et -lipschitzienne, alors l’application affine par morceaux telle que pour tout sommet de (donnée par la remarque 4.2) est encore -équivariante et -lipschitzienne.
4.3. Arêtes -maximales
Fixons désormais deux arbres réels simpliciaux et de valence , un sous-groupe discret sans torsion de tel que le graphe soit fini et un morphisme de groupes . Soit la constante de Lipschitz minimale donnée par le point (2) de la proposition 4.1. Fixons une application -équivariante, affine par morceaux et -lipschitzienne .
Nous dirons qu’une arête de est -maximale si la restriction de à est affine de constante . Comme est -équivariante et comme et sont des groupes d’isométries, une arête de est -maximale si et seulement l’arête est -maximale pour tout . En particulier, la notion d’arête maximale passe au quotient .
Pour toutes arêtes et de incidentes en un sommet , notons si est d’intérieur non vide dans . Ceci définit une relation d’équivalence sur l’ensemble des arêtes de d’extrémité . Comme précédemment, cette relation induit une relation d’équivalence sur l’ensemble des arêtes de incidentes en , où désigne l’image de dans .
Pour démontrer le point (3) de la proposition 4.1, nous aimerions prouver l’existence d’un lacet de passant au plus deux fois par chaque sommet de et tel que la restriction de aux relevés dans de ce lacet soit affine de constante . Cette dernière condition se traduit par le fait que le lacet est entièrement formé d’arêtes -maximales et que deux arêtes successives appartiennent toujours à des classes d’équivalence différentes pour la relation . L’existence d’un tel lacet est assurée si vérifie une certaine condition de minimalité : il suffit que l’ensemble des arêtes -maximales de soit minimal. Avant de démontrer cette existence (lemme 4.5), commençons par établir qu’une condition nécessaire est vérifiée.
Lemme 4.4.
Supposons l’ensemble des arêtes -maximales de minimal. En tout sommet de qui est extrémité d’une arête -maximale, il existe au moins deux classes d’équivalence d’arêtes -maximales pour la relation .
Démonstration. Soit un sommet de . Supposons par l’absurde que toutes les arêtes -maximales d’extrémité appartiennent à la même classe d’équivalence pour la relation : cela signifie qu’il existe un segment géodésique d’intérieur non vide dans , d’extrémité , qui est contenu dans l’image de toute arête -maximale d’extrémité . D’après la remarque 4.2, pour tout il existe une unique application affine par morceaux telle que pour tout et pour tout sommet ; elle est -équivariante. Montrons que pour suffisamment proche de , l’application est -lipschitzienne et l’ensemble des arêtes -maximales est strictement inclus dans l’ensemble des arêtes -maximales, ce qui contredira la minimalité de et de l’ensemble des arêtes -maximales.
Si est une arête de dont les extrémités n’appartiennent pas à l’orbite , alors la restriction de à est égale à la restriction de à . En particulier, est -maximale si et seulement si elle est -maximale.
Soit une arête de d’extrémités et . La restriction de (resp. de ) à est affine de constante
Si n’est pas -maximale, alors n’est pas -maximale pour suffisamment proche de , par continuité de l’application . Si est -maximale, alors pour on a donc n’est pas -maximale.
Soit une arête de d’extrémités et , où . La restriction de (resp. de ) à est affine de constante
Si n’est pas -maximale, alors n’est pas -maximale pour suffisamment proche de , par continuité de l’application . Supposons que est -maximale et montrons que n’est pas -maximale pour . Comme est -maximale, l’est aussi, donc l’intersection
contient . Si est hyperbolique, alors pour on a, d’après (2.4),
donc n’est pas -maximale. Si est elliptique et si désigne l’ensemble de ses points fixes dans , alors pour on a, d’après (2.5),
donc n’est pas -maximale, ce qui termine la démonstration du lemme 4.4. ∎
4.4. Un lacet d’étirement maximal
Démontrons à présent l’existence d’un lacet de passant au plus deux fois par chaque sommet de et tel que la restriction de aux relevés dans de ce lacet soit affine de constante .
Lemme 4.5.
