Sur la conjecture combinatoire de Kashiwara-Vergne
Résumé: Nous expliquons dans cet article un lien entre les travaux de Kontsevich sur la quantification formelle des variétés de Poisson et la conjecture combinatoire de Kashiwara-Vergne.
Abstract: We explain a connection between the combinatorial Kashiwara-Vergne conjecture and the Kontsevich formula for quantization of Poisson manifolds.
AMS Classification: 17B, 22E, 53D55
1 Introduction
1.1 La conjecture combinatoire de Kashiwara-Vergne
Soit une algèbre de Lie de dimension finie sur . Notons l’image de par l’application exponentielle et nous noterons en général la série de Campbell-Hausdorff définie par . Dans tout ce qui suit nous travaillons au niveau des séries formelles mais des arguments élémentaires montrent que toutes les séries formelles que nous manipulons sont convergentes dans un voisinage proche de .
La conjecture combinatoire de Kashiwara-Vergne [KV] s’énonce de la manière suivante. Il existe des séries et sur sans terme constant et à valeurs dans telles que l’on ait
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et telle que l’identité suivante soit vérifiée
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Cette conjecture combinatoire est démontrée dans l’article de Kashiwara-Vergne [KV] pour les algèbres de Lie résolubles. Elle fut démontrée pour par Rouvière [Rou1] et récemment par M. Vergne [Ve] dans le cas quadratique (on rappelle que quadratique veut dire qu’il existe une forme bilinéaire invariante et non dégénérée, mais on ne suppose pas que c’est la forme de Killing!). Il existe une conjecture analogue dans le cas des espaces symétriques [Rou2], [Rou3], [Rou4], [Rou5].
Cette égalité sur les traces peut sembler étrange mais elle est une conséquence naturelle de l’intégration par partie. Expliquons un peu tout ceci ce qui motivera le lecteur. Dans l’article de Kashiwara-Vergne une idée de base est de considérer la déformation naturelle de l’algèbre de Lie qui consiste à déformer le crochet en . Par exemple la série de Campbell-Hausdorff est changée en .
On déduit facilement de l’équation (1) et de la formule de la différentielle de l’application exponentielle que l’on a une équation différentielle de la forme
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où on a noté .
Suite aux travaux de Dixmier-Kirillov-Duflo on apprend que l’analyse sur les groupes et algèbres de Lie ne porte pas sur les fonctions mais sur les demi-densités. On sait aussi depuis Harish-Chandra que l’objectif est de ramener par l’application exponentielle l’analyse sur les groupes à l’analyse sur les algèbres de Lie. Dans ce contexte la racine carrée du jacobien de l’application exponentielle intervient inévitablement. Notons comme à l’habitude par la fonction et par la fonction . L’écart en ces deux fonctions n’est pas significatif dans cet article.
Il est bien connu que l’on a la formule suivante [KV]
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On sait aussi depuis longtemps qu’il ne faut pas considérer les distributions comme un module à gauche sur les opérateurs différentiels mais comme un module à droite. Remarquons que ceci est bien connu des analystes algébriques. Un des buts de l’article de Kashiwara-Vergne était de démontrer que le produit de convolution se transporte par l’application exponentielle quand on se restreint à des distributions invariantes. Cette conjecture est démontrée dans sa totalité dans l’article [AST] (qui fait suite à [ADS]) en utilisant les méthodes de Kontsevich. On peut considérer cet article comme une suite naturelle de [AST]. Plus précisément il s’agissait de montrer que si et sont deux distributions invariantes au voisinage de dans vérifiant une certaine condition de support afin d’assurer un sens à la convolution, on avait la formule suivante
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pour une fonction dans un voisinage de . Cette formule est démontrée dans [AST]. La stratégie initiée dans Kashiwara-Vergne était de tenir compte de la déformation en le paramètre et de démontrer que l’on avait la formule pour tout
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L’idée est maintenant simple, il suffit de dire que la dépendance en est triviale, c’est à dire que la dérivée par rapport à est nulle.
