SYMÉTRIES GALOISIENNES ET

RENORMALISATION

Alain CONNES
Résumé

Nous exposons notre travail en collaboration avec Dirk Kreimer sur les algèbres de Hopf et de Lie associées aux graphes de Feynman, et sur la signification conceptuelle de la renormalisation perturbative à partir du problème de Riemann-Hilbert. Nous interprétons ensuite le groupe de renormalisation comme un groupe d’ambiguïté et montrons le rôle que ce groupe devrait jouer pour comprendre la composante connexe du groupe des classes d’idèles de la théorie du corps de classe comme un groupe de Galois.

Collège de France, 3, rue Ulm, 75005 PARIS
et
I.H.E.S., 35, route de Chartres, 91440 BURES-sur-YVETTE

Introduction

La renormalisation est sans doute l’un des procédés les plus élaborés pour obtenir des quantités numériques signifiantes à partir d’expressions mathématiques a-priori dépourvues de sens. A ce titre elle est fascinante autant pour le physicien que pour le mathématicien. La profondeur de ses origines en théorie des champs et la précision avec laquelle elle est corroborée par l’expérience en font l’un des joyaux de la physique théorique. Pour le mathématicien épris de sens, mais non corseté par la rigueur, les explications données jusqu’à présent butaient toujours sur le sens conceptuel de la partie proprement calculatoire, celle qui est utilisée par exemple en électrodynamique quantique et ne tombe pas sous la coupe des ”théories asymptotiquement libres” auxquelles la théorie constructive peut prétendre avoir donné un statut mathématique satisfaisant. Cet état de fait a changé récemment et cet exposé se propose de donner la signification conceptuelle des calculs effectués par les physiciens dans la théorie de la renormalisation grâce à mon travail sur la renormalisation en collaboration avec Dirk Kreimer et la relation que nous avons établie entre renormalisation et problème de Riemann-Hilbert.

Le résultat clef est l’identité entre le procédé récursif utilisé par les physiciens et les formules mathématiques qui résolvent un lacet à valeurs dans un groupe pronilpotent G𝐺G en un produit d’un lacet holomorphe par un lacet anti-holomorphe. La signification géométrique de cette décomposition (de Riemann-Hilbert, Birkhoff ou Wiener-Hopf) provient directement de la théorie des fibrés holomorphes de groupe structural G𝐺G sur la sphère de Riemann S2superscript𝑆2S^{2}. Dans la renormalisation perturbative, les points de la sphère S2superscript𝑆2S^{2} sont les dimensions complexes parmi lesquelles la dimension d𝑑d de l’espace-temps est un point privilégié. Le problème étant que dans les théories physiquement intéressantes les quantités à calculer conspirent pour diverger précisément au point d𝑑d. On peut organiser ces quantités comme le développement de Taylor d’un difféomorphisme gG𝑔𝐺g\in G et donner un sens à g=g(z)𝑔𝑔𝑧g=g(z) en remplaçant dans les formules la dimension d𝑑d par une valeur complexe zd𝑧𝑑z\neq d. Le procédé de renormalisation acquiert alors la signification suivante : la valeur cherchée gG𝑔𝐺g\in G n’est autre que la valeur g+(d)subscript𝑔𝑑g_{+}(d) en d𝑑d de la partie holomorphe de la décomposition de Riemann-Hilbert g(z)=g1(z)g+(z)𝑔𝑧superscriptsubscript𝑔1𝑧subscript𝑔𝑧g(z)=g_{-}^{-1}\,(z)g_{+}(z) du lacet g(z)𝑔𝑧g(z). La nature exacte du groupe G𝐺G impliqué dans la renormalisation a été clarifiée par les étapes essentielles suivantes. La première est la découverte due à Dirk Kreimer de la structure d’algèbre de Hopf secrètement présente dans les formules récursives de Bogoliubov Parasiuk Hepp et Zimmermann.

La seconde qui est le point de départ de notre collaboration est la similitude entre l’algèbre de Hopf des arbres enracinés de Dirk et une algèbre de Hopf que j’avais introduite avec Henri Moscovici pour organiser les calculs très complexes de géométrie noncommutative. Ceci nous a conduit avec Dirk à définir une algèbre de Hopf directement en termes de graphes de Feynman et à lui appliquer le théorème de Milnor-Moore pour en déduire une algèbre de Lie et un groupe de Lie pronilpotent G𝐺G, analogue du groupe des difféomorphismes formels.

Enfin la troisième étape cruciale est la construction d’une action du groupe G𝐺G sur les constantes de couplage de la théorie physique. Ceci permet de relever le groupe de renormalisation comme un sous-groupe à un paramètre du groupe G𝐺G et de montrer directement que les développements polaires des divergences sont entièrement déterminés par leurs résidus.

Le problème de Riemann-Hilbert joue un rôle clef dans la théorie de Galois différentielle, il est donc naturel d’interpréter en termes Galoisiens l’ambiguïté que le groupe de renormalisation introduit dans les théories physiques. La dernière section contient l’esquisse d’une telle interprétation.

Nous commencerons cette section par une introduction très élémentaire à la théorie de Galois pour les équations algébriques, en passant par un beau problème de géométrie plane.

Nous montrerons ensuite le rôle que le groupe de renormalisation devrait jouer pour comprendre la composante connexe du groupe des classes d’idèles de la théorie du corps de classe comme un groupe de Galois. Cette idée s’appuie à la fois sur l’analogie entre la théorie des facteurs et la théorie de Brauer pour un corps local et sur la présence implicite en théorie des champs d’un ”corps de constantes” plus élaboré que le corps {\mathbb{C}} des nombres complexes. En fait les calculs des physiciens regorgent d’exemples de ”constantes” telles les constantes de couplage g𝑔g des interactions (électromagnétiques, faibles et fortes) qui n’ont de ”constantes” que le nom. Elles dépendent en réalité du niveau d’énergie μ𝜇\mu auquel les expériences sont réalisées et sont des fonctions g(μ)𝑔𝜇g(\mu), de sorte que les physiciens des hautes énergies étendent implicitement le ”corps des constantes” avec lequel ils travaillent, passant du corps {\mathbb{C}} des scalaires à un corps de fonctions g(μ)𝑔𝜇g(\mu). Le groupe d’automorphismes de ce corps engendré par μ/μ𝜇𝜇\mu\partial/\partial\mu est le groupe d’ambiguïté de la théorie physique.

Renormalisation, position du problème

La motivation physique de la renormalisation est très claire et remonte aux travaux de Green au dix-neuvième siècle sur l’hydrodynamique. Pour prendre un exemple simple ***voir le cours de théorie des champs de Sidney Coleman si l’on calcule l’accélération initiale d’une balle de ping-pong plongée à quelques mètrès sous l’eau, l’on obtient en appliquant la loi de Newton F=ma𝐹𝑚𝑎F=ma et la poussée d’Archimède F=(Mm)g𝐹𝑀𝑚𝑔F=(M-m)g, où m𝑚m est la masse inerte, et M𝑀M la masse d’eau occupée, une accélération initiale de l’ordre de 11g11𝑔11g! La balle pèse m=2,7𝑚2.7m=2,7 grammes et a un diamètre de 444 cm de sorte que M=33,5𝑀33.5M=33,5 grammes En réalité, si l’on réalise l’expérience, l’accélération est de l’ordre de 2g2𝑔2g. En fait la présence du fluide autour de la balle oblige à corriger la valeur m𝑚m de la masse inerte dans la loi de Newton et à la remplacer par une ”masse effective” qui en l’occurrence vaut m+limit-from𝑚m+ 1212{1}\over{2} M𝑀M. Dans cet exemple, l’on peut bien sur déterminer la masse m𝑚m en pesant la balle de ping-pong hors de l’eau, mais il n’en va pas de même pour un electron dans le champ electromagnétique, dont il est impossible de l’extraire. De plus le calcul montre que, pour une particule ponctuelle comme le demande la relativité, la correction qui valait 1212{1}\over{2} M𝑀M ci-dessus est infinie.

Vers 1947 les physiciens ont réussi à utiliser la distinction entre les deux masses qui apparaissent ci-dessus et plus généralement le concept de quantité physique ”effective” pour éliminer les quantités infinies qui apparaissent en théorie des champs quantiques (voir [16] pour un aperçu historique).

Une théorie des champs en d𝑑d dimensions est donnée par une fonctionnelle d’action classique

S(A)=(A)ddx𝑆𝐴𝐴superscript𝑑𝑑𝑥S\,(A)=\int{\cal L}\,(A)\,d^{d}x (1)1

A𝐴A désigne un champ classique et le Lagrangien est de la forme,

(A)=(A)2/2m22A2+int(A)𝐴superscript𝐴22superscript𝑚22superscript𝐴2subscriptint𝐴{\cal L}\,(A)=(\partial A)^{2}/2-\frac{m^{2}}{2}\,A^{2}+{\cal L}_{\rm int}(A) (2)2

int(A)subscriptint𝐴{\cal L}_{\rm int}(A) est un polynome en A𝐴A.

On peut décrire la théorie par les fonctions de Green,

GN(x1,,xN)= 0|Tϕ(x1)ϕ(xN)| 0subscript𝐺𝑁subscript𝑥1subscript𝑥𝑁quantum-operator-product 0𝑇italic-ϕsubscript𝑥1italic-ϕsubscript𝑥𝑁 0G_{N}(x_{1},\ldots,x_{N})=\langle\,0\,|T\,\phi(x_{1})\ldots\phi(x_{N})|\,0\,\rangle (3)3

où le symbole T𝑇T signifie que les champs quantiques ϕ(xj)italic-ϕsubscript𝑥𝑗\phi(x_{j})’s sont écrits à temps croissant de droite à gauche.

L’amplitude de probabilité d’une configuration classique A𝐴A est donnée par,

eiS(A)superscript𝑒𝑖𝑆𝐴Planck-constant-over-2-pie^{i\,\frac{S(A)}{\hbar}} (4)4

et si l’on pouvait ignorer les problèmes de renormalisation, l’on pourrait calculer les fonctions de Green grâce à la formule

GN(x1,,xN)=𝒩eiS(A)A(x1)A(xN)[dA]subscript𝐺𝑁subscript𝑥1subscript𝑥𝑁𝒩superscript𝑒𝑖𝑆𝐴Planck-constant-over-2-pi𝐴subscript𝑥1𝐴subscript𝑥𝑁delimited-[]𝑑𝐴G_{N}(x_{1},\ldots,x_{N})={\cal N}\int e^{i\,\frac{S(A)}{\hbar}}\ A(x_{1})\ldots A(x_{N})\,[dA] (5)5

𝒩𝒩{\cal N} est un facteur de normalisation requis par,

 00=1.inner-product 001\langle\,0\mid 0\,\rangle=1\,. (6)6

L’on pourrait alors calculer l’intégrale fonctionnelle (5) en théorie des perturbations, en traitant le terme intsubscriptint{\cal L}_{\rm int} de (2) comme une perturbation, le Lagrangien libre étant,

0(A)=(A)2/2m22A2,subscript0𝐴superscript𝐴22superscript𝑚22superscript𝐴2{\cal L}_{0}(A)=(\partial A)^{2}/2-\frac{m^{2}}{2}\,A^{2}\,, (7)7

de sorte que,

S(A)=S0(A)+Sint(A)𝑆𝐴subscript𝑆0𝐴subscript𝑆int𝐴S(A)=S_{0}(A)+S_{\rm int}(A) (8)8

où l’action libre S0subscript𝑆0S_{0} définit une mesure Gaussienne exp(iS0(A))[dA]=dμ𝑖subscript𝑆0𝐴delimited-[]𝑑𝐴𝑑𝜇\exp\,(i\,S_{0}(A))\,[dA]=d\mu.