Supposons l’ensemble des arêtes -maximales de minimal. Il existe un élément dont l’image dans de l’axe de translation est un lacet passant au plus deux fois par chaque sommet de , dont toutes les arêtes sont -maximales et dont deux arêtes consécutives appartiennent toujours à des classes d’équivalence différentes pour la relation .
Démonstration. Soit une arête -maximale de , d’extrémités et . Le lemme 4.4 permet de construire par récurrence une suite de sommets de telle que pour tout , les sommets et soient adjacents, l’arête d’extrémités et soit -maximale, et les arêtes et appartiennent à des classes d’équivalence différentes pour la relation . Comme est un arbre, les sommets sont deux à deux distincts et pour tous , la réunion des arêtes , où , est le segment géodésique d’extrémités et , de longueur . Soit le nombre de sommets du graphe fini . D’après le principe des tiroirs de Dirichlet, il existe trois entiers
tels que les sommets , et appartiennent à la même orbite de . Choisissons-les de sorte que l’entier soit minimal, ce qui assure que l’image du segment géodésique dans est un lacet passant au plus deux fois par chaque sommet de . Soient tels que et . La figure 4 illustre notre raisonnement. Pour toute arête de , nous notons son image dans .
Supposons que les arêtes et appartiennent à des classes d’équivalence différentes pour la relation . Le projeté de sur appartient à la fois aux segments géodésiques et ; comme par hypothèse, on a . Ainsi, l’image de dans est l’union des où ; c’est un lacet simple de dont toutes les arêtes sont -maximales et dont deux arêtes consécutives appartiennent toujours à des classes d’équivalence différentes pour la relation .
De même, si les arêtes et appartiennent à des classes d’équivalence différentes pour la relation , alors l’image de dans est l’union des où ; c’est un lacet simple de dont toutes les arêtes sont -maximales et dont deux arêtes consécutives appartiennent toujours à des classes d’équivalence différentes pour la relation .
Supposons et . Comme par construction les arêtes et appartiennent à des classes d’équivalence différentes pour , il en est de même des arêtes et . Comme précédemment, l’image de dans est l’union des où ; c’est la concaténation de deux lacets simples de , dont toutes les arêtes sont -maximales et dont deux arêtes consécutives appartiennent toujours à des classes d’équivalence différentes pour la relation . Ceci achève la démonstration du lemme 4.5. ∎
Nous pouvons à présent démontrer le point (3) de la proposition 4.1.
Démonstration du point (3) de la proposition 4.1. Soit une application -équivariante, affine par morceaux et -lipschitzienne telle que l’ensemble des arêtes -maximales de soit minimal. D’après le lemme 4.5, il existe un élément dont l’image dans de l’axe de translation est un lacet passant au plus deux fois par chaque sommet de , dont toutes les arêtes sont -maximales et dont deux arêtes consécutives appartiennent toujours à des classes d’équivalence différentes pour la relation . Quitte à remplacer par un conjugué dans , on peut supposer que rencontre ; d’après (2.4) on a alors
i.e. . Montrons que
ce qui suffira, d’après (4.2), à établir le point (3) de la proposition 4.1. Nous distinguons les cas où est hyperbolique ou elliptique.
Supposons hyperbolique et soit un sommet de . Le projeté de sur appartient à la fois aux segments géodésiques et . Comme deux arêtes consécutives de appartiennent toujours à des classes d’équivalence différentes pour la relation , on en déduit . Ainsi, on a
Comme toutes les arêtes de sont -maximales, ce quotient est égal à .
Supposons elliptique, de sorte que , et soit un sommet de . Le projeté de sur l’ensemble des points fixes de appartient à la fois aux segments géodésiques et . Comme deux arêtes consécutives de appartiennent toujours à des classes d’équivalence différentes pour la relation , on en déduit que est un point fixe de . Ainsi, on a
donc , ce qui termine la démonstration. ∎
5. Déformation des quotients compacts de
Dans cette partie, nous déduisons les théorèmes 1.4 puis 1.2 de la proposition 4.1 et d’une propriété des déformations de réseaux cocompacts sans torsion de (lemme 5.2).
