SYMÉTRIES GALOISIENNES ET
RENORMALISATION
Résumé
Nous exposons notre travail en collaboration avec Dirk Kreimer sur les algèbres de Hopf et de Lie associées aux graphes de Feynman, et sur la signification conceptuelle de la renormalisation perturbative à partir du problème de Riemann-Hilbert. Nous interprétons ensuite le groupe de renormalisation comme un groupe d’ambiguïté et montrons le rôle que ce groupe devrait jouer pour comprendre la composante connexe du groupe des classes d’idèles de la théorie du corps de classe comme un groupe de Galois.
Collège de France, 3, rue Ulm, 75005 PARIS
et
I.H.E.S., 35, route de Chartres, 91440 BURES-sur-YVETTE
Introduction
La renormalisation est sans doute l’un des procédés les plus élaborés pour obtenir des quantités numériques signifiantes à partir d’expressions mathématiques a-priori dépourvues de sens. A ce titre elle est fascinante autant pour le physicien que pour le mathématicien. La profondeur de ses origines en théorie des champs et la précision avec laquelle elle est corroborée par l’expérience en font l’un des joyaux de la physique théorique. Pour le mathématicien épris de sens, mais non corseté par la rigueur, les explications données jusqu’à présent butaient toujours sur le sens conceptuel de la partie proprement calculatoire, celle qui est utilisée par exemple en électrodynamique quantique et ne tombe pas sous la coupe des ”théories asymptotiquement libres” auxquelles la théorie constructive peut prétendre avoir donné un statut mathématique satisfaisant. Cet état de fait a changé récemment et cet exposé se propose de donner la signification conceptuelle des calculs effectués par les physiciens dans la théorie de la renormalisation grâce à mon travail sur la renormalisation en collaboration avec Dirk Kreimer et la relation que nous avons établie entre renormalisation et problème de Riemann-Hilbert.
Le résultat clef est l’identité entre le procédé récursif utilisé par les physiciens et les formules mathématiques qui résolvent un lacet à valeurs dans un groupe pronilpotent en un produit d’un lacet holomorphe par un lacet anti-holomorphe. La signification géométrique de cette décomposition (de Riemann-Hilbert, Birkhoff ou Wiener-Hopf) provient directement de la théorie des fibrés holomorphes de groupe structural sur la sphère de Riemann . Dans la renormalisation perturbative, les points de la sphère sont les dimensions complexes parmi lesquelles la dimension de l’espace-temps est un point privilégié. Le problème étant que dans les théories physiquement intéressantes les quantités à calculer conspirent pour diverger précisément au point . On peut organiser ces quantités comme le développement de Taylor d’un difféomorphisme et donner un sens à en remplaçant dans les formules la dimension par une valeur complexe . Le procédé de renormalisation acquiert alors la signification suivante : la valeur cherchée n’est autre que la valeur en de la partie holomorphe de la décomposition de Riemann-Hilbert du lacet . La nature exacte du groupe impliqué dans la renormalisation a été clarifiée par les étapes essentielles suivantes. La première est la découverte due à Dirk Kreimer de la structure d’algèbre de Hopf secrètement présente dans les formules récursives de Bogoliubov Parasiuk Hepp et Zimmermann.
La seconde qui est le point de départ de notre collaboration est la similitude entre l’algèbre de Hopf des arbres enracinés de Dirk et une algèbre de Hopf que j’avais introduite avec Henri Moscovici pour organiser les calculs très complexes de géométrie noncommutative. Ceci nous a conduit avec Dirk à définir une algèbre de Hopf directement en termes de graphes de Feynman et à lui appliquer le théorème de Milnor-Moore pour en déduire une algèbre de Lie et un groupe de Lie pronilpotent , analogue du groupe des difféomorphismes formels.
Enfin la troisième étape cruciale est la construction d’une action du groupe sur les constantes de couplage de la théorie physique. Ceci permet de relever le groupe de renormalisation comme un sous-groupe à un paramètre du groupe et de montrer directement que les développements polaires des divergences sont entièrement déterminés par leurs résidus.
Le problème de Riemann-Hilbert joue un rôle clef dans la théorie de Galois différentielle, il est donc naturel d’interpréter en termes Galoisiens l’ambiguïté que le groupe de renormalisation introduit dans les théories physiques. La dernière section contient l’esquisse d’une telle interprétation.
Nous commencerons cette section par une introduction très élémentaire à la théorie de Galois pour les équations algébriques, en passant par un beau problème de géométrie plane.
Nous montrerons ensuite le rôle que le groupe de renormalisation devrait jouer pour comprendre la composante connexe du groupe des classes d’idèles de la théorie du corps de classe comme un groupe de Galois. Cette idée s’appuie à la fois sur l’analogie entre la théorie des facteurs et la théorie de Brauer pour un corps local et sur la présence implicite en théorie des champs d’un ”corps de constantes” plus élaboré que le corps des nombres complexes. En fait les calculs des physiciens regorgent d’exemples de ”constantes” telles les constantes de couplage des interactions (électromagnétiques, faibles et fortes) qui n’ont de ”constantes” que le nom. Elles dépendent en réalité du niveau d’énergie auquel les expériences sont réalisées et sont des fonctions , de sorte que les physiciens des hautes énergies étendent implicitement le ”corps des constantes” avec lequel ils travaillent, passant du corps des scalaires à un corps de fonctions . Le groupe d’automorphismes de ce corps engendré par est le groupe d’ambiguïté de la théorie physique.
