Autour d’un problème extrémal étudié par Edmund Landau
Abstract
This expository article is an introduction to Landau’s problem of bounding the derivative, knowing bounds for the function and its second derivative, and some of its variants and generalizations. Connexions with convex and functional analysis, numerical integration, and approximation theory are emphasized. Among others, we describe the set of extreme points of the relevant set of functions.
Keywords
Extremal problems, Landau inequality, Kolmogorov inequality, extreme points, Peano kernel, Euler splines.
MSC classification : 41A17
1 Introduction
Soit un intervalle de la droite réelle , et un nombre entier supérieur ou égal à . Nous allons considérer des fonctions vérifiant les propriétés suivantes,
est fois dérivable sur ;
la dérivée est absolument continue sur tout segment inclus dans .
Dans la dérivabilité est à comprendre à droite (resp. à gauche) en la borne inférieure (resp. supérieure) de , si celle-ci appartient à . L’hypothèse d’absolue continuité de entraîne l’existence de pour presque tout . L’ensemble des fonctions vérifiant et est un espace vectoriel réel que nous noterons . Observons que si .
Si et sont deux nombres réels positifs, soit l’ensemble des fonctions vérifiant, outre et , les inégalités suivantes,
on a pour tout ;
on a pour presque tout .
La conjonction de et est équivalente à l’hypothèse que est lipschitzienne de rapport :
À la suite de Schoenberg (cf. [38], §5, p. 131), Chui et Smith ont signalé dans [10] l’interprétation cinématique de cette définition pour le cas : les fonctions de sont les lois des mouvements de particules contraintes à rester dans l’intervalle de la droite, pendant l’intervalle de temps , et dont l’accélération est majorée par en valeur absolue. J’emploierai parfois ce langage.
Dans son article [27] de 1914, Landau a posé, et essentiellement résolu, le problème de déterminer quelle vitesse instantanée maximale une telle particule peut atteindre. La solution complète est explicitée dans l’article de Chui et Smith mentionné ci-dessus.
Ce travail de Landau, motivé par des considérations de théorie taubérienne, alors en plein développement (cf. [19], II, p. 416-428), a ensuite suscité une intense activité dans l’étude des majorations des dérivées d’ordres intermédiaires , , lorsque . Appelons problème de Landau la question de déterminer les bornes supérieures
(1) |
et, le cas échéant, de préciser les fonctions extrémales.
Le résultat central de la théorie est la solution complète de ce problème en 1939 par Kolmogorov (cf. [24], pp. 277-290), dans le cas où .
Le présent article est une introduction à cette théorie. J’ai choisi de centrer l’exposé sur le cas , qui correspond au problème initial de Landau et permet de présenter les idées, également pertinentes pour le cas général, sous leur forme la plus accessible, notamment lorsqu’il s’agira de variantes « ponctuelles » et « en moyenne » du problème de Landau. Cela étant, je décrirai pour quelconque certaines propriétés géométriques et topologiques de l’ensemble , et présenterai, le plus souvent sans démonstrations, les principaux résultats connus dans ce cas général.
Par ailleurs, je n’aborde pas systématiquement la question, parfois délicate, de décrire toutes les fonctions extrémales, solutions des divers problèmes extrémaux abordés.
Voici le plan de cet article. Au §2, l’invariance du problème de Landau par translation et dilatation est utilisée pour réduire son étude à trois cas particuliers. Nous portons notamment notre attention sur l’ensemble
où . Le §3 concerne la propriété géométrique fondamentale de l’ensemble , sa convexité, et contient une description de ses points extrêmes. Le §4 présente succinctement la notion de noyau de Peano ; dans le contexte du problème de Landau, elle permet de représenter les valeurs des dérivées intermédiaires comme fonctions linéaires explicites de et . On en déduit une première majoration de , si . Au §5, la compacité de pour la topologie de la convergence uniforme des fonctions et de leurs dérivées d’ordre permet d’appliquer le théorème de Krein et Milman. Le §6 rassemble quelques généralités sur certains problèmes extrémaux dans l’ensemble . Le §7 est dévolu à une étude approfondie du cas . La solution, très simple, du problème initial sur est présentée au §7.1 ; le cas de en découle au §7.2. Le §7.3 contient la solution d’une variante ponctuelle du problème, cas particulier de l’étude exhaustive effectuée par Landau en 1925, dans son article [28]. La notion de fonction de comparaison, due à Kolmogorov, est introduite au §7.4 ; elle fournit rapidement, au §7.5, la solution du problème de Landau pour . Après avoir établi trois propriétés de prolongement au §7.6, nous donnons, au §7.7, les résultats de base sur le problème de Landau en moyenne, en utilisant les travaux de Bojanov et Naidenov (1999-2003, cf. [6], [7] et [31]). Enfin, le §7.8 est un formulaire des résultats obtenus, en revenant au cas général de l’ensemble . Le §8 est un survol des principaux résultats connus dans le cas général. Le §8.1 présente les splines d’Euler, fonctions extrémales pour le cas , comme l’a montré Kolmogorov ; son théorème est énoncé au §8.2. Le cas de l’intervalle est l’objet du §8.3 ; celui de est présenté au §8.4. Enfin, le §8.5 mentionne quelques résultats dans le cadre des espaces de Lebesgue .
L’article contient 32 propositions avec leurs démonstrations. Les plus importantes d’entre elles sont les propositions 1, 6, 11, 12, 16, 18, 22, 24 et 31. Par ailleurs, deux parmi les nombreuses questions encore ouvertes de cette théorie sont mentionnées explicitement.
Nous noterons
la borne supérieure essentielle, éventuellement infinie, d’une fonction à valeurs réelles, supposée définie presque partout sur , et mesurable ;
la partie entière, et la partie fractionnaire du nombre réel , de sorte que
2 Réduction de l’étude à trois cas
La restriction d’une fonction à un sous-intervalle quelconque appartient à .