On obtient alors le développement perturbatif des fonctions de Green sous la forme,

GN(x1,,xN)=(n=0in/n!A(x1)A(xN)(Sint(A))n𝑑μ) (n=0in/n!Sint(A)n𝑑μ)1. (9)GN(x1,,xN)=(n=0in/n!A(x1)A(xN)(Sint(A))n𝑑μ) missing-subexpression(n=0in/n!Sint(A)n𝑑μ)1. 9\displaystyle\halign{ \hbox to\displaywidth{$\@lign\hfil\displaystyle#\hfil$}& \kern-\displaywidth\rlap{$#$} \cr 0.0pt{$\hfil\displaystyle G_{N}(x_{1},\ldots,x_{N})=\left(\sum_{n=0}^{\infty}\,i^{n}/n!\int A(x_{1})\ldots A(x_{N})\,(S_{\rm int}(A))^{n}\,d\mu\right)\cr 0.0pt{$\hfil\displaystyle\quad\left(\sum_{n=0}^{\infty}\,i^{n}/n!\int S_{\rm int}(A)^{n}\,d\mu\right)^{-1}\,.&0.0pt\hbox to0.0pt{$(9)$\hss\cr}}}}

Les termes de ce développement s’obtiennent en intégrant par partie sous la Gaussienne. Cela engendre un grand nombre de termes U(Γ)𝑈ΓU(\Gamma), où les paramètrès ΓΓ\Gamma sont les graphes de Feynman ΓΓ\Gamma, i.e. des graphes dont les sommets correspondent aux termes du Lagrangien de la théorie. En règle générale les valeurs des termes U(Γ)𝑈ΓU(\Gamma) sont données par des intégrales divergentes. Les divergences les plus importantes sont causées par la présence dans le domaine d’intégration de moments de taille arbitrairement grande. La technique de renormalisation consiste d’abord à ”régulariser” ces intégrales divergentes par exemple en introduisant un paramètre de ”cutoff” ΛΛ\Lambda et en se restreignant à la portion correspondante du domaine d’intégration. Les intégrales sont alors finies, mais continuent bien entendu à diverger quand ΛΛ\Lambda\rightarrow\infty. On établit ensuite une dépendance entre les termes du Lagrangien et ΛΛ\Lambda pour que les choses s’arrangent et que les résultats ayant un sens physique deviennent finis! Dans le cas particulier des théories asymptotiquement libres, la forme explicite de la dépendance entre les constantes nues et le paramètre de régularisation ΛΛ\Lambda a permis dans des cas très importants ([19],[17]) de mener à bien le programme de la théorie constructive des champs ([20]).

Décrivons maintenant en détail la technique de renormalisation perturbative. Pour faire les choses systématiquement, on rajoute un ”contreterme” C(Γ)𝐶ΓC(\Gamma) au Lagrangien de départ {\cal L}, chaque fois que l’on rencontre un diagramme divergent ΓΓ\Gamma, dans le but d’annuler la divergence correspondante. Pour les théories ”renormalisables”, les contre-termes dont on a besoin sont tous déja des termes du Lagrangien {\cal L} et ces contorsions peuvent s’interpreter à partir de l’inobservabilité des quantités numériques qui apparaissent dans {\cal L}, par opposition aux quantités physiques qui, elles, doivent rester finies.

La principale complication dans cette procédure vient de l’existence de nombreux graphes ΓΓ\Gamma pour lesquels les divergences de U(Γ)𝑈ΓU(\Gamma) ne sont pas locales. La raison étant que ces graphes possèdent déja des sous-graphes dont les divergences doivent être prises en compte avant d’aller plus loin. La méthode combinatoire précise, due à Bogoliubov-Parasiuk-Hepp et Zimmermann ([2]) consiste d’abord à ”préparer” le graphe ΓΓ\Gamma en remplaçant U(Γ)𝑈ΓU(\Gamma) par l’expression formelle,

R¯(Γ)=U(Γ)+γΓC(γ)U(Γ/γ)¯𝑅Γ𝑈Γsubscript𝛾Γ𝐶𝛾𝑈Γ𝛾\overline{R}(\Gamma)=U(\Gamma)+\sum_{\gamma\subset\Gamma}C(\gamma)U(\Gamma/\gamma) (10)10

γ𝛾\gamma varie parmis tous les sous-graphes divergents. On montre alors que le calcul des divergences du graphe ”préparé” ne donne que des expressions locales, qui pour les théories renormalisables se trouvent déja dans le Lagrangien {\cal L}.

L’algèbre de Hopf des graphes de Feynman

Dirk Kreimer a eu l’idée remarquable en 97 ([23]) d’utiliser la formule (10) pour définir le coproduit d’une algèbre de Hopf.

En tant qu’algèbre {\cal H} est l’algèbre commutative libre engendrée par les graphes ”une particule irréductibles” (1PI)Un graphe de Feynman ΓΓ\Gamma est ”une particule irreductible” (1PI) si il est connexe et le reste apres avoir enlevé n’importe laquelle de ses faces

Elle admet ainsi une base indexée par les graphes ΓΓ\Gamma unions disjointes de graphes 1PI.

Γ=j=1nΓj.Γsuperscriptsubscript𝑗1𝑛subscriptΓ𝑗\Gamma=\bigcup_{j=1}^{n}\Gamma_{j}\,. (11)11

Le produit dans {\cal H} est donné par l’union disjointe,

ΓΓ=ΓΓ.ΓsuperscriptΓΓsuperscriptΓ\Gamma\cdot\Gamma^{\prime}=\Gamma\cup\Gamma^{\prime}\,. (12)12

Pour définir le coproduit,

Δ::Δtensor-product\Delta:{\cal H}\rightarrow{\cal H}\otimes{\cal H} (13)13

il suffit de le donner sur les graphes 1PI, on a

ΔΓ=Γ1+1Γ+γΓγ(i)Γ/γ(i)ΔΓtensor-productΓ1tensor-product1Γsubscript𝛾Γtensor-productsubscript𝛾𝑖Γsubscript𝛾𝑖\Delta\Gamma=\Gamma\otimes 1+1\otimes\Gamma+\sum_{\gamma\subset\Gamma}\gamma_{(i)}\otimes\Gamma/\gamma_{(i)} (14)14

Ici γ𝛾\gamma est un sous-ensemble (non vide et de complémentaire non-vide) γΓ(1)𝛾superscriptΓ1\gamma\subset\Gamma^{(1)} de l’ensemble Γ(1)superscriptΓ1\Gamma^{(1)} des faces internes de ΓΓ\Gamma dont les composantes connexes γsuperscript𝛾\gamma^{\prime} vérifient des conditions d’admissibilité détaillées dans la référence [12].

Le coproduit ΔΔ\Delta defini par (14) sur les graphes 1PI se prolonge de manière unique en un homomorphisme de {\cal H} dans tensor-product{\cal H}\otimes{\cal H}. On a alors ([23],[12])

Théorème Le couple (,Δ)Δ({\cal H},\Delta) est une algèbre de Hopf.

L’algèbre de Lie des graphes, le groupe G𝐺G et sa structure.

J’avais à la mème époque, dans les calculs de Géométrie Noncommutative de l’indice transverse pour les feuilletages, montré, avec Henri Moscovici, ([15]) que la compléxité extrême de ces calculs conduisait à introduire une algèbre de Hopf cmsubscript𝑐𝑚{\cal H}_{cm}, qui n’est ni commutative ni cocommutative mais est intimement reliée au groupe des difféomorphismes, dont l’algèbre de Lie apparait en appliquant le théorème de Milnor-Moore à une sous-algèbre commutative.

Aprés l’exposé de Dirk à l’IHES en février 98, nous avons tous les deux été intrigués par la similarité apparente entre ces deux algèbres de Hopf et notre collaboration a commencé par l’application du théorème de Milnor-Moore à l’algèbre de Hopf {\cal H}. Le théorème de Milnor-Moore montre qu’elle est duale de l’algèbre enveloppante d’une algèbre de Lie graduée G¯¯𝐺\underline{G} dont une base est donnée par les graphes 1-particule irreductibles. Le crochet de Lie de deux graphes est obtenu par insertion d’un graphe dans l’autre. Le groupe de Lie correspondant G𝐺G est le groupe des caractères de {\cal H}.

Nous avons ensuite analysé le groupe G𝐺G et montré qu’il est produit semi-direct d’un groupe abélien par un groupe très relié au groupe des difféomorphismes des constantes de couplage sans dimension de la théorie des champs (voir section VII).

L’algèbre de Hopf {\cal H} admet plusieurs graduations naturelles. Il suffit de donner le degré des graphes 1PI puis de poser en général,

deg(Γ1Γe)=deg(Γj),deg(1)=0formulae-sequencedegreesubscriptΓ1subscriptΓ𝑒degreesubscriptΓ𝑗degree10\deg\,(\Gamma_{1}\ldots\Gamma_{e})=\sum\deg\,(\Gamma_{j})\ ,\quad\deg\,(1)=0 (15)15

On doit vérifier que,

deg(γ)+deg(Γ/γ)=deg(Γ)degree𝛾degreeΓ𝛾degreeΓ\deg\,(\gamma)+\deg\,(\Gamma/\gamma)=\deg\,(\Gamma) (16)16

pour tout sous-graphe admissible γ𝛾\gamma.

Les deux graduations les plus naturelles sont

I(Γ)=nombre de faces internesΓ𝐼Γnombre de faces internesΓI\,(\Gamma)=\hbox{nombre de faces internes}\ \Gamma (17)17

et

v(Γ)=V(Γ)1=nombre de sommetsΓ1.𝑣Γ𝑉Γ1nombre de sommetsΓ1v\,(\Gamma)=V\,(\Gamma)-1=\hbox{nombre de sommets}\ \Gamma-1\,. (18)18

On a aussi la combinaison importante

L=Iv=IV+1𝐿𝐼𝑣𝐼𝑉1L=I-v=I-V+1 (19)19

qui est le nombre de boucles du graphe.