5.1. Démonstration du théorème 1.4
Soient et deux arbres réels simpliciaux de valence et un sous-groupe discret sans torsion de tel que le graphe soit fini. Fixons des points et . Nous dirons qu’un morphisme de groupes est admissible si pour tout on a pour presque tout . Cette condition ne dépend pas du choix de et . La proposition 4.1 implique le résultat suivant, dont le théorème 1.4 est un cas particulier.
Théorème 5.1.
Soient et deux arbres réels simpliciaux de valence et un sous-groupe discret sans torsion de tel que le graphe soit fini. Fixons des points et . Pour tout morphisme de groupes , notons la borne inférieure des réels pour lesquels il existe tel que pour tout .
-
(1)
Soit le sous-ensemble fini de formé des éléments tels que , où désigne le nombre de sommets de . Pour tout morphisme on a
-
(2)
Un morphisme est admissible si et seulement si .
Comme dans la proposition 4.1, l’hypothèse que est un sous-groupe discret sans torsion de tel que le graphe soit fini est équivalente à l’hypothèse que est un groupe libre de type fini agissant sur librement, minimalement, par isométries (cf. paragraphe 2.2.3).
Démonstration. Soit un morphisme de groupes. D’après la proposition 4.1, il existe une application -équivariante affine par morceaux de constante de Lipschitz minimale. Commençons par remarquer que pour tout on a
En effet, c’est évident si est elliptique, et si est hyperbolique cela résulte du fait que la suite
(5.1) |
est constante d’après (2.4). D’autre part, pour tout on a
donc . Ainsi, on a
D’après la proposition 4.1, il existe un élément tel que
(5.2) |
ce qui prouve le point (1) du théorème 5.1. Comme l’application est propre et le groupe discret dans , si alors est admissible, et si est admissible alors . D’après (5.2), si alors ; comme la suite donnée par (5.1) est constante pour , le morphisme n’est pas admissible. Ceci achève la démonstration du point (2) du théorème 5.1. ∎
5.2. Déformation des réseaux cocompacts sans torsion de
Soient un corps local ultramétrique et l’ensemble des -points d’un -groupe algébrique semi-simple connexe de -rang un. Il est bien connu que pour tout réseau cocompact sans torsion de , il existe un voisinage de l’inclusion canonique dans tel que pour tout , le groupe soit un réseau cocompact sans torsion de ([Lub], prop. 1.7 et th. 2.1). De plus, comme les applications et sont continues à valeurs discrètes, pour toute partie finie de il existe un voisinage de l’inclusion canonique dans tel que pour tout on ait et pour tout .
Dans ce paragraphe, nous remarquons qu’il existe un voisinage de l’inclusion canonique dans tel que pour tout on ait et pour tout , sans restriction à une partie finie .
Lemme 5.2.
Soient un corps local ultramétrique, l’ensemble des -points d’un -groupe algébrique semi-simple connexe de -rang un et un réseau cocompact sans torsion de . Notons l’arbre de Bruhat-Tits de et le point de donné par (2.1). Pour tout domaine fondamental connexe de pour l’action de , contenant , il existe un voisinage de l’inclusion canonique dans tel que pour tout ,
-
—
le morphisme soit injectif ;
-
—
le groupe soit un réseau cocompact sans torsion de ;
-
—
l’ensemble soit un domaine fondamental de pour l’action de ;
-
—
on ait et pour tout .
Démonstration. Soit un domaine fondamental connexe de pour l’action de , contenant . L’ensemble des éléments tels que est fini, donc
est un compact de . Le fixateur (point par point) de dans est un voisinage de dans , en tant qu’intersection des fixateurs des extrémités des arêtes de rencontrant . Par conséquent, l’ensemble
est un voisinage de l’inclusion canonique dans .
Pour voir que vérifie les propriétés du lemme 5.2, il suffit de montrer que pour tout il existe une isométrie bijective -équivariante fixant . En effet, si une telle isométrie existe, alors est injectif et est un réseau cocompact sans torsion de , admettant comme domaine fondamental dans . Pour tout , l’image par de l’axe de translation de est l’axe de translation de , et . Enfin, comme est une isométrie -équivariante fixant , on a
pour tout d’après (2.1).
