Sur certains espaces de Hilbert de fonctions entières, liés à la
transformation de Fourier et aux fonctions L de Dirichlet et de Riemann
Jean–François BURNOL
Mai 2001
Nous construisons dans un Espace de Sonine de fonctions entières un
sous-espace attaché à la fonction dzêta de Riemann et nous montrons que le
quotient contient des vecteurs intrinsèquement liés aux zéros non-triviaux
et à leurs multiplicités éventuelles.
Université de Nice Sophia-Antipolis Laboratoire J. A. Dieudonné, Mathématiques Parc Valrose F–06108 Nice cedex 02 France burnol@math.unice.fr
Cette Note a été présentée aux C. R. Acad. Sci., Paris, par le Professeur
Jean-Pierre KAHANE.
Let . The Mellin transform of a function is
defined, on the critical line and with the meaning of a
Plancherel isometry, through the formula . Let be the cosine transform (formally
.) Let and be two
strictly positive real numbers and let be the closed subspace of
consisting of functions with support in and such that
has its support in . It is known classically that
is a closed proper subspace of (see
[15], sect. 2.9, p. 126-127) hence that none of the ’s is
reduced to . The functions
on the critical line (for ) build (up to a trivial change of variable) a special case of a Sonine
Hilbert space as considered by De Branges in [13], and in particular it consists of
entire functions. We prove elementarily:
Théorème 1. The Mellin transforms of the
functions in are entire functions. They have at , ,
trivial zeros and these are their only common zeros (and are simple as such.)
We write for the euclidean scalar product . Let be the operator and let . The operator is unitary and satisfies . Let
and let . The Mellin transforms of elements from
are entire functions with trivial zeros at , . The
function satisfies the same functional equation as the Riemann zeta
function if and only if , and up to a sign if and only if . We prove:
Theorem 2. One has and
. For each , each complex number
, and each integer there is a unique vector in
such that the euclidean scalar product equals
for each . The
vectors , , are linearly independent, in
particular they are all non-vanishing.
Let and let be the vector space of smooth functions
with support in . Let be the operator . Let, for , .
Theorem 3. Let be the closure in of the
functions for . One has . A vector is perpendicular to if and
only if is a non-trivial zero of the zeta function of Riemann and
( = multiplicity of .)
The outlines of the proofs will be found in the french part of this Note. One
thus defines as the perpendicular complement to in
so that
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The
construction should be compared to the approach of Connes in [11], [12].
Conclusion. In the continuation of [4], [5], we have shown
that the scattering theory for the Fourier transform (which belongs to
Analysis) has arithmetical aspects, through exhibiting some natural Hilbert
spaces containing vectors intrinsically associated to the non-trivial zeros of
the Riemann zeta function (and to their multiplicities; this is a continuation
to [10].) It would be interesting to better understand the operator framework
behind this construction ([6],[7],[8].) The study of ,
, is a problem of the renormalization group
([16]), which appears to be linked to the problem of the nature of the zeta
function ([3].)
Dans la section intitulée “Espaces de Sonine” de son livre ([13])
De Branges associe des espaces de Hilbert de fonctions entières à la
transformation de Hankel d’ordre , . Lorsque la
transformation de Hankel est essentiellement la transformation en cosinus
agissant sur selon (formellement)
. Nous construisons dans la
présente Note des quotients de ces Espaces de Sonine (associés à )
qui contiennent des vecteurs intrinsèquement liés aux zéros non-triviaux
de la fonction dzêta de Riemann (et à leurs multiplicités éventuelles.)
Une description plus satisfaisante de cette construction est de nature
opératorielle, et nous reviendrons sur ce point dans un travail ultérieur.
1. Les espaces
Soit l’espace de Hilbert des fonctions à valeurs
complexes de carrés intégrables sur . Nous noterons
pour le produit scalaire euclidien .
Soit la transformation en cosinus agissant formellement selon
. Elle vérifie ,
. Soit agissant selon . Le composé est invariant et est donc
diagonalisé par l’isométrie de Mellin-Plancherel entre et l’espace des fonctions de carrés intégrables
sur pour la mesure . Le multiplicateur
spectral associé est la fonction . On a donc et, presque partout sur
la droite critique:
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Soient et deux nombres réels strictement positifs et considérons le
sous-espace fermé de des fonctions supportées par
et telles que soit supportée par . Il est
connu classiquement que est un sous espace
fermé propre de (voir [15], sect. 2.9, p. 126-127) et donc
que les espaces sont tous non-réduits à . Si est
presque partout nulle sur alors est analytique
dans le demi-plan , et par (1.1) si alors
existe en tant que fonction analytique dans . En fait:
Théorème 1.1. (voir [13]) Toute fonction d’un espace a une
transformée de Mellin qui est une fonction entière de .