Si est un nombre réel, point adhérent à et n’appartenant pas à , la condition presque partout sur entraîne que admet une limite quand tend vers . On en déduit que admet également une limite quand tend vers , pour tout , , et que la fonction , prolongeant à , telle que , appartient à . Pour cette raison, nous supposerons fermé dans toute la suite.
Ensuite, si et sont des nombres réels non nuls, et , la transformation , où
qui correspond à un changement d’unités de distance et de temps, et à un changement d’origine du temps, est une bijection entre et , où
En utilisant une telle transformation, on ramène l’étude de l’ensemble à l’un des trois cas suivants :
C’est ce dernier cas, en particulier pour , qui va nous occuper principalement dans cet article ; nous verrons notamment ses relations avec les deux premiers. Soit donc un nombre réel positif ; posons
Les éléments de sont les lois des mouvements, de durée finie égale à , d’une particule contrainte à rester dans le segment , et dont l’accélération est au plus en valeur absolue.
3 Convexité
Le nombre positif étant fixé dans tout ce paragraphe, nous simplifions l’écriture en posant (et toujours ).
L’ensemble est une partie convexe de l’espace vectoriel :
Rappelons que les points extrêmes d’une partie d’un espace vectoriel réel sont les éléments de tels que
Si est convexe, cette condition équivaut à
Nous déterminons maintenant les points extrêmes de . La caractérisation présentée dans la proposition 1 ci-dessous repose sur une notion de multiplicité adaptée à l’ensemble . Si , notons l’ensemble des tels que . Si , la multiplicité de est, par définition, l’unique nombre entier tel que
;
pour tout tel que ;
, ou et .
Observons tout de suite que, si et si , alors est pair, puisque est un point d’extremum de .
Proposition 1
La fonction est un point extrême de si, et seulement si les deux conditions suivantes sont vérifiées :
la somme des multiplicités des éléments du fermé est supérieure ou égale à ;
on a presque partout sur .
Démonstration
L’ensemble est bien un fermé pour toute fonction , puisqu’une telle fonction est continue.
Nous allons adapter l’argumentation de Roy dans [34], p. 1158 ; il y étudiait l’ensemble des fonctions lipschitziennes de rapport sur .
Pour commencer, montrons que les points extrêmes de vérifient et .
Soit un tel point extrême. Supposons que ne vérifie pas . L’ensemble est donc fini. Notons , pour , ses éléments deux à deux distincts, et la multiplicité de au sens ci-dessus (a priori peut être vide, on a alors ).
Par hypothèse, . En particulier, et pour tout . Pour , posons
Les polynômes prennent des valeurs positives ou nulles sur . La continuité de et la formule de Taylor entraînent alors l’existence de nombres et tels que
(2) |
Soit et un majorant commun à toutes les fonctions polynomiales , pour , et à elle-même, sur le segment (si est vide et , on a ).
On a donc , avec . Comme est une fonction polynomiale de degré , sa dérivée e est nulle. On en déduit que les deux fonctions appartiennent à , ce qui contredit le fait que est un point extrême de . Cette contradiction démontre .
Démontrons maintenant que , point extrême de , vérifie la condition . L’ensemble complémentaire est un ouvert de ; c’est donc une réunion dénombrable d’intervalles . Pour montrer que
il suffit de montrer que, pour chaque ,
ou encore
(3) |
si est un segment quelconque inclus dans . Observons tout de suite que, étant continue et sur le compact , il existe tel que
Comme , on a presque partout, donc (3) équivaut à
(4) |
Fixons , et posons
C’est un ensemble mesurable, et il s’agit de montrer que . Nous allons raisonner par l’absurde, en supposant que . Notons alors la fonction indicatrice de ,
On a et . La théorie des polynômes orthogonaux affirme alors l’existence d’une suite de polynômes , à coefficients réels, où est de degré , tels que
(5) |
(cf. [46], §2.2, pp. 25-26).
Pour , posons
La fonction est de classe et . Comme est l’intégrale de la fonction mesurable et bornée , elle est lipschitzienne sur , de rapport . Par conséquent, est dérivable presque partout sur , avec presque partout. Observons que n’est pas égale presque partout à la fonction nulle, et notons .
Soit et . Pour , on a donc la fonction est nulle sur . Pour , on a aussi donc, pour ,
d’après (5), en écrivant, pour fixé, le polynôme , en la variable , comme combinaison linéaire des polynômes pour .
Ainsi, la fonction s’annule sur , et
Soit . On a
Par conséquent, si , les fonctions appartiennent à . Comme n’est pas la fonction nulle, cela contredit le fait que est un point extrême de . Cette contradiction prouve que . Par suite, vérifie .
Passons à la réciproque. En supposant que vérifie , , et
(6) |
où , il nous faut montrer que .
Nous allons d’abord montrer que les hypothèses et (6), et l’appartenance de , et à , entraînent que presque partout, c’est-à-dire que est une fonction polynomiale, de degré . Notons
Il s’agit de montrer que la mesure de est nulle. Écrivons
Montrons d’abord que est de mesure nulle. Soit l’ensemble des éléments vérifiant au moins l’une des conditions suivantes :
n’existe pas ;
n’existe pas ;
existe et ;
et existent, et .
D’après et le fait que et appartiennent à , l’ensemble est de mesure nulle. Si l’élément de n’appartient pas à , alors et existent, donc aussi , d’après (6), et
d’où , autrement dit . On a donc , et la mesure de est nulle.
Pour montrer que la mesure de est nulle, écrivons , où est l’ensemble des points d’accumulation de . D’une part, l’ensemble est constitué de points isolés, donc est au plus dénombrable. D’autre part, si , l’égalité et les inégalités et entraînent l’égalité . Si, de plus, , et si et existent, la formule de Taylor en entraîne que ; la mesure de est donc aussi nulle.
Nous avons bien montré que est polynomiale, de degré .
Pour en conclure que , en supposant aussi vérifiée, il nous suffit de montrer que, pour tout , les égalités
(7) |
pour un certain , entraînent les égalités
En effet, l’hypothèse entraînera alors que la fonction polynomiale , de degré , a, compte tenu des multiplicités, au moins zéros, et est donc nécessairement la fonction nulle.