Renormalisation, position du problème
La motivation physique de la renormalisation est très claire et remonte aux travaux de Green au dix-neuvième siècle sur l’hydrodynamique. Pour prendre un exemple simple ***voir le cours de théorie des champs de Sidney Coleman si l’on calcule l’accélération initiale d’une balle de ping-pong plongée à quelques mètrès sous l’eau, l’on obtient en appliquant la loi de Newton et la poussée d’Archimède , où est la masse inerte, et la masse d’eau occupée, une accélération initiale de l’ordre de ! †††La balle pèse grammes et a un diamètre de cm de sorte que grammes En réalité, si l’on réalise l’expérience, l’accélération est de l’ordre de . En fait la présence du fluide autour de la balle oblige à corriger la valeur de la masse inerte dans la loi de Newton et à la remplacer par une ”masse effective” qui en l’occurrence vaut . Dans cet exemple, l’on peut bien sur déterminer la masse en pesant la balle de ping-pong hors de l’eau, mais il n’en va pas de même pour un electron dans le champ electromagnétique, dont il est impossible de l’extraire. De plus le calcul montre que, pour une particule ponctuelle comme le demande la relativité, la correction qui valait ci-dessus est infinie.
Vers 1947 les physiciens ont réussi à utiliser la distinction entre les deux masses qui apparaissent ci-dessus et plus généralement le concept de quantité physique ”effective” pour éliminer les quantités infinies qui apparaissent en théorie des champs quantiques (voir [16] pour un aperçu historique).
Une théorie des champs en dimensions est donnée par une fonctionnelle d’action classique
où désigne un champ classique et le Lagrangien est de la forme,
où est un polynome en .
On peut décrire la théorie par les fonctions de Green,
où le symbole signifie que les champs quantiques ’s sont écrits à temps croissant de droite à gauche.
L’amplitude de probabilité d’une configuration classique est donnée par,
et si l’on pouvait ignorer les problèmes de renormalisation, l’on pourrait calculer les fonctions de Green grâce à la formule
où est un facteur de normalisation requis par,
L’on pourrait alors calculer l’intégrale fonctionnelle (5) en théorie des perturbations, en traitant le terme de (2) comme une perturbation, le Lagrangien libre étant,
de sorte que,
où l’action libre définit une mesure Gaussienne .
On obtient alors le développement perturbatif des fonctions de Green sous la forme,
Les termes de ce développement s’obtiennent en intégrant par partie sous la Gaussienne. Cela engendre un grand nombre de termes , où les paramètrès sont les graphes de Feynman , i.e. des graphes dont les sommets correspondent aux termes du Lagrangien de la théorie. En règle générale les valeurs des termes sont données par des intégrales divergentes. Les divergences les plus importantes sont causées par la présence dans le domaine d’intégration de moments de taille arbitrairement grande. La technique de renormalisation consiste d’abord à ”régulariser” ces intégrales divergentes par exemple en introduisant un paramètre de ”cutoff” et en se restreignant à la portion correspondante du domaine d’intégration. Les intégrales sont alors finies, mais continuent bien entendu à diverger quand . On établit ensuite une dépendance entre les termes du Lagrangien et pour que les choses s’arrangent et que les résultats ayant un sens physique deviennent finis! Dans le cas particulier des théories asymptotiquement libres, la forme explicite de la dépendance entre les constantes nues et le paramètre de régularisation a permis dans des cas très importants ([19],[17]) de mener à bien le programme de la théorie constructive des champs ([20]).
Décrivons maintenant en détail la technique de renormalisation perturbative. Pour faire les choses systématiquement, on rajoute un ”contreterme” au Lagrangien de départ , chaque fois que l’on rencontre un diagramme divergent , dans le but d’annuler la divergence correspondante. Pour les théories ”renormalisables”, les contre-termes dont on a besoin sont tous déja des termes du Lagrangien et ces contorsions peuvent s’interpreter à partir de l’inobservabilité des quantités numériques qui apparaissent dans , par opposition aux quantités physiques qui, elles, doivent rester finies.
La principale complication dans cette procédure vient de l’existence de nombreux graphes pour lesquels les divergences de ne sont pas locales. La raison étant que ces graphes possèdent déja des sous-graphes dont les divergences doivent être prises en compte avant d’aller plus loin. La méthode combinatoire précise, due à Bogoliubov-Parasiuk-Hepp et Zimmermann ([2]) consiste d’abord à ”préparer” le graphe en remplaçant par l’expression formelle,
où varie parmis tous les sous-graphes divergents. On montre alors que le calcul des divergences du graphe ”préparé” ne donne que des expressions locales, qui pour les théories renormalisables se trouvent déja dans le Lagrangien .
L’algèbre de Hopf des graphes de Feynman
Dirk Kreimer a eu l’idée remarquable en 97 ([23]) d’utiliser la formule (10) pour définir le coproduit d’une algèbre de Hopf.