Calculons cette dérivée comme dans [KV]. Notons la fonction de densité
On peut remplacer par dans cette formule, la fonction de densité reste la même. On a facilement compte tenu des équations (3) et (4)
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Pour simplifier on va noter
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Par conséquent le terme qui apparaît en (7) est . Ce calcul se justifie comme suit. Le premier terme résulte de la dérivée par rapport à dans les termes et le second terme résulte de la dérivée en dans . Plus précisément compte tenu de (3) il vient que pour toute fonction on a
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Le champ de vecteur
agit trivialement sur la fonction
car cette dernière est invariante en chaque variable
sous l’action adjointe par conséquent la dérivée du terme en s’écrit bien comme annoncée.
On peut maintenant terminer le calcul de la dérivée dans (6). Il vient
On est donc amené à calculer l’action à droite sur la distribution du champ de vecteur . Compte tenu de l’invariance de cette distribution on a
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Pour conclure au transport de la convolution dans (5) il suffit de demander que l’on ait
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La conjecture combinatoire de Kashiwara-Vergne est précisément cette égalité.
1.2 Déformation de Kontsevich et résultats
Dans son article fondamental M. Kontsevich [Ko] introduit pour les variétés de Poisson une déformation formelle. Appliquée au cas du dual d’une algèbre de Lie on retrouve comme déformation de l’algèbre symétrique le star produit de Duflo, à savoir la symétrisation modifiée par l’opérateur . D’une certaine manière on peut penser que l’on a rien de neuf. Toutefois le point intéressant est que les cœfficients apparaissant dans la formule de Campbell-Hausdorff se calculent à l’aide d’intégrales explicites. Compte tenu de la flexibilité naturelle de ces intégrales et de l’argument d’homotopie expliqué dans Kontsevich et repris dans [ADS], [AST] et [MT], on peut penser qu’il existe une version “à la Kontsevich” de la conjecture combinatoire.
Expliquons notre stratégie dans cette introduction.
En examinant la démonstration de Kashiwara-Vergne on s’aperçoit que le paramètre de déformation crée une dépendance en de la formule de Campbell-Hausdorff notée . L’équation (3) relie la différentielle en de à l’action d’un champ de vecteur. La formule (7) donne la dérivée en de la fonction de densité .
D’une certaine manière on pourrait dire que la conjecture de Kashiwara-Vergne est faite pour que l’on ait l’équation
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puisque l’autre équation
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résulte automatiquement de l’équation
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Le problème cousin de Kashiwara-Vergne est donc celui-ci. Existe-t-il une autre déformation de la formule de Campbell-Hausdorff telle que les équations (14) et (12) soient vérifiées? On remarquera alors que ce résultat entraîne aussi que l’exponentielle transporte la convolution des distributions invariantes. En effet des équations (14) et (12) on déduit que l’on a
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Comme précédemment, appliquée à des distributions invariantes l’équation (10) assurera que le membre de gauche dans (6) sera indépendant de .
On peut maintenant énoncer notre théorème. On note la variété de configuration de
deux points aériens dans le demi-plan de Poincaré (on reviendra sur cette variété introduite
par Kontsevich dans les paragraphes suivants).
Théorème: Il existe une déformation de la formule de Campbell-Hausdorff dépendant d’un paramètre , une déformation de la fonction de densité . Il existe des -formes différentielles en dépendant de manière analytique de (dans un voisinage de ) à valeurs dans , on les note et . Les égalités suivantes sont alors vérifiées
et
En appliquant ce théorème le long d’un chemin reliant le coin de l’oeil à l’iris (comme dans [ADS]) on retrouve une déformation dépendant d’un paramètre comme dans Kashiwara-Vergne. La conclusion est donc qu’il existe de nombreuses déformations de la formule de Campbell-Hausdorff qui fournissent automatiquement la condition des traces. Malheureusement ces déformations ne se font pas dans la catégorie des algèbres de Lie, c’est à dire que la fonction n’est pas la formule de Campbell-Hausdorff d’une algèbre de Lie. En d’autres termes on n’a pas
Comme corollaire de notre théorème on obtient bien évidemment que l’exponentielle transporte la convolution des distributions invariantes (voir [KV], [ADS] et [AST] pour les conséquences en algèbre et en analyse de ce théorème).