D’une part, on a , puisque . D’autre part, nous allons montrer que (7) entraîne en fait que
(8) |
En effet, si (8) est fausse, soit le plus petit nombre entier positif tel que ou . On a donc . Pour fixer les idées, posons . La formule de Taylor nous donne alors
(9) | ||||
(10) | ||||
(11) |
où (11) résulte de (9), (10), et de la relation . Comme et , les relations (9) et (11) entraînent que dans un certain voisinage (épointé) de dans . Cela contredit l’appartenance de et à , et cette contradiction achève la démonstration de la proposition.
Dans la suite, nous noterons l’ensemble des points extrêmes de , caractérisés dans la proposition 1.
Notons que, dans le cas , la condition équivaut à la conjonction des deux conditions suivantes :
le fermé est non vide ;
si (resp. ), on a (resp. ).
Pour ce cas , donnons un exemple de fonction, point extrême de , que nous utiliserons au §7.3.2.
Proposition 2
Soit et , tels que . On pose
et on suppose que
(12) |
Alors la fonction définie sur par
(13) |
est un point extrême de tel que .
Démonstration
La constante est choisie pour que les deux formules donnent la même valeur pour , et on a si . Ensuite, les dérivées à droite et à gauche de en ont pour valeur commune (si ou , il n’y a pas besoin de raccordement). Enfin, la condition (12) entraîne que est strictement croissante sur , avec et ; on a donc sur . Ainsi, , l’ensemble de la proposition 1 est égal à et les points et de cette proposition sont vérifiés.
4 Le noyau de Peano
Nous montrons dans ce paragraphe que les dérivées intermédiaires des fonctions sont bornées, en valeur absolue, par une quantité dépendant uniquement de , et .
Commençons par le cas . La majoration de la valeur absolue de la dérivée d’une fonction de s’appuie sur l’identité suivante, déjà implicite dans la démonstration du Satz 1, p. 45, de [27].
Proposition 3
Soit une fonction dérivable, dont la dérivée est absolument continue sur . Pour , on a
où, pour , ,
Démonstration
Observons que nous ne supposons pas que (définie presque partout) est essentiellement bornée. Mais, par l’hypothèse d’absolue continuité de , cette dérivée seconde est, en tout cas, intégrable au sens de Lebesgue sur et les intégrations par parties qui vont suivre sont bien licites.
Ainsi, on voit que
En ajoutant ces deux égalités, on obtient l’énoncé.
La norme (par rapport à la variable ) du noyau vaut
(14) |
Elle est maximale pour et , prenant alors la valeur .
Proposition 4
Pour toute fonction , on a .
Démonstration
Soit et . D’après la proposition 3, on a
(15) | ||||
(16) | ||||
Nous déterminerons, à la proposition 16 du §7.3.2, les cas où la majoration (16) est optimale, et nous verrons, à la proposition 11 du §7.1, que la majoration est optimale si .
Dans l’article [33], publié la même année, 1913, où Landau présentait son travail à la London Mathematical Society, Peano donna une formule générale dont la proposition 3 ci-dessus est un cas particulier. Il y considérait les intégrales successives de la fonction de Heaviside, définies sur par
La fonction est de classe sur , et, si , de classe sur . On a pour .
Voici un énoncé du théorème de Peano, qui n’est pas le plus général possible, mais qui nous suffira dans cet article.
Proposition 5
Soit , et, pour ,
Considérons la forme linéaire définie par
pour toute fonction telle que les nombres dérivés figurant dans cette somme existent (en particulier, c’est le cas si ). On suppose que si est une fonction polynomiale, de degré .
On a alors, pour toute fonction ,
(17) |
où la fonction , appelée noyau de Peano associé à la forme linéaire pour l’ordre , est définie par la formule
où est la fonction définie sur par .
Le noyau de Peano est défini pour . C’est une fonction polynomiale par morceaux, dont la valeur absolue est bornée sur son ensemble de définition par la quantité
Démonstration
Soit et
le polynôme de Taylor d’ordre de en . Posons , de sorte que . On a l’égalité presque partout, et .
Appliquons à chaque terme de la formule de Taylor avec reste intégral. Comme les dérivées successives de au point sont nulles jusqu’à l’ordre , on a
(18) |
On obtient (17) en multipliant (18) par et en sommant pour . La dernière assertion résulte de l’expression
Ainsi, la proposition 3 explicite le noyau de Peano associé à la forme linéaire
pour l’ordre . Un exposé détaillé de la théorie du noyau de Peano est donné par Sard au chapter 1 de [36] (cf. en particulier le §43, p. 25).
La proposition 4 peut être généralisée, au moins qualitativement, grâce au noyau de Peano. Pour cela, il est commode de revenir à une formulation pour l’ensemble au lieu de .
Proposition 6
Soit et des nombres entiers, tels que et . Il existe deux constantes positives et , telles que, pour , , , et , on ait
(19) |
Démonstration
L’argumentation qui suit est une variante de celle donnée par deVore et Lorentz dans [11], Theorem 5.6, p. 38.
Tout d’abord, l’existence de constantes et telles que (19) soit vraie pour (et tous , , ), entraîne (19) pour tout . En effet, si , alors la fonction , définie sur par , appartient à , donc (19) avec entraîne
d’où (19).
Ensuite, pour démontrer (19) quand , commençons en fixant arbitrairement éléments de ,
par exemple .
Si , déterminons les coefficients , pour , de sorte que la forme linéaire
s’annule lorsque est une fonction polynomiale, de degré . Les sont solutions d’un système linéaire , dont le déterminant est le déterminant de Vandermonde formé avec les ; les formules de Cramer montrent que les valeurs absolues de ces solutions sont bornées par des quantités, dépendant de et , mais indépendantes de .
D’après la proposition 5, le noyau de Peano , associé à la forme linéaire pour l’ordre a également une valeur absolue bornée par une quantité, disons , dépendant de et , mais indépendante de .