En tant qu’algèbre est l’algèbre commutative libre engendrée par les graphes ”une particule irréductibles” (1PI)‡‡‡Un graphe de Feynman est ”une particule irreductible” (1PI) si il est connexe et le reste apres avoir enlevé n’importe laquelle de ses faces
Elle admet ainsi une base indexée par les graphes unions disjointes de graphes 1PI.
Le produit dans est donné par l’union disjointe,
Pour définir le coproduit,
il suffit de le donner sur les graphes 1PI, on a
Ici est un sous-ensemble (non vide et de complémentaire non-vide) de l’ensemble des faces internes de dont les composantes connexes vérifient des conditions d’admissibilité détaillées dans la référence [12].
Le coproduit defini par (14) sur les graphes 1PI se prolonge de manière unique en un homomorphisme de dans . On a alors ([23],[12])
Théorème Le couple est une algèbre de Hopf.
L’algèbre de Lie des graphes, le groupe et sa structure.
J’avais à la mème époque, dans les calculs de Géométrie Noncommutative de l’indice transverse pour les feuilletages, montré, avec Henri Moscovici, ([15]) que la compléxité extrême de ces calculs conduisait à introduire une algèbre de Hopf , qui n’est ni commutative ni cocommutative mais est intimement reliée au groupe des difféomorphismes, dont l’algèbre de Lie apparait en appliquant le théorème de Milnor-Moore à une sous-algèbre commutative.
Aprés l’exposé de Dirk à l’IHES en février 98, nous avons tous les deux été intrigués par la similarité apparente entre ces deux algèbres de Hopf et notre collaboration a commencé par l’application du théorème de Milnor-Moore à l’algèbre de Hopf . Le théorème de Milnor-Moore montre qu’elle est duale de l’algèbre enveloppante d’une algèbre de Lie graduée dont une base est donnée par les graphes 1-particule irreductibles. Le crochet de Lie de deux graphes est obtenu par insertion d’un graphe dans l’autre. Le groupe de Lie correspondant est le groupe des caractères de .
Nous avons ensuite analysé le groupe et montré qu’il est produit semi-direct d’un groupe abélien par un groupe très relié au groupe des difféomorphismes des constantes de couplage sans dimension de la théorie des champs (voir section VII).
L’algèbre de Hopf admet plusieurs graduations naturelles. Il suffit de donner le degré des graphes 1PI puis de poser en général,
On doit vérifier que,
pour tout sous-graphe admissible .
Les deux graduations les plus naturelles sont
et
On a aussi la combinaison importante
qui est le nombre de boucles du graphe.
Soit un graphe 1PI avec faces externes indexées par , on spécifie sa structure externe en donnant une distribution definie sur un espace convenable de fonctions test sur
Ainsi est une forme linéaire continue,
A un graphe de structure externe correspond un élément de et on a
Nous appliquons alors le théorème de Milnor-Moore à l’algèbre de Hopf bigraduée .
Ce théorème donne une structure d’algèbre de lie sur,
où pour chaque graphe 1PI , on définit comme dans (20). Soit et soit la forme linéaire sur donnée, sur les monomes , par
sauf si est connexe et 1PI, et dans ce cas par,
où est la distribution qui donne la structure externe de et la composante correspondante de . Par construction est un caractère infinitésimal de ainsi que les commutateurs,
Le produit étant obtenu par transposition du coproduit de , i.e. par
Soient , des graphes 1PI et les fonctions test correspondantes.
Pour , soit le nombre de sous-graphes de isomorphes à et tels que
Soit l’élément de associé à , le crochet de Lie de et est donné par,
Théorème ([12]) L’algèbre de Lie est produit semi-direct d’une algèbre de Lie Abelienne par où admet une base canonique indéxée par les graphes avec
où est obtenu en greffant sur en .
Renormalisation et problème de Riemann-Hilbert
Le problème de Riemann-Hilbert vient du problème de Hilbert qu’il formulait ainsi;
-
“Montrer qu’il existe toujours une équation différentielle Fuchsienne linéaire de singularités et monodromies données.”
Sous cette forme il admet une réponse positive due à Plemelj et Birkhoff (cf. [1] pour un exposé détaillé). Quand on le reformule pour les systèmes linéaires de la forme,
où est l’ensemble fini donné des singularités, , et les sont des matrices complexes telles que
pour éviter les singularités à , la réponse n’est pas toujours positive [3], mais la solution existe quand les matrices de monodromie sont suffisamment proches de 1. On peut alors l’écrire explicitement sous la forme d’une série de polylogarithmes [24].
Une autre formulation du problème de Riemann-Hilbert, intimement reliée à la classification des fibrés vectoriels holomorphes sur la sphère de Riemann , est en termes de la décomposition de Birkhoff
où désigne une courbe simple, la composante connexe du complément de contenant et la composante bornée.
Figure 1
Les trois lacets et sont à valeurs dans ,
et sont les valeurs au bord d’applications holomorphes
La condition assure l’unicité de la décomposition (32) si elle existe.
L’existence de la décomposition de Birkhoff (32) est équivalente à l’annulation,
des nombres de Chern des fibrés en droites holomorphes de la décomposition de Birkhoff-Grothendieck,
où est le fibré vectoriel holomorphe sur associé à , i.e. d’espace total:
La discussion ci-dessus pour s’étend aux groupes de Lie complexes arbitraires.