Fixons donc un morphisme et établissons l’existence d’une isométrie bijective -équivariante fixant . Pour tout et tout tels que , on a . Par conséquent, on peut définir une application en posant pour tout et tout . Par construction, est -équivariante et fixe . Montrons que c’est une isométrie bijective. Comme la restriction de à est l’identité, comme est -équivariante et comme et agissent sur par isométries, la restriction de à tout translaté , où , est une isométrie. Comme les translatés par de l’intérieur de recouvrent , on en déduit que est une isométrie locale. Comme est un arbre, c’est une isométrie globale. Enfin, est surjective. En effet, la réunion des translatés par de est ouverte dans , en tant que réunion des translatés par de l’intérieur de . Elle est également fermée car toute suite de points de qui converge dans est contenue à partir d’un certain rang dans une boule de de diamètre , où désigne la distance de à , donc dans un translaté par de (car agit sur par isométries). Par connexité de , on a , et donc
Ainsi, est une isométrie bijective -équivariante fixant , ce qui termine la démonstration. ∎
Notons que l’existence de déformations non triviales est spécifique au rang un. En effet, si et si par exemple est adjoint sans facteur compact et irréductible, alors tout morphisme tel que soit un réseau cocompact de se prolonge en un automorphisme continu de par le théorème de super-rigidité de Margulis ([Mar], th. 5.6).
5.3. Démonstration du théorème 1.2
Le théorème 1.2 est une conséquence du théorème 1.1, du théorème 1.4 et du lemme 5.2. En effet, soit un sous-groupe discret de type fini sans torsion de agissant proprement et cocompactement sur . D’après le théorème 1.1, il existe un réseau cocompact sans torsion de et un morphisme admissible tels que
à la permutation près des deux facteurs de . Soit l’arbre de Bruhat-Tits de , soit le nombre de sommets du graphe fini et soit l’ensemble des éléments tels que . Choisissons un domaine fondamental connexe de pour l’action de : on peut prendre par exemple le domaine de Dirichlet
Soit le voisinage de l’inclusion canonique dans donné par le lemme 5.2. D’après le théorème 1.4, l’ensemble
contient ; c’est donc un voisinage de dans , et est un voisinage de l’inclusion canonique dans . Soit . Le groupe
est un graphe par injectivité de , et est un réseau cocompact sans torsion de . Par définition de et de , le graphe fini possède sommets, l’ensemble est formé des éléments tels que , et l’on a pour tout . D’après le théorème 1.4, le morphisme est admissible. D’après le théorème 1.1, le groupe agit librement, proprement et cocompactement sur . ∎
6. Lien avec l’outre-espace
Dans le cas particulier où est injectif d’image discrète et cocompacte, la proposition 4.1 implique l’existence et l’équivalence entre deux définitions différentes d’une même “distance asymétrique” sur l’outre-espace, comme nous le précisons dans cette partie.
Cette distance asymétrique sur l’outre-espace est un analogue de la distance asymétrique de Thurston sur l’espace de Teichmüller, introduite et étudiée en détail dans [Thu] : les classes d’équivalence de structures hyperboliques complètes sur une surface compacte de type fini et de caractéristique d’Euler , munies d’un marquage par le groupe fondamental de , sont remplacées par les classes d’équivalence de graphes métriques connexes munis d’un marquage par un groupe libre de type fini fixé (cf. paragraphe 6.4).
Sur l’outre-espace, cette distance asymétrique a d’abord été étudiée par T. White dans un texte non publié, puis récemment par S. Francaviglia et A. Martino [FM] qui se sont intéressés à une symétrisation de cette distance et à la géométrie correspondante sur l’outre-espace.
6.1. Rappels
Soient un entier et un bouquet de cercles d’intersection ; le groupe fondamental est un groupe libre à générateurs que nous noterons . Appelons graphe normalisé marqué de rang tout couple où est un graphe métrique connexe fini de valence dont la somme des longueurs des arêtes vaut un, et où est une équivalence d’homotopie. L’équivalence d’homotopie induit un isomorphisme de groupes
Pour tous graphes normalisés et marqués de rang , nous dirons qu’une application continue respecte les marquages et si est homotope à . Notons s’il existe une isométrie bijective respectant les marquages et . Ceci définit une relation d’équivalence sur l’ensemble des graphes normalisés marqués de rang . On appelle outre-espace de rang l’ensemble des classes d’équivalence pour cette relation. Cet ensemble a été introduit par M. Culler et K. Vogtmann dans l’article fondateur [CV] ; nous le notons ici . Pour tout graphe normalisé marqué de rang , nous notons la classe de dans .