Il suffirait de constater en effet que les fonctions
forment (à un changement de variables
près) un des Espaces de Sonine de fonctions entières considérés par
De Branges dans [13]. Mais pour établir en particulier le Théorème (1.5)
plus loin, nous ferons plutôt reposer la démonstration sur l’identité
élémentaire suivante, valable pour tout :
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Cette identité est tout d’abord établie pour
et donne le prolongement analytique de au moins au
demi-plan . Puis (par exemple) (1.1) donne le prolongement
analytique au plan complexe. L’équation (1.2) résulte du calcul
(immédiat) par intégration par parties:
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Avec et
on a la relation ci-dessus
entre et et aussi une relation entre et
qui établissent que ces fonctions sont des fonctions entières
de (pour chaque fixé) et aussi qu’elles sont sur
uniformément par rapport à lorsque est borné.
L’usage que nous ferons de ce dernier point est dans la continuation de [10]
(motivé par [2], Lemme 6.) Il va sans dire que ces calculs
simples (et ceux qui suivent) sont bien connus.
Soit une fonction infiniment dérivable à support compact dans
. Par Fubini on a pour puis pour tout
puisque les deux membres sont des fonctions entières de . Soit (pour .) Par Fubini on a
et donc
d’où par (1.1)
pour :
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Cette dernière formule montre que pour fixé est une fonction
analytique de dans , au moins pour distinct
de , , , …En utilisant le fait que a un pôle
simple en () avec un résidu égal à
, on voit de plus que diffère d’une
fonction entière de par un multiple non nul de et qu’elle
est donc également analytique en sur . On peut
affirmer, les seuls zéros de étant en , , , …,
que les seules fonctions entières en parmi les , ,
sont obtenues pour et que est
dans si et seulement si soit soit . Nous avons ainsi établi:
Lemme 1.2. La fonction pour
fixé est une fonction entière de .
Lemme 1.3. Pour fixé est
une fonction analytique de . Elle est entière
si et seulement si . Elle est sur
, et cela uniformément par rapport à lorsque est
borné. Pour , elle vaut , et est donc sur
et cela uniformément par rapport à pour . Elle
appartient à si et seulement si soit soit . On a pour .
Théorème 1.4. Soient , fixés. Les
transformées de Mellin des fonctions possèdent en
, , , …des zéros triviaux et ce sont leurs seuls zéros
communs.
Démonstration. Nous donnons ici une approche directe qui ne fait
pas appel aux résultats généraux de [13]. Le fait que
() pour tout se voit directement sur l’équation
(1.1.). Pour tout nombre complexe et toute fonction on a
avec
. Donc si est un zéro commun
à toutes les fonctions alors . Dans l’écriture (unique) correspondante la fonction est une fonction entière de et elle est
égale pour à qui est analytique sur . Elles sont donc égales et on en déduit que
appartient à . En particulier elle est dans ce qui
implique par ce qui précède soit soit
. Mais ce dernier cas est à exclure car alors
appartient à (et est non nulle).
L’équation (1.1) montre que , , , …sont simples en tant
que zéros communs aux fonctions pour . Il existe une
isométrie canonique entre et pour et nous supposerons dorénavant . Nous définissons des
fonctions sur et des vecteurs dans
pour et de la manière suivante:
avec, pour , et, pour ,
. Pour tout on
a pour et pour
on a . On notera en particulier la compensation
entre les pôles de et les zéros triviaux de .
Théorème 1.5. Soit . Les projections
orthogonales des vecteurs sur sont
linéairement indépendantes.
Démonstration. Supposons qu’une combinaison linéaire finie des
soit dans . Comme dans la démonstration précédente, la
combinaison linéaire correspondante des (qui est analytique en
sur ) doit être dans . Elle ne peut
être de carré intégrable au voisinage de l’origine que si il n’y a aucune
contribution d’un couple avec car alors
. On élimine pour la même raison les
couples vérifiant car alors a par le
Lemme (1.3) une singularité dominante pour du type
. On remarque finalement pour par
l’équation (1.1) l’identité qui montre que et ont la même projection sur . On est donc
ramené au cas précédemment éliminé.