2 Rappels sur la quantification de Kontsevich
Dans cette section on va rappeler rapidement la construction de M. Kontsevich pour la quantification formelle des variétés de Poisson lorsqu’on l’applique au cas des structures de Poisson linéaires, c’est à dire dans le cas du dual des algèbres de Lie.
2.1 Espaces de configurations
On note par l’espace des configurations de points distincts dans le demi-plan de Poincaré (ce sont les points aériens) et points distincts sur la droite réelle (ce sont les points terrestres), modulo l’action du groupe (pour ). Compte tenu de l’action de ce groupe sur les points réels, on peut identifier deux des points réels aux points et (à condition que l’on ait , sinon on peut identifier un des points aériens au complexe ). Dans son article [Ko] M. Kontsevich construit des compactifications de ces variétés notées . Ce sont des variétés à coins de dimension . Ces variétés ne sont pas connexes pour . On notera par la composante qui contient les configurations où les points terrestres sont ordonnés dans l’ordre croissant (ie on a ).
2.2 Graphes admissibles
La notion de graphes admissibles est maintenant bien établie dans la littérature. En l’occurrence on notera les graphes avec points de première espèce et numérotés (points aériens) et points de seconde espèce (points terrestres) numérotés . Les graphes qui interviennent dans le cas variétés de Poisson, sont des graphes tels que de tout point aérien partent deux arêtes numérotées , mais il n’y a pas d’arêtes qui bouclent et il n’y a pas d’arêtes doubles. On note l’ensemble des arêtes du graphe .
Dans le cas des algèbres de Lie, chaque sommet de première espèce ne peut recevoir qu’au plus une arête: ce sont les graphes pertinents (relevant graphs) et on renvoie le lecteur à l’article [AST] pour une description précise des graphes pertinents qui interviennent dans la formule finale.
Quand on a un produit de Poisson disons sur , on peut alors associer à tout graphe admissible un opérateur bi-différentiel sur comme expliqué dans [Ko]. On notera l’opérateur bidifférentiel associé que l’on suppose agir sur les fonctions et . Expliquons par souci de concision la formule. Sur chaque sommet aérien on met le crochet de Poisson et sur les sommets terrestres on met les fonctions et . Chaque arête arrivant sur un sommet dérive la fonction associée au sommet. On multiplie les fonctions ainsi obtenues et on somme sur toutes les possibilités. Concrètement la formule est la suivante. Pour chaque arête , on note par le point aérien source (départ) et par le point but (arrivée). Dans la formule ci-dessous décrit l’ensemble les applications de l’ensemble des arêtes dans l’ensemble des indices de coordonnées .
2.3 Forme d’angles
Soient deux points distincts dans le demi-plan de Poincaré muni de la métrique de Lobachevsky. On note
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C’est l’angle entre la géodésique et où l’infini peut être vu comme l’infini sur la droite réelle. Quand on prend comme modèle du demi-plan de Poincaré le disque unité alors l’infini en question est bien-sûr le point manquant sur le cercle unité. Géométriquement la géodésique est tout simplement la demi-droite verticale issue de .
La fonction d’angle s’étend en une fonction régulière à la compactification . Cette dernière est précisément décrite dans l’article de Kontsevich, c’est le fameux “oeil”(figure [1]). On remarquera, mais c’est tautologique vu la construction des compactifications que lorsque les points s’approchent selon un angle , la fonction d’angle vaut précisément cet angle. Lorsque s’approche de l’axe réel, la fonction d’angle est nulle et lorsque c’est qui s’approche de l’axe réel on obtient deux fois l’angle de demi-droite avec l’axe réel.
