LYCEN 9419 Mai 1994



Supersymétrie et Mathématiques


Version étendue d’un exposé présenté

au Séminaire d’Analyse de l’Université Blaise Pascal

(Clermont-Ferrand 2) en mai 1993


François Gieres


Institut de Physique Nucléaire

Université Claude Bernard (Lyon 1)

43, boulevard du 11 novembre 1918

F - 69622 - Villeurbanne Cédex



Abstract


Nous présentons une introduction aux concepts de la supersymétrie par l’intermédiaire de trois exemples: (i) Mécanique quantique supersymétrique, (ii) Superalgèbres de Lie, (iii) Superconnexions de Quillen. Les points communs à toutes ces notions sont soulignés et des applications sont indiquées. En particulier nous esquissons la démonstration du théorème de Gauß et Bonnet d’après Patodi et la démonstration des inégalités de Morse d’après Witten.



Chapter 1 Introduction

Beaucoup de systèmes physiques sont invariants sous un certain ensemble de transformations continues qui engendrent un groupe de Lie. Ces symétries sont soit des symétries externes de nature géométrique (c’est-à-dire liées à la structure géométrique de l’espace-temps), soit des symétries internes (c’est-à-dire liées aux degrés de liberté internes comme la charge électrique, l’isospin, …). Dans tous les cas, l’étude mathématique de ces groupes d’invariance, leur introduction dans les théories physiques et l’exploration de leurs conséquences représentent des problèmes mathématiques intéressants.

En fait, ce n’est pas un hasard si l’introduction et l’étude de nouvelles symétries en physique ont toujours conduit à un rapprochement avec les mathématiques et à des interactions très fructueuses entre les sciences physiques et mathématiques. Ceci a été le cas pour les transformations de Lorentz et de Poincaré en Relativité Restreinte (Lorentz, Poincaré, Einstein, Minkowski, …), pour les transformations de coordonnées générales en Relativité Générale (Einstein, Hilbert, Weyl, Birkhoff, …) ou pour la représentation des symétries en théorie quantique (Weyl, Stone, von Neumann, Wigner, Bargmann, Mackey, …). Ces exemples concernent le début de ce siècle et donc une époque où les sciences étaient encore moins “compartimentées”. Vint ensuite la période Bourbaki en mathématiques et la poursuite d’une approche pragmatique en physique (à savoir avec le développement de la théorie des champs qui a permis de faire des prédictions spectaculairement précises et bien confirmées par l’expérience tout en reposant sur des fondements mathématiques très douteux). Cependant les esprits se sont de nouveaux rapprochés durant la dernière trentaine d’années et en partie grâce à l’introduction de nouvelles symétries. Citons l’exemple des théories de jauge qui décrivent les symétries internes et pour lesquelles les concepts de base ont été développé de manière indépendante en mathématiques (Ehresmann, Whitney, Koszul, Chern, …) et en physique (Yang, Mills, …). Des exemples très récents sont ceux des algèbres de symétrie de dimension infinie et de leurs extensions centrales (Witt, Virasoro, Gelfand, Kac, Moody, …), des groupes quantiques (Kulish, Reshetikhin, Sklyanin, Drinfeld, Jimbo, Woronowicz, …) ou des espaces de modules (Riemann, Teichmüller, …) qui jouent un rôle important dans la théorie des cordes actuellement discutée en physique.

Et puis il y a l’exemple auquel le présent exposé est consacré: la supersymétrie. En gros, “super” signifie 𝐙2subscript𝐙2{\bf Z}_{2}-gradué. Cette graduation par le groupe 𝐙2subscript𝐙2{\bf Z}_{2} intervient de manière naturelle en mathématiques, par exemple dans l’algèbre de Grassmann (algèbre des formes différentielles) et aussi en physique, si l’on considère les champs spinoriels (comme celui de l’électron) comme des variables grassmanniennes. Ainsi il n’est pas étonnnant que les extensions 𝐙2subscript𝐙2{\bf Z}_{2}-graduées de l’algèbre linéaire et de la géométrie différentielle aient été développées de manière simultanée et plus ou moins indépendante par les physiciens et mathématiciens.

De la multitude des notions et applications de la supersymétrie nous en avons choisi trois qui sont conceptuellement simples et qui concernent des domaines différents. Elles sont discutées dans les trois chapitres suivants qui sont essentiellement indépendants entre eux. En guise de conclusion nous donnerons un bref aperçu des extensions 𝐙2subscript𝐙2{\bf Z}_{2}-graduées dans d’autres domaines des mathématiques tout en mentionnant quelques ouvrages concernant les applications en physique.

Chapter 2 Mécanique Quantique Supersymétrique

2.1 Quelques motivations

Pour comprendre le formalisme mathématique de la mécanique quantique supersymétrique (MQSUSY), il n’est pas nécessaire de connaître le cadre physique correspondant. Néanmoins, pour motiver un peu les définitions que nous allons introduire et les questions que nous allons étudier, nous rappelons d’abord quelques idées physiques concernant la quantification d’un système avec un nombre fini de degrés de liberté [mll, jmj]. A cet effet nous partirons d’un système dynamique très simple de la mécanique classique à une dimension, à savoir l’oscillateur harmonique.

Considérons un point de masse m0𝑚0m\neq 0 fixé à un ressort supposé sans masse:

Supposons que la position de repos de la masse corresponde à la coordonnée x=0𝑥0x=0 sur une échelle rectiligne. Si on étire le ressort, alors il réagit avec une force de rappel qui est proportionnelle à l’élongation, F=kx𝐹𝑘𝑥F=-kx (k𝑘k étant une constante positive). S’il n’y a pas de friction, l’équation de mouvement newtonienne du point de masse est donnée par

mx¨=kxavecx¨(t)=d2xdt2(t).formulae-sequence𝑚¨𝑥𝑘𝑥avec¨𝑥𝑡superscript𝑑2𝑥𝑑superscript𝑡2𝑡m\ddot{x}=-kx\qquad{\rm avec}\quad\ddot{x}(t)=\frac{d^{2}x}{dt^{2}}(t)\ \ . (2.1)

Elle peut encore s’écrire comme

x¨+ω2x=0avecω=km.formulae-sequence¨𝑥superscript𝜔2𝑥0avec𝜔𝑘𝑚\ddot{x}+\omega^{2}x=0\qquad{\rm avec}\quad\omega=\sqrt{\frac{k}{m}}\ \ .

En multipliant l’équation (2.1) par x˙˙𝑥\dot{x}, nous obtenons

ddt(12mx˙2+12kx2)=0.𝑑𝑑𝑡12𝑚superscript˙𝑥212𝑘superscript𝑥20\frac{d\ }{dt}\left({1\over 2}m\dot{x}^{2}+{1\over 2}kx^{2}\right)=0\ \ .

Donc l’énergie mécanique du système,

Ecl=12mx˙2+V(x)avecV(x)=12kx2,formulae-sequencesubscript𝐸cl12𝑚superscript˙𝑥2𝑉𝑥avec𝑉𝑥12𝑘superscript𝑥2E_{\rm cl}={1\over 2}\,m\dot{x}^{2}+V(x)\qquad{\rm avec}\quad V(x)={1\over 2}\,kx^{2}\ \ ,

(qui est la somme de l’énergie cinétique et de l’énergie potentielle V(x)𝑉𝑥V(x)) est conservée au cours du temps. Il est utile d’exprimer cette quantité en fonction des variables de position x𝑥x et d’impulsion p=mx˙𝑝𝑚˙𝑥p=m\dot{x} :

Ecl=12mp2+V(x).subscript𝐸cl12𝑚superscript𝑝2𝑉𝑥E_{\rm cl}={1\over 2m}\,p^{2}+V(x)\ \ . (2.2)

Ainsi, pour une énergie totale Ecl0subscript𝐸cl0E_{{\rm cl}}\geq 0 donnée, on a un mouvement oscillatoire pour lequel la somme des énergies cinétique et potentielle est toujours égale à Eclsubscript𝐸clE_{\rm cl}:

Du point de vue mathématique la quantification de ce système classique revient à remplaçer les variables x,p𝑥𝑝x,p par des opérateurs linéaires x^,p^^𝑥^𝑝\hat{x},\hat{p} agissant sur un espace de Hilbert séparable {\cal H}. Dans la représentation dite de Schrödinger, on choisit =2(𝐑,dx)superscript2𝐑𝑑𝑥{\cal H}={\cal L}^{2}({\bf R},dx), c’est-à-dire l’espace de Hilbert associé à l’espace vectoriel complexe des fonctions f:𝐑𝐂:𝑓𝐑𝐂f:{\bf R}\to{\bf C} pour lesquelles f2superscriptdelimited-∣∣𝑓2\mid f\mid^{2} est sommable sur 𝐑𝐑{\bf R} par rapport à la mesure de Lebesgue. La variable classique x𝑥x devient alors l’opérateur x^^𝑥\hat{x} de multiplication par x𝑥x et p𝑝p devient l’opérateur différentiel p^=i/x^𝑝𝑖Planck-constant-over-2-pi𝑥\hat{p}=-i\hbar\,\partial/\partial xPlanck-constant-over-2-pi\hbar est la constante de Planck divisée par 2π2𝜋2\pi. Comme ces opérateurs ne sont pas bornés, ils ne peuvent pas être définis sur tout l’espace {\cal H}, mais seulement sur des sous-espaces denses de {\cal H}. Cependant nous allons ignorer ce point dans notre illustration.