6.2. Une distance asymétrique sur l’outre-espace
Soient et deux graphes normalisés marqués de rang . Notons (resp. ) un revêtement universel de (resp. de ) : c’est un arbre réel simplicial de valence . Le groupe fondamental (resp. ) agit librement, proprement et cocompactement sur (resp. sur ), par isométries. Posons et
Toute application continue respectant les marquages et se relève en une application continue -équivariante , au sens de la proposition 4.1. Réciproquement, toute application continue -équivariante induit une application continue respectant les marquages et . Par construction, l’application est lipschitzienne si et seulement si l’est, et dans ce cas les deux constantes de Lipschitz sont les mêmes.
D’après la proposition 4.1, il existe une application affine par morceaux respectant les marquages et , et la borne inférieure des constantes de Lipschitz de telles applications est atteinte. Cette borne inférieure ne dépend que des classes et dans ; notons son logarithme.
Lemme 6.1.
L’application est une distance asymétrique sur , au sens où
-
(1)
pour tous on a
avec égalité si et seulement si ;
-
(2)
pour tous on a
En général on a , comme nous le verrons ci-dessous.
Démonstration du lemme 6.1. Le point (2) est clair. Prouvons le point (1). Soient et deux graphes normalisés marqués de rang et une application affine par morceaux respectant les marquages et , de constante de Lipschitz minimale.
Remarquons que est surjective. En effet, notons comme ci-dessus (resp. ) un revêtement universel de (resp. de ) et soit un relevé de ; montrons que est surjective. Fixons un sommet de . Pour tout , l’image par du segment géodésique de contient le segment géodésique de . Il suffit donc de montrer que les segments géodésiques , où , recouvrent . Mais s’il existait un point n’appartenant à aucun segment géodésique , alors toute composante connexe de ne contenant pas serait un sous-arbre infini de ne rencontrant pas l’orbite , ce qui contredirait le fait que agit cocompactement sur .
Notons (resp. ) l’ensemble des arêtes de (resp. de ). Pour toute arête (resp. ), notons (resp. ) sa longueur dans (resp. dans ). Notons enfin la constante de Lipschitz de la restriction de à pour tout . Comme est surjective on a
(6.1) |
On en déduit
(6.2) |
De plus, si , alors toutes les inégalités dans (6.1) sont des égalités ; on en déduit aisément que est une isométrie bijective, et donc que . Enfin, en considérant l’identité de , on voit que , donc par (6.2). ∎
Montrons l’asymétrie sur un exemple pour . Comme précédemment, soit un bouquet de deux cercles et d’intersection . Pour , soit le graphe donné par la figure 5, où les deux boucles sont de longueur et où l’arête du milieu est de longueur . Soit une équivalence d’homotopie envoyant sur , établissant un homéomorphisme entre et le cercle de gauche de et envoyant sur l’union du segment transverse et du cercle de droite de . Pour , un calcul donne
Ces réels sont différents dès que .
6.3. Quotients de longueurs de lacets
Pour tout graphe normalisé marqué de rang et tout , la longueur minimale d’un lacet dans la classe d’homotopie libre de ne dépend que de la classe de dans ; notons-la . Si désigne comme précédemment un revêtement universel de , alors est la longueur de translation de vu comme isométrie de .
Pour tous , tout et toute application continue respectant les marquages et , lipschitzienne de constante minimale, on a
(6.3) |
Posons
Les inégalités (6.3) impliquent
D’après la proposition 4.1, cette inégalité est en fait une égalité et la borne supérieure est atteinte.
Corollaire 6.2.
(T. White, cf. [FM], prop. 3.11)
Pour tous il existe un élément tel que
En particulier on a .