Comme
on en déduit que
si , où
5 Compacité
En notant encore , considérons l’espace vectoriel constitué des fonctions telles que est lipschitzienne, autrement dit, telles que . C’est un cas particulier d’espace de Sobolev. Considérons deux normes sur :
La topologie de est plus fine que celle de . L’espace vectoriel normé est complet, l’espace ne l’est pas.
Proposition 7
L’ensemble est
compact, donc fermé et borné, dans ;
fermé et borné, mais non compact, dans .
Démonstration
D’une part, d’après la proposition 6, est borné dans et dans . Comme les évaluations ponctuelles, et , sont continues sur pour tout , l’ensemble , qui est défini par les inégalités
est un fermé de , et donc aussi de . Dans ce dernier espace, contient un voisinage ouvert de , et n’est donc pas compact, puisque est de dimension infinie.
Munissons de la norme , et considérons l’espace des fonctions continues, définies sur , à valeurs dans . Muni de la norme uniforme, est un espace de Banach. L’application linéaire est un isomorphisme d’espaces vectoriels normés entre et un sous-espace (non fermé) de , que nous noterons .
Soit l’image de par cet isomorphisme. Observons d’abord que est un fermé, non seulement de , mais aussi de . En effet, si la suite d’éléments de est telle que
alors, puisque la convergence est uniforme, la fonction est fois dérivable, et l’on a pour . De plus, la fonction , limite uniforme de la suite de fonctions lipschitziennes de rapport , , est elle-même lipschitzienne de rapport .
D’après la proposition 6, les normes des fonctions appartenant à sont uniformément bornées par une quantité , et toutes ces fonctions sont lipschitziennes, de rapport . L’ensemble est donc une partie équicontinue de et, pour tout , l’ensemble est borné dans , donc a une adhérence compacte.
D’après le théorème d’Ascoli (cf., par exemple, [13], §6.3, p. 87-88), a une adhérence compacte dans . Comme est fermé, c’est un compact, et son image isomorphe dans l’espace est aussi compacte.
Le théorème de Krein et Milman (cf. [35], Theorem 3.23, p. 75), entraîne donc la proposition suivante.
Proposition 8
L’ensemble est l’enveloppe convexe fermée dans de l’ensemble de ses points extrêmes.
Cela étant, le Theorem 3.2, p. 1159 de [34] incite à se demander si une propriété plus forte est vraie ou non.
Question 1
L’ensemble est-il l’enveloppe convexe fermée de dans ?
6 Problèmes extrémaux dans : généralités
6.1 Fonctions extrémales
Plusieurs variantes du problème de Landau étudiées dans la littérature sont du type suivant. On se donne une fonction , à valeurs réelles, définie sur , convexe, et continue pour la topologie de , définie au paragraphe précédent. Il s’agit de déterminer la borne supérieure , et l’ensemble
Les éléments de sont les fonctions extrémales pour .
Avant d’énoncer la proposition suivante, qui rassemble quelques faits classiques, rappelons la définition de partie extrême. Si , où est un espace vectoriel réel, on dit que est extrême dans si
Ainsi, par exemple, les points extrêmes de correspondent aux parties extrêmes de ne contenant qu’un élément. La relation binaire « être extrême dans » est une relation d’ordre sur l’ensemble des parties de . En particulier, si est extrême dans , et si désigne l’ensemble des points extrêmes de , alors l’ensemble des points extrêmes de est .
Proposition 9
L’ensemble est
non vide ;
compact pour la topologie de ;
extrême dans ;
contenu dans l’enveloppe convexe fermée de dans .
Si, en outre, est la restriction à d’une forme linéaire continue sur , l’ensemble est
convexe, égal à l’enveloppe convexe fermée de dans .
Démonstration
Les deux premières assertions découlent de la continuité de et de la compacité de pour la topologie de . La troisième assertion découle de la convexité de .
Comme est une partie extrême de , l’ensemble des points extrêmes de est . La quatrième assertion résulte alors de la variante du théorème de Krein et Milman, énoncée comme Theorem 3.24, p. 76 de [35].
Enfin , la cinquième assertion résulte de l’hypothèse supplémentaire de linéarité, et du théorème de Krein et Milman.
Il résulte de la première et de la quatrième assertion de la proposition 9 que est non vide : il existe un point extrême de où la borne supérieure de est atteinte. Autrement dit, pour déterminer cette borne supérieure, on peut se contenter d’examiner la restriction de à l’ensemble des points extrêmes de , dont la description est l’objet de la proposition 1.
6.2 Monotonie
Une autre propriété simple, mais essentielle, est la décroissance des bornes supérieures (1) lorsque l’intervalle grandit.
Proposition 10
Soit et des nombres réels strictement positifs, et des nombres entiers tels que . Si est un intervalle fermé de , posons
Si est un intervalle fermé de tel que , on a
Démonstration
Soit et . Il existe un nombre réel tel que
(on peut prendre ). La fonction , définie par , appartient à , donc
Comme est un élément quelconque de , on a bien l’inégalité annoncée.
7 Le cas
7.1 Le problème extrémal de Landau pour
Soit . Pour simplifier l’écriture dans les cas où une seule valeur de intervient, nous posons .
Soit
Des fonctions extrémales pour ce problème étant faciles à déterminer, les propositions 4 et 10 vont nous fournir la valeur de .
Proposition 11
On a
Démonstration
Par la proposition 4, on a .
Si , la fonction définie par
(20) |
appartient à et vérifie , donc .
7.2 Le problème extrémal de Landau pour
La proposition suivante est un corollaire de la proposition 11.
Proposition 12
On a
Démonstration
Schoenberg montre dans [38] (Theorem 9, p. 149) que toute fonction , vérifiant , est telle que
7.3 Variante ponctuelle du problème extrémal de Landau
Fixons maintenant un point . Nous nous proposons de déterminer la quantité
et une fonction extrémale pour ce problème, c’est-à-dire telle que . L’invariance de l’ensemble par l’application montre que l’on a également
Ce problème est un cas particulier de celui étudié par Landau dans son article [28] de 1925. La condition sur y est plus générale, étant de la forme , ou même simplement ou .