Alors que x𝑥x et p𝑝p commutent entre eux, les opérateurs associés satisfont les relations de commutation canoniques de Heisenberg,

[p^,x^]p^x^x^p^=i 1,^𝑝^𝑥^𝑝^𝑥^𝑥^𝑝Planck-constant-over-2-pi𝑖1[\,\hat{p}\,,\,\hat{x}\,]\equiv\hat{p}\hat{x}-\hat{x}\hat{p}={\hbar\over i}\,{\bf 1}\ \ , (2.3)

𝟏1{\bf 1} dénote l’opérateur identité sur {\cal H}. Supposons maintenant que les “fonctions d’onde” ψ2(𝐑,dx)𝜓superscript2𝐑𝑑𝑥\psi\in{\cal L}^{2}({\bf R},dx) dépendent non seulement de x𝑥x, mais aussi (de façon paramétrique et différentiable) de la variable de temps t𝐑𝑡𝐑t\in{\bf R} :

ψ𝜓\displaystyle\psi ::\displaystyle: 𝐑×𝐑𝐂𝐑𝐑𝐂\displaystyle{\bf R}\times{\bf R}\ \to\ {\bf C}
(x,t)ψ(x,t)ψt(x)avecψt2(𝐑,dx).\displaystyle\ (x,t)\ \ \,\mapsto\ \psi(x,t)\equiv\psi_{t}(x)\qquad{\rm avec}\quad\psi_{t}\in{\cal L}^{2}({\bf R},dx)\ \ .

Avec l’hypothèse suivant laquelle la variable d’énergie Eclsubscript𝐸clE_{\rm cl} devient l’opérateur i/t𝑖Planck-constant-over-2-pi𝑡i\hbar\,\partial/\partial t de translation dans le temps dans la théorie quantique, nous trouvons alors que l’expression (2.2) pour l’énergie classique conduit à l’équation de Schrödinger :

H^ψt=iψtt^𝐻subscript𝜓𝑡𝑖Planck-constant-over-2-pisubscript𝜓𝑡𝑡\hat{H}\psi_{t}=i\hbar\,\frac{\partial\psi_{t}}{\partial t} (2.4)

avec

H^=12mp^2+V(x^)=22m2x2+k2x^2.^𝐻12𝑚superscript^𝑝2𝑉^𝑥superscriptPlanck-constant-over-2-pi22𝑚superscript2superscript𝑥2𝑘2superscript^𝑥2\hat{H}={1\over 2m}\,\hat{p}^{2}+V(\hat{x})=\frac{-\hbar^{2}}{2m}\;\frac{\partial^{2}\ }{\partial x^{2}}+{k\over 2}\,\hat{x}^{2}\ \ . (2.5)

Ceci est l’équation d’évolution dans le temps de la théorie quantique et H^^𝐻\hat{H} s’appelle l’opérateur hamiltonien ou le hamiltonien du système considéré.

Intéressons nous maintenant aux états stationnaires φ(x)𝜑𝑥\varphi(x), c’est à dire à des fonctions d’onde correspondant à une énergie E𝐑𝐸𝐑E\in{\bf R} fixée. On les obtient en substituant

ψt(x)=exp(iEt)φ(x)subscript𝜓𝑡𝑥exp𝑖Planck-constant-over-2-pi𝐸𝑡𝜑𝑥\psi_{t}(x)={\rm exp}\left(-\frac{i}{\hbar}Et\right)\varphi(x)

dans l’équation de Schrödinger; il s’ensuit que

H^φ=Eφ.^𝐻𝜑𝐸𝜑\hat{H}\varphi=E\varphi\ \ . (2.6)

Ainsi nous sommes amenés au problème mathématique suivant: considérons un opérateur linéaire auto-adjoint H^^𝐻\hat{H} défini sur un sous-espace dense 𝒟(H^)𝒟^𝐻{\cal D}(\hat{H}) d’un espace de Hilbert séparable {\cal H} et déterminons ses valeurs propres E𝐑𝐸𝐑E\in{\bf R} ainsi que ses fonctions propres φ𝒟(H^)𝜑𝒟^𝐻\varphi\in{\cal D}(\hat{H}). Pour notre exemple de l’oscillateur harmonique, la réponse est bien connue: il existe un nombre dénombrable de valeurs propres et elles sont données par

En=ω(n+12)avecn𝐍.formulae-sequencesubscript𝐸𝑛Planck-constant-over-2-pi𝜔𝑛12avec𝑛𝐍E_{n}=\hbar\omega(n+{1\over 2})\qquad\quad{\rm avec}\quad n\in{\bf N}\ \ . (2.7)

Par conséquent, un oscillateur harmonique à l’échelle d’énergie ωPlanck-constant-over-2-pi𝜔\hbar\omega définie par la constante de Planck possède des niveaux d’énergie quantifiés: seulement des valeurs discrètes sont permises pour E𝐸E. En particulier la plus petite valeur possible est E0=12ωsubscript𝐸012Planck-constant-over-2-pi𝜔E_{0}={1\over 2}\hbar\omega qui est donc plus grande que zéro (zéro correspondrait à la position de repos). La vie dans le monde quantique n’est pas facile, il n’y a point de repos!

Tous ces détails n’ont d’autres objectifs que de rappeler des souvenirs et d’illustrer les conséquences physiques dramatiques de quelques équations mathématiques plutôt banales et innocentes!

2.2 Mécanique Quantique Supersymétrique

Comme nous ne reviendrons plus à la mécanique classique dans la suite, nous supprimerons désormais les chapeaux sur les opérateurs.

La MQSUSY consiste dans l’étude de systèmes physiques décrits par des opérateurs hamiltoniens de la forme H=Q2𝐻superscript𝑄2H=Q^{2} sur un espace de Hilbert {\cal H} admettant une décomposition par 𝐙2subscript𝐙2{\bf Z}_{2}, c’est-à-dire {\cal H} est de la forme =bfdirect-sumsubscript𝑏subscript𝑓{\cal H}={\cal H}_{b}\oplus{\cal H}_{f}. Ces systèmes admettent un grand nombre d’applications en physique et en mathématiques. Ici nous allons uniquement exposer quelques aspects mathématiques tout en nous basant sur la référence [bs] et tout en renvoyant le lecteur intéressé aux travaux [mqs] pour les applications en physique. Concernant ces dernières nous remarquons seulement que H=Q2𝐻superscript𝑄2H=Q^{2} implique [H,Q]=0𝐻𝑄0[H,Q]=0, c’est-à-dire H𝐻H est invariant sous les transformations générées par Q𝑄Q: cette symétrie de H𝐻H permet d’expliquer certaines dégénérescences dans le spectre de H𝐻H et elle permet d’appliquer des méthodes algébriques pour déterminer ce spectre.

Définition 2.2.1

Considérons un espace de Hilbert séparable {\cal H}. Soient H,P,Q𝐻𝑃𝑄H,P,Q des opérateurs linéaires auto-adjoints sur {\cal H} et soit P𝑃P borné 111En général H𝐻H et Q𝑄Q ne sont pas bornés et il n’est donc pas possible de les définir sur tout l’espace {\cal H}, mais seulement sur des sous-espaces denses de {\cal H} sur lesquels ces opérateurs sont essentiellement auto-adjoints [rs].. On dit que le système (H,P,Q)𝐻𝑃𝑄(H,P,Q) est supersymétrique, si

H𝐻\displaystyle H =\displaystyle= Q2superscript𝑄2\displaystyle Q^{2}
P2superscript𝑃2\displaystyle P^{2} =\displaystyle= 𝟏1\displaystyle{\bf 1} (2.8)
{Q,P}𝑄𝑃\displaystyle\{Q,P\} \displaystyle\equiv QP+PQ=0.𝑄𝑃𝑃𝑄0\displaystyle QP+PQ=0\ \ .

H𝐻H s’appelle le hamiltonien, Q𝑄Q l’opérateur de supersymétrie et P𝑃P l’involution.

Les crochets [,][\ ,\ ] et {,}\{\ ,\ \} définis sur l’algèbre des opérateurs par les expressions (2.3) et (2.8) sont appelés commutateur et anticommutateur, respectivement.

Comme H=Q2𝐻superscript𝑄2H=Q^{2}, un système supersymétrique est déjà spécifié par la donnée de P𝑃P et Q𝑄Q; cependant l’objet d’intérêt principal est le hamiltonien H𝐻H et il est donc naturel de l’inclure dans la définition. La relation de base H=Q2𝐻superscript𝑄2H=Q^{2} peut aussi s’écrire comme

{Q,Q}=2H𝑄𝑄2𝐻\{Q,Q\}=2H (2.9)

et c’est précisement cette équation qui a été à l’origine de toutes les théories supersymétriques [gl, wz] et en particulier de la MQSUSY [w1]. En effet cette relation correspond à une représentation de la superalgèbre de Poincaré en dimension d’espace-temps 0+1010+1, voir section 3.4.

Les relations (2.8) ont des conséquences multiples que nous allons élaborer maintenant. Le produit scalaire entre φ,ψ𝜑𝜓\varphi,\psi\in{\cal H} sera noté par φ,ψ𝜑𝜓\langle\varphi,\psi\rangle et la norme induite du vecteur φ𝜑\varphi par φnorm𝜑\|\varphi\|.

(1) Comme Q𝑄Q est auto-adjoint et H=Q2𝐻superscript𝑄2H=Q^{2}, on a

H0,𝐻0H\geq 0\ \ , (2.10)

car φ,Hφ=Qφ,Qφ=Qφ20𝜑𝐻𝜑𝑄𝜑𝑄𝜑superscriptnorm𝑄𝜑20\langle\varphi,H\varphi\rangle=\langle Q\varphi,Q\varphi\rangle=\|Q\varphi\|^{2}\geq 0.