Quand est un groupe de Lie complexe nilpotent et simplement connexe l’existence (et l’unicité) de la décomposition de Birkhoff (32) est vraie pour tout . Quand le lacet se prolonge en un lacet holomorphe: , la décomposition de Birkhoff est donnée par , . En général, pour l’évaluation,
donne un principe naturel pour extraire une valeur finie à partir de l’expression singulière . Cette extraction de partie finie est une division par la partie polaire pour un lacet méromorphe en prenant pour un cercle infinitésimal centré en .
Soit un groupe de Lie complexe pro-nilpotent, son algèbre de Hopf de coordonnées (graduée). Rappelons la traduction entre langages algébriques et géométriques, en désignant par l’anneau des fonctions méromorphes, le sous anneau des polynomes en et celui des fonctions régulières en ,
(0.1) |
Pour notons le coproduit sous la forme
La décomposition de Birkhoff d’un lacet s’obtient de manière récursive grâce au théorème suivant,
Théorème ([12]) Soit , un homomorphisme d’algèbres. La décomposition de Birkhoff du lacet correspondant est donnée de manière récursive par les égalités,
Ici désigne la projection sur parallèlement à .
La clef de notre travail avec Dirk Kreimer réside dans l’identité entre ces formules et celles qui gouvernent la combinatoire des calculs de graphes. Nous avons déja vu la formule qui définit la préparation d’un graphe,
Celle qui donne le contreterme est alors,
et celle qui donne la valeur renormalisée du graphe est,
Il est alors clair en posant , , que ces équations sont identiques à celles du théorème donnant la construction récursive de la décomposition de Birkhoff.
Décrivons plus en détails ce résultat. Etant donnée une théorie renormalisable en dimension la théorie nonrenormalisée donne en utilisant la régularisation dimensionnelle un lacet d’éléments du groupe associé à la théorie dans la section IV. Le paramètre du lacet est une variable complexe et est méromorphe dans un voisinage de . Notre résultat principal est que la théorie renormalisée est donnée par l’évaluation à de la partie nonsingulière de la décomposition de Birkhoff ,
de .
Les règles de Feynman et la régularisation dimensionnelle associent un nombre,
à chaque graphe . Nous les utilisons en métrique Euclidienne pour éviter les facteurs imaginaires.
Pour respecter les dimensions physiques des quantités impliquées quand on écrit ces règles en dimension , il faut introduire une unité de masse et remplacer partout la constante de couplage par . On normalise ainsi les calculs par,
où est la dimension de .
On étend la définition (44) aux réunions disjointes de graphes 1PI par,
Le résultat principal est alors le suivant:
Théorème ([12]) a) Il existe une unique application méromorphe , , dont les -coordonnées sont données par .
b) La valeur renormalisée d’une observable physique est obtenue en remplaçant dans le développement perturbatif de par où
est la décomposition de Birkhoff du lacet relativement à un cercle infinitésimal autour de .
Le groupe de renormalisation
Montrons comment le groupe de renormalisation apparait très simplement de notre point de vue.
Comme nous l’avons vu ci-dessus, la régularisation dimensionnelle implique le choix arbitraire d’une unité de masse et l’on constate d’abord que la partie singulière de la décomposition de Riemann-Hilbert de est en fait indépendante de ce choix. Il en résulte une contrainte très forte sur cette partie singulière et le groupe de renormalisation s’en déduit immédiatement. Nous en déduisons également une formule explicite pour l’action nue. On montre d’abord, en se limitant à la théorie pour simplifier les notations, que bien que le lacet dépende du choix de l’unité de masse ,
la partie singulière de sa décomposition de Birkhoff,
est en fait indépendante de ,
Cet énoncé découle immédiatement de l’analyse dimensionnelle.
De plus, par construction le groupe de Lie est muni d’un groupe à un paramètre d’automorphismes,
associé à la graduation de l’algèbre de Hopf donnée par le nombre de boucles,
pour tout graphe 1PI .
On a l’égalité
Il en résulte que les lacets associés à la théorie nonrenormalisée satisfont la propriété suivante: la partie singulière de leur décomposition de Birkhoff est inchangée par l’opération,
En d’autres termes, si l’on remplace par l’on ne modifie pas la partie singulière de sa décomposition de Birkhoff. On a posé
Nous donnons une caractérisation complète des lacets vérifiant cette proprieté. Cette caractérisation n’implique que la partie singulière qui vérifie par hypothèse,
Il est facile de voir que la limite de (54) pour définit un sous-groupe à un paramètre,
et que le générateur de ce sous-groupe est relié au résidu de
par l’équation,
où est la graduation.
Ceci est immédiat mais notre résultat ([13]) donne la formule explicite (59) qui exprime en fonction de . Introduisons le produit semi-direct de l’algèbre de Lie (des éléments primitifs de ) par la graduation. On a donc un élément tel que
La formule pour est alors
Les deux facteurs du terme de droite appartiennent au produit semi-direct du groupe par sa graduation, mais leur rapport (59) appartient au groupe .
Cette formule montre que toute la structure des divergences est uniquement déterminée par le résidu et donne une forme forte des relations de t’Hooft [21].