7.3.1 Les fonctions et
L’étude de ce problème s’appuie sur la considération des deux fonctions suivantes,
Observons que est symétrique : .
Proposition 13
La fonction est décroissante pour , croissante pour , avec et .
En particulier, on a pour tout .
Démonstration
Cela résulte du calcul de la dérivée,
Proposition 14
Pour tels que , on a
Démonstration
Cela résulte de l’identité
7.3.2 Détermination de
Pour commencer, observons que l’application , où , est une involution sur , telle que . On se ramène donc au cas , c’est-à-dire .
Proposition 15
Soit , , et , tels que
Alors
Démonstration
Nous pouvons maintenant déterminer . Pour chaque couple , une fonction extrémale est mentionnée dans la démonstration.
Proposition 16
Soit . On a
Démonstration
Si et , on a aussi , donc , d’après la proposition 14. La proposition 2 donne alors explicitement une fonction telle que .
Si et , le choix , , dans la proposition 15, fournit l’inégalité
Pour montrer que , considérons la fonction définie sur par
(22) |
Les trois branches de et de se raccordent continûment aux points et ; pour la fonction au point , on utilise l’équation
La dérivée seconde ne prend que les valeurs et . Comme , on vérifie que croît strictement de à lorsque croît de à . Ainsi, et , d’où le résultat.
Si , donc , le choix , dans la proposition 15, fournit l’inégalité
Si l’on pose , on a et , d’où l’égalité .
Notons que, dans la proposition 16,
si , seul le premier cas se produit ;
si , seuls les deux premiers cas se produisent ;
si , seuls les deux derniers cas se produisent.
7.4 Une fonction de comparaison
La fonction suivante joue un rôle central dans l’étude du problème de Landau sur . Elle est définie comme la fonction , de période , telle que
On en déduit que cette dernière relation est valable pour tout , et que est une fonction paire. On a aussi la relation pour tout .
La figure 1 donne une représentation graphique des fonctions , et . La fonction est dérivable sur , et deux fois dérivable sur , vérifiant
pour . On a
et la fonction vérifie l’équation différentielle
(23) |
En revenant au cas général, nous dirons qu’une fonction est une fonction de comparaison pour cet ensemble si
Cette notion a été introduite par Kolmogorov (cf. [24], p. 281, [6], p. 265). Elle est l’objet d’une étude détaillée au chapitre 3 de [25].
Nous allons voir que la fonction est une fonction de comparaison pour , mais nous aurons l’usage d’une propriété plus précise.
Proposition 17
Soit , et tel que . Si et , on a
Démonstration
Supposons d’abord et . Soit tel que , et . On a donc
Si , on a , donc .
Si , on a
puisque . On en déduit
et donc encore .
Les cas correspondant aux trois autres possibilités pour se ramènent à celui que nous avons traité, en remplaçant la fonction par , par , et par , avec,
pour , , et ;
pour , , et ;
pour , , et .
La propriété de d’être une fonction de comparaison pour découle de cette proposition : si , si et , la proposition 17 appliquée au point et à la fonction définie par , fournit bien l’inégalité .
7.5 Le problème de Landau pour
La solution du problème de Landau sur peut être énoncée sous la forme précisée qui suit.
Proposition 18
Pour et , on a
En particulier,
(24) |
et cette borne est atteinte pour .
Démonstration
Comme , il existe tel que . Comme est une fonction de comparaison pour , on a
où l’on a utilisé l’équation différentielle (23).
La fonction n’est pas l’unique fonction vérifiant (24). Un autre exemple (parmi une infinité) est la fonction .
De façon analogue, on déduit de la proposition 17 la proposition suivante.
Proposition 19
Soit et tel que . On a
En particulier, si , on retrouve le fait, vu à la proposition 16, que
7.6 Propriétés de prolongement
Si , , et , il est possible que ne soit pas prolongeable en une fonction appartenant à . En revanche, si et si est assez petit, un tel prolongement est possible pour la fonction , comme le précise la proposition suivante.
Proposition 20
Soit , , , et . Si
alors la fonction définie sur par
(25) |
appartient à .
Démonstration
Les deux branches de la fonction et de sa dérivée se raccordent au point , et presque partout. Par conséquent, pourvu que sa valeur absolue soit bornée par sur , ce qui sera réalisé si
ou encore, puisque et , si
c’est-à-dire si , quantité .
La proposition suivante décrit un cas où le prolongement de est possible, non au sens ordinaire, mais, en quelque sorte, « à l’intérieur » de sa courbe représentative.
Proposition 21
Soit et . On suppose qu’il existe tel que et . Soit tel que . Alors la fonction définie sur par
(26) |
appartient à .
Démonstration
Les cinq branches de et de sa dérivée se raccordent aux points de jonctions des intervalles consécutifs, on a presque partout, et la « bosse », insérée dans la courbe représentative de , a une hauteur .
Enfin, en adoptant un autre point de vue, on peut se demander à quelle condition un élément est prolongeable en une fonction appartenant à . La réponse est fournie par la proposition suivante.
Proposition 22
Soit . Les quatre assertions suivantes sont équivalentes.
Il existe dont la restriction à coïncide avec , et telle que est à support compact ;
Il existe dont la restriction à coïncide avec ;
Pour tout , on a ;
On a et .
Démonstration
Les implications et sont triviales, et l’implication découle de la proposition 18. Il reste à démontrer que entraîne .
Si la condition est remplie, définissons une fonction par
(27) |
Les branches de se raccordent, et de même pour , aux points de jonctions. La fonction est continûment dérivable, et est lipschitzienne de rapport , et à support compact. De plus, la deuxième et la quatrième branche sont monotones, les sens de variation étant donnés par les signes de et , respectivement. Pour vérifier que , il reste donc seulement à vérifier que les constantes définissant la première et la cinquième branche de ont des valeurs absolues , ce qui résulte de .
Observons que l’équivalence entre et est une sorte de « principe du maximum » dans l’ensemble .