Dans [Ko] il est expliqué que l’on peut prendre n’importe qu’elle fonction d’angle pour peu qu’elle vérifie certaines propriétés, mieux encore on peut même préférer une autre forme différentielle [Ko2].
Bref, comme la fonction est régulière sur la compactification, on peut considérer sa différentielle qui est alors une -forme sur .
2.4 Poids associé à un graphe
Si est un graphe dans , alors toute arête définit par restriction une fonction d’angle notée sur la variété . Le produit ordonné
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est donc une -forme sur qui est de dimension aussi . Le poids associé sera donc
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2.5 Formule de Quantification
Dans le cas des structures de Poisson sur , la formule de Kontsevich s’écrit en terme des ingrédients introduits de la façon suivante. Pour et deux fonctions polynomiales sur on a
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avec un paramètre formel. Dans le cas des algèbres de Lie l’ordre des opérateurs est suffisamment croissant et la formule ci-dessus est en fait une somme finie. En faisant ce star produit vérifie pour et la relation souhaitée
lorsque l’on prend pour crochet de Poisson la moitié du crochet de Lie.
3 La formule Campbell-Hausdorff
3.1 La formule Campbell-Hausdorff en termes de diagrammes
Comme dans [AST] ou [Ka] la formule de Kontsevich appliquée au cas des algèbres de Lie donne le résultat suivant. Tout graphe admissible pertinent se décompose en produit de graphes simples. Chaque graphe simple est soit de type Lie i.e. un graphe avec une seule racine et sans roue (le graphe est un arbre comme dans la figure [2]) soit un graphe de type roue (ie une roue tentaculaire comme dans la figure [5]).
Dans [AST] on a associé un symbole à chaque graphe, on notera abusivement le symbole associé au graphe . Par exemple le symbole associé au graphe de la figure[ 2] est et le symbole associé au graphe de la figure [5] est . Le symbole est une fonction polynomiale de dans .
Lorsque le graphe est simple et de type Lie, alors est naturellement un élément de l’algèbre de Lie engendrée par et .
Comme démontré dans [Ka], la formule Campbell-Hausdorff s’écrit pour et dans
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où la somme porte sur l’ensemble des graphes “géométriques” simples et de type Lie. Les graphes qui contribuent de manière non triviale dans cette formule n’ont donc qu’une racine et ne possèdent pas de symétries. Par conséquent les graphes numérotés associés à un graphe géométrique sont au nombre de . Le terme disparaît dans la formule finale car dans la formule de Kontsevich (19) on avait un terme en et le terme disparaît aussi car on prend dans le cas des algèbres de Lie pour crochet de Poisson du crochet de Lie. Toutefois le symbole est mal défini si le graphe n’est pas numéroté. Pour résoudre ce problème il suffit de remarquer que c’est aussi le cas pour le cœfficient et que les deux difficultés se compensent.
3.2 Commentaires
Les symboles ne forment pas une base de l’algèbre de Lie libre engendrée par et , par conséquent il y a des redondances dans la formule, mais c’est aussi le cas quand on utilise d’autres formules donnant Campbell-Hausdorff.
La nature des cœfficients reste mystérieuse. Les termes associés aux produits du genre sont des nombres de Bernoulli comme tout le monde le sait, puisque ces termes calculent la différentielle de l’application exponentielle. C’est aussi le cas pour les cœfficients de Kontsevich comme remarqué dans [Ka]. La différentielle de l’application exponentielle vaut
il vient que l’on a à l’ordre en
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Par ailleurs il n’y a qu’une seule façon d’écrire un terme de type Lie où n’intervient qu’une seule fois . Ce point est essentiel, car il permet de conclure que les cœfficients sont aussi de Bernoulli. Ce n’est plus le cas pour les autres. On ne peut pas a priori affirmer que les nombres sont tous rationnels et je ne sais pas si c’est le cas. Quand les graphes sont plus généraux on sait que ces nombres ne sont pas rationnels [Ko2]. La conclusion est que les termes non rationnels se compensent à cause de l’identité de Jacobi. En conséquence on considère une écriture de Campbell-Hausdorff qui a le gros inconvénient de n’être pas a priori une expression rationnelle (bien-sûr la somme peut se réécrire sous forme rationnelle!).