(2) Comme mentionné en haut, H=Q2𝐻superscript𝑄2H=Q^{2} implique

[H,Q]=0.𝐻𝑄0[H,Q]=0\ \ . (2.11)

Par ailleurs, de {Q,P}=0𝑄𝑃0\{Q,P\}=0 nous déduisons que

[H,P]=0.𝐻𝑃0[H,P]=0\ \ . (2.12)

(3) De P2=𝟏superscript𝑃21P^{2}={\bf 1} il suit que l’involution P𝑃P admet pour seules valeurs propres ±1plus-or-minus1\pm 1. Elle induit une décomposition (graduation par 𝐙2subscript𝐙2{\bf Z}_{2}) de l’espace de Hilbert {\cal H}: si φ𝜑\varphi\in{\cal H}, alors

φ𝜑\displaystyle\varphi =\displaystyle= 12(φ+Pφ)+12(φPφ)12𝜑𝑃𝜑12𝜑𝑃𝜑\displaystyle{1\over 2}\,(\varphi+P\varphi)+{1\over 2}\,(\varphi-P\varphi)
\displaystyle\equiv φb+φf.subscript𝜑𝑏subscript𝜑𝑓\displaystyle\varphi_{b}+\varphi_{f}\ \ .

Donc,

=bf,direct-sumsubscript𝑏subscript𝑓{\cal H}={\cal H}_{b}\oplus{\cal H}_{f}\ \ , (2.13)

avec

bsubscript𝑏\displaystyle{\cal H}_{b} =\displaystyle= {φPφ=+φ}conditional-set𝜑𝑃𝜑𝜑\displaystyle\{\varphi\in{\cal H}\,\mid\,P\varphi=+\varphi\}
fsubscript𝑓\displaystyle{\cal H}_{f} =\displaystyle= {φPφ=φ}.conditional-set𝜑𝑃𝜑𝜑\displaystyle\{\varphi\in{\cal H}\,\mid\,P\varphi=-\varphi\}\ \ .

Motivé par le rôle de l’opérateur Q𝑄Q en physique des particules, on appelle les vecteurs de bsubscript𝑏{\cal H}_{b} (resp. fsubscript𝑓{\cal H}_{f}) les états bosoniques ou pairs (resp. fermioniques ou impairs). Avec cette décomposition l’opérateur P𝑃P s’écrit suivant

P=[𝟏b00𝟏f].𝑃delimited-[]subscript1𝑏00subscript1𝑓P=\left[\begin{array}[]{cc}{\bf 1}_{b}&0\\ 0&-{\bf 1}_{f}\end{array}\right]\ \ .

(4) L’involution P𝑃P induit aussi une décomposition sur l’algèbre des opérateurs agissant sur {\cal H}. Soit

K=[ABCD]𝐾delimited-[]𝐴𝐵𝐶𝐷K=\left[\begin{array}[]{cc}A&B\\ C&D\end{array}\right]

un opérateur agissant sur =bfdirect-sumsubscript𝑏subscript𝑓{\cal H}={\cal H}_{b}\oplus{\cal H}_{f}. Alors

[P,K]=0K=[A00D]formulae-sequence𝑃𝐾0𝐾delimited-[]𝐴00𝐷[P,K]=0\qquad\Longleftrightarrow\qquad K=\left[\begin{array}[]{cc}A&0\\ 0&D\end{array}\right] (2.14)

et

{P,K}=0K=[0BC0].formulae-sequence𝑃𝐾0𝐾delimited-[]0𝐵𝐶0\ \ \{P,K\}=0\qquad\Longleftrightarrow\qquad K=\left[\begin{array}[]{cc}0&B\\ C&0\end{array}\right]\ \ . (2.15)

En analogie avec la terminologie introduite pour les états, les opérateurs qui commutent avec l’involution P𝑃P sont appelés opérateurs bosoniques ou pairs alors que ceux qui anticommutent avec P𝑃P sont dits fermioniques ou impairs. Par exemple, le hamiltonien H𝐻H est pair et l’opérateur de supersymétrie Q𝑄Q impair.

L’involution P𝑃P sur {\cal H} induit donc une graduation sur l’algèbre des opérateurs linéaires définis sur {\cal H}. Sur cette algèbre graduée on peut alors définir un commutateur gradué dont le commutateur et l’anticommutateur considérés ci-dessus sont des cas particuliers, voir section 3.2, équation (LABEL:scl).

(5) Comme Q𝑄Q est auto-adjoint (Q=Qsuperscript𝑄𝑄Q^{\ast}=Q) et anticommute avec P𝑃P, il suit du raisonnement précédent que

Q=[0AA0],𝑄delimited-[]0superscript𝐴𝐴0Q=\left[\begin{array}[]{cc}0&A^{\ast}\\ A&0\end{array}\right]\ \ , (2.16)

A𝐴A est un opérateur linéaire. Appliquons maintenant Q𝑄Q à un vecteur de {\cal H}:

Qφ=[0AA0][φbφf]=[AφfAφb].𝑄𝜑delimited-[]0superscript𝐴𝐴0delimited-[]subscript𝜑𝑏subscript𝜑𝑓delimited-[]superscript𝐴subscript𝜑𝑓𝐴subscript𝜑𝑏Q\varphi=\left[\begin{array}[]{cc}0&A^{\ast}\\ A&0\end{array}\right]\left[\begin{array}[]{c}\varphi_{b}\\ \varphi_{f}\end{array}\right]=\left[\begin{array}[]{c}A^{\ast}\varphi_{f}\\ A\varphi_{b}\end{array}\right]\ \ .

Ceci étant de nouveau un vecteur de bfdirect-sumsubscript𝑏subscript𝑓{\cal H}_{b}\oplus{\cal H}_{f}, nous concluons que

Q𝑄\displaystyle Q ::\displaystyle: bfsubscript𝑏subscript𝑓\displaystyle{\cal H}_{b}\ \to\ {\cal H}_{f} (2.17)
Q𝑄\displaystyle Q ::\displaystyle: fb,subscript𝑓subscript𝑏\displaystyle{\cal H}_{f}\ \to\ {\cal H}_{b}\ \ ,

ce qui veut dire que

Q échange les états bosoniques et fermioniques.Q échange les états bosoniques et fermioniques\framebox{\mbox{$Q$ \'{e}change les \'{e}tats bosoniques et fermioniques}}\ .

C’est cette propriété fondamentale de Q𝑄Q qui a motivé la terminologie opérateur de ‘supersymétrie’.

Notons aussi que (2.16) implique que H𝐻H a la forme suivante:

H=[AA00AA].𝐻delimited-[]superscript𝐴𝐴00𝐴superscript𝐴H=\left[\begin{array}[]{cc}A^{\ast}A&0\\ 0&AA^{\ast}\\ \end{array}\right]\ \ . (2.18)

(6) Pour conclure, nous en venons à la propriété fondamentale de tout système supersymétrique. Supposons que

Hφ=EφavecE>0.formulae-sequence𝐻𝜑𝐸𝜑avec𝐸0H\varphi=E\varphi\qquad{\rm avec}\qquad E>0\ \ .

En appliquant l’opérateur Q𝑄Q à cette relation et en utilisant que [H,Q]=0𝐻𝑄0[H,Q]=0, nous trouvons que

H(Qφ)=E(Qφ).𝐻𝑄𝜑𝐸𝑄𝜑H(Q\varphi)=E(Q\varphi)\ \ .

Donc, si φ𝜑\varphi est un vecteur propre de H𝐻H, alors Qφ𝑄𝜑Q\varphi est aussi un vecteur propre pour la même valeur propre E>0𝐸0E>0. (Remarquons que ce raisonnement n’est pas valable pour la valeur propre nulle : la relation Hφ=0𝐻𝜑0H\varphi=0 implique

0=φ,Hφ=φ,Q2φ=Qφ,Qφ=Qφ2,0𝜑𝐻𝜑𝜑superscript𝑄2𝜑𝑄𝜑𝑄𝜑superscriptnorm𝑄𝜑20=\langle\varphi,H\varphi\rangle=\langle\varphi,Q^{2}\varphi\rangle=\langle Q\varphi,Q\varphi\rangle=\|Q\varphi\|^{2}\ \ ,

donc Qφ=0𝑄𝜑0Q\varphi=0 et zéro n’est pas un vecteur propre par définition.)

Comme on l’a montré plus haut, φb𝜑subscript𝑏\varphi\in{\cal H}_{b} (resp. fsubscript𝑓{\cal H}_{f}) implique Qφf𝑄𝜑subscript𝑓Q\varphi\in{\cal H}_{f} (resp. bsubscript𝑏{\cal H}_{b}). Ainsi nous avons dérivé le résultat suivant :

Théorème 2.2.1 (Propriété fondamentale d’un syst. supersymétrique)

Pour un système supersymétrique les valeurs propres non nulles du hamiltonien H𝐻H admettent le même nombre de vecteurs propres bosoniques et fermioniques:

dimKer[(HE)b]=dimKer[(HE)f].{\rm dim\ Ker\ }\left[(H-E)\lceil{\cal H}_{b}\right]={\rm dim\ Ker\ }\left[(H-E)\lceil{\cal H}_{f}\right]\ \ . (2.19)

Ici nous avons utilisé la notation

φKer[(HE)i](HE)φ=0etφi(i{b,f}).\varphi\in{\rm Ker}\,\left[(H-E)\lceil{\cal H}_{i}\right]\quad\Longleftrightarrow\quad(H-E)\varphi=0\quad{\rm et}\quad\varphi\in{\cal H}_{i}\quad(i\in\{b,f\})\ \ .