La proposition suivante est issue du Lemma 1, p. 60 de [7]
Proposition 23
Soit et . Alors il existe , dont la dérivée est à support compact, et telle que pour tout .
Démonstration
D’après la proposition 19, la fonction vérifie
Le résultat découle donc de la proposition 22, avec le segment remplacé par le segment .
7.7 Le problème extrémal pour la vitesse moyenne
Si , la quantité
est la variation totale de . Dans l’interprétation cinématique, c’est la distance totale parcourue par la particule lors de ses allées et venues dans le segment , pendant l’intervalle de temps . Quant à , c’est la valeur moyenne de la valeur absolue de la vitesse de la particule.
La proposition 9 s’applique à , qui est convexe et continue pour la topologie de . Pour , nous noterons
Par convention, .
L’étude de et des fonctions extrémales correspondantes a été notamment abordée, sous une forme plus générale, par Bojanov et Naidenov (cf. [6] et [7]), puis Naidenov (cf. [31]). Le présent paragraphe est une introduction à ces travaux.
7.7.1 Observations préalables
Nous utiliserons les trois faits suivants.
Si et si ne s’annule pas dans l’intervalle , alors
Si et si , où , alors
Si , l’intégrale
est une fonction de la variable , décroissante sur , croissante sur . Son maximum est atteint aux points et , et vaut .
7.7.2 Valeur de pour
Proposition 24
Pour , on a .
Démonstration
Supposons . La fonction
vérifie , , , et
Maintenant, soit . Examinons deux cas.
Premier cas : il existe tel que .
On a alors
Second cas : la dérivée ne s’annule pas sur . On a donc .
Par conséquent, .
Proposition 25
Pour , on a
Démonstration
Nous explicitons dans ce cas particulier la remarque de Bojanov et Naidenov, p. 68 de [7].
Posons
(28) |
On a , et
donc .
Pour démontrer l’inégalité en sens inverse, considérons . Examinons deux cas.
Premier cas : la dérivée ne s’annule pas sur . On a alors .
Second cas : la dérivée s’annule en un point ; on a donc pour tout .
Premier sous-cas : . On a alors
Deuxième sous-cas : . Ce sous-cas se ramène au précédent en remplaçant la fonction par la fonction .
Troisième sous-cas : . On a alors
7.7.3 Sous-additivité
Proposition 26
La fonction est sous-additive : pour , on a
Démonstration
Pour et , on a
En écrivant , on en déduit une première majoration de :
(29) |
Proposition 27
La limite
existe, et est égale à
Démonstration
D’après (29), la fonction est bornée sur tout intervalle (par ). Le résultat découle alors de la sous-additivité de et de la version continue du lemme de Fekete donnée par Hille et Phillips dans [21], Theorem 7.6.1, p. 244.
La proposition 31 ci-dessous prouvera que cette limite vaut .
7.7.4 Continuité
Proposition 28
La fonction est continue sur .
Démonstration
Nous allons montrer les inégalités
(31) | ||||
(32) |
Compte tenu de (29), comme est une fonction décroissante de , il en résultera que, pour tous , tels que , nous aurons
avec , d’où la continuité annoncée ; est même lipschitzienne sur tout segment de .
Démontrons (31). Pour , et , on a
donc
7.7.5 Monotonie
Proposition 29
La fonction est strictement croissante sur .
Démonstration
La proposition 25 permet de se ramener à l’intervalle . On a d’abord la minoration pour tout , car la fonction définie par
appartient à et vérifie . Ensuite, soit telle que . Comme , il existe tel que . Quitte à remplacer par , on peut supposer que . Pour , la fonction définie dans la proposition 21 appartient à et on a
La croissance stricte de sur résulte de cette croissance stricte locale, et de la continuité de (proposition 28).
7.7.6 Comportement asymptotique de lorsque tend vers l’infini
Bojanov et Naidenov ont remarqué dans [7] (Theorem 2, p. 68), que l’on peut déterminer la valeur exacte de pour une suite de valeurs de tendant vers l’infini. La clé de ce calcul est la proposition suivante.
Proposition 30
Soit telle que est à support compact. On a
Démonstration
Nous suivons ici la démonstration du Theorem 1, p. 268 de [6].
Posons
Il s’agit de montrer que .
La fonction est continûment dérivable sur , et à support compact. Elle atteint donc son maximum global, en un point , où sa dérivée s’annule :
Posons pour . La fonction appartient à et
(33) |
Comme pour la proposition 24, examinons deux cas.
Premier cas : il existe tel que .
Définissons alors une fonction sur par
Les deux branches se raccordent au point , d’après (33). La fonction est donc, comme , lipschitzienne de rapport . De plus . On a donc
Par conséquent,
Second cas : la dérivée ne s’annule pas sur .
Elle est donc de signe constant, et
La borne de la proposition 30 est optimale ; elle est atteinte, par exemple, pour
Proposition 31
Pour , on a
Démonstration
Le résultat est vrai pour , d’après la proposition 25.
Supposons . Soit et . D’après la proposition 23, coïncide sur le segment avec une fonction telle que est à support compact.
Cette majoration est atteinte lorsque
(34) |
Proposition 32
Pour tout nombre réel positif , on a l’encadrement
Démonstration
La minoration résulte de la proposition 27 et de la valeur de la limite de quand tend vers l’infini, valeur déterminée grâce à la proposition 31.
Pour la majoration, d’une part, si , on a , d’après (30). D’autre part, si , on écrit , où est un nombre entier et , d’où
Il serait intéressant de déterminer pour tout .
7.8 Formulaire
Revenons maintenant à l’ensemble , où et sont des nombres réels positifs quelconques, et un segment de longueur . Posons
Comme nous l’avons vu au §2, en posant , la transformation applique sur . On a , donc
On déduit de la proposition 11 les formules
(35) |
Comme l’a observé Hadamard (cf. [18], p. 70), dans le premier de ces deux cas, on a la majoration .