Compte tenu de cette remarque, on voit que la déformation que l’on va proposer est largement différente de celle proposée dans Kashiwara-Vergne, qui restait rationnelle et dans la catégorie des algèbres de Lie.
3.3 Analyse des termes d’ordre dans l’équation de Kashiwara-Vergne
Compte tenu de l’équation
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d’où viennent les termes d’ordre en dans la dérivée ?
Par symétrie Kashiwara-Vergne montrent que l’on peut prendre
. On voit facilement que l’on a et .
Ecrivons pour simplifier à l’ordre en
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il vient
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Or le terme contribue (à l’ordre en toujours) comme c’est à dire (car le terme en est forcément dans le crochet ). Ecrivons
avec .
Le terme contribue comme
On en déduit la relation de récurrence
avec
Il vient alors
La situation sera comme on va le voir beaucoup plus directe dans notre formule mais restera quand même dans cet esprit. Remarquons aussi que l’on a pu faire le calcul ci-dessus car il y a unicité dans l’écriture des éléments de type Lie ne contenant qu’une seule fois .
4 Déformation des cœfficients dans Campbell-Hausdorff
L’idée est très simple. Au lieu de déformer le crochet de Lie comme dans Kashiwara-Vergne, on va déformer les cœfficients. Ceci est possible et naturel dans la mesure où ces derniers se calculent grace à des intégrales.
Plus précisément, au lieu de prendre un graphe dans prenons ce même graphe géométrique mais dans . C’est l’argument de base de la déformation homotopique dans Kontsevich. On fixe donc un point dans représentant les points . On peut alors intégrer la forme différentielle associée au nouveau graphe lorsqu’on suppose que le point est fixe. En terme simple, on intègre selon les premiers points ce qui fait toujours dimensions. On pose alors pour le résultat obtenu. Lorsque le point vaut le point on retrouve le cœfficient de Kontsevich. La dépendance en est régulière au sens des variétés à coins et on dispose d’une majoration uniforme en de ce cœfficient comme dans [ADS].
Lorsque le point est sur l’iris de l’oeil c’est à dire que les deux points sont infiniment proche selon un angle donné, on trouve . En effet les seuls cœfficients non nuls seraient ceux correspondant à des roues de vélo (figure [6]) avec les rayons dirigées vers le point , mais Shoikhet [Sh] a montré que ces termes sont aussi nuls dans le cas des algèbres de Lie.
On dispose maintenant comme dans [ADS] d’une produit non associatif
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où on place la fonctions en et la fonction en . La formule commence par le produit si l’on admet que pour le poids associé au graphe sans point aérien est , mais il est plus commode d’écrire
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Par suite on dispose d’une déformation de la formule de Campbell-Hausdorff
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où la somme porte sur les graphes simples de type Lie c’est à dire les graphes
géométriques avec une seule racine. Dans cette formule on n’a plus besoin
de considérer des graphes numérotés. C’est ce que l’on a
appelé les graphes géométriques.
Compte tenu des résultats de Shoikhet on a et
.
Le point nouveau ici et c’est plus ou moins l’objet de cet article, c’est que ce nous allons calculer directement la dérivée par rapport à . C’est naturel et c’est de manière indirecte ce qui fut déjà fait dans [ADS] et [AST]. On va voir qu’il vient une équation différentielle.
4.1 Calcul de la dérivée
Lorsque l’on veut calculer la différentielle de on écrit et on fait tendre vers , ce qui revient à prendre un chemin infinitésimal dans l’oeil de Kontsevich de vers . Le raisonnement de base fait de nombreuses fois est donc d’écrire la formule de Stokes comme dans [ADS] mais cette fois sur un chemin infinitésimal.
Les mêmes types de composantes sont à étudier. On ne doit regarder, pour des raisons de dimension (voir [MT] pour une étude plus précise sur le cup-produit), que les regroupements de deux points aériens. En bref le calcul de la dérivée des cœfficients s’obtient en contractant les arêtes.