D’une manière générale la restriction d’un opérateur linéaire A𝐴A sur {\cal H} à un sous-espace 𝒢𝒢{\cal G} de {\cal H} sera notée par A𝒢A\lceil{\cal G}.

Remarquons que la formule (2.19) pour le spectre de H𝐻H peut être présentée d’une manière plus rigoureuse en utilisant les projecteurs PΔsubscript𝑃ΔP_{\Delta} sur {\cal H} qui définissent la décomposition spectrale de H𝐻H (c’est-à-dire H=𝐑𝑑λλPλ𝐻subscript𝐑differential-d𝜆𝜆subscript𝑃𝜆H=\int_{{\bf R}}d\lambda\ \lambda\ P_{\lambda}) : ainsi (2.19) s’écrit

dim[PΔb]=dim[PΔf]{\rm dim}\ \left[P_{\Delta}\lceil{\cal H}_{b}\right]={\rm dim}\ \left[P_{\Delta}\lceil{\cal H}_{f}\right]

pour tout sous-ensemble ΔΔ\Delta ouvert et borné de l’intervalle (0,)0(0,\infty).

2.2.1 Exemple : Opérateur de Lapace et Beltrami

Soit M𝑀M une variété qui a toutes les bonnes propriétés que l’on puisse souhaiter: c’est une variété réelle de type Csuperscript𝐶C^{\infty}, de dimension finie n𝑛n, sans bord, compacte, riemannienne et orientée.

Sur cette variété nous considérons le fibré vectoriel des formes différentielles. Soit ΛpMsuperscriptΛ𝑝𝑀\Lambda^{p}M l’espace vectoriel des sections de type Csuperscript𝐶C^{\infty} dans ce fibré: en terme de coordonnées locales (x1,,xn)subscript𝑥1subscript𝑥𝑛(x_{1},...,x_{n}) définies dans un voisinage d’un point xM𝑥𝑀x\in M, un élément de ΛpMsuperscriptΛ𝑝𝑀\Lambda^{p}M est donné par

α(x)=1i1<<ipnαi1ip(x)dxi1dxip.𝛼𝑥subscript1subscript𝑖1subscript𝑖𝑝𝑛subscript𝛼subscript𝑖1subscript𝑖𝑝𝑥𝑑superscript𝑥subscript𝑖1𝑑superscript𝑥subscript𝑖𝑝\alpha(x)=\sum_{1\leq i_{1}<...<i_{p}\leq n}\alpha_{i_{1}...i_{p}}(x)\ dx^{i_{1}}\wedge...\wedge dx^{i_{p}}\ \ .

Une métrique riemannienne g𝑔g sur M𝑀M induit une métrique g~~𝑔\tilde{g} sur ΛpMsuperscriptΛ𝑝𝑀\Lambda^{p}M. En utilisant la norme associée à g~~𝑔\tilde{g} on peut compléter ΛpMsuperscriptΛ𝑝𝑀\Lambda^{p}M pour obtenir un espace de Hilbert que nous dénotons ΛpM¯¯superscriptΛ𝑝𝑀\overline{\Lambda^{p}M}. Dans la suite nous n’allons pas toujours explicitement écrire la barre, parce qu’elle n’est pas essentielle dans la plupart des raisonnements que nous allons faire.

Les opérateurs de différentiation et de codifférentiation des formes différentielles sont notés par d𝑑d et dsuperscript𝑑d^{\ast},

d𝑑\displaystyle d ::\displaystyle: ΛpMΛp+1MsuperscriptΛ𝑝𝑀superscriptΛ𝑝1𝑀\displaystyle\Lambda^{p}M\ \longrightarrow\ \Lambda^{p+1}M
dsuperscript𝑑\displaystyle d^{\ast} ::\displaystyle: ΛpMΛp1M,superscriptΛ𝑝𝑀superscriptΛ𝑝1𝑀\displaystyle\Lambda^{p}M\ \longrightarrow\ \Lambda^{p-1}M\ \ ,

dsuperscript𝑑d^{\ast} étant l’adjoint de d𝑑d par rapport à la métrique g~~𝑔\tilde{g}.

Sur =p=0nΛpM¯superscriptsubscriptdirect-sum𝑝0𝑛¯superscriptΛ𝑝𝑀{\cal H}=\oplus_{p=0}^{n}\,\overline{\Lambda^{p}M} nous introduisons le système supersymétrique de Laplace et Beltrami:

Q𝑄\displaystyle Q =\displaystyle= d+d𝑑superscript𝑑\displaystyle d+d^{\ast}
PΛpM¯\displaystyle P\lceil\,\overline{\Lambda^{p}M} =\displaystyle= (1)p 1superscript1𝑝1\displaystyle(-1)^{p}\,{\bf 1} (2.20)
L𝐿\displaystyle L =\displaystyle= Q2=dd+dd.superscript𝑄2𝑑superscript𝑑superscript𝑑𝑑\displaystyle Q^{2}=dd^{\ast}+d^{\ast}d\ \ .

Le hamiltonien de ce système est donc l’opérateur de Laplace et Beltrami L𝐿L (associé à la métrique g𝑔g). Pour en avoir une idée un peu plus concrète nous rappelons que dans un système de coordonnées locales (x1,,xn)subscript𝑥1subscript𝑥𝑛(x_{1},...,x_{n}) l’action de L𝐿L sur une fonction fΛ0M=C(M)𝑓superscriptΛ0𝑀superscript𝐶𝑀f\in\Lambda^{0}M=C^{\infty}(M) est donnée par

Lf=i,j=1n1detgxi(detggijfxj),𝐿𝑓superscriptsubscript𝑖𝑗1𝑛1det𝑔subscript𝑥𝑖det𝑔superscript𝑔𝑖𝑗𝑓subscript𝑥𝑗Lf=\sum_{i,j=1}^{n}\frac{1}{\sqrt{{\rm det}\,g}}\ \frac{\partial\ }{\partial x_{i}}\left(\sqrt{{\rm det}\,g}\,g^{ij}\,\frac{\partial f}{\partial x_{j}}\right)\ \ ,

(gij)superscript𝑔𝑖𝑗\left(g^{ij}\right) et detgdet𝑔{\rm det}\,g sont respectivement la matrice inverse et le déterminant de la matrice avec les éléments gij=g(/xi,/xj)subscript𝑔𝑖𝑗𝑔subscript𝑥𝑖subscript𝑥𝑗g_{ij}=g(\partial/\partial x_{i}\,,\,\partial/\partial x_{j}).

Vérifions que le système (2.20) satisfait bien toutes les conditions requises par la définition 2.1. Il est clair que Q,P𝑄𝑃Q,\,P et L𝐿L sont des opérateurs auto-adjoints. Par ailleurs, P𝑃P est borné et son carré est l’opérateur unité. Pour vérifier que Q𝑄Q anticommute avec P𝑃P, nous choississons αΛpM𝛼superscriptΛ𝑝𝑀\alpha\in\Lambda^{p}M et appliquons Q𝑄Q, resp. P𝑃P sur α𝛼\alpha:

Qα𝑄𝛼\displaystyle Q\alpha =\displaystyle= dα+dαΛp+1MΛp1M𝑑𝛼superscript𝑑𝛼direct-sumsuperscriptΛ𝑝1𝑀superscriptΛ𝑝1𝑀\displaystyle d\alpha+d^{\ast}\alpha\;\in\Lambda^{p+1}M\oplus\Lambda^{p-1}M
Pα𝑃𝛼\displaystyle P\alpha =\displaystyle= (1)pα.superscript1𝑝𝛼\displaystyle(-1)^{p}\,\alpha\ \ .

Ainsi PQα=(1)pQα𝑃𝑄𝛼superscript1𝑝𝑄𝛼PQ\alpha=-(-1)^{p}\,Q\alpha et QPα=(1)pQα𝑄𝑃𝛼superscript1𝑝𝑄𝛼QP\alpha=(-1)^{p}\,Q\alpha, d’où (PQ+QP)α=0𝑃𝑄𝑄𝑃𝛼0(PQ+QP)\alpha=0.

Dans l’exemple présent, la décomposition de l’espace de Hilbert {\cal H} induite par l’involution P𝑃P prend la forme

=bfavecb=ppairΛpM¯,f=pimpairΛpM¯.{\cal H}={\cal H}_{b}\oplus{\cal H}_{f}\qquad\quad{\rm avec}\qquad{\cal H}_{b}=\bigoplus_{p\;{\rm pair}}\;\overline{\Lambda^{p}M}\quad,\quad{\cal H}_{f}=\bigoplus_{p\;{\rm impair}}\;\overline{\Lambda^{p}M}\ .

L’application du théorème 2.2.1 à ce système supersymétrique donne le résultat suivant. Pour toute valeur propre E0𝐸0E\geq 0 de L𝐿L, notons

Mp(E)subscript𝑀𝑝𝐸\displaystyle M_{p}(E) =\displaystyle= dimKer[(LE)(ΛpM)]\displaystyle{\rm dim\;Ker}\left[(L-E)\lceil(\Lambda^{p}M)\right]
=\displaystyle= multiplicité de la valeur propre E de L sur ΛpM.multiplicité de la valeur propre E de L sur ΛpM\displaystyle\mbox{ multiplicit\'{e} de la valeur propre $E$ de $L$ sur $\Lambda^{p}M$}\ \ .