Soit G𝐺G un graphe 1PI avec n𝑛n faces externes indexées par i{1,,n}𝑖1𝑛i\in\{1,\ldots,n\}, on spécifie sa structure externe en donnant une distribution σ𝜎\sigma definie sur un espace convenable de fonctions test 𝒮𝒮{\cal S} sur

{(pi)i=1,,n;pi=0}=EG.subscriptsubscript𝑝𝑖𝑖1𝑛subscript𝑝𝑖0subscript𝐸𝐺\left\{(p_{i})_{i=1,\ldots,n}\ ;\ \sum\,p_{i}=0\right\}=E_{G}\,. (20)20

Ainsi σ𝜎\sigma est une forme linéaire continue,

σ:𝒮(E).:𝜎𝒮𝐸\sigma:{\cal S}\,(E)\rightarrow{\mathbb{C}}\,. (21)21

A un graphe ΓΓ\Gamma de structure externe σ𝜎\sigma correspond un élément de {\cal H} et on a

δ(Γ,λ1σ1+λ2σ2)=λ1δ(Γ,σ1)+λ2δ(Γ,σ2).subscript𝛿Γsubscript𝜆1subscript𝜎1subscript𝜆2subscript𝜎2subscript𝜆1subscript𝛿Γsubscript𝜎1subscript𝜆2subscript𝛿Γsubscript𝜎2\delta_{(\Gamma,\lambda_{1}\sigma_{1}+\lambda_{2}\sigma_{2})}=\lambda_{1}\,\delta_{(\Gamma,\sigma_{1})}+\lambda_{2}\,\delta_{(\Gamma,\sigma_{2})}\,. (22)22

Nous appliquons alors le théorème de Milnor-Moore à l’algèbre de Hopf bigraduée {\cal H}.

Ce théorème donne une structure d’algèbre de lie sur,

Γ𝒮(EΓ)=Lsubscriptdirect-sumΓ𝒮subscript𝐸Γ𝐿\bigoplus_{\Gamma}\ {\cal S}\,(E_{\Gamma})=L (23)23

où pour chaque graphe 1PI ΓΓ\Gamma, on définit 𝒮(EΓ)𝒮subscript𝐸Γ{\cal S}\,(E_{\Gamma}) comme dans (20). Soit XL𝑋𝐿X\in L et soit ZXsubscript𝑍𝑋Z_{X} la forme linéaire sur {\cal H} donnée, sur les monomes ΓΓ\Gamma, par

Γ,ZX=0Γsubscript𝑍𝑋0\langle\Gamma,Z_{X}\rangle=0 (24)24

sauf si ΓΓ\Gamma est connexe et 1PI, et dans ce cas par,

Γ,ZX=σΓ,XΓΓsubscript𝑍𝑋subscript𝜎Γsubscript𝑋Γ\langle\Gamma,Z_{X}\rangle=\langle\sigma_{\Gamma},X_{\Gamma}\rangle (25)25

σΓsubscript𝜎Γ\sigma_{\Gamma} est la distribution qui donne la structure externe de ΓΓ\Gamma et XΓsubscript𝑋ΓX_{\Gamma} la composante correspondante de X𝑋X. Par construction ZXsubscript𝑍𝑋Z_{X} est un caractère infinitésimal de {\cal H} ainsi que les commutateurs,

[ZX1,ZX2]=ZX1ZX2ZX2ZX1.subscript𝑍subscript𝑋1subscript𝑍subscript𝑋2subscript𝑍subscript𝑋1subscript𝑍subscript𝑋2subscript𝑍subscript𝑋2subscript𝑍subscript𝑋1[Z_{X_{1}},Z_{X_{2}}]=Z_{X_{1}}\,Z_{X_{2}}-Z_{X_{2}}\,Z_{X_{1}}. (26)26

Le produit étant obtenu par transposition du coproduit de {\cal H}, i.e. par

Z1Z2,Γ=Z1Z2,ΔΓ.subscript𝑍1subscript𝑍2Γtensor-productsubscript𝑍1subscript𝑍2ΔΓ\langle Z_{1}\,Z_{2},\Gamma\rangle=\langle Z_{1}\otimes Z_{2},\Delta\,\Gamma\rangle\,. (27)27

Soient ΓjsubscriptΓ𝑗\Gamma_{j}, j=1,2𝑗1.2j=1,2 des graphes 1PI et φj𝒮(EΓj)subscript𝜑𝑗𝒮subscript𝐸subscriptΓ𝑗\varphi_{j}\in{\cal S}\,(E_{\Gamma_{j}}) les fonctions test correspondantes.

Pour i{0,1}𝑖0.1i\in\{0,1\}, soit ni(Γ1,Γ2;Γ)subscript𝑛𝑖subscriptΓ1subscriptΓ2Γn_{i}\,(\Gamma_{1},\Gamma_{2};\Gamma) le nombre de sous-graphes de ΓΓ\Gamma isomorphes à Γ1subscriptΓ1\Gamma_{1} et tels que

Γ/Γ1(i)Γ2.similar-to-or-equalsΓsubscriptΓ1𝑖subscriptΓ2\Gamma/\Gamma_{1}(i)\simeq\Gamma_{2}\,. (28)28

Soit (Γ,φ)Γ𝜑(\Gamma,\varphi) l’élément de L𝐿L associé à φ𝒮(EΓ)𝜑𝒮subscript𝐸Γ\varphi\in{\cal S}\,(E_{\Gamma}), le crochet de Lie de (Γ1,φ1)subscriptΓ1subscript𝜑1(\Gamma_{1},\varphi_{1}) et (Γ2,φ2)subscriptΓ2subscript𝜑2(\Gamma_{2},\varphi_{2}) est donné par,

Γ,iσi(φ1)ni(Γ1,Γ2;Γ)(Γ,φ2)σi(φ2)ni(Γ2,Γ1;Γ)(Γ,φ1).subscriptΓ𝑖subscript𝜎𝑖subscript𝜑1subscript𝑛𝑖subscriptΓ1subscriptΓ2ΓΓsubscript𝜑2subscript𝜎𝑖subscript𝜑2subscript𝑛𝑖subscriptΓ2subscriptΓ1ΓΓsubscript𝜑1\sum_{\Gamma,i}\,\sigma_{i}\,(\varphi_{1})\ n_{i}\,(\Gamma_{1},\Gamma_{2};\Gamma)\,(\Gamma,\varphi_{2})-\sigma_{i}\,(\varphi_{2})\ n_{i}\,(\Gamma_{2},\Gamma_{1};\Gamma)\,(\Gamma,\varphi_{1})\,. (29)29

Théorème ([12]) L’algèbre de Lie L𝐿L est produit semi-direct d’une algèbre de Lie Abelienne L0subscript𝐿0L_{0} par Lcsubscript𝐿𝑐L_{c}Lcsubscript𝐿𝑐L_{c} admet une base canonique indéxée par les graphes Γ(i)superscriptΓ𝑖\Gamma^{(i)} avec

[Γ,Γ]=vΓvΓvΓvΓΓsuperscriptΓsubscript𝑣subscript𝑣ΓsuperscriptΓsubscriptsuperscript𝑣subscriptsuperscript𝑣superscriptΓΓ[\Gamma,\Gamma^{\prime}]=\sum_{v}\,\Gamma\circ_{v}\Gamma^{\prime}-\sum_{v^{\prime}}\,\Gamma^{\prime}\circ_{v^{\prime}}\Gamma

ΓvΓsubscript𝑣ΓsuperscriptΓ\Gamma\circ_{v}\Gamma^{\prime} est obtenu en greffant ΓsuperscriptΓ\Gamma^{\prime} sur ΓΓ\Gamma en v𝑣v.

Renormalisation et problème de Riemann-Hilbert

Le problème de Riemann-Hilbert vient du 21emesuperscript21𝑒𝑚𝑒21^{eme} problème de Hilbert qu’il formulait ainsi;

  • “Montrer qu’il existe toujours une équation différentielle Fuchsienne linéaire de singularités et monodromies données.”

Sous cette forme il admet une réponse positive due à Plemelj et Birkhoff (cf. [1] pour un exposé détaillé). Quand on le reformule pour les systèmes linéaires de la forme,

y(z)=A(z)y(z),A(z)=αSAαzα,formulae-sequencesuperscript𝑦𝑧𝐴𝑧𝑦𝑧𝐴𝑧subscript𝛼𝑆subscript𝐴𝛼𝑧𝛼y^{\prime}(z)=A(z)\,y(z)\ ,\ A(z)=\sum_{\alpha\in S}\ \frac{A_{\alpha}}{z-\alpha}\,, (30)30

S𝑆S est l’ensemble fini donné des singularités, S𝑆\infty\not\in S, et les Aαsubscript𝐴𝛼A_{\alpha} sont des matrices complexes telles que

Aα=0subscript𝐴𝛼0\sum\ A_{\alpha}=0 (31)31

pour éviter les singularités à \infty, la réponse n’est pas toujours positive [3], mais la solution existe quand les matrices de monodromie Mαsubscript𝑀𝛼M_{\alpha} sont suffisamment proches de 1. On peut alors l’écrire explicitement sous la forme d’une série de polylogarithmes [24].

Une autre formulation du problème de Riemann-Hilbert, intimement reliée à la classification des fibrés vectoriels holomorphes sur la sphère de Riemann P1()subscript𝑃1P_{1}({\mathbb{C}}), est en termes de la décomposition de Birkhoff

γ(z)=γ(z)1γ+(z)zCformulae-sequence𝛾𝑧subscript𝛾superscript𝑧1subscript𝛾𝑧𝑧𝐶\gamma\,(z)=\gamma_{-}(z)^{-1}\,\gamma_{+}(z)\qquad z\in C (32)32

CP1()𝐶subscript𝑃1C\subset P_{1}({\mathbb{C}}) désigne une courbe simple, Csubscript𝐶C_{-} la composante connexe du complément de C𝐶C contenant C𝐶\infty\not\in C et C+subscript𝐶C_{+} la composante bornée.