Toutefois lorsqu’on s’intéresse à la somme partielle
où est un graphe simple de type Lie avec sommets aériens dont représentent le point , il y aura une simplification à cause de l’identité de Jacobi.
Décrivons les différents termes significatifs qui apparaissent dans le calcul de la dérivée.
-
1.
Lorsque deux points autres que se rapprochent, l’identité de Jacobi montre que la contribution de ce terme est nul. On remarquera ici que la nullité est dû à l’identité de Jacobi pour les symboles .
-
2.
Lorsque un point s’approche de on obtient un graphe type comme à la figure [7].
-
3.
Lorsque un point s’approche de on obtient une situation analogue.
Remarquons encore une fois qu’il y a d’autres composantes de bord (des points aériens pourraient s’agglutiner sur l’axe réel par exemple). mais celles-ci ne contribuent pas dans la dérivée du cœfficient.
Il faut comprendre maintenant que les arêtes issue de ou arrivant sur ou contribuent pour la forme différentielle totale comme une dérivée sur . L’arête issue de va sur la racine d’un sous graphe de type Lie (et simple forcément). On va noter ce sous-graphe et on note le graphe obtenu en enlevant le sous-graphe et l’arête qui joint à (voir figure [8]). La forme associée au graphe type est une -forme à valeurs dans les -formes en . On peut donc intégrer cette -forme sur les configurations de points dans le demi-plan de Poincaré. On note la -forme obtenue après intégration. L’exposant est là pour rappeler qu’un point s’est agglutiné sur et qu’il y a une arête du point vers la racine de . De manière analogue on laissera un exposant dans le cas où un point s’agglutine sur . La proposition clé est la suivante.
Proposition 1.
On a .
Preuve: Il faut remarquer d’abord que les graphes et sont indépendants, c’est à dire que les seuls sommets d’intersection sont les points . Cela résulte de [AST] sur la nature géométrique des graphes dans le cas des algèbres de Lie.
Maintenant les termes qui contribuent pour la -forme en proviennent soit de soit de . Considérons une contribution issue de , on garde alors une des arêtes arrivant sur ou comme différentielle en , ce qui montre qu’il va nous manquer une dimension pour intégrer sur les configurations des sommets de . La conclusion est que pour les configurations des points de on intègre à constant, ce qui donne . Ce qui reste est alors le terme et qui contient toute la partie différentielle en .
Précisons ici que est bien une 1-forme en car il y a une arête de vers la racine du graphe et que l’on intègre sur les configurations des sommets de .
On regroupe maintenant tous les graphes simples qui dégénèrent de la même façon et contribuent comme .
Comment sont-ils obtenus?
Tout simplement en déployant les arêtes de qui arrivent sur . En effet si on déployait une arête de arrivant sur , soit le graphe obtenu ne serait pas simple (puisqu’il aurait deux racines), soit le graphe aurait une roue ce qui est exclu.
En examinant ce procédé au niveau des symboles, on constate que la contribution dans la somme partielle est précisément
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On a un terme analogue portant sur .
Notons la -forme la somme portant sur les graphes géométriques de type Lie et de manière analogue ( ces séries n’ont donc pas de termes constants).
On peut maintenant énoncer notre premier théorème
Théorème 1.
Les -formes et en sont données par des séries (de type Lie) convergentes à valeurs dans et vérifient
Preuve: Le fait que les séries soient convergentes en et dans un voisinage de résulte comme dans [ADS] ou [AST] de l’estimation des cœfficients (les formes à intégrer sont régulières sur des variétés à bord compactes). Compte tenu de la proposition précédente on a , vient alors
Par symétrie on a le résultat souhaité.
4.2 Commentaires et exemples
4.2.1 Graphe de Bernoulli
Notre but est de faire dans l’équation différentielle obtenue dans le théorème. On aura alors .