Le groupe G et les difféomorphismes
Bien entendu, on pourrait facilement objecter aux développements précédents en arguant que le mystère de la renormalisation n’est pas completement éclairci car le groupe construit à partir des graphes de Feynman apparait également mysterieux. Cette critique est completement levée par la merveilleuse relation, basée sur la physique entre les algèbres de Hopf des graphes de Feynman et celle, des difféomorphismes.
Nous montrons, dans le cas de masse nulle, que la formule qui donne la constante de couplage effective,
considérée comme une série formelle dans la variable d’éléments de l’algèbre de Hopf , définit en fait un homomorphisme d’algèbres de Hopf de l’algèbre de Hopf des coordonnées sur le groupe des difféomorphismes formels de tels que,
vers l’algèbre de Hopf de la théorie de masse nulle.
Il en résulte en transposant, une action formelle du groupe sur la constante de couplage. Nous montrons en particulier que l’image par de est la fonction de la constante de couplage .
Nous obtenons ainsi un corollaire du théorème principal qui se formule sans faire intervenir ni le groupe ni l’algèbre de Hopf .
Théorème [13] Considérons la constante de couplage effective nonrenormalisée comme une série formelle en et soit sa décomposition de Birkhoff (opposée) dans le groupe des difféomorphismes formels. Alors le lacet est la constante de couplage nue et la constante de couplage renormalisée.
Comme la décomposition de Birkhoff d’un lacet à valeurs dans le groupe des difféomor-phismes (formels) est évidemment reliée à la classification des fibrés (non-vectoriels) holomorphes, ce résultat suggère qu’un tel fibré ayant pour base un voisinage de la dimension de l’espace temps et pour fibre les valeurs (compléxifiées) des constantes de couplage devrait donner une interprétation géométrique de l’opération de renormalisation. Il faut tout de même noter que la décomposition de Birkhoff a lieu ici relativement à un cercle infinitésimal autour de et qu’il s’agit de difféomorphismes formels.
Les résultats ci-dessus montrent qu’au niveau des développements perturbatifs le procédé de renormalisation admet une interprétation géométrique simple grâce au groupe et à la décomposition de Riemann-Hilbert. Le problème essentiel consiste à passer du développement perturbatif à la théorie non-perturbative, ce qui revient en termes de difféomorphismes à passer du developpement de Taylor à la formule globale.
Le groupe de renormalisation et la théorie de Galois aux places archimédiennes
Le problème de Riemann-Hilbert joue un rôle clef dans la théorie de Galois différentielle, il est donc naturel d’interpréter en termes Galoisiens l’ambiguïté que le groupe de renormalisation introduit dans les théories physiques. Cette section contient l’esquisse d’une telle interprétation. Nous montrerons en particulier le rôle que le groupe de renormalisation devrait jouer pour comprendre la composante connexe du groupe des classe d’idèles de la théorie du corps de classe comme un groupe de Galois.
Commençons par une introduction très élémentaire à la théorie de Galois pour les équations algébriques.
Si la technique de résolution des équations du second degré remonte à la plus haute Antiquité (Babyloniens, Egyptiens…), elle n’a pu être étendue au troisième degré que bien plus tard, et ne sera publiée par Girolamo (Jérôme) Cardano qu’en 1545 dans les chapitres 11 à 23 de son livre Ars magna sive de regulis algebraicis. Bien que cela n’ait pas été reconnu avant le dix-huitième siècle, la clef de la résolution par radicaux de l’équation générale du troisième degré, , de racines , , , est l’existence d’une fonction rationnelle de , , , qui ne prend que deux déterminations différentes sous l’action des six permutations de , , .
La méthode de Cardan revient à poser où le nombre est la première racine cubique de l’unité. La permutation circulaire transformant en , en et en laisse manifestement inchangée et la seule autre détermination de la fonction sous l’action des six permutations de , , , est obtenue en transposant et par exemple, ce qui donne .
Comme l’ensemble de ces deux nombres et est invariant par toutes les permutations de , , , le polynôme du second degré dont et sont racines se calcule rationnellement en fonction des coefficients de l’équation initiale : c’est où est l’une des racines carrées de et où l’on a réécrit l’équation initiale sous la forme équivalente débarrassée du terme du deuxième degré en effectuant une translation convenable des racines et où l’on a introduit les coefficients 2 et 3 pour simplifier les formules.
Un calcul simple montre alors que chacune des racines , et , de l’équation initiale s’exprime comme somme de l’une des trois racines cubiques de et de l’une des trois racines cubiques de , ces deux choix étant liés par le fait que leur produit doit être impérativement égal à (il n’y a donc que trois couples de choix de ces racines à prendre en compte, ce qui est rassurant, à la place des neuf possibilités que l’on aurait pu envisager a priori).
C’est à l’occasion de ces formules que l’utilisation des nombres complexes s’est imposée. En effet, même dans le cas où les trois racines sont réelles, il se peut que soit négatif et que et soient nécessairement des nombres complexes.
Si la résolution des équations du troisième degré que nous venons d’exposer a été très longue à être mise au point (sans doute pour au moins l’un de ses cas particuliers entre 1500 et 1515 par Scipione del Ferro), celle du quatrième degré a été plus preste à la suivre puisqu’elle figure également dans l’Ars magna (chapitre 39) où Cardano l’attribue à son secrétaire Ludovico Ferrari qui l’aurait mise au point entre 1540 et 1545 (René Descartes en publiera une autre en 1637).