[Uncaptioned image]

Figure 1

Les trois lacets γ𝛾\gamma et γ±subscript𝛾plus-or-minus\gamma_{\pm} sont à valeurs dans GLn()subscriptGL𝑛{\rm GL}_{n}({\mathbb{C}}),

γ(z)G=GLn()zformulae-sequence𝛾𝑧𝐺subscriptGL𝑛for-all𝑧\gamma\,(z)\in G={\rm GL}_{n}({\mathbb{C}})\qquad\forall\,z\in{\mathbb{C}} (33)33

et γ±subscript𝛾plus-or-minus\gamma_{\pm} sont les valeurs au bord d’applications holomorphes

γ±:C±GLn().:subscript𝛾plus-or-minussubscript𝐶plus-or-minussubscriptGL𝑛\gamma_{\pm}:C_{\pm}\rightarrow{\rm GL}_{n}({\mathbb{C}})\,. (34)34

La condition γ()=1subscript𝛾1\gamma_{-}(\infty)=1 assure l’unicité de la décomposition (32) si elle existe.

L’existence de la décomposition de Birkhoff (32) est équivalente à l’annulation,

c1(Lj)=0subscript𝑐1subscript𝐿𝑗0c_{1}\,(L_{j})=0 (35)35

des nombres de Chern nj=c1(Lj)subscript𝑛𝑗subscript𝑐1subscript𝐿𝑗n_{j}=c_{1}\,(L_{j}) des fibrés en droites holomorphes de la décomposition de Birkhoff-Grothendieck,

E=Lj𝐸direct-sumsubscript𝐿𝑗E=\oplus\,L_{j} (36)36

E𝐸E est le fibré vectoriel holomorphe sur P1()subscript𝑃1P_{1}({\mathbb{C}}) associé à γ𝛾\gamma, i.e. d’espace total:

(C+×n)γ(C×n).subscript𝛾subscript𝐶superscript𝑛subscript𝐶superscript𝑛(C_{+}\times{\mathbb{C}}^{n})\cup_{\gamma}(C_{-}\times{\mathbb{C}}^{n})\,. (37)37

La discussion ci-dessus pour G=GLn()𝐺subscriptGL𝑛G={\rm GL}_{n}({\mathbb{C}}) s’étend aux groupes de Lie complexes arbitraires.

Quand G𝐺G est un groupe de Lie complexe nilpotent et simplement connexe l’existence (et l’unicité) de la décomposition de Birkhoff (32) est vraie pour tout γ𝛾\gamma. Quand le lacet γ:CG:𝛾𝐶𝐺\gamma:C\rightarrow G se prolonge en un lacet holomorphe: C+Gsubscript𝐶𝐺C_{+}\rightarrow G, la décomposition de Birkhoff est donnée par γ+=γsubscript𝛾𝛾\gamma_{+}=\gamma, γ=1subscript𝛾1\gamma_{-}=1. En général, pour zC+𝑧subscript𝐶z\in C_{+} l’évaluation,

γγ+(z)G𝛾subscript𝛾𝑧𝐺\gamma\rightarrow\gamma_{+}(z)\in G (38)38

donne un principe naturel pour extraire une valeur finie à partir de l’expression singulière γ(z)𝛾𝑧\gamma(z). Cette extraction de partie finie est une division par la partie polaire pour un lacet méromorphe γ𝛾\gamma en prenant pour C𝐶C un cercle infinitésimal centré en z0subscript𝑧0z_{0}.

Soit G𝐺G un groupe de Lie complexe pro-nilpotent, {\mathcal{H}} son algèbre de Hopf de coordonnées (graduée). Rappelons la traduction entre langages algébriques et géométriques, en désignant par \mathcal{R} l’anneau des fonctions méromorphes, subscript{\mathcal{R}}_{-} le sous anneau des polynomes en (zz0)1superscript𝑧subscript𝑧01(z-z_{0})^{-1} et +subscript{\mathcal{R}}_{+} celui des fonctions régulières en z0subscript𝑧0z_{0},

 Homomorphismes de ¯ Lacets de C à valeurs dans G¯ϕ()γ se prolonge en une application holomorphe de \{z0}Gavec γ()=1.ϕ()+γ se prolonge en une application holomorphe définie en z=z0.ϕ=ϕ1ϕ2γ(z)=γ1(z)γ2(z),z𝐂.ϕSzγ(z)1.¯ Homomorphismes de ¯ Lacets de C à valeurs dans Gmissing-subexpressionmissing-subexpressionitalic-ϕsubscriptγ se prolonge en une application holomorphe de \{z0}Gmissing-subexpressionavec γ()=1.missing-subexpressionmissing-subexpressionitalic-ϕsubscriptγ se prolonge en une application holomorphe définie en z=z0.missing-subexpressionmissing-subexpressionitalic-ϕsubscriptitalic-ϕ1subscriptitalic-ϕ2formulae-sequence𝛾𝑧subscript𝛾1𝑧subscript𝛾2𝑧for-all𝑧𝐂missing-subexpressionmissing-subexpressionitalic-ϕ𝑆𝑧𝛾superscript𝑧1\begin{array}[]{rcl}\underline{\mbox{{ Homomorphismes} de ${\mathcal{H}}\to{\mathcal{R}}$}}&\mid&\underline{\mbox{{ Lacets} de $C$ \`{a} valeurs dans $G$}}\\ &\mid&\\ \phi({\mathcal{H}})\subset\;{\mathcal{R}}_{-}&\mid&\mbox{$\gamma$ se prolonge en une application holomorphe de ${\mathbb{C}}\backslash\{z_{0}\}\to G$}\\ &\mid&\mbox{avec $\gamma(\infty)=1$.}\\ &\mid&\\ \phi({\mathcal{H}})\subset\;{\mathcal{R}}_{+}&\mid&\mbox{$\gamma$ se prolonge en une application holomorphe d\'{e}finie en $z=z_{0}$.}\\ &\mid&\\ \phi=\phi_{1}\star\phi_{2}&\mid&\gamma(z)=\gamma_{1}(z)\gamma_{2}(z),\;\forall\;z\in{\bf C}.\\ &\mid&\\ \phi\circ S&\mid&z\to\gamma(z)^{-1}.\end{array} (0.1)

Pour X𝑋X\in{\mathcal{H}} notons le coproduit sous la forme

Δ(X)=X1+1X+XX′′Δ𝑋tensor-product𝑋1tensor-product1𝑋tensor-productsuperscript𝑋superscript𝑋′′\Delta(X)=X\otimes 1+1\otimes X+\sum X^{\prime}\otimes X^{\prime\prime}

La décomposition de Birkhoff d’un lacet s’obtient de manière récursive grâce au théorème suivant,

Théorème ([12]) Soit ϕ::italic-ϕ\phi:{\mathcal{H}}\to{\mathcal{R}}, un homomorphisme d’algèbres. La décomposition de Birkhoff du lacet correspondant est donnée de manière récursive par les égalités,

ϕ(X)=T(ϕ(X)+ϕ(X)ϕ(X′′))subscriptitalic-ϕ𝑋𝑇italic-ϕ𝑋subscriptitalic-ϕsuperscript𝑋italic-ϕsuperscript𝑋′′\phi_{-}(X)=-T\left(\phi(X)+\sum\phi_{-}(X^{\prime})\phi(X^{\prime\prime})\right)
ϕ+(X)=ϕ(X)+ϕ(X)+ϕ(X)ϕ(X′′).subscriptitalic-ϕ𝑋italic-ϕ𝑋subscriptitalic-ϕ𝑋subscriptitalic-ϕsuperscript𝑋italic-ϕsuperscript𝑋′′\phi_{+}(X)=\phi(X)+\phi_{-}(X)+\sum\phi_{-}(X^{\prime})\phi(X^{\prime\prime}).

Ici T𝑇T désigne la projection sur subscript{\mathcal{R}}_{-} parallèlement à +subscript{\mathcal{R}}_{+}.

La clef de notre travail avec Dirk Kreimer réside dans l’identité entre ces formules et celles qui gouvernent la combinatoire des calculs de graphes. Nous avons déja vu la formule qui définit la préparation d’un graphe,

R¯(Γ)=U(Γ)+γΓC(γ)U(Γ/γ)¯𝑅Γ𝑈Γsubscript𝛾Γ𝐶𝛾𝑈Γ𝛾\overline{R}(\Gamma)=U(\Gamma)+\sum_{\gamma\subset\Gamma}C(\gamma)U(\Gamma/\gamma) (39)39

Celle qui donne le contreterme C(Γ)𝐶ΓC(\Gamma) est alors,

C(Γ)=T(R¯(Γ))=T(U(Γ)+γΓC(γ)U(Γ/γ))𝐶Γ𝑇¯𝑅Γ𝑇𝑈Γsubscript𝛾Γ𝐶𝛾𝑈Γ𝛾C(\Gamma)=-T(\overline{R}(\Gamma))=-T\left(U(\Gamma)+\sum_{\gamma\subset\Gamma}C(\gamma)U(\Gamma/\gamma)\right) (40)40

et celle qui donne la valeur renormalisée du graphe est,

R(Γ)=R¯(Γ)+C(Γ)=U(Γ)+C(Γ)+γΓC(γ)U(Γ/γ)𝑅Γ¯𝑅Γ𝐶Γ𝑈Γ𝐶Γsubscript𝛾Γ𝐶𝛾𝑈Γ𝛾R(\Gamma)=\overline{R}(\Gamma)+C(\Gamma)=U(\Gamma)+C(\Gamma)+\sum_{\gamma\subset\Gamma}C(\gamma)U(\Gamma/\gamma) (41)41

Il est alors clair en posant ϕ=Uitalic-ϕ𝑈\phi=U, ϕ=Csubscriptitalic-ϕ𝐶\phi_{-}=C, ϕ+=Rsubscriptitalic-ϕ𝑅\phi_{+}=R que ces équations sont identiques à celles du théorème donnant la construction récursive de la décomposition de Birkhoff.

Décrivons plus en détails ce résultat. Etant donnée une théorie renormalisable en dimension D𝐷D la théorie nonrenormalisée donne en utilisant la régularisation dimensionnelle un lacet γ𝛾\gamma d’éléments du groupe G𝐺G associé à la théorie dans la section IV. Le paramètre z𝑧z du lacet γ(z)𝛾𝑧\gamma\,(z) est une variable complexe et γ(z)𝛾𝑧\gamma\,(z) est méromorphe dans un voisinage de D𝐷D. Notre résultat principal est que la théorie renormalisée est donnée par l’évaluation à z=D𝑧𝐷z=D de la partie nonsingulière γ+subscript𝛾\gamma_{+} de la décomposition de Birkhoff ,

γ(z)=γ(z)1γ+(z)𝛾𝑧subscript𝛾superscript𝑧1subscript𝛾𝑧\gamma\,(z)=\gamma_{-}\,(z)^{-1}\ \gamma_{+}\,(z) (42)42

de γ𝛾\gamma.