Alors l’équation (2.19) implique

ppairMp(E)=pimpairMp(E)pourE>0,formulae-sequencesubscript𝑝pairsubscript𝑀𝑝𝐸subscript𝑝impairsubscript𝑀𝑝𝐸pour𝐸0\sum_{p\;{\rm pair}}M_{p}(E)=\sum_{p\;{\rm impair}}M_{p}(E)\qquad\quad{\rm pour}\ E>0\ \ ,

c’est-à-dire

p=0n(1)pMp(E)=0pourE>0.formulae-sequencesuperscriptsubscript𝑝0𝑛superscript1𝑝subscript𝑀𝑝𝐸0pour𝐸0\sum_{p=0}^{n}(-1)^{p}\,M_{p}(E)=0\qquad\quad{\rm pour}\ E>0\ \ . (2.22)

Dans les prochaines sections nous allons voir comment cette relation peut être directement ou indirectement utilisée pour démonter les théorèmes d’indice (Gauß et Bonnet, Morse, …) ou les inégalités de Morse.

2.3 Applications

2.3.1 Quelques rappels (Betti, de Rham, Hodge, Euler)

Les nombres de Betti bpbp(M)subscript𝑏𝑝subscript𝑏𝑝𝑀b_{p}\equiv b_{p}(M) (0pn)0𝑝𝑛(0\leq p\leq n) d’une variété M𝑀M de dimension n𝑛n sont des invariants topologiques définis comme les dimensions des groupes d’homologie de M𝑀M [st]. D’après le théorème de de Rham, les groupes d’homologie et de cohomologie sont isomorphes et ont donc la même dimension; ainsi

bp=dimHp(M)(0pn),subscript𝑏𝑝dimsuperscript𝐻𝑝𝑀0𝑝𝑛b_{p}={\rm dim}\,H^{p}(M)\qquad(0\leq p\leq n)\ \ ,

Hp(M)superscript𝐻𝑝𝑀H^{p}(M) sont les groupes de cohomologie de de Rham:

Hp(M)=KerdImd={αΛpMdα=0}{αΛpMα=dβavecβΛp1M}.superscript𝐻𝑝𝑀Ker𝑑Im𝑑conditional-set𝛼superscriptΛ𝑝𝑀𝑑𝛼0conditional-set𝛼superscriptΛ𝑝𝑀𝛼𝑑𝛽avec𝛽superscriptΛ𝑝1𝑀H^{p}(M)\;=\;\frac{{\rm Ker}\,d}{{\rm Im}\,d}\;=\;\frac{\{\alpha\in\Lambda^{p}M\;\mid\;d\alpha=0\}}{\{\alpha\in\Lambda^{p}M\;\mid\;\alpha=d\beta\ {\rm avec}\ \beta\in\Lambda^{p-1}M\}}\ \ .

La théorie de Hodge implique que la dimension de Hp(M)superscript𝐻𝑝𝑀H^{p}(M) est la même que celle de l’espace des p𝑝p-formes harmoniques sur M𝑀M, c’est-à-dire de l’espace des p𝑝p-formes annihilées par l’opérateur de Laplace et Beltrami L𝐿L:

bp=dimHp(M)=dimKer[LΛpM].b_{p}={\rm dim}\,H^{p}(M)={\rm dim\;Ker}\,\left[L\lceil\Lambda^{p}M\right]\ \ . (2.23)

(Concernant la démonstration de ce résultat nous remarquons seulement que Lα(dd+dd)α=0𝐿𝛼𝑑superscript𝑑superscript𝑑𝑑𝛼0L\alpha\equiv(dd^{\ast}+d^{\ast}d)\alpha=0 si et seulement si dα=0=dα𝑑𝛼0superscript𝑑𝛼d\alpha=0=d^{\ast}\alpha, car α,Lα=dα2+dα2𝛼𝐿𝛼superscriptnorm𝑑𝛼2superscriptnormsuperscript𝑑𝛼2\langle\alpha,L\alpha\rangle=\|d\alpha\|^{2}+\|d^{\ast}\alpha\|^{2}.)

Dans les prochaines sections nous ferons aussi appel à la caractéristique d’Euler χ(M)𝜒𝑀\chi(M) de la variété M𝑀M définie par

χ(M)=p=0n(1)pbp.𝜒𝑀superscriptsubscript𝑝0𝑛superscript1𝑝subscript𝑏𝑝\chi(M)=\sum_{p=0}^{n}(-1)^{p}b_{p}\ \ . (2.24)

A titre d’exemple, citons les variétés compactes et orientables de dimension 222 qui sont toutes difféomorphes à une sphère avec un certain nombre g𝑔g de trous (g𝑔g = genre de M𝑀M) :

b0=1=b2,b1=2gχ(M)=22g.b_{0}=1=b_{2}\quad,\quad b_{1}=2g\qquad\Rightarrow\qquad\chi(M)=2-2g\ \ . (2.25)

2.3.2 Démonstr. du théorème de Gauß et Bonnet d’après Patodi

Dans son travail sur les inégalités de Morse [w2], Witten a indiqué des relations entre le théorème d’indice d’Atiyah-Singer et la MQSUSY. Ces remarques furent exploitées par d’autres physiciens, notamment Alvarez-Gaumé, Friedan et Windey [ag], pour donner une démonstration simple du théorème d’indice; des versions rigoureuses de ces preuves ont été fournies par Getzler et Bismut [ge].

Dans la suite nous indiquerons de quelle manière la supersymétrie intervient dans ces démonstrations en choississant comme illustration l’exemple très simple du théorème de Gauß et Bonnet classique [bs]:

Théorème 2.3.1 (Gauß et Bonnet)

Soit M𝑀M une variété riemannienne compacte, orientable, de dimension n=2𝑛2n=2. Alors la caractéristique d’Euler et le scalaire de courbure R𝑅R de M𝑀M sont reliés par

χ(M)=14πMR(x)𝑑x𝜒𝑀14𝜋subscript𝑀𝑅𝑥differential-d𝑥\chi(M)=\frac{1}{4\pi}\int_{M}R(x)dx (2.26)

ou, d’après l’équation (2.25),

MR(x)𝑑x=8π(1g)(g=genredeM).subscript𝑀𝑅𝑥differential-d𝑥8𝜋1𝑔𝑔genrede𝑀\int_{M}R(x)dx=8\pi(1-g)\qquad(\,g={\rm genre\ de}\ M\,)\ \ .

Notons à ce sujet que la formule (2.26) peut être généralisée à des variétés de dimension paire n=2k𝑛2𝑘n=2k en remplaçant la 222-forme (1/4π)R(x)dx14𝜋𝑅𝑥𝑑𝑥(1/4\pi)R(x)dx par la n𝑛n-forme d’Euler E(x)dx𝐸𝑥𝑑𝑥E(x)dx; la démonstration indiquée ci-dessous (qui est due à Patodi [p, bs]) s’applique aussi à ce cas plus général.

Esquisse de démonstration: La première étape de la dérivation de (2.26) consiste à utiliser la propriété de supersymétrie (2.22) pour prouver la formule de McKean et Singer [mcs] (formule valable pour toute variété compacte et orientable M𝑀M):

χ(M)=StretL(t𝐑).𝜒𝑀Strsuperscript𝑒𝑡𝐿𝑡𝐑\chi(M)={\rm Str}\,e^{-tL}\qquad(t\in{\bf R})\ \ . (2.27)

Ici L𝐿L est l’opérateur de Laplace et Beltrami et ‘Str’ est la supertrace définie par222Pour les détails d’analyse nous renvoyons à la section 12.3 de [bs].

StretL=p=0n(1)pTretLpavecLpLΛpM.{\rm Str}\,e^{-tL}=\sum_{p=0}^{n}(-1)^{p}\,{\rm Tr}\,e^{-tL_{p}}\qquad{\rm avec}\quad L_{p}\equiv L\lceil\Lambda^{p}M\ \ . (2.28)

Dérivons maintenant la formule (2.27). D’après la définition (2.2.1) de Mp(E)subscript𝑀𝑝𝐸M_{p}(E), nous avons

StretLStrsuperscript𝑒𝑡𝐿\displaystyle{\rm Str}\,e^{-tL} =\displaystyle= p=0n(1)pTretLpsuperscriptsubscript𝑝0𝑛superscript1𝑝Trsuperscript𝑒𝑡subscript𝐿𝑝\displaystyle\sum_{p=0}^{n}(-1)^{p}\,{\rm Tr}\,e^{-tL_{p}}
=\displaystyle= p=0n(1)p[EMp(E)etE].superscriptsubscript𝑝0𝑛superscript1𝑝delimited-[]subscript𝐸subscript𝑀𝑝𝐸superscript𝑒𝑡𝐸\displaystyle\sum_{p=0}^{n}(-1)^{p}\left[\sum_{E}M_{p}(E)e^{-tE}\right]\ \ .

Comme l’opérateur etLpsuperscript𝑒𝑡subscript𝐿𝑝e^{-tL_{p}} est de trace finie, nous pouvons interchanger les sommes et ensuite appliquer l’équation (2.22):

StretLStrsuperscript𝑒𝑡𝐿\displaystyle{\rm Str}\,e^{-tL} =\displaystyle= EetE[p=0n(1)pMp(E)]subscript𝐸superscript𝑒𝑡𝐸delimited-[]superscriptsubscript𝑝0𝑛superscript1𝑝subscript𝑀𝑝𝐸\displaystyle\sum_{E}e^{-tE}\left[\sum_{p=0}^{n}(-1)^{p}M_{p}(E)\right]
=\displaystyle= p=0n(1)pMp(0).superscriptsubscript𝑝0𝑛superscript1𝑝subscript𝑀𝑝0\displaystyle\sum_{p=0}^{n}(-1)^{p}M_{p}(0)\ \ .