Ici encore, l’on peut partir d’un polynôme débarrassé d’un coefficient, annulé par translation, disons .
La fonction rationnelle la plus simple§§§Voir [6] pour l’ubiquité de la symétrie en question, et son rôle dans l’organisation des tournois de football, ne prenant que trois déterminations différentes sous l’action des vingt-quatre permutations de , , et , est . Les deux autres déterminations sont , . Ce sont donc les racines d’une équation du troisième degré dont les coefficients s’expriment rationnellement en fonction de , et . Un calcul simple montre que le polynôme est égal à . Il peut donc être décomposé comme on l’a vu plus haut pour en déduire , et ; en fait, il suffit même de calculer l’une seulement de ces racines, disons , pour pouvoir en déduire , , et (nous connaissons alors en effet la somme et le produit des deux nombres et , donc ces deux nombres eux-mêmes par une équation du second degré, et il ne reste plus qu’à exploiter les égalités et pour pouvoir en déduire et , donc enfin , , et par une autre équation du second degré).
C’est à Joseph Louis Lagrange en 1770 et 1771 (publication en 1772, mais aussi, dans une moindre mesure, à Alexandre Vandermonde dans un mémoire publié en 1774 mais également rédigé vers 1770, ainsi qu’à Edward Waring dans ses Meditationes algebricæ de 1770 et à Francesco Malfatti) que l’on doit la mise en lumière du rôle fondamental des permutations sur les racines , , … et sur les quantités auxiliaires , …, d’ailleurs aujourd’hui justement appelées ”résolvantes de Lagrange”.
Ces résolvantes ne sont pas uniques, et par exemple le choix correspond à la solution de Descartes, mais elles fournissent la clef de toute les résolutions générales par radicaux. Il y en a une qui est particulièrement belle car elle est covariante pour le groupe affine, c’est à dire vérifie l’égalité,
et admet donc une interprétation géométrique. Elle est donnée algèbriquement par
et correspond géométriquement (figure 2) au point d’intersection des cercles circonscrits aux triangles et où désigne le point d’intersection des droites et .
Figure 2. Le point est fonction méromorphe et séparément homographique des quatre points A, B, C, D.
J’ai rencontré récemment cette résolvante à propos du problème¶¶¶posé par le président Chinois Jiang Zemin à la délégation de mathématiciens venue à sa rencontre en l’an 2000. de l’étoile à cinq branches (figure 3), dont elle permet une résolution algébrique que je laisse à la sagacité du lecteur.
Figure 3. On donne cinq points arbitraires A,B,C,D,E. Montrer que les points d’intersection des cercles circonscrits aux triangles externes consécutifs de l’étoile sont situés sur un même cercle.
L’étape suivante dans la théorie des équations algébriques est évidemment celle du cinquième degré. Descartes a certainement essayé et avec lui bien des chercheurs. Elle a toujours opposé des obstacles infranchissables, et nous savons depuis Abel et Galois, aux alentours de 1830, pourquoi cette quête était vaine.
Descartes par exemple, persuadé qu’il n’existait pas de formule analogue à celle de Cardano, avait proposé en 1637, dans La Géométrie, une méthode graphique de résolution grâce à l’intersection de cercles et de cubiques qu’il avait inventées pour l’occasion. Entre 1799 et 1813 (date de l’édition de ses Riflessioni intorno alla solutione delle equazioni algebraiche generali), Paolo Ruffini a publié diverses tentatives de démonstrations, de plus en plus affinées, visant à établir l’impossiblité de résoudre l’équation générale du cinquième degré par radicaux. À toute fonction rationnelle des racines, il a eu l’idée juste d’associer le groupe des permutations de ces racines qui la laissent invariante, mais a cru à tort (d’après un rapport de Ludwig Sylow) que les radicaux intervenant dans la résolution de l’équation, comme les racines cubiques de pour le degré trois, étaient nécessairement des fonctions rationnelles des racines.
Il faudra attendre 1824 pour que Niels Abel justifie l’intuition de Ruffini dans son Mémoire sur les équations algébriques et - après avoir cru trouver au contraire une méthode de résolution générale - prouve l’impossiblité de résoudre l’équation générale du cinquième degré par radicaux, en 1826 dans le Mémoire sur une classe particulière d’équations résolubles algébriquement, où il amorce une théorie générale qui ne s’épanouira que dans les écrits de Galois, vers 1830. Les travaux de Galois inaugurent une ère nouvelle des mathématiques, où les calculs font place à la réflexion sur leur potentialité, et les concepts, tels celui de groupe abstrait ou d’extension algébrique, occupent le devant de la scène.