Les règles de Feynman et la régularisation dimensionnelle associent un nombre,

UΓ(p1,,pN)=ddk1ddkLIΓ(p1,,pN,k1,,kL)subscript𝑈Γsubscript𝑝1subscript𝑝𝑁superscript𝑑𝑑subscript𝑘1superscript𝑑𝑑subscript𝑘𝐿subscript𝐼Γsubscript𝑝1subscript𝑝𝑁subscript𝑘1subscript𝑘𝐿U_{\Gamma}\,(p_{1},\ldots,p_{N})=\int d^{d}\,k_{1}\ldots d^{d}\,k_{L}\ I_{\Gamma}\,(p_{1},\ldots,p_{N},k_{1},\ldots,k_{L}) (43)43

à chaque graphe ΓΓ\Gamma. Nous les utilisons en métrique Euclidienne pour éviter les facteurs imaginaires.

Pour respecter les dimensions physiques des quantités impliquées quand on écrit ces règles en dimension d𝑑d, il faut introduire une unité de masse μ𝜇\mu et remplacer partout la constante de couplage par μ3d/2gsuperscript𝜇3𝑑2𝑔\mu^{3-d/2}\,g. On normalise ainsi les calculs par,

U(Γ)=g(2N)μBσ,UΓ𝑈Γsuperscript𝑔2𝑁superscript𝜇𝐵𝜎subscript𝑈ΓU\,(\Gamma)=g^{(2-N)}\,\mu^{-B}\,\langle\sigma,U_{\Gamma}\rangle (44)44

B=B(d)𝐵𝐵𝑑B=B\,(d) est la dimension de σ,UΓ𝜎subscript𝑈Γ\langle\sigma,U_{\Gamma}\rangle.

On étend la définition (44) aux réunions disjointes de graphes 1PI ΓjsubscriptΓ𝑗\Gamma_{j} par,

U(Γ=Γj)=ΠU(Γj).𝑈ΓsubscriptΓ𝑗Π𝑈subscriptΓ𝑗U\,(\Gamma=\cup\,\Gamma_{j})=\Pi\,U\,(\Gamma_{j})\,. (45)45

Le résultat principal est alors le suivant:

Théorème ([12]) a) Il existe une unique application méromorphe γ(z)G𝛾𝑧𝐺\gamma(z)\in G, z𝑧z\in{\mathbb{C}}, zD𝑧𝐷z\neq D dont les ΓΓ\Gamma-coordonnées sont données par U(Γ)d=z𝑈subscriptΓ𝑑𝑧U\,(\Gamma)_{d=z}.

b) La valeur renormalisée d’une observable physique 𝒪𝒪{\cal O} est obtenue en remplaçant γ(D)𝛾𝐷\gamma\,(D) dans le développement perturbatif de 𝒪𝒪{\cal O} par γ+(D)subscript𝛾𝐷\gamma_{+}\,(D)

γ(z)=γ(z)1γ+(z)𝛾𝑧subscript𝛾superscript𝑧1subscript𝛾𝑧\gamma\,(z)=\gamma_{-}\,(z)^{-1}\ \gamma_{+}\,(z)

est la décomposition de Birkhoff du lacet γ(z)𝛾𝑧\gamma\,(z) relativement à un cercle infinitésimal autour de D𝐷D.

Le groupe de renormalisation

Montrons comment le groupe de renormalisation apparait très simplement de notre point de vue.

Comme nous l’avons vu ci-dessus, la régularisation dimensionnelle implique le choix arbitraire d’une unité de masse μ𝜇\mu et l’on constate d’abord que la partie singulière de la décomposition de Riemann-Hilbert de γ𝛾\gamma est en fait indépendante de ce choix. Il en résulte une contrainte très forte sur cette partie singulière et le groupe de renormalisation s’en déduit immédiatement. Nous en déduisons également une formule explicite pour l’action nue. On montre d’abord, en se limitant à la théorie φ63superscriptsubscript𝜑63\varphi_{6}^{3} pour simplifier les notations, que bien que le lacet γ(d)𝛾𝑑\gamma(d) dépende du choix de l’unité de masse μ𝜇\mu,

μγμ(d),𝜇subscript𝛾𝜇𝑑\mu\rightarrow\gamma_{\mu}(d)\,, (46)46

la partie singulière γμsubscript𝛾superscript𝜇\gamma_{\mu^{-}} de sa décomposition de Birkhoff,

γμ(d)=γμ(d)1γμ+(d)subscript𝛾𝜇𝑑subscript𝛾superscript𝜇superscript𝑑1subscript𝛾superscript𝜇𝑑\gamma_{\mu}(d)=\gamma_{\mu^{-}}(d)^{-1}\,\gamma_{\mu^{+}}(d) (47)47

est en fait indépendante de μ𝜇\mu,

μγμ(d)=0.𝜇subscript𝛾superscript𝜇𝑑0\frac{\partial}{\partial\mu}\,\gamma_{\mu^{-}}(d)=0\,. (48)48

Cet énoncé découle immédiatement de l’analyse dimensionnelle.

De plus, par construction le groupe de Lie G𝐺G est muni d’un groupe à un paramètre d’automorphismes,

θtAutG,t,formulae-sequencesubscript𝜃𝑡Aut𝐺𝑡\theta_{t}\in{\rm Aut}\,G\ ,\quad t\in{\mathbb{R}}\,, (49)49

associé à la graduation de l’algèbre de Hopf {\cal H} donnée par le nombre de boucles,

L(Γ)=nombre de bouclesΓ𝐿Γnombre de bouclesΓL(\Gamma)=\hbox{nombre de boucles}\ \Gamma (50)50

pour tout graphe 1PI ΓΓ\Gamma.

On a l’égalité

γetμ(d)=θtε(γμ(d))t,ε=Ddformulae-sequencesubscript𝛾superscript𝑒𝑡𝜇𝑑subscript𝜃𝑡𝜀subscript𝛾𝜇𝑑formulae-sequencefor-all𝑡𝜀𝐷𝑑\gamma_{e^{t}\mu}(d)=\theta_{t\varepsilon}(\gamma_{\mu}(d))\qquad\forall\,t\in{\mathbb{R}}\,,\ \varepsilon=D-d (51)51

Il en résulte que les lacets γμsubscript𝛾𝜇\gamma_{\mu} associés à la théorie nonrenormalisée satisfont la propriété suivante: la partie singulière de leur décomposition de Birkhoff est inchangée par l’opération,

γ(ε)θtε(γ(ε)),𝛾𝜀subscript𝜃𝑡𝜀𝛾𝜀\gamma(\varepsilon)\rightarrow\theta_{t\varepsilon}(\gamma(\varepsilon))\,, (52)52

En d’autres termes, si l’on remplace γ(ε)𝛾𝜀\gamma(\varepsilon) par θtε(γ(ε))subscript𝜃𝑡𝜀𝛾𝜀\theta_{t\varepsilon}(\gamma(\varepsilon)) l’on ne modifie pas la partie singulière de sa décomposition de Birkhoff. On a posé

ε=Dd\{0}.𝜀𝐷𝑑\0\varepsilon=D-d\in{\mathbb{C}}\backslash\{0\}\,. (53)53

Nous donnons une caractérisation complète des lacets γ(ε)G𝛾𝜀𝐺\gamma(\varepsilon)\in G vérifiant cette proprieté. Cette caractérisation n’implique que la partie singulière γ(ε)subscript𝛾𝜀\gamma_{-}(\varepsilon) qui vérifie par hypothèse,

γ(ε)θtε(γ(ε)1)est convergent pourε0.subscript𝛾𝜀subscript𝜃𝑡𝜀subscript𝛾superscript𝜀1est convergent pour𝜀0\gamma_{-}(\varepsilon)\,\theta_{t\varepsilon}(\gamma_{-}(\varepsilon)^{-1})\ \hbox{est convergent pour}\ \varepsilon\rightarrow 0\,. (54)54

Il est facile de voir que la limite de (54) pour ε0𝜀0\varepsilon\rightarrow 0 définit un sous-groupe à un paramètre,

FtG,tformulae-sequencesubscript𝐹𝑡𝐺𝑡F_{t}\in G\,,\ t\in{\mathbb{R}} (55)55

et que le générateur β=(tFt)t=0𝛽subscript𝑡subscript𝐹𝑡𝑡0\beta=\left(\frac{\partial}{\partial t}\,F_{t}\right)_{t=0} de ce sous-groupe est relié au résidu de γ𝛾\gamma

Resε=0γ=(uγ(1u))u=0subscriptRes𝜀0absent𝛾subscript𝑢subscript𝛾1𝑢𝑢0\mathrel{\mathop{\kern 0.0pt\rm Res}\limits_{\varepsilon=0}}\gamma=-\left(\frac{\partial}{\partial u}\,\gamma_{-}\left(\frac{1}{u}\right)\right)_{u=0} (56)56

par l’équation,

β=YResγ,𝛽𝑌Res𝛾\beta=Y\,{\rm Res}\,\gamma\,, (57)57

Y=(tθt)t=0𝑌subscript𝑡subscript𝜃𝑡𝑡0Y=\left(\frac{\partial}{\partial t}\,\theta_{t}\right)_{t=0} est la graduation.

Ceci est immédiat mais notre résultat ([13]) donne la formule explicite (59) qui exprime γ(ε)subscript𝛾𝜀\gamma_{-}(\varepsilon) en fonction de β𝛽\beta. Introduisons le produit semi-direct de l’algèbre de Lie G𝐺G (des éléments primitifs de superscript{\cal H}^{*}) par la graduation. On a donc un élément Z0subscript𝑍0Z_{0} tel que

[Z0,X]=Y(X)XLieG.formulae-sequencesubscript𝑍0𝑋𝑌𝑋for-all𝑋Lie𝐺[Z_{0},X]=Y(X)\qquad\forall\,X\in\hbox{Lie}\ G\,. (58)58

La formule pour γ(ε)subscript𝛾𝜀\gamma_{-}(\varepsilon) est alors

γ(ε)=limtet(βε+Z0)etZ0.subscript𝛾𝜀subscript𝑡superscript𝑒𝑡𝛽𝜀subscript𝑍0superscript𝑒𝑡subscript𝑍0\gamma_{-}(\varepsilon)=\lim_{t\rightarrow\infty}e^{-t\left(\frac{\beta}{\varepsilon}+Z_{0}\right)}\,e^{tZ_{0}}\,. (59)59

Les deux facteurs du terme de droite appartiennent au produit semi-direct du groupe G𝐺G par sa graduation, mais leur rapport (59) appartient au groupe G𝐺G.

Cette formule montre que toute la structure des divergences est uniquement déterminée par le résidu et donne une forme forte des relations de t’Hooft [21].

Le groupe G et les difféomorphismes

Bien entendu, on pourrait facilement objecter aux développements précédents en arguant que le mystère de la renormalisation n’est pas completement éclairci car le groupe G𝐺G construit à partir des graphes de Feynman apparait également mysterieux. Cette critique est completement levée par la merveilleuse relation, basée sur la physique entre les algèbres de Hopf {\cal H} des graphes de Feynman et celle, cmsubscript𝑐𝑚{\cal H}_{cm} des difféomorphismes.