Regardons ce que donne le calcul de la différentielle sur les cœfficients qui déforment les nombres de Bernoulli apparaissant dans
le calcul à l’ordre en . Rappelons que dans la déformation
de Kashiwara-Vergne on avait déformé ces nombres en les
multipliant par .
La déformation est donnée par le graphe de la figure [9]. On note pour simplifier le cœfficient déformé.
Le long de la paupière supérieure de l’oeil c’est à dire quand le point est sur l’axe réel, le cœfficient vérifie une équation différentielle très simple. En effet on a alors avec l’angle entre et . La dérivée est donc représentée par le graphe de la figure [10]. En effet toutes les autres contractions d’arêtes vont donner car le point reste sur l’axe réel. Seule intervient la contraction de l’arête qui joint à .
Or la partie différentielle en provient de l’arête joignant et et qui représente clairement . Comme on l’a dit le reste des intégrations se fait à fixe, il vient donc
Ceci est conforme au résultat de [Ka] qui montre qu’on a
et il est bien connu les polynômes de Bernoulli vérifient
4.2.2 Contribution d’ordre en au point
En cherchant les termes d’ordre en dans on trouve alors deux types de contribution représentée par les graphes suivants qui sont clairement les seules façons de dégénérer les graphes associés au nombre de Bernoulli.
Le premier (figure [11]) correspond d’après le théorème 1 et la formule (28) à un terme du genre
c’est la dérivée le long de la paupière inférieure prise au point . On prendra garde que l’arête issue de ne donne pas car le point s’approche de l’axe réel mais pas forcément le long de l’axe réel.
Le deuxième (figure [12]) correspond à une contribution du genre
qui est la dérivée le long de la paupière supérieure prise au point .
On peut dire la chose suivante. La déformation des cœfficients est la moyenne des déformations le long des paupières. La déformation le long de la paupière supérieure est tout simplement la déformation des nombres de Bernoulli en les polynômes de Bernoulli, l’autre déformation reste encore mystérieuse.
Un calcul à la main, montre que si on normalise nos calculs tel que le graphe de la figure [13] corresponde à , alors la dérivée correspondant au graphe de la figure [14] vaut .
Toutefois ce calcul semble montrer que la déformation que nous proposons est différente au point de celle de Kashiwara-Vergne. En effet la différentielle en ce point n’a pas le même développement que pour .
4.2.3 Autre exemple de calcul des cœfficients
L’argument d’homotopie infinitésimal que nous avons utilisé pour établir d’équation différentielle vérifiée par la formule Campbell-Hausdorff, est clairement une application de la formule de Stokes. Nous expliquons maintenant une procédure pour calculer certains cœfficients associés à un graphe admissible . Nous renvoyons le lecteur à un prochain article dans lequel nous développerons cette technique concernant les poids associés à des graphes pertinents.
La procédure est la suivante. Ajoutons une arêtes au graphe. On a donc ajouté un point aérien et une arête. Il y a un écart d’une dimension entre la variété d’intégration et la forme différentielle associée au graphe. Appliquons la formule de Stokes pour ce graphe . On a alors la formule
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Cela revient à écrire que la somme des cœfficients associés aux graphes obtenus par contraction d’une arête est nulle. On obtient alors en général une relation non triviale entre cœfficients.
Une autre méthode consisterait à ajouter un point terrestre et à déplacer certaines arêtes arrivant sur par exemple vers ce point. On utilise alors la formule de Stokes, mais on prendra garde qu’il faut dans ce cas bien étudier la contribution de toutes les composantes de bord en particulier celles qui correspondent aux regroupement de point aériens sur l’axe réel (voir [MT] pour plus de détails) et il faut suivre aussi les orientations des faces (voir [AMM] pour des explications détaillées). Illustrons ceci par un exemple donné à la figure [15].
On retrouve alors l’identité , car le diagramme avec un point aérien et arêtes vaut .