Comme Mp(0)=dimKer[LΛpM]=bpM_{p}(0)={\rm dim\;Ker}\left[L\lceil\Lambda^{p}M\right]=b_{p} (voir équation (2.23)), nous obtenons le résultat (2.27).

La seconde étape de la démonstration de (2.26) consiste à introduire le noyau intégral etLp(x,y)superscript𝑒𝑡subscript𝐿𝑝𝑥𝑦e^{-tL_{p}}(x,y) associé à etLpsuperscript𝑒𝑡subscript𝐿𝑝e^{-tL_{p}},

(etLpu)(x)=MetLp(x,y)u(y)𝑑ysuperscript𝑒𝑡subscript𝐿𝑝𝑢𝑥subscript𝑀superscript𝑒𝑡subscript𝐿𝑝𝑥𝑦𝑢𝑦differential-d𝑦\left(e^{-tL_{p}}u\right)(x)=\int_{M}e^{-tL_{p}}(x,y)\,u(y)\,dy

et à relier le noyau de StretLStrsuperscript𝑒𝑡𝐿{\rm Str}\,e^{-tL} au scalaire de courbure E(x)=(1/4π)R(x)𝐸𝑥14𝜋𝑅𝑥E(x)=(1/4\pi)R(x) pour n=2𝑛2n=2 (ou plus généralement à la n𝑛n-forme d’Euler, E(x)dx𝐸𝑥𝑑𝑥E(x)dx, pour n=2k𝑛2𝑘n=2k). Cette partie nécessite une étude analytique plus approfondie qui a été faite par Patodi [p] et qui est décrite en détail dans l’ouvrage [bs]. La supersymétrie intervient dans cette partie par l’intermédiaire de la formule de Berezin et Patodi pour la supertrace. \Box


Il est évident que la démarche suivie dans cette démonstration est très différente de celle suivie dans la dérivation habituelle de la formule de Gauß et Bonnet [st]: cette dernière fait appel à une triangulation de la variété et à l’interprétation de la courbure en fonction du transport parallèle le long d’une courbe fermée.

2.3.3 Démonstr. des inégalités de Morse d’après Witten

Théorie de Morse

Comme notre but ne consiste pas à présenter les résultats les plus forts à partir des hypothèses les plus faibles, mais plutôt à illustrer les idées et méthodes, nous considérons dans la suite une variété M𝑀M de type Csuperscript𝐶C^{\infty} qui possède toutes les propriétés mentionnées au début du chapitre 2.2.1.

Soit f:M𝐑:𝑓𝑀𝐑f:M\to{\bf R} une fonction de type Csuperscript𝐶C^{\infty} sur M𝑀M. La topologie de M𝑀M impose des restrictions sur le comportement de f𝑓f. Plus spécifiquement les inégalités de Morse donnent une limite inférieure pour le nombre de points critiques de f𝑓f en fonction de la topologie de M𝑀M. Avant de formuler ces restrictions, nous rappelons d’abord la définition des notions dont nous aurons besoin [bs, m].

Définition 2.3.1

Soit f:M𝐑:𝑓𝑀𝐑f:M\to{\bf R} une fonction de type Csuperscript𝐶C^{\infty} et (x1,,xn)subscript𝑥1subscript𝑥𝑛(x_{1},...,x_{n}) un système de coordonnées locales sur M𝑀M.

(i) Un point mM𝑚𝑀m\in M est un point critique de f𝑓f, si

df(m)=0fx1(m)==fxn(m)=0.formulae-sequence𝑑𝑓𝑚0𝑓subscript𝑥1𝑚𝑓subscript𝑥𝑛𝑚0df(m)=0\qquad\Longleftrightarrow\qquad\frac{\partial f}{\partial x_{1}}(m)=...=\frac{\partial f}{\partial x_{n}}(m)=0\ \ .

(ii) Un point critique m𝑚m de f𝑓f est non-dégénéré, si la hessienne A𝐴A de f𝑓f au point m𝑚m est non-dégénérée, c.à.d. detA(m)0det𝐴𝑚0{\rm det}\,A(m)\neq 0; localement A(m)𝐴𝑚A(m) est donnée par la matrice réelle et symétrique

A(m)=(122fxixj(m)).𝐴𝑚12superscript2𝑓subscript𝑥𝑖subscript𝑥𝑗𝑚A(m)=\left(\frac{1}{2}\ \frac{\partial^{2}f}{\partial x_{i}\,\partial x_{j}}(m)\right)\ \ .

(iii) L’indice d’un point critique m𝑚m de f𝑓f est le nombre de valeurs propres négatives de la matrice A(m)𝐴𝑚A(m).

Remarquons qu’un point critique non-dégénéré est nécessairement isolé, c’est-à-dire il existe un voisinage de ce point critique qui ne contient pas d’autres points critiques [m]. Par ailleurs, si le point critique est non-dégénéré et possède un indice ‘indmind𝑚{\rm ind}\,m’, alors la fonction f𝑓f prend la forme suivante en fonction de coordonnées locales x=(x1,,xn)𝑥subscript𝑥1subscript𝑥𝑛x=(x_{1},...,x_{n}) définies dans un voisinage de m𝑚m :

f(x)=f(m)+(x1)2++(xnindm)2(xnindm+1)2(xn)2.𝑓𝑥𝑓𝑚superscriptsubscript𝑥12superscriptsubscript𝑥𝑛ind𝑚2superscriptsubscript𝑥𝑛ind𝑚12superscriptsubscript𝑥𝑛2f(x)=f(m)+(x_{1})^{2}+...+(x_{n-{\rm ind}\,m})^{2}-(x_{n-{\rm ind}\,m+1})^{2}-...-(x_{n})^{2}\ \ . (2.29)

Ces coordonnées s’appellent les coordonnées de Morse.

Définition 2.3.2

Une fonction f:M𝐑:𝑓𝑀𝐑f:M\to{\bf R} de type Csuperscript𝐶C^{\infty} est appelée fonction de Morse, si elle admet un nombre fini de points critiques et que tous ceux-ci sont non-dégénérés. Pour une telle fonction on note

mp(f)=multiplicité (nombre) des points critiques de f avec indice psubscript𝑚𝑝𝑓multiplicité (nombre) des points critiques de f avec indice pm_{p}(f)=\mbox{multiplicit\'{e} (nombre) des points critiques de $f$ avec indice $p$}
( 0pn=dimM). 0𝑝𝑛dim𝑀(\,0\leq p\leq n={\rm dim}\,M\,)\ \ .

Pour illustrer ces définitions nous considérons l’exemple du tore bidimensionnel, M=T2=S1×S1𝑀superscript𝑇2superscript𝑆1superscript𝑆1M=T^{2}=S^{1}\times S^{1} [bs]. On peut plonger cette variété dans 𝐑3superscript𝐑3{\bf R}^{3} en associant à tout point mM𝑚𝑀m\in M les coordonnées (m1,m2,m3)𝐑3subscript𝑚1subscript𝑚2subscript𝑚3superscript𝐑3(m_{1},m_{2},m_{3})\in{\bf R}^{3}:

Mm(m1,m2,m3)𝐑3.formulae-sequence𝑚𝑀subscript𝑚1subscript𝑚2subscript𝑚3superscript𝐑3M\ni m\quad\leftrightarrow\quad(m_{1},m_{2},m_{3})\in{\bf R}^{3}\ \ .

Comme fonction sur M𝑀M nous choisissons la fonction ‘hauteur’ définie par

f𝑓\displaystyle f ::\displaystyle: M𝐑𝑀𝐑\displaystyle M\ \to\ {\bf R}
mm3.maps-to𝑚subscript𝑚3\displaystyle m\ \mapsto\ m_{3}\ \ .

Cette fonction admet 4 points critiques, les indices et multiplicités étant les suivants:

indicep=0:m0(f)\displaystyle{\rm indice}\ p=0\ :\qquad m_{0}(f) =\displaystyle= 1minimum local de f1minimum local de f\displaystyle 1\quad\leftrightarrow\quad\mbox{minimum local de $f$}
indicep=1:m1(f)\displaystyle{\rm indice}\ p=1\ :\qquad m_{1}(f) =\displaystyle= 2point de selle local de f2point de selle local de f\displaystyle 2\quad\leftrightarrow\quad\mbox{point de selle local de $f$}
indicep=2:m2(f)\displaystyle{\rm indice}\ p=2\ :\qquad m_{2}(f) =\displaystyle= 1maximum local de f.1maximum local de f\displaystyle 1\quad\leftrightarrow\quad\mbox{maximum local de $f$}\ \ .

Comme le tore est une surface de genre g=1𝑔1g=1, ses nombres de Betti sont donnés par b0=1=b2subscript𝑏01subscript𝑏2b_{0}=1=b_{2} et b1=2subscript𝑏12b_{1}=2. Nous avons donc les égalités suivantes dans notre exemple:

mp(f)=bp(0p2).subscript𝑚𝑝𝑓subscript𝑏𝑝0𝑝2m_{p}(f)=b_{p}\qquad(0\leq p\leq 2)\ \ .