Nous montrons, dans le cas de masse nulle, que la formule qui donne la constante de couplage effective,

g0=(g+[Uncaptioned image]g2+1ΓS(Γ))(1[Uncaptioned image]g2ΓS(Γ))3/2subscript𝑔0limit-from𝑔subscript[Uncaptioned image]superscript𝑔21Γ𝑆Γsuperscriptlimit-from1subscript[Uncaptioned image]superscript𝑔2Γ𝑆Γ32g_{0}=\left(g+\quad\sum_{\hbox{\psfig{}}}\quad g^{2\ell+1}\,\frac{\Gamma}{S(\Gamma)}\right)\left(1-\quad\sum_{\hbox{\psfig{}}}\quad g^{2\ell}\,\frac{\Gamma}{S(\Gamma)}\right)^{-3/2} (60)60

considérée comme une série formelle dans la variable g𝑔g d’éléments de l’algèbre de Hopf {\cal H}, définit en fait un homomorphisme d’algèbres de Hopf de l’algèbre de Hopf cmsubscript𝑐𝑚{\cal H}_{cm} des coordonnées sur le groupe des difféomorphismes formels de {\mathbb{C}} tels que,

φ(0)=0,φ(0)=idformulae-sequence𝜑00superscript𝜑0id\varphi(0)=0\,,\ \varphi^{\prime}(0)={\rm id} (61)61

vers l’algèbre de Hopf {\cal H} de la théorie de masse nulle.

Il en résulte en transposant, une action formelle du groupe G𝐺G sur la constante de couplage. Nous montrons en particulier que l’image par ρ𝜌\rho de β=YResγ𝛽𝑌Res𝛾\beta=Y\,{\rm Res}\,\gamma est la fonction β𝛽\beta de la constante de couplage g𝑔g.

Nous obtenons ainsi un corollaire du théorème principal qui se formule sans faire intervenir ni le groupe G𝐺G ni l’algèbre de Hopf {\cal H}.

Théorème [13] Considérons la constante de couplage effective nonrenormalisée geff(ε)subscript𝑔eff𝜀g_{\rm eff}(\varepsilon) comme une série formelle en g𝑔g et soit geff(ε)=geff+(ε)(geff(ε))1subscript𝑔eff𝜀subscript𝑔subscripteff𝜀superscriptsubscript𝑔subscripteff𝜀1g_{\rm eff}(\varepsilon)=g_{{\rm eff}_{+}}(\varepsilon)\,(g_{{\rm eff}_{-}}(\varepsilon))^{-1} sa décomposition de Birkhoff (opposée) dans le groupe des difféomorphismes formels. Alors le lacet geff(ε)subscript𝑔subscripteff𝜀g_{{\rm eff}_{-}}(\varepsilon) est la constante de couplage nue et geff+(0)subscript𝑔subscripteff0g_{{\rm eff}_{+}}(0) la constante de couplage renormalisée.

Comme la décomposition de Birkhoff d’un lacet à valeurs dans le groupe des difféomor-phismes (formels) est évidemment reliée à la classification des fibrés (non-vectoriels) holomorphes, ce résultat suggère qu’un tel fibré ayant pour base un voisinage de la dimension d𝑑d de l’espace temps et pour fibre les valeurs (compléxifiées) des constantes de couplage devrait donner une interprétation géométrique de l’opération de renormalisation. Il faut tout de même noter que la décomposition de Birkhoff a lieu ici relativement à un cercle infinitésimal autour de d𝑑d et qu’il s’agit de difféomorphismes formels.

Les résultats ci-dessus montrent qu’au niveau des développements perturbatifs le procédé de renormalisation admet une interprétation géométrique simple grâce au groupe G𝐺G et à la décomposition de Riemann-Hilbert. Le problème essentiel consiste à passer du développement perturbatif à la théorie non-perturbative, ce qui revient en termes de difféomorphismes à passer du developpement de Taylor à la formule globale.

Le groupe de renormalisation et la théorie de Galois aux places archimédiennes

Le problème de Riemann-Hilbert joue un rôle clef dans la théorie de Galois différentielle, il est donc naturel d’interpréter en termes Galoisiens l’ambiguïté que le groupe de renormalisation introduit dans les théories physiques. Cette section contient l’esquisse d’une telle interprétation. Nous montrerons en particulier le rôle que le groupe de renormalisation devrait jouer pour comprendre la composante connexe du groupe des classe d’idèles de la théorie du corps de classe comme un groupe de Galois.

Commençons par une introduction très élémentaire à la théorie de Galois pour les équations algébriques.

Si la technique de résolution des équations du second degré remonte à la plus haute Antiquité (Babyloniens, Egyptiens…), elle n’a pu être étendue au troisième degré que bien plus tard, et ne sera publiée par Girolamo (Jérôme) Cardano qu’en 1545 dans les chapitres 11 à 23 de son livre Ars magna sive de regulis algebraicis. Bien que cela n’ait pas été reconnu avant le dix-huitième siècle, la clef de la résolution par radicaux de l’équation générale du troisième degré, x3+nx2+px+q=0superscript𝑥3𝑛superscript𝑥2𝑝𝑥𝑞0x^{3}+nx^{2}+px+q=0, de racines a𝑎a, b𝑏b, c𝑐c, est l’existence d’une fonction rationnelle α(a,b,c)𝛼𝑎𝑏𝑐\alpha(a,b,c) de a𝑎a, b𝑏b, c𝑐c, qui ne prend que deux déterminations différentes sous l’action des six permutations de a𝑎a, b𝑏b, c𝑐c.

La méthode de Cardan revient à poser α=((1/3)(a+bj+cj2))3𝛼superscript13𝑎𝑏𝑗𝑐superscript𝑗23\alpha=\big{(}(1/3)(a+bj+cj^{2})\big{)}^{3} où le nombre j𝑗j est la première racine cubique de l’unité. La permutation circulaire transformant a𝑎a en b𝑏b, b𝑏b en c𝑐c et c𝑐c en a𝑎a laisse manifestement α𝛼\alpha inchangée et la seule autre détermination de la fonction α𝛼\alpha sous l’action des six permutations de a𝑎a, b𝑏b, c𝑐c, est obtenue en transposant b𝑏b et c𝑐c par exemple, ce qui donne β=((1/3)(a+cj+bj2))3𝛽superscript13𝑎𝑐𝑗𝑏superscript𝑗23\beta=\big{(}(1/3)(a+cj+bj^{2})\big{)}^{3}.

Comme l’ensemble de ces deux nombres α𝛼\alpha et β𝛽\beta est invariant par toutes les permutations de a𝑎a, b𝑏b, c𝑐c, le polynôme du second degré dont α𝛼\alpha et β𝛽\beta sont racines se calcule rationnellement en fonction des coefficients de l’équation initiale x3+nx2+px+q=0superscript𝑥3𝑛superscript𝑥2𝑝𝑥𝑞0x^{3}+nx^{2}+px+q=0 : c’est X2+2qXp3=(X+q+s)(X+qs)superscript𝑋22𝑞𝑋superscript𝑝3𝑋𝑞𝑠𝑋𝑞𝑠X^{2}+2qX-p^{3}=(X+q+s)(X+q-s)s𝑠s est l’une des racines carrées de p3+q2superscript𝑝3superscript𝑞2p^{3}+q^{2} et où l’on a réécrit l’équation initiale sous la forme équivalente x3+3px+2q=0superscript𝑥33𝑝𝑥2𝑞0x^{3}+3px+2q=0 débarrassée du terme du deuxième degré en effectuant une translation convenable des racines et où l’on a introduit les coefficients 2 et 3 pour simplifier les formules.

Un calcul simple montre alors que chacune des racines a𝑎a, b𝑏b et c𝑐c, de l’équation initiale s’exprime comme somme de l’une des trois racines cubiques de α𝛼\alpha et de l’une des trois racines cubiques de β𝛽\beta, ces deux choix étant liés par le fait que leur produit doit être impérativement égal à p𝑝-p (il n’y a donc que trois couples de choix de ces racines à prendre en compte, ce qui est rassurant, à la place des neuf possibilités que l’on aurait pu envisager a priori).

C’est à l’occasion de ces formules que l’utilisation des nombres complexes s’est imposée. En effet, même dans le cas où les trois racines sont réelles, il se peut que p3+q2superscript𝑝3superscript𝑞2p^{3}+q^{2} soit négatif et que α𝛼\alpha et β𝛽\beta soient nécessairement des nombres complexes.

Si la résolution des équations du troisième degré que nous venons d’exposer a été très longue à être mise au point (sans doute pour au moins l’un de ses cas particuliers entre 1500 et 1515 par Scipione del Ferro), celle du quatrième degré a été plus preste à la suivre puisqu’elle figure également dans l’Ars magna (chapitre 39) où Cardano l’attribue à son secrétaire Ludovico Ferrari qui l’aurait mise au point entre 1540 et 1545 (René Descartes en publiera une autre en 1637).

Ici encore, l’on peut partir d’un polynôme débarrassé d’un coefficient, annulé par translation, disons X4+pX2+qX+r=(Xa)(Xb)(Xc)(Xd)superscript𝑋4𝑝superscript𝑋2𝑞𝑋𝑟𝑋𝑎𝑋𝑏𝑋𝑐𝑋𝑑X^{4}+pX^{2}+qX+r=(X-a)(X-b)(X-c)(X-d).