2. Les espaces et les vecteurs
Il est naturel pour les développements ultérieurs de travailler
plutôt avec les fonctions , pour lesquelles les zéros triviaux
sont situés en , , , …. Soit (pour )
l’espace des fonctions dans presque partout nulles pour et dont
les images sous sont presque partout nulles pour .
On a avec et les
transformées de Mellin sont les fonctions , . L’unitaire vérifie et laisse stable
qui se décompose donc comme une somme perpendiculaire , les transformées de Mellin des fonctions invariantes sous
satisfaisant la même équation fonctionnelle que la fonction dzêta de
Riemann, tandis que celles dans la satisfont au signe près. Il
est clair que les espaces forment une chaîne croissante
d’espaces de Hilbert.
Proposition 2.1. On a et
.
La première assertion est immédiate, et pour la deuxième on peut par
exemple utiliser le fait que l’espace est invariant sous les
translations multiplicatives (), puisque pour et pour . Or si est une fonction
quelconque non-nulle de alors les zéros de sur la droite
critique forment un ensemble de mesure de Lebesgue nulle et par un théorème
de Wiener cela implique que les combinaisons linéaires de ses translatées
multiplicatives sont denses dans .
Au vu des zéros triviaux en , , …on associe à
non plus simplement mais la fonction entière
. L’espace de Hilbert des fonctions
entières pour est un Espace de Sonine au sens de
[13], [14] (ici, la droite critique joue le rôle de l’axe réel dans [13],
[14]). On dispose des équations fonctionnelles .
Proposition 2.2. Pour tout nombre complexe et pour tout
entier l’évaluation définit une forme
linéaire continue sur .
Cela découle des calculs précédant le Théorème (1.5) puisque ces
formes linéaires s’expriment (selon un système triangulaire) en fonction des
produits scalaires euclidiens avec les vecteurs (). Il existe donc un unique vecteur dans
tel que . Le noyau reproduisant (analytique) est un objet important de l’Analyse pour lequel la théorie
de De Branges donne une formule exacte à partir d’une certaine fonction
au sujet de laquelle nous souhaiterions pouvoir être plus
explicite. Les vecteurs sont reliés aux projections
orthogonales des vecteurs () sur
par un système triangulaire inversible et donc par le Théorème
(1.5):
Théorème 2.3. Les vecteurs pour ,
sont linéairement indépendants (en particulier ils sont tous non
nuls.)
3. Les espaces et pour
Soit et soit l’espace vectoriel des fonctions
infiniment différentiables et supportées par . La
transformée de Mellin d’une telle fonction est une
fonction entière. Le produit est une fonction
méromorphe, de carré intégrable sur la droite critique et qui est la
transformée de Mellin au sens de la fonction ([5].) Soit
l’opérateur différentiel invariant de multiplicateur spectral . Les
fonctions de dans l’image de sont exactement celles
vérifiant . On désignera par
l’adhérence dans des fonctions pour
.
Théorème 3.1. Soit . On a . Un vecteur est perpendiculaire à si
et seulement si est un zéro non-trivial de la fonction dzêta de
Riemann et ( = multiplicité de .)
Démonstration. On observe pour que
a son support dans . De plus est aussi dans
et donc a également son support dans
. La transformée de Mellin de est
et son image sous est
. Donc a comme transformée de Mellin
autrement dit . Il existe des fonctions
avec prenant des valeurs et des dérivées quelconques
en un nombre fini de nombres complexes fixés à l’avance et avec cela le
Théorème est démontré.
Définition 3.2. Soit . On désigne par
le complément orthogonal de dans .
On comparera à l’approche de Connes dans [11], [12]. On a donc
|
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On peut traiter de manière
analogue le cas d’une série
de Dirichlet pour les caractères primitifs et pairs. Il sera alors
inutile de se restreindre à et il faudra tenir compte du
conducteur . Pour une série associée à un caractère impair la
construction utilisera non plus mais la transformation en sinus
.
Dans la continuation de [4], [5], nous avons montré que
la théorie (appartenant à l’Analyse) de collision (scattering) pour
la transformation de Fourier a des aspects arithmétiques en associant de
manière intrinsèque un certain quotient à la fonction
dzêta de Riemann (pour ) et en montrant qu’il est lié à ses
zéros non-triviaux (et à leurs multiplicités éventuelles; ceci est dans
la continuation de [10].) Il serait intéressant de mieux comprendre ces
constructions en termes opératoriels ([6],[7],[8].) L’étude de
, de , et de est un problème de
groupe de renormalisation ([16]) qui semble relié à celui de la
nature de la fonction dzêta ([3].)
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