L’idée lumineuse de Galois consiste d’abord à associer à une équation arbitraire un groupe de permutations qu’il définit de la manière suivante, [18]
Soit une équation donnée, dont , , ,… sont les racines. Il y aura toujours un groupe de permutations des lettres , , ,…qui jouira de la propriété suivante:
1) que toute fonction des racines, invariante par les substitutions de ce groupe, soit rationnellement connue ;
2) réciproquement, que toute fonction des racines, déterminée rationnellement, soit invariante par ces substitutions.
puis à étudier comment ce groupe ”d’ambiguïté” se trouve modifié par l’adjonction de quantités auxiliaires considérées comme ”rationnelles”. Ainsi, dans le cas de l’équation du quatrième degré, si l’on adjoint la quantité obtenue en résolvant l’équation auxiliaire du troisième degré, l’on réduit le groupe d’ambiguïté au sous-groupe normal formé des quatre permutations (a,b,c,d), (b,a,d,c), (c,d,a,b), (d,c,b,a). Ce groupe est le produit de deux groupes à deux éléments et l’adjonction des solutions de deux équations du second degré suffit alors pour éliminer totalement l’ambiguïté, c’est à dire résoudre l’équation initiale.
Si l’on désigne par le corps des ”quantités rationnelles” et par K celui engendré par et par toutes∥∥∥Il ne suffit pas d’adjoindre une seule de ces racines, il faut les adjoindre toutes les racines de l’équation que l’on se propose de résoudre, le groupe de Galois, est le groupe des automorphismes de qui fixent tous les éléments de .
L’impossibilité de réduire l’équation du cinquième degré à des équations de degré inférieur provient alors de la ”simplicité” du groupe des soixantes permutations paires (produits d’un nombre pair de transpositions) des cinq racines , , , , d’une telle équation. Un groupe abstrait fini est ”simple” si l’on ne peut le réduire, par un homomorphisme non trivial, à un groupe plus petit. Le groupe est le plus petit groupe simple non commutatif et il apparaît très souvent en mathématiques.
J’en viens maintenant au rôle que le groupe de renormalisation devrait jouer pour comprendre la composante connexe du groupe des classes d’idèles de la théorie du corps de classe comme un groupe de Galois.
La théorie du corps de classe et sa généralisation aux groupes de Galois non commutatifs par le programme de Langlands constituent l’information la plus profonde que nous ayons sur le groupe de Galois des nombres algébriques. La source de ces théories est la loi de réciprocité quadratique qui joue un rôle central dans l’histoire de la théorie des nombres. Elle est démontrée en 1801 par Gauss dans ses ” Disquisitiones ” mais son énoncé était déjà connu d’Euler et de Legendre. La loi de réciprocité exprime, étant donnés deux nombres premiers et , une symétrie entre et dans la résolution de l’équation modulo . Elle montre par exemple que pour savoir si l’équation admet une solution modulo un nombre premier il suffit de connaître la valeur de modulo ce que donne le dernier chiffre de dans son développement décimal, (par exemple 19 et 1999, ou 7 et 1997 donnent le même résultat) de sorte que les nombres premiers ainsi sélectionnés se répartissent en classes. Il a fallu plus d’un siècle pour comprendre conceptuellement la loi de réciprocité quadratique dont Gauss avait donné plusieurs démonstrations, sous la forme de la théorie du corps de classe qui permet de calculer à partir de classes de nombres idéaux le groupe de Galois de l’extension Abelienne maximale d’un corps de nombres.
La généralisation conceptuelle de la notion de corps de nombres est celle de corps global. Un corps est global si c’est un sous-corps discret cocompact d’un anneau localement compact (non discret) semi-simple et commutatif . (Cf. Iwasawa Ann. of Math. 57 (1953).) L’anneau topologique est alors canoniquement associé à et s’appelle l’anneau des Adèles de , on a,
où le produit est le produit restreint des corps locaux indéxés par les places de . Les sont les corps localement compacts obtenus comme complétions de de même que l’on obtient les nombres réels en complétant les rationnels.
Quand la caractéristique de est i.e. quand est un corps de fonctions sur , on a
où désigne une cloture algébrique de , la cloture algébrique séparable, l’extension abélienne maximale et , extension non ramifiée maximale, est obtenue en adjoignant à les racines de l’unité d’ordre premier à .
On définit le groupe de Weil comme le sous-groupe de formé par les automorphismes de qui induisent sur une puissance entière de l’automorphisme de ”Frobenius”, ,
Le résultat principal de la théorie du corps de classe global est l’existence d’un isomorphisme canonique,
de groupes localement compacts.
Quand est de caractéristique nulle, i.e. un corps de nombres, on a un isomorphisme canonique,
où désigne la composante connexe de l’élément neutre dans le groupe des classes d’idèles , mais à cause des places Archimédiennes de l’on n’a pas d’interprétation de analogue au cas des corps de fonctions. Citons A. Weil [27],
“La recherche d’une interprétation pour si est un corps de nombres, analogue en quelque manière à l’interprétation par un groupe de Galois quand est un corps de fonctions, me semble constituer l’un des problèmes fondamentaux de la théorie des nombres à l’heure actuelle ; il se peut qu’une telle interprétation renferme la clef de l’hypothèse de Riemann ”.
Cela signifie qu’aux places Archimédiennes (i.e. aux complétions de qui donnent soit les nombres réels soit les nombres complexes), il devrait y avoir un groupe continu de symétries secrètement présent.
Mon intérêt pour ce problème vient de mon travail sur la classification des facteurs qui indiquait clairement que l’on possédait là l’analogue de la théorie de Brauer qui est l’une des clefs de la théorie du corps de classe local.