La fonction rationnelle α(a,b,c,d)𝛼𝑎𝑏𝑐𝑑\alpha(a,b,c,d) la plus simple§§§Voir [6] pour l’ubiquité de la symétrie en question, et son rôle dans l’organisation des tournois de football, ne prenant que trois déterminations différentes sous l’action des vingt-quatre permutations de a𝑎a, b𝑏b, c𝑐c et d𝑑d, est α=ab+cd𝛼𝑎𝑏𝑐𝑑\alpha=ab+cd. Les deux autres déterminations sont β=ac+bd𝛽𝑎𝑐𝑏𝑑\beta=ac+bd, γ=ad+bc𝛾𝑎𝑑𝑏𝑐\gamma=ad+bc. Ce sont donc les racines d’une équation du troisième degré dont les coefficients s’expriment rationnellement en fonction de p𝑝p, q𝑞q et r𝑟r. Un calcul simple montre que le polynôme (Xα)(Xβ)(Xγ)𝑋𝛼𝑋𝛽𝑋𝛾(X-\alpha)(X-\beta)(X-\gamma) est égal à X3pX24rX+(4prq2)superscript𝑋3𝑝superscript𝑋24𝑟𝑋4𝑝𝑟superscript𝑞2X^{3}-pX^{2}-4rX+(4pr-q^{2}). Il peut donc être décomposé comme on l’a vu plus haut pour en déduire α𝛼\alpha, β𝛽\beta et γ𝛾\gamma; en fait, il suffit même de calculer l’une seulement de ces racines, disons α𝛼\alpha, pour pouvoir en déduire a𝑎a, b𝑏b, c𝑐c et d𝑑d (nous connaissons alors en effet la somme α𝛼\alpha et le produit r𝑟r des deux nombres ab𝑎𝑏ab et cd𝑐𝑑cd, donc ces deux nombres eux-mêmes par une équation du second degré, et il ne reste plus qu’à exploiter les égalités (a+b)+(c+d)=0𝑎𝑏𝑐𝑑0(a+b)+(c+d)=0 et ab(c+d)+cd(a+b)=q𝑎𝑏𝑐𝑑𝑐𝑑𝑎𝑏𝑞ab(c+d)+cd(a+b)=-q pour pouvoir en déduire a+b𝑎𝑏a+b et c+d𝑐𝑑c+d, donc enfin a𝑎a, b𝑏b, c𝑐c et d𝑑d par une autre équation du second degré).

C’est à Joseph Louis Lagrange en 1770 et 1771 (publication en 1772, mais aussi, dans une moindre mesure, à Alexandre Vandermonde dans un mémoire publié en 1774 mais également rédigé vers 1770, ainsi qu’à Edward Waring dans ses Meditationes algebricæ de 1770 et à Francesco Malfatti) que l’on doit la mise en lumière du rôle fondamental des permutations sur les racines a𝑎a, b𝑏b, c𝑐c… et sur les quantités auxiliaires α𝛼\alpha, β𝛽\beta…, d’ailleurs aujourd’hui justement appelées ”résolvantes de Lagrange”.

Ces résolvantes ne sont pas uniques, et par exemple le choix α=(a+bcd)2𝛼superscript𝑎𝑏𝑐𝑑2\alpha=(a+b-c-d)^{2} correspond à la solution de Descartes, mais elles fournissent la clef de toute les résolutions générales par radicaux. Il y en a une qui est particulièrement belle car elle est covariante pour le groupe affine, c’est à dire vérifie l’égalité,

α(λa+z,λb+z,λc+z,λd+z)=λα(a,b,c,d)+z𝛼𝜆𝑎𝑧𝜆𝑏𝑧𝜆𝑐𝑧𝜆𝑑𝑧𝜆𝛼𝑎𝑏𝑐𝑑𝑧\alpha(\lambda\,a+z,\lambda\,b+z,\lambda\,c+z,\lambda\,d+z)=\;\lambda\,\alpha(a,b,c,d)+z

et admet donc une interprétation géométrique. Elle est donnée algèbriquement par

α=adbca+dbc𝛼𝑎𝑑𝑏𝑐𝑎𝑑𝑏𝑐\alpha=\frac{ad-bc}{a+d-b-c}

et correspond géométriquement (figure 2) au point d’intersection des cercles circonscrits aux triangles ABJ𝐴𝐵𝐽ABJ et JCD𝐽𝐶𝐷JCDJ𝐽J désigne le point d’intersection des droites AC𝐴𝐶AC et BD𝐵𝐷BD.

[Uncaptioned image]

Figure 2. Le point α𝛼\alpha est fonction méromorphe et séparément homographique des quatre points A, B, C, D.


J’ai rencontré récemment cette résolvante à propos du problèmeposé par le président Chinois Jiang Zemin à la délégation de mathématiciens venue à sa rencontre en l’an 2000. de l’étoile à cinq branches (figure 3), dont elle permet une résolution algébrique que je laisse à la sagacité du lecteur.

[Uncaptioned image]

Figure 3. On donne cinq points arbitraires A,B,C,D,E. Montrer que les points d’intersection α,β,γ,δ,ϵ𝛼𝛽𝛾𝛿italic-ϵ\alpha,\beta,\gamma,\delta,\epsilon des cercles circonscrits aux triangles externes consécutifs de l’étoile sont situés sur un même cercle.


L’étape suivante dans la théorie des équations algébriques est évidemment celle du cinquième degré. Descartes a certainement essayé et avec lui bien des chercheurs. Elle a toujours opposé des obstacles infranchissables, et nous savons depuis Abel et Galois, aux alentours de 1830, pourquoi cette quête était vaine.

Descartes par exemple, persuadé qu’il n’existait pas de formule analogue à celle de Cardano, avait proposé en 1637, dans La Géométrie, une méthode graphique de résolution grâce à l’intersection de cercles et de cubiques qu’il avait inventées pour l’occasion. Entre 1799 et 1813 (date de l’édition de ses Riflessioni intorno alla solutione delle equazioni algebraiche generali), Paolo Ruffini a publié diverses tentatives de démonstrations, de plus en plus affinées, visant à établir l’impossiblité de résoudre l’équation générale du cinquième degré par radicaux. À toute fonction rationnelle des racines, il a eu l’idée juste d’associer le groupe des permutations de ces racines qui la laissent invariante, mais a cru à tort (d’après un rapport de Ludwig Sylow) que les radicaux intervenant dans la résolution de l’équation, comme les racines cubiques de α𝛼\alpha pour le degré trois, étaient nécessairement des fonctions rationnelles des racines.

Il faudra attendre 1824 pour que Niels Abel justifie l’intuition de Ruffini dans son Mémoire sur les équations algébriques et - après avoir cru trouver au contraire une méthode de résolution générale - prouve l’impossiblité de résoudre l’équation générale du cinquième degré par radicaux, en 1826 dans le Mémoire sur une classe particulière d’équations résolubles algébriquement, où il amorce une théorie générale qui ne s’épanouira que dans les écrits de Galois, vers 1830. Les travaux de Galois inaugurent une ère nouvelle des mathématiques, où les calculs font place à la réflexion sur leur potentialité, et les concepts, tels celui de groupe abstrait ou d’extension algébrique, occupent le devant de la scène.

L’idée lumineuse de Galois consiste d’abord à associer à une équation arbitraire un groupe de permutations qu’il définit de la manière suivante, [18]

Soit une équation donnée, dont a𝑎a, b𝑏b, c𝑐c,… sont les m𝑚m racines. Il y aura toujours un groupe de permutations des lettres a𝑎a, b𝑏b, c𝑐c,…qui jouira de la propriété suivante:

1) que toute fonction des racines, invariante par les substitutions de ce groupe, soit rationnellement connue ;

2) réciproquement, que toute fonction des racines, déterminée rationnellement, soit invariante par ces substitutions.

puis à étudier comment ce groupe ”d’ambiguïté” se trouve modifié par l’adjonction de quantités auxiliaires considérées comme ”rationnelles”. Ainsi, dans le cas de l’équation du quatrième degré, si l’on adjoint la quantité α𝛼\alpha obtenue en résolvant l’équation auxiliaire du troisième degré, l’on réduit le groupe d’ambiguïté au sous-groupe normal formé des quatre permutations (a,b,c,d), (b,a,d,c), (c,d,a,b), (d,c,b,a). Ce groupe est le produit de deux groupes à deux éléments et l’adjonction des solutions de deux équations du second degré suffit alors pour éliminer totalement l’ambiguïté, c’est à dire résoudre l’équation initiale.

Si l’on désigne par k𝑘k le corps des ”quantités rationnelles” et par K celui engendré par k𝑘k et par toutesIl ne suffit pas d’adjoindre une seule de ces racines, il faut les adjoindre toutes les racines de l’équation que l’on se propose de résoudre, le groupe de Galois, G=Gal(K:k)G={\rm Gal}(K:k) est le groupe des automorphismes de K𝐾K qui fixent tous les éléments de k𝑘k.

L’impossibilité de réduire l’équation du cinquième degré à des équations de degré inférieur provient alors de la ”simplicité” du groupe A5subscript𝐴5A_{5} des soixantes permutations paires (produits d’un nombre pair de transpositions) des cinq racines a𝑎a, b𝑏b, c𝑐c, d𝑑d, e𝑒e d’une telle équation. Un groupe abstrait fini est ”simple” si l’on ne peut le réduire, par un homomorphisme non trivial, à un groupe plus petit. Le groupe A5subscript𝐴5A_{5} est le plus petit groupe simple non commutatif et il apparaît très souvent en mathématiques.

J’en viens maintenant au rôle que le groupe de renormalisation devrait jouer pour comprendre la composante connexe du groupe des classes d’idèles de la théorie du corps de classe comme un groupe de Galois.

La théorie du corps de classe et sa généralisation aux groupes de Galois non commutatifs par le programme de Langlands constituent l’information la plus profonde que nous ayons sur le groupe de Galois des nombres algébriques. La source de ces théories est la loi de réciprocité quadratique qui joue un rôle central dans l’histoire de la théorie des nombres. Elle est démontrée en 1801 par Gauss dans ses ” Disquisitiones ” mais son énoncé était déjà connu d’Euler et de Legendre. La loi de réciprocité exprime, étant donnés deux nombres premiers p𝑝p et q𝑞q, une symétrie entre p𝑝p et q𝑞q dans la résolution de l’équation x2=psuperscript𝑥2𝑝x^{2}=p modulo q𝑞q. Elle montre par exemple que pour savoir si l’équation x2=5superscript𝑥25x^{2}=5 admet une solution modulo un nombre premier q𝑞q il suffit de connaître la valeur de q𝑞q modulo 555 ce que donne le dernier chiffre de q𝑞q dans son développement décimal, (par exemple 19 et 1999, ou 7 et 1997 donnent le même résultat) de sorte que les nombres premiers ainsi sélectionnés se répartissent en classes. Il a fallu plus d’un siècle pour comprendre conceptuellement la loi de réciprocité quadratique dont Gauss avait donné plusieurs démonstrations, sous la forme de la théorie du corps de classe qui permet de calculer à partir de classes de nombres idéaux le groupe de Galois de l’extension Abelienne maximale d’un corps de nombres.

La généralisation conceptuelle de la notion de corps de nombres est celle de corps global. Un corps k𝑘k est global si c’est un sous-corps discret cocompact d’un anneau localement compact (non discret) semi-simple et commutatif A𝐴A. (Cf. Iwasawa Ann. of Math. 57 (1953).) L’anneau topologique A𝐴A est alors canoniquement associé à k𝑘k et s’appelle l’anneau des Adèles de k𝑘k, on a,

A=reskv,𝐴subscriptproductressubscript𝑘𝑣A=\prod_{\rm res}k_{v}\,, (62)62

où le produit est le produit restreint des corps locaux kvsubscript𝑘𝑣k_{v} indéxés par les places de k𝑘k. Les kvsubscript𝑘𝑣k_{v} sont les corps localement compacts obtenus comme complétions de k𝑘k de même que l’on obtient les nombres réels en complétant les rationnels.