Dans le cas général on a les inégalités suivantes qui imposent une restriction sur les nombres mp(f)subscript𝑚𝑝𝑓m_{p}(f) en fonction de la topologie de M𝑀M caractérisée par les coefficients bpsubscript𝑏𝑝b_{p}:

Théorème 2.3.2 (Inégalités de Morse faibles)

Pour toute fonction de Morse f𝑓f sur M𝑀M on a

mp(f)bp(0pn).subscript𝑚𝑝𝑓subscript𝑏𝑝0𝑝𝑛m_{p}(f)\geq b_{p}\qquad(0\leq p\leq n)\ \ . (2.30)

Ces relations sont une conséquence du résultat suivant.

Théorème 2.3.3 (Inégalités de Morse fortes)

Pour toute fonction de Morse f𝑓f sur M𝑀M on a les inégalités

p=0k(1)kpmp(f)p=0k(1)kpbp(0kn).superscriptsubscript𝑝0𝑘superscript1𝑘𝑝subscript𝑚𝑝𝑓superscriptsubscript𝑝0𝑘superscript1𝑘𝑝subscript𝑏𝑝0𝑘𝑛\sum_{p=0}^{k}(-1)^{k-p}m_{p}(f)\geq\sum_{p=0}^{k}(-1)^{k-p}b_{p}\qquad(0\leq k\leq n)\ \ . (2.31)

Pour k=n𝑘𝑛k=n, on a l’égalité

p=0n(1)pmp(f)=p=0n(1)pbp(=χ(M)),superscriptsubscript𝑝0𝑛superscript1𝑝subscript𝑚𝑝𝑓annotatedsuperscriptsubscript𝑝0𝑛superscript1𝑝subscript𝑏𝑝absent𝜒𝑀\sum_{p=0}^{n}(-1)^{p}m_{p}(f)=\sum_{p=0}^{n}(-1)^{p}b_{p}\quad(=\chi(M))\ \ , (2.32)

qui peut encore s’écrire sous la forme

p=0n(1)p[bpmp(f)]=0superscriptsubscript𝑝0𝑛superscript1𝑝delimited-[]subscript𝑏𝑝subscript𝑚𝑝𝑓0\sum_{p=0}^{n}(-1)^{p}\left[b_{p}-m_{p}(f)\right]=0 (2.33)

et qui s’appelle le théorème d’indice de Morse.

En ajoutant les inégalités fortes (2.31) pour k𝑘k et k1𝑘1k-1, on obtient les inégalités faibles (2.30).

Démonstration d’après Witten

La démonstration classique du théorème précédent [m] part de la définition topologique des nombres de Betti (en tant que dimensions des groupes d’homologie de M𝑀M) et utilise des résultats généraux de la théorie d’homologie (concernant les suites exactes des groupes d’homologie relatifs et les liens avec l’homotopie). Par contre la démonstration de Witten [w2, hen] part de la définition analytique du nombre de Betti bpsubscript𝑏𝑝b_{p} (en tant que dimension de l’espace des p𝑝p-formes harmoniques sur M𝑀M). A côté de son caractère original, elle présente un intérêt pour différentes raisons. D’abord elle établit des connexions intéressantes entre la géométrie et l’analyse. Ensuite, la transposition des arguments de Witten dans le cadre de la géométrie algébrique sur un corps fini a permis à Laumon de démontrer un résultat jusqu’alors conjectural (concernant la formule du produit pour la constante de l’équation fonctionnelle de la fonction L𝐿L attachée à une représentation l𝑙l-adique) [lau, hen]. Finalement le système supersymétrique introduit dans la démonstration de Witten a été repris dans la suite par Witten dans le cadre des théories de Floer et de Donaldson traitant des invariants topologiques associés aux variétés de dimension 333 et 444 (voir référence [blau] pour une revue de ces résultats).

L’idée de départ de Witten pour dériver les relations (2.31) et (2.33) consiste à déformer le système supersymétrique associé à l’opérateur de Laplace et Beltrami par l’intermédiaire d’une fonction de Morse.

Soit M𝑀M comme dans la section précédente et f:M𝐑:𝑓𝑀𝐑f:M\to{\bf R} une fonction de Morse. Pour t𝐑𝑡𝐑t\in{\bf R} on considère

dt=etfdetf,dt=etfdetf.d_{t}=e^{-tf}de^{tf}\quad,\quad d^{\ast}_{t}=e^{tf}d^{\ast}e^{-tf}\ \ .

Le système supersymétrique de Witten est alors défini sur l’espace de Hilbert =p=0nΛpM¯superscriptsubscriptdirect-sum𝑝0𝑛¯superscriptΛ𝑝𝑀{\cal H}=\bigoplus_{p=0}^{n}\overline{\Lambda^{p}M} par

Qtsubscript𝑄𝑡\displaystyle Q_{t} =\displaystyle= dt+dtsubscript𝑑𝑡superscriptsubscript𝑑𝑡\displaystyle d_{t}+d_{t}^{\ast}
Ltsubscript𝐿𝑡\displaystyle L_{t} =\displaystyle= Qt2=dtdt+dtdtsuperscriptsubscript𝑄𝑡2subscript𝑑𝑡superscriptsubscript𝑑𝑡superscriptsubscript𝑑𝑡subscript𝑑𝑡\displaystyle Q_{t}^{2}\ =\ d_{t}d_{t}^{\ast}+d_{t}^{\ast}d_{t} (2.34)
PΛpM¯\displaystyle P\lceil\,\overline{\Lambda^{p}M} =\displaystyle= (1)p 1.superscript1𝑝1\displaystyle(-1)^{p}\,{\bf 1}\ \ .

Le théorème 2.2.1 appliqué à ce système prend de nouveau la forme (2.22),

p=0n(1)pMp(E)=0pourE>0,formulae-sequencesuperscriptsubscript𝑝0𝑛superscript1𝑝subscript𝑀𝑝𝐸0pour𝐸0\sum_{p=0}^{n}(-1)^{p}\,M_{p}(E)=0\qquad{\rm pour}\quad E>0\ \ , (2.35)

Mp(E)subscript𝑀𝑝𝐸M_{p}(E) représente maintenant la multiplicité de la valeur propre E𝐸E de Ltsubscript𝐿𝑡L_{t} sur ΛpMsuperscriptΛ𝑝𝑀\Lambda^{p}M:

Mp(E)=dim Ker[(LtE)ΛpM].M_{p}(E)=\mbox{dim Ker}\left[(L_{t}-E)\lceil\Lambda^{p}M\right]\ \ . (2.36)

D’un autre côté la généralisation des arguments de Hodge au laplacien déformé (2.34) implique que les nombres de Betti sont donnés par

bp=dim Ker[LtΛpM].b_{p}=\mbox{dim Ker}\left[L_{t}\lceil\Lambda^{p}M\right]\ \ . (2.37)

D’après la définition (2.36) nous avons donc

bp=Mp(0)subscript𝑏𝑝subscript𝑀𝑝0b_{p}=M_{p}(0)

et le théorème de Morse (2.33) peut s’écrire comme

p=0n(1)p[Mp(0)mp(f)]=0.superscriptsubscript𝑝0𝑛superscript1𝑝delimited-[]subscript𝑀𝑝0subscript𝑚𝑝𝑓0\sum_{p=0}^{n}(-1)^{p}\left[M_{p}(0)-m_{p}(f)\right]=0\ \ . (2.38)

Ainsi la relation qu’on veut démontrer a une forme semblable à la formule (2.35) résultant de la supersymétrie.

D’abord un long calcul montre que Ltsubscript𝐿𝑡L_{t} peut s’exprimer en fonction de L𝐿L et de f𝑓f comme

Lt=L+t2df2+tA,subscript𝐿𝑡𝐿superscript𝑡2superscriptnorm𝑑𝑓2𝑡𝐴L_{t}=L+t^{2}\|df\|^{2}+tA\ \ ,

A𝐴A est un opérateur d’ordre zéro. Ensuite on introduit un système de coordonnées de Morse (2.29) pour représenter la fonction de Morse f𝑓f dans un voisinage du point critique m𝑚m de f𝑓f avec indice indmind𝑚{\rm ind}\,m. Substituant cette expression dans la formule précédente pour Ltsubscript𝐿𝑡L_{t} on obtient

Lt=Δ+4t2x2+tBavecx2=x12++xn2.formulae-sequencesubscript𝐿𝑡Δ4superscript𝑡2superscript𝑥2𝑡𝐵avecsuperscript𝑥2superscriptsubscript𝑥12superscriptsubscript𝑥𝑛2L_{t}=-\Delta+4t^{2}x^{2}+tB\qquad{\rm avec}\quad x^{2}=x_{1}^{2}+...+x_{n}^{2}\ \ .

Ici ΔΔ\Delta est le Laplacien ordinaire agissant sur les p𝑝p-formes selon

Δ(i1,,ipωi1ipdxi1dxip)=i1,,ip(Δωi1ip)dxi1dxipΔsubscriptsubscript𝑖1subscript𝑖𝑝subscript𝜔subscript𝑖1subscript𝑖𝑝𝑑subscript𝑥subscript𝑖1𝑑subscript𝑥subscript𝑖𝑝subscriptsubscript𝑖1subscript𝑖𝑝Δsubscript𝜔subscript𝑖1subscript𝑖𝑝𝑑subscript𝑥subscript𝑖1𝑑subscript𝑥subscript𝑖𝑝\Delta\left(\sum_{i_{1},...,i_{p}}\omega_{i_{1}...i_{p}}dx_{i_{1}}\wedge...\wedge dx_{i_{p}}\right)=\sum_{i_{1},...,i_{p}}\left(\Delta\omega_{i_{1}...i_{p}}\right)\ dx_{i_{1}}\wedge...\wedge dx_{i_{p}}

et B𝐵B est un opérateur qui s’écrit en fonction d’opérateurs de création et d’annihilation fermioniques (familiers aux physiciens). A des facteurs près, l’opérateur scalaire Δ+4x2Δ4superscript𝑥2-\Delta+4x^{2} n’est autre que le hamiltonien de l’oscillateur harmonique (2.5) à n𝑛n dimensions dont le spectre est bien connu (voir éq.(2.7)).