6.4. Lien avec la distance asymétrique de Thurston sur l’espace de
Teichmüller
On a une analogie très forte entre la distance asymétrique sur l’outre-espace et la distance asymétrique de Thurston sur l’espace de Teichmüller. Plus précisément, soit une surface compacte de caractéristique d’Euler , et soit l’espace de Teichmüller de , défini comme l’ensemble des classes d’équivalence de structures hyperboliques complètes sur pour la relation “être tirée en arrière par un homéomorphisme de homotope à l’identité”.
Pour toutes structures hyperboliques complètes et sur , la borne inférieure des constantes de Lipschitz d’homéomorphismes homotopes à l’identité ne dépend que des classes de et dans . Notons le logarithme de cette borne inférieure. D’après [Thu], prop. 2.1, l’application est une distance asymétrique sur , au sens du lemme 6.1.
Soit un point-base. Pour toute structure hyperbolique complète sur et tout élément non trivial, notons la plus petite longueur d’un lacet dans la classe d’homotopie libre de ; elle est atteinte par l’unique géodésique fermée pour dans la classe d’homotopie libre de . Ceci définit une application qui ne dépend que de la classe de dans . D’après [Thu], th. 3.1, l’application définie par
pour tous est une distance asymétrique sur .
Comme sur l’outre-espace, on a d’après [Thu], th. 8.5. En revanche, dans le cas de l’espace de Teichmüller la borne supérieure n’est en général pas atteinte par une géodésique fermée simple, mais par une lamination géodésique mesurée.
6.5. Absence de morphisme admissible injectif d’image discrète
D’après le corollaire 6.2 et le lemme 6.1, on a pour tous , et en cas d’égalité on a donc pour tout . Nous allons en déduire le résultat suivant, dont le corollaire 1.5 est un cas particulier.
Corollaire 6.3.
Soit un arbre réel simplicial, bipartite de valences et , dont toutes les arêtes ont même longueur, et soit un sous-groupe discret sans torsion de tel que le graphe soit fini. Il n’existe pas de morphisme de groupes admissible qui soit injectif d’image discrète.
Soient . Rappelons qu’un morphisme est dit admissible si pour tout on a pour presque tout (cf. paragraphe 5.1). Cette condition ne dépend pas du choix de et .
De même, la positivité de la distance asymétrique de Thurston sur l’espace de Teichmüller (avec la condition d’égalité) implique l’absence de morphisme admissible pour (cf. [Sa2], § 4.1). On n’a pas besoin que la borne supérieure soit atteinte par une géodésique fermée simple.
Pour démontrer le corollaire 6.3 nous utilisons le lemme suivant.
Lemme 6.4.
Le nombre d’arêtes d’un graphe connexe fini dont le groupe fondamental est libre de rang fixé est une fonction décroissante de la valence moyenne des sommets.
Démonstration. Soit un graphe connexe fini dont le groupe fondamental est libre de rang . Si désigne le nombre d’arêtes, le nombre de sommets et la valence moyenne des sommets de , alors . De plus, d’après [Die], th. 1.9.6, on a , d’où
ce qui implique le lemme. ∎
Nous pouvons à présent démontrer le corollaire 6.3.
Démonstration du corollaire 6.3. Soit un morphisme de groupes injectif d’image discrète. Montrons que n’est pas admissible.
Les groupes et agissent tous deux librement et proprement sur . Les graphes quotients et sont connexes, bipartites de valences et , et leurs groupes fondamentaux, qui s’identifient respectivement à et , sont libres de même rang. Le graphe est fini mais ne l’est pas forcément.
Comme est sans torsion et comme est injectif d’image discrète, l’élément est hyperbolique pour tout . Fixons un élément et un sommet de l’axe de translation . L’image dans de l’union des segments géodésiques , où , est un sous-graphe fini connexe de dont le groupe fondamental s’identifie encore à . Si est fini, on voit facilement que . Par construction, est de valence . De plus, la valence moyenne des sommets de est inférieure à : en effet, si l’on note (resp. ) l’ensemble des sommets de de valence (resp. ), alors et ont même cardinal, et pour tout , la valence de dans est inférieure à .