La proposition 12 fournit la relation
Sous la condition , on déduit de la proposition 16 les formules
L’égalité (24) fournit l’égalité
8 Introduction au cas général
8.1 Splines d’Euler
Chilov a conjecturé, et Kolmogorov a démontré en 1939, qu’une certaine suite de fonctions, analogue à la suite des fonctions de Bernoulli, fournit la solution du problème de maximiser les normes des dérivées intermédiaires des fonctions de . Voici cette construction, essentiellement sous la forme que lui a donnée Schoenberg dans son article [38].
On pose
où la constante est choisie pour que l’intégrale soit nulle :
La fonction est normalisée (), et impaire.
On montre alors, par récurrence sur , que
est de classe pour ;
est de période ;
coïncide sur avec un polynôme de degré , disons ;
pour ;
pour ;
pour ;
pour pair, ;
est impaire si est pair, et paire si est impair.
Notons la relation
(36) |
(pour , cette relation est valable sur ).
Les premiers polynômes sont
Cette suite vérifie, comme les fonctions , la relation . C’est donc une suite de polynômes d’Appell (cf. [2]). Par conséquent, on a l’identité entre séries formelles en deux variables (éléments de ),
où est une série formelle à déterminer, en la variable . Pour cela, on remarque que la relation entraîne
donc
c’est-à-dire
(37) |
Les sont les polynômes d’Euler (cf. [32], pp. 23-29).
L’identité
entraîne
(38) |
où les sont les nombres d’Euler***Comme pour les nombres et polynômes de Bernoulli, on adopte la même notation pour les nombres et polynômes d’Euler, ce qui ne doit mener à aucune confusion. (suite A122045 de [43]), définis par leur série génératrice exponentielle
Les nombres d’Euler sont entiers. Ceux d’indice impair sont nuls, et ceux d’indice pair ont des signes alternés. Les premiers nombres d’Euler non nuls sont
Rappelons qu’une fonction , à valeurs réelles, définie sur un segment , est une spline de degré , si elle est de classe , et s’il existe une subdivision
et polynômes de degrés , disons ,…, , tels que
(39) |
On suppose en général que cette décomposition est minimale, c’est-à-dire que et sont distincts pour tout . Par convention, une spline de degré est simplement une fonction en escalier sur . On peut étendre la notion de spline de degré au cas d’une fonction définie sur toute la droite réelle : sa restriction à tout segment doit être une spline de degré sur ce segment.
Il résulte de ce qui précède que, pour tout , la fonction est une spline de degré sur .
Pour , posons
Compte tenu des relations et , on a
On montre par récurrence sur que
croît strictement de à (cf. (38)), lorsque croît de à , si est pair ;
décroît strictement de à , lorsque croît de à , si est impair.
Pour déterminer la valeur de , considérons la série génératrice exponentielle de la suite :
où les sont les nombres de Bernoulli, dont la série génératrice exponentielle est . On a donc
et c’est aussi la valeur de , si . Ainsi, compte tenu des signes des nombres d’Euler et de Bernoulli, on a
Les premières valeurs de la suite sont
Les splines d’Euler sont définies par Schoenberg au moyen de la relation
où si est impair, et si est pair. On a donc et
La fonction est une spline de degré sur ; ses principales propriétés ont été résumées par Schoenberg dans [39] ((VIII), p. 335) sous la forme suivante.
La fonction a toutes les propriétés de la fonction en ce qui concerne les symétries, les zéros, le signe et le sens de variation.
D’ailleurs, dans le même article, p. 336, Schoenberg explicite la série de Fourier de , et en déduit la formule asymptotique uniforme
Dans les années précédant la parution de l’article de Kolmogorov [24], les premières propriétés extrémales des fonctions furent découvertes. Pour et , notons l’ensemble des fonctions réelles de période , fois dérivables, et à dérivée e lipschitzienne de rapport .
Bernstein démontra en 1935 (cf. la version russe et corrigée [5], p. 170-172, de la note [4], et l’article de Favard [14] de 1936), que la borne supérieure de , lorsque est de moyenne nulle, était , borne atteinte seulement pour les translatées de la fonction
(40) |
Si , ces valeurs extrémales sont parfois notées et appelées constantes de Favard. En développant les fonctions en séries de Fourier, on peut montrer que
Les deux suites et sont adjacentes ; leur limite commune est .
Une autre propriété, découverte en 1936 par Favard (cf. la note [15] et l’article [16] de 1937 ; cf. également l’article d’Akhiezer et Krein [1] de 1937) est le fait que la fonction , définie par (40), réalise le maximum de la distance
lorsque décrit , où désigne l’ensemble des polynômes trigonométriques de période et de degré . Pour , cette propriété découle de celle démontrée par Bernstein. On a .
8.2 Le théorème de Kolmogorov
Nous avons vu que pour tout . Comme, pour presque tout , on a
on a . Notons et
de sorte que . La fonction du §7.4 n’est autre que .
Le fait remarquable, conjecturé par Chilov, et démontré par Kolmogorov, est que est le maximum de , lorsque décrit , pour tout tel que . Par les considérations d’homogénéité du §2, on en déduit l’énoncé suivant.
Théorème (Kolmogorov 1939, [24])
Soit un nombre entier supérieur ou égal à . Si et sont deux nombres réels positifs, on a, pour toute fonction appartenant à ,
Ces inégalités deviennent des égalités pour
Notons que . Ces quantités sont majorées, indépendamment de et , par .
La démonstration de Kolmogorov repose sur le fait essentiel suivant : la fonction est une fonction de comparaison pour , c’est-à-dire que
Bang (1941, cf. [3]) a donné une démonstration du théorème procédant en deux temps : on traite d’abord le cas des fonctions périodiques (et même presque périodiques), puis on approche une fonction quelconque de par une fonction périodique. La même démarche est suivie par Cavaretta dans [9].
Par ailleurs, Bang donne une formulation du théorème en termes d’intégrales (plutôt que de dérivées) successives. Soit une fonction mesurable bornée sur et une suite obtenue par intégrations successives,
où est une suite réelle arbitraire. Posons . Seule est, a priori, supposée finie, et non nulle. Le théorème de Kolmogorov, vu par Bang (cf. [3], p. 7), est alors l’assertion selon laquelle la suite (pour ) est croissante au sens large. Lorsque l’on prend pour tout , la suite correspondante est la constante .