Quand la caractéristique de k𝑘k est p>1𝑝1p>1 i.e. quand k𝑘k est un corps de fonctions sur Fqsubscript𝐹𝑞{F}_{q}, on a

kkunkabksepk¯,𝑘subscript𝑘unsubscript𝑘absubscript𝑘sep¯𝑘k\subset k_{\rm un}\subset k_{\rm ab}\subset k_{\rm sep}\subset\overline{k}\,, (63)63

k¯¯𝑘\overline{k} désigne une cloture algébrique de k𝑘k, ksepsubscript𝑘sepk_{\rm sep} la cloture algébrique séparable, kabsubscript𝑘abk_{\rm ab} l’extension abélienne maximale et kunsubscript𝑘unk_{\rm un}, extension non ramifiée maximale, est obtenue en adjoignant à k𝑘k les racines de l’unité d’ordre premier à p𝑝p.

On définit le groupe de Weil Wksubscript𝑊𝑘W_{k} comme le sous-groupe de Gal(kab:k){\rm Gal}(k_{\rm ab}:k) formé par les automorphismes de (kab:k):subscript𝑘ab𝑘(k_{\rm ab}:k) qui induisent sur kunsubscript𝑘unk_{\rm un} une puissance entière de l’automorphisme de ”Frobenius”, θ𝜃\theta,

θ(μ)=μqμracine de l’unité d’ordre premier à p.𝜃𝜇superscript𝜇𝑞for-all𝜇racine de l’unité d’ordre premier à 𝑝\theta(\mu)=\mu^{q}\qquad\forall\,\mu\ \hbox{racine de l'unit\'{e} d'ordre premier \`{a} }\ p\,. (64)64

Le résultat principal de la théorie du corps de classe global est l’existence d’un isomorphisme canonique,

WkCk=GL1(A)/GL1(k),similar-to-or-equalssubscript𝑊𝑘subscript𝐶𝑘𝐺subscript𝐿1𝐴𝐺subscript𝐿1𝑘W_{k}\simeq C_{k}=GL_{1}(A)/GL_{1}(k)\,, (65)65

de groupes localement compacts.

Quand k𝑘k est de caractéristique nulle, i.e. un corps de nombres, on a un isomorphisme canonique,

Gal(kab:k)Ck/Dk,{\rm Gal}(k_{\rm ab}:k)\simeq C_{k}/D_{k}\,, (66)66

Dksubscript𝐷𝑘D_{k} désigne la composante connexe de l’élément neutre dans le groupe des classes d’idèles Ck=GL1(A)/GL1(k)subscript𝐶𝑘𝐺subscript𝐿1𝐴𝐺subscript𝐿1𝑘C_{k}=GL_{1}(A)/GL_{1}(k), mais à cause des places Archimédiennes de k𝑘k l’on n’a pas d’interprétation de Cksubscript𝐶𝑘C_{k} analogue au cas des corps de fonctions. Citons A. Weil [27],

“La recherche d’une interprétation pour Cksubscript𝐶𝑘C_{k} si k𝑘k est un corps de nombres, analogue en quelque manière à l’interprétation par un groupe de Galois quand k𝑘k est un corps de fonctions, me semble constituer l’un des problèmes fondamentaux de la théorie des nombres à l’heure actuelle ; il se peut qu’une telle interprétation renferme la clef de l’hypothèse de Riemann \ldots”.

Cela signifie qu’aux places Archimédiennes (i.e. aux complétions de k𝑘k qui donnent soit les nombres réels soit les nombres complexes), il devrait y avoir un groupe continu de symétries secrètement présent.

Mon intérêt pour ce problème vient de mon travail sur la classification des facteurs qui indiquait clairement que l’on possédait là l’analogue de la théorie de Brauer qui est l’une des clefs de la théorie du corps de classe local.

Les groupes de Galois sont par construction des limites projectives de groupes finis attachés à des extensions finies. Pour obtenir des groupes connexes il faut évidemment relaxer cette condition de finitude, qui est la même que la restriction en théorie de Brauer aux algèbres simples centrales de dimension finie. Comme ce sont les places Archimédiennes de k𝑘k qui sont à l’origine de la composante connexe Dksubscript𝐷𝑘D_{k}, il est naturel de considérer la question préliminaire suivante,

“Existe-t-il une théorie de Brauer non-triviale d’algèbres simples centrales sur {\mathbb{C}}.”

J’ai montré dans [5] que la classification des facteurs approximativement finis sur {\mathbb{C}} donnait une réponse satisfaisante à cette question. Ils sont classifiés par leur module,

Mod(M)+,Mod𝑀subscriptsimilar-tosuperscriptsubscript{\rm Mod}(M)\mathop{\subset}_{\sim}\ {\mathbb{R}}_{+}^{*}\,, (67)67

qui est un sous-groupe (virtuel) fermé de +superscriptsubscript{\mathbb{R}}_{+}^{*}.

Ce groupe joue un rôle analogue dans le cas Archimédien au module des algèbres simples centrales sur un corps local nonarchimédien. Dans ce dernier cas le module se définit trés simplement par l’action du groupe multiplicatif d’une algèbre simple centrale sur la mesure de Haar du groupe additif. La définition de Mod(M)Mod𝑀{\rm Mod}(M) pour les facteurs est beaucoup plus élaborée, mais reste basée sur l’action du groupe +superscriptsubscript{\mathbb{R}}_{+}^{*} de changement d’échelle.

Pour poursuivre l’analogie avec la théorie de Brauer où le lien avec le groupe de Galois s’obtient par la construction d’algèbres simples centrales comme produits croisés d’un corps par un groupe d’automorphismes, le pas suivant consiste à trouver des exemples naturels de construction de facteurs comme produits croisés d’un corps K𝐾K, extension transcendante de {\mathbb{C}} par un groupe d’automorphismes. Dans nos recherches sur les variétés sphériques noncommutatives [7], avec M. Dubois-Violette, l’algèbre de Sklyanin ([26]) est apparue comme solution en dimension 3, du problème de classification formulé dans [14]. La représentation ”régulière” de cette algèbre engendre une algèbre de von-Neumann intégrale directe de facteurs approximativement finis de type II1subscriptII1{\rm II}_{1}, tous isomorphes au facteur hyperfini R𝑅R. Les homomorphismes correspondants de l’algèbre de Sklyanin ([26]) vers le facteur R𝑅R se factorisent miraculeusement à travers le produit croisé du corps Kqsubscript𝐾𝑞K_{q} des fonctions elliptiques, où le module q=e2πiτ𝑞superscript𝑒2𝜋𝑖𝜏q=e^{2\pi i\tau} est réel, par l’automorphisme de translation par un nombre réel (mais en général irrationnel). On obtient ainsi le facteur R𝑅R comme produit croisé de Kqsubscript𝐾𝑞K_{q} par un sous-groupe du groupe de Galois, en parfaite analogie avec la construction des algèbres simples centrales sur un corps local. Il reste à obtenir une construction semblable et naturelle du facteur Rsubscript𝑅R_{\infty} de type III1subscriptIII1{\rm III}_{1}.

Il est sans doute prématuré d’essayer d’identifier le corps K𝐾K correspondant, qui devrait jouer le rôle de l’extension nonramifiée maximale unsubscript𝑢𝑛{\mathbb{C}}_{un} de {\mathbb{C}} et être doté d’une action naturelle du groupe multiplicatif +superscriptsubscript{\mathbb{R}}_{+}^{*}.

Le rôle du corps K𝐾K en physique des hautes énergies devrait être relié à l’observation suivante concernant les ”constantes” qui interviennent en théorie des champs. En fait les calculs des physiciens regorgent d’exemples de ”constantes” telles les constantes de couplage g𝑔g des interactions (électromagnétiques, faibles et fortes) qui n’ont de ”constantes” que le nom. Elles dépendent en réalité du niveau d’énergie μ𝜇\mu auquel les expériences sont réalisées et sont donc des fonctions g(μ)𝑔𝜇g(\mu). Ainsi les physiciens des hautes énergies étendent implicitement le ”corps des constantes” avec lequel ils travaillent, passant du corps {\mathbb{C}} des scalaires à un corps de fonctions g(μ)𝑔𝜇g(\mu). Le générateur du groupe de renormalisation est simplement μ/μ𝜇𝜇\mu\partial/\partial\mu.

L’on peut mettre l’exemple plus simple du corps Kqsubscript𝐾𝑞K_{q} des fonctions elliptiques sous la même forme en passant aux fonctions loxodromiques, c’est à dire en posant μ=e2πiz𝜇superscript𝑒2𝜋𝑖𝑧\mu=e^{2\pi iz} de sorte que la première périodicité (en zz+1𝑧𝑧1z\rightarrow z+1) est automatique alors que la deuxième s’écrit g(qμ)=g(μ)𝑔𝑞𝜇𝑔𝜇g(q\,\mu)=g(\mu). Le groupe des automorphismes de la courbe elliptique est alors lui aussi engendré par μ/μ𝜇𝜇\mu\partial/\partial\mu.

Les points fixes du groupe de renormalisation sont les scalaires ordinaires, mais il se pourrait que la physique quantique conspire pour nous empêcher d’espérer une théorie qui englobe toute la physique des particules et soit construite comme point fixe du groupe de renormalisation. Les interactions fortes sont asymptotiquement libres et l’on peut les analyser à très hautes énergies en utilisant les points fixes du groupe de renormalisation, mais la présence du secteur électrodynamique montre qu’il est vain de vouloir s’en tenir à de tels points fixes pour décrire une théorie qui incorpore l’ensemble des forces observées. Le problème est le même dans le domaine infrarouge où les rôles des interactions fortes et électrodynamiques sont inversés.

Il est bien connu des physiciens que le groupe de renormalisation joue le rôle d’un groupe d’ambiguïté, l’on ne peut distinguer entre elles deux théories physiques qui appartiennent à la même orbite de ce groupe, ce qui nous ramène à Galois dont la ”théorie de l’ambiguïté” allait bien au delà des équations algébriques.

Citons Émile Picard (voir [25]) qui dans sa préface aux œuvres complètes d’Evariste Galois écrivait,

”Il aurait édifié dans ses parties essentielles, la théorie des fonctions algébriques d’une variable telle que nous la connaissons aujourd’hui. Les méditations de Galois portèrent encore plus loin; il termine sa lettre en parlant de l’application à l’analyse transcendante de la théorie de l’ambiguïté. On devine à peu près ce qu’il entend par là, et sur ce terrain qui, comme il le dit est immense, il reste encore aujourd’hui bien des découvertes à faire”.



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