4.3 La déformation et Campbell-Hausdorff
Comme on l’a annoncé en introduction, notre déformation n’est pas associative en général, c’est à dire que ce n’est pas une formule de Campbell-Hausdorff d’une algèbre de Lie. En effet une expression donnée par des polynômes de Lie qui définit une formule associative est forcément la formule de Campbell-Hausdorff de la structure de Lie déterminée par le terme en . C’est démontré dans [ABM], mais le résultat est sans doute connu depuis longtemps et on peut démontrer ceci par récurrence, en examinant les termes de type Bernoulli. En particulier, il suffit de vérifier dans la formule de , que les cœfficients associés aux termes de type Bernoulli, ne vérifient pas les relations escomptées. Comme le long de la paupière, ces cœefficients sont les polynômes de Bernoulli (au signe près), il suffit de constater que la relation n’est pas vérifiée. Par suite, cette relation n’est pas vérifiée sur un ouvert de la variété .
5 Déformation de la fonction de densité
5.1 Expression en terme de graphes
La fonction de densité est la fonction que nous avons introduite au début de cet article. Comme démontré dans [AST] cette fonction s’exprime simplement en terme de symboles de graphes. On a le résulta suivant
Proposition 2.
La fonction de densité vérifie
où la somme porte sur tous les graphes admissibles de type roue, id est sans composante simple de type Lie (par convention la série commence par 1).
Notons que la somme portent sur tous les “produits” de graphes simples de type roue et non pas seulement sur les graphes simples de type roue. Comme on l’a remarqué dans [AST] cela implique que cette fonction est l’exponentielle de
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mais où la somme porte uniquement sur les graphes simples géométriques de type roue (figure [5]). Bien sûr cette série est convergente dans un voisinage de en et .
5.2 Déformation de la fonction de densité
Effectuons la même procédure de déformation des cœfficients de type roue que dans le cas Campbell-Hausdorff. On note par analogie la fonction de densité obtenue par déformation des cœfficients. Il est plus facile de raisonner sur la somme (30) qui représente le formel de la fonction de densité.
On calcule ensuite la différentielle en comme précédemment.
Seules importent les contractions d’arêtes qui arrivent sur les points représentant , notre paramètre de déformation. En effet les autres contributions se compensent par Jacobi ou pour des raisons de dimension. Les graphes que l’on traite sont simples et n’ont donc qu’une seule roue. Par conséquent les graphes typiques que l’on obtient par contraction des arêtes sont de deux types. Le premier est comme dans la figure [16], avec un graphe simple de type Lie, une arête joignant (resp. ) au sommet de et un graphe simple de type roue. On note (resp. ) la -forme obtenue par intégration sur les configurations contenues dans et . Comme dans la proposition 1 la partie -forme en ne peut provenir que des arêtes de . On a donc encore une fois une situation produit.
La deuxième possibilité consiste en un graphe comme le précédent mais sans le sous-graphe . C’est la cas précédent avec . Dans ce cas on note (resp.) la -forme obtenue par intégration sur les configurations contenues dans .
Par conséquent les graphes simples qui dégénèrent en ces graphes typiques, sont comme précédemment obtenus par adjonction d’une arête au point (resp. ) soit sur le graphe soit sur le graphe . Toutefois si l’adjonction provient de et si n’est pas vide, le graphe en question n’est pas simple; Par conséquent quand est non vide, l’adjonction provient de . Lorsque est vide l’adjonction vient de . Par regroupement on obtient les contributions portant sur suivantes
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et
(32) |
On a des contributions analogues portant sur .
En conséquence on retrouve les -formes du théorème 1. Il vient maintenant le théorème suivant.
Théorème 2.
La fonction de densité se déforme naturellement en la fonction vérifiant
Preuve: On additionne les contributions précédentes. On remarque alors que l’on a raisonné sur le formel de , par conséquent la somme des contributions s’écrit
C’est la formule cherchée car on a
Comme on l’a dit dans l’introduction, nous travaillons au niveau des séries formelles mais on peut justifier la convergence en dans un voisinage de l’origine de sans difficulté comme dans [ADS].
5.3 Conclusion et preuve du théorème principal
Références
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