La dérivation de la formule (2.38) et des inégalités (2.31) consiste maintenant dans une étude assez subtile du spectre de Ltsubscript𝐿𝑡L_{t} au voisinage de E=0𝐸0E=0. A cette fin, la dimension de Ker[LtΛpM]{\rm Ker\ }[L_{t}\lceil\Lambda^{p}M] est estimée pour des grandes valeurs du paramètre t𝑡t suite à l’estimation des valeurs propres de Ltsubscript𝐿𝑡L_{t} pour t𝑡t\to\infty. Nous renvoyons à [bs] pour les détails concernant cette analyse. \Box

Chapter 3 Superalgèbres de Lie

Dans notre introduction aux concepts de la supersymétrie, nous aurions peut-être dû commencer avec les superalgèbres de Lie pour plusieurs raisons:

(i) Cette notion est conceptuellement simple et naturelle.

(ii) Du point de vue historique c’était probablement le premier concept autour de la supersymétrie qui soit apparu en mathématiques et en physique.

(iii) Ces algèbres interviennent dans des domaines très variés des mathématiques (par exemple dans les théories d’homotopie, de cohomologie, de déformation, …) et de la physique (physique des particules élémentaires, physique nucléaire, …).

La terminologie employée dans la litérature n’est pas toujours uniforme et au lieu de superalgèbres de Lie, certains auteurs parlent d’algèbres de Lie graduées (ces dernières ayant encore une autre signification pour une troisième classe d’auteurs). La référence standard pour la théorie des superalgèbres de Lie et de leurs représentations - référence que nous allons suivre au début de ce chapitre - est un article détaillé de Kac [vk] (voir aussi [vik]). D’autres traités d’introduction à ce sujet sont [cns, scheu, bdw, cor]. Pour des aspects géométriques (comme la théorie de Borel,Weil et Bott) nous renvoyons à [kos, pen], pour les superalgèbres de dimension infinie à [clr] et aux références qui sont citées dans ces articles. Ici nous nous bornons à donner la définition d’une superalgèbre de Lie et d’en présenter quelques exemples et réalisations. D’autres exemples et applications peuvent être trouvés dans les ouvrages cités, en particulier dans [vk, cns, bdw, jlk, sor].

3.1 Définition

Les (super)algèbres de Lie peuvent être définies sur des corps assez généraux, mais pour notre illustration nous nous bornons au corps des nombres réels. Rappelons d’abord qu’une algèbre de Lie 𝒢𝒢{\cal G} sur 𝐑𝐑{\bf R} est un espace vectoriel réel muni d’une opération (appelée crochet de Lie),

[,]\displaystyle[\ ,\ ] ::\displaystyle: 𝒢×𝒢𝒢𝒢𝒢𝒢\displaystyle{\cal G}\times{\cal G}\ \,\to\ \,{\cal G}
(x,y)[x,y],maps-to𝑥𝑦𝑥𝑦\displaystyle\,(x,y)\ \,\mapsto\ [x,y]\ \ ,

satisfaisant les propriétés suivantes:

(i) [,][\ ,\ ] est 𝐑𝐑{\bf R}-bilinéaire,

(ii) [,][\ ,\ ] est antisymétrique: [x,y]=[y,x]𝑥𝑦𝑦𝑥[x,y]=-[y,x],

(iii) [,][\ ,\ ] satisfait l’identité de Jacobi: 0=[x,[y,z]]+permutations circulaires0𝑥𝑦𝑧permutations circulaires0=[x,[y,z]]+\mbox{permutations circulaires}.

La généralisation supersymétrique de l’algèbre de Lie consiste à introduire une décomposition par 𝐙2subscript𝐙2{\bf Z}_{2} sur l’espace vectoriel 𝒢𝒢{\cal G} et à incorporer cette graduation dans les propriétés (ii) et (iii). Comme nous n’allons pas discuter une graduation par 𝐙𝐙{\bf Z} ici, mais seulement par 𝐙2subscript𝐙2{\bf Z}_{2}, nous notons les éléments (classes d’équivalence) de 𝐙2subscript𝐙2{\bf Z}_{2} simplement par 00 et 111.

Définition 3.1.1

Une superalgèbre de Lie (ou algèbre de Lie graduée) 𝒢𝒢{\cal G} sur 𝐑𝐑{\bf R} est donnée par un espace vectoriel réel qui est 𝐙2subscript𝐙2{\bf Z}_{2}-gradué,

𝒢=𝒢0𝒢1,𝒢direct-sumsubscript𝒢0subscript𝒢1{\cal G}={\cal G}_{0}\oplus{\cal G}_{1}\ \ ,

et une opération (appelée supercrochet de Lie), [,}:𝒢×𝒢𝒢[\ ,\ \}:{\cal G}\times{\cal G}\to{\cal G}, satisfaisant les axiomes suivants:

(c) [,}[\ ,\ \} est compatible avec la graduation, c’est-à-dire

[𝒢k,𝒢l}𝒢k+lpourk,l{0,1},formulae-sequencesubscript𝒢𝑘subscript𝒢𝑙subscript𝒢𝑘𝑙pour𝑘𝑙01[{\cal G}_{k},{\cal G}_{l}\}\subset{\cal G}_{k+l}\qquad\quad{\rm pour}\quad k,l\in\{0,1\}\ \ , (3.1)

ou plus explicitement,

[𝒢0,𝒢0}subscript𝒢0subscript𝒢0\displaystyle{[{\cal G}_{0},{\cal G}_{0}\}} \displaystyle\subset 𝒢0subscript𝒢0\displaystyle{\cal G}_{0}
[𝒢0,𝒢1}subscript𝒢0subscript𝒢1\displaystyle{[{\cal G}_{0},{\cal G}_{1}\}} \displaystyle\subset 𝒢1subscript𝒢1\displaystyle{\cal G}_{1}
[𝒢1,𝒢1}subscript𝒢1subscript𝒢1\displaystyle{[{\cal G}_{1},{\cal G}_{1}\}} \displaystyle\subset 𝒢0.subscript𝒢0\displaystyle{\cal G}_{0}\ \ .

(i) [,}[\ ,\ \} est 𝐑𝐑{\bf R}-bilinéaire.

(ii) [,}[\ ,\ \} est gradué antisymétrique, c.à.d.

[x,y}=(1)(degx)(degy)[y,x}avecdegx={0six𝒢01six𝒢1,formulae-sequence𝑥𝑦superscript1deg𝑥deg𝑦𝑦𝑥avecdeg𝑥cases0si𝑥subscript𝒢01si𝑥subscript𝒢1[x,y\}=-(-1)^{({\rm deg}\,x)({\rm deg}\,y)}[y,x\}\qquad\quad{\rm avec}\quad{\rm deg}\,x=\left\{\begin{array}[]{c}0\quad{\rm si}\ \,x\in{\cal G}_{0}\\ 1\quad{\rm si}\ \,x\in{\cal G}_{1}\end{array}\right.\ \ , (3.2)

et, pour xk,yk𝒢ksubscript𝑥𝑘subscript𝑦𝑘subscript𝒢𝑘x_{k},y_{k}\in{\cal G}_{k}, on a donc

[x0,y0}subscript𝑥0subscript𝑦0\displaystyle{[x_{0},y_{0}\}} =\displaystyle= [y0,x0}subscript𝑦0subscript𝑥0\displaystyle-{[y_{0},x_{0}\}}
[x0,y1}subscript𝑥0subscript𝑦1\displaystyle{[x_{0},y_{1}\}} =\displaystyle= [y1,x0}subscript𝑦1subscript𝑥0\displaystyle-{[y_{1},x_{0}\}} (3.3)
[x1,y1}subscript𝑥1subscript𝑦1\displaystyle{[x_{1},y_{1}\}} =\displaystyle= [y1,x1}.subscript𝑦1subscript𝑥1\displaystyle\ \ \,{[y_{1},x_{1}\}}\ \ .

(iii) [,}[\ ,\ \} satisfait l’identité de Jacobi graduée, c’est-à-dire 0=[x,[y,z}}0𝑥𝑦𝑧0=[x,[y,z\}\} plus permutations circulaires avec signes appropriés:

0=[x,[y,z}}+(1)(degz)(degx+degy)[z,[x,y}}+(1)(degx)(degy+degz)[y,[z,x}}0𝑥𝑦𝑧superscript1deg𝑧deg𝑥deg𝑦𝑧𝑥𝑦superscript1deg𝑥deg𝑦deg𝑧𝑦𝑧𝑥0=[x,[y,z\}\}+(-1)^{({\rm deg}\,z)({\rm deg}\,x+{\rm deg}\,y)}[z,[x,y\}\}+(-1)^{({\rm deg}\,x)({\rm deg}\,y+{\rm deg}\,z)}[y,[z,x\}\} (3.4)