Notons (resp. ) le nombre d’arêtes de (resp. de ). D’après le lemme 6.4, on a . Or, toutes les arêtes de ont même longueur par hypothèse. Si l’on note cette longueur et si l’on munit (resp. ) de la distance induite par celle de divisée par (resp. par ), alors la somme des longueurs des arêtes de (resp. de ) vaut un. D’après le corollaire 6.2, il existe un élément non trivial tel que
Comme , on en déduit . D’après le théorème 5.1, le morphisme n’est pas admissible. ∎
7. Existence de quotients compacts par Zariski-dense
Pour démontrer le corollaire 1.3, nous utilisons le résultat suivant, dont l’analogue réel est dû à T. Kobayashi ([Ko3], th. 2.4).
Lemme 7.1.
Soient un corps local ultramétrique, l’ensemble des -points d’un -groupe algébrique semi-simple connexe de -rang un et un réseau cocompact sans torsion de . Soient l’arbre de Bruhat-Tits de et un domaine fondamental connexe de pour l’action de , contenant dans son intérieur le point donné par (2.1). Posons
et notons la distance de au complémentaire de dans . Alors tout morphisme de groupes vérifiant pour tout est admissible.
Le raisonnement de Kobayashi se transpose au cas ultramétrique en remplaçant simplement l’espace symétrique par l’arbre de Bruhat-Tits de ; nous le reproduisons ici pour la commodité du lecteur.
Démonstration du lemme 7.1. Soit . Notons la partie entière de et choisissons une suite de points du segment géodésique telle que et telle que pour tout on ait . Par récurrence, on construit une suite d’éléments de telle que pour tout ; par définition de et comme , on a pour tout . D’autre part, on a , donc appartient à la fois à l’intérieur de et à . Comme est un domaine fondamental de pour , on a , i.e. . Si désigne la longueur des mots associée à , on a
(7.1) |
Soit tel que
Pour tout on a, d’après (2.2) et (7.1),
Pour tout on a si et seulement si . L’ensemble des éléments vérifiant cette inégalité est fini car est discret dans et l’application est propre. Ainsi, est admissible. ∎
Nous pouvons à présent démontrer la proposition 1.3.
Démonstration de la proposition 1.3. Notons la longueur commune des arêtes de . En s’inspirant de la démonstration du théorème 2.1 de [Lub], par exemple, on construit facilement un réseau cocompact sans torsion de admettant un domaine fondamental connexe dans qui contient dans son intérieur le point donné par (2.1) et tel que, en posant
la distance de au complémentaire de dans soit supérieure à . Soit une partie de telle que soit l’union disjointe de et de . Le groupe est libre, librement engendré par , donc tout morphisme de dans est entièrement déterminé par son image sur .
Soient deux éléments de . Rappelons qu’un élément de est dit régulier si la composante neutre de son centralisateur dans est un tore maximal de . L’ensemble des éléments réguliers de contient un ouvert de Zariski de ([Bor], th. 12.3). Par conséquent, si l’on note le voisinage de l’inclusion canonique dans donné par le lemme 5.2, alors contient un élément régulier . Comme , l’ensemble des éléments tels que est un ouvert non vide de ; il contient donc un élément régulier . Par un résultat de J. Tits ([Ti2], prop. 4.4), la réunion de tous les sous-groupes stricts de qui contiennent et qui sont Zariski-fermés et Zariski-connexes est incluse dans un fermé de Zariski strict de . Comme précédemment, l’ouvert de Zariski contient un élément régulier tel que et . Par construction, le groupe engendré par et est Zariski-dense dans , et sa projection sur chacun des facteurs de est non bornée.
Soit le morphisme de groupes défini par pour et pour . Par construction, on a . Pour tout , choisissons un élément tel que . Soit le morphisme de groupes défini par pour et pour . Le groupe
est Zariski-dense dans et sa projection sur chacun des facteurs de est non bornée. Comme , le morphisme est injectif, le groupe est un réseau cocompact sans torsion de de domaine fondamental dans et est la distance de au complémentaire de dans . Par construction on a pour tout , donc le morphisme est admissible d’après le lemme 7.1 et l’inégalité (2.3). Le théorème 1.1 assure que le groupe agit librement, proprement et cocompactement sur , ce qui termine la démonstration de la proposition 1.3. ∎
Références
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Département de Mathématiques, Bâtiment 425, Faculté des Sciences d’Orsay, Université Paris-Sud 11, 91405 Orsay Cedex, France
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