Les groupes de Galois sont par construction des limites projectives de groupes finis attachés à des extensions finies. Pour obtenir des groupes connexes il faut évidemment relaxer cette condition de finitude, qui est la même que la restriction en théorie de Brauer aux algèbres simples centrales de dimension finie. Comme ce sont les places Archimédiennes de qui sont à l’origine de la composante connexe , il est naturel de considérer la question préliminaire suivante,
“Existe-t-il une théorie de Brauer non-triviale d’algèbres simples centrales sur .”
J’ai montré dans [5] que la classification des facteurs approximativement finis sur donnait une réponse satisfaisante à cette question. Ils sont classifiés par leur module,
qui est un sous-groupe (virtuel) fermé de .
Ce groupe joue un rôle analogue dans le cas Archimédien au module des algèbres simples centrales sur un corps local nonarchimédien. Dans ce dernier cas le module se définit trés simplement par l’action du groupe multiplicatif d’une algèbre simple centrale sur la mesure de Haar du groupe additif. La définition de pour les facteurs est beaucoup plus élaborée, mais reste basée sur l’action du groupe de changement d’échelle.
Pour poursuivre l’analogie avec la théorie de Brauer où le lien avec le groupe de Galois s’obtient par la construction d’algèbres simples centrales comme produits croisés d’un corps par un groupe d’automorphismes, le pas suivant consiste à trouver des exemples naturels de construction de facteurs comme produits croisés d’un corps , extension transcendante de par un groupe d’automorphismes. Dans nos recherches sur les variétés sphériques noncommutatives [7], avec M. Dubois-Violette, l’algèbre de Sklyanin ([26]) est apparue comme solution en dimension 3, du problème de classification formulé dans [14]. La représentation ”régulière” de cette algèbre engendre une algèbre de von-Neumann intégrale directe de facteurs approximativement finis de type , tous isomorphes au facteur hyperfini . Les homomorphismes correspondants de l’algèbre de Sklyanin ([26]) vers le facteur se factorisent miraculeusement à travers le produit croisé du corps des fonctions elliptiques, où le module est réel, par l’automorphisme de translation par un nombre réel (mais en général irrationnel). On obtient ainsi le facteur comme produit croisé de par un sous-groupe du groupe de Galois, en parfaite analogie avec la construction des algèbres simples centrales sur un corps local. Il reste à obtenir une construction semblable et naturelle du facteur de type .
Il est sans doute prématuré d’essayer d’identifier le corps correspondant, qui devrait jouer le rôle de l’extension nonramifiée maximale de et être doté d’une action naturelle du groupe multiplicatif .
Le rôle du corps en physique des hautes énergies devrait être relié à l’observation suivante concernant les ”constantes” qui interviennent en théorie des champs. En fait les calculs des physiciens regorgent d’exemples de ”constantes” telles les constantes de couplage des interactions (électromagnétiques, faibles et fortes) qui n’ont de ”constantes” que le nom. Elles dépendent en réalité du niveau d’énergie auquel les expériences sont réalisées et sont donc des fonctions . Ainsi les physiciens des hautes énergies étendent implicitement le ”corps des constantes” avec lequel ils travaillent, passant du corps des scalaires à un corps de fonctions . Le générateur du groupe de renormalisation est simplement .
L’on peut mettre l’exemple plus simple du corps des fonctions elliptiques sous la même forme en passant aux fonctions loxodromiques, c’est à dire en posant de sorte que la première périodicité (en ) est automatique alors que la deuxième s’écrit . Le groupe des automorphismes de la courbe elliptique est alors lui aussi engendré par .
Les points fixes du groupe de renormalisation sont les scalaires ordinaires, mais il se pourrait que la physique quantique conspire pour nous empêcher d’espérer une théorie qui englobe toute la physique des particules et soit construite comme point fixe du groupe de renormalisation. Les interactions fortes sont asymptotiquement libres et l’on peut les analyser à très hautes énergies en utilisant les points fixes du groupe de renormalisation, mais la présence du secteur électrodynamique montre qu’il est vain de vouloir s’en tenir à de tels points fixes pour décrire une théorie qui incorpore l’ensemble des forces observées. Le problème est le même dans le domaine infrarouge où les rôles des interactions fortes et électrodynamiques sont inversés.
Il est bien connu des physiciens que le groupe de renormalisation joue le rôle d’un groupe d’ambiguïté, l’on ne peut distinguer entre elles deux théories physiques qui appartiennent à la même orbite de ce groupe, ce qui nous ramène à Galois dont la ”théorie de l’ambiguïté” allait bien au delà des équations algébriques.
Citons Émile Picard (voir [25]) qui dans sa préface aux œuvres complètes d’Evariste Galois écrivait,
”Il aurait édifié dans ses parties essentielles, la théorie des fonctions algébriques d’une variable telle que nous la connaissons aujourd’hui. Les méditations de Galois portèrent encore plus loin; il termine sa lettre en parlant de l’application à l’analyse transcendante de la théorie de l’ambiguïté. On devine à peu près ce qu’il entend par là, et sur ce terrain qui, comme il le dit est immense, il reste encore aujourd’hui bien des découvertes à faire”.
Références
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