8.3 Le cas
Un résultat analogue à (35) n’est connu explicitement que pour une seule autre valeur de , à savoir . Voici ce résultat, dû à M. Sato (1982, cf. [37]) :
où
(41) |
et où est la solution dans de l’équation biquadratique
Ce résultat a notamment l’intérêt de mettre en évidence que, pour , les bornes supérieures cherchées ne sont pas de la forme du second membre de l’inégalité (19), avec des constantes et indépendantes de .
Cela étant, dans le cas général, où est un nombre entier quelconque, plusieurs auteurs ont explicité des constantes et admissibles dans la proposition 6. Une première observation est que l’inégalité (19) s’applique en particulier au cas où est une fonction polynomiale de degré au plus , vérifiant sur (ou ). On peut alors prendre , , et arbitrairement petit. Ainsi,
Or cette borne supérieure est connue, grâce à un théorème des frères Markov (cf. le survol de A. Shadrin [41]) : elle est atteinte lorsque est le e polynôme de Tchebychev, défini par l’identité , et pour . On a donc
Notons que
En approchant une fonction par son polynôme de meilleure approximation de degré , Gorny avait obtenu en 1939 une valeur double de cette borne inférieure (cf. [17], (3), p. 321). L’année suivante, Cartan fut le premier a obtenir l’inégalité (19) avec la valeur optimale, .
Une démarche possible est alors de choisir cette valeur pour , et de chercher une constante admissible la plus petite possible. En prenant , dans (19), on obtient
d’où
(42) |
En 1940, Cartan obtenait la valeur admissible
(cf. [8], (7), p. 11, et (12), p. 13). En 1990, Kallioniemi a obtenu la valeur
(43) |
(cf. [22], Theorem 4.3, p. 84), dont le quotient par le second membre de (42) est compris entre et .
La recherche actuelle sur ce problème est structurée par une conjecture de 1976, due à Karlin (cf. [23], p. 423), et stipulant qu’une certaine fonction spline , dite spline de Zolotareff, et précisément décrite par Karlin†††Karlin donne cette description pour l’ensemble , où ; le passage à notre s’effectuerait suivant les principes d’homogénéité du §2. ([23], Theorem 5.1, p. 376, et §5, p. 403-411), vérifie
En particulier, lorsque , la fonction spline est un polynôme, obtenu par changement de variable entre et , à partir d’un polynôme de Zolotareff. Ces polynômes ont été introduits en 1868 par Zolotareff dans sa thèse d’habilitation (cf. [47], p. 130-166), dont voici une traduction française des premières lignes.
Le problème, dont je donne la solution dans cet article, est le suivant :
« De la fonction entière (polynomiale)
où est un coefficient fixé, trouver les coefficients restants de sorte que cette fonction garde la plus petite valeur possible lorsque reste entre les bornes et , et trouver le maximum de cette fonction. »
Pour , cette question a été résolue par P. L. Tchebychev dans le mémoire Théorie des mécanismes connus sous le nom de parallélogrammes, 1853.
Dans ce cas, s’exprime très simplement à l’aide des fonctions trigonométriques ; elle est précisément égale à .
Lorsque n’est pas nul, nous démontrons que s’exprime très simplement à l’aide des fonctions de Jacobi (…)
Pour le cas polynomial (), la conjecture de Karlin a été démontrée en 2014 par Shadrin (cf. [42]).
8.4 Le cas
Posons
L’égalité , due à Landau, est l’objet de la proposition 12 ci-dessus. Les valeurs et de (41), ont été obtenues par Matorin en 1955 (cf. [30]).
Schoenberg et Cavaretta ont montré en 1970 (cf. [40]) l’existence d’une suite de fonctions vérifiant
est une spline de degré sur ;
pour tout ;
pour , , et .
Les fonctions sont explicitement connues pour et (cf. [38], pp. 147-156). Pour , les fonctions sont définies par un passage à la limite, donnant des estimations des bornes qui sont « far from explicit » (cf. [40], p. 304).
Concernant le comportement asymptotique de ces constantes, la question principale est la suivante.
Question 2
Soit tel que . La quantité tend-elle vers une limite quand tend vers l’infini et tend vers ? Si la réponse est oui, que vaut cette limite?
Pour , posons
En 1955, en utilisant la méthode de comparaison de Kolmogorov, Matorin obtint la majoration
(cf. [30], (3), p. 13). La formule de Stirling sous la forme
permet d’en déduire la majoration
(44) |
La même année, par une méthode entièrement différente, fondée sur des considérations d’analyse complexe et d’analyse fonctionnelle, Malliavin obtenait dans sa thèse la majoration
(45) |
(cf. [29], 11.3.4, p. 238, et 14.6, p. 254), d’où découle immédiatement l’inégalité . On peut vérifier que cette majoration est toujours meilleure que (44).
En ce qui concerne , la minoration obtenue en 1967 par Stechkin,
où , et où est une constante positive absolue (cf. [44], (23), p. 445), fournit l’inégalité
8.5 Autres normes
Pour conclure, voici quelques indications sur un problème généralisant ceux considérés dans ce survol. On se donne, comme précédemment, un intervalle de , deux nombres entiers et , vérifiant l’encadrement , deux nombres réels positifs et , mais aussi trois éléments de , et on se propose de déterminer la borne supérieure
lorsque parcourt l’ensemble des fonctions , qui sont fois dérivables, dont la dérivée e est localement absolument continue dans , et telles que
L’essentiel de ce texte était dévolu au cas , mais nous avons vu, par exemple, l’égalité
(proposition 31 ci-dessus). Notons que, dans l’article [7], dont ce résultat est issu, Bojanov et Naidenov obtiennent une égalité similaire pour ou , , et quelconque.
Le livre [26] de Kwong et Zettl contient une introduction au problème général.
Si , Stein a montré en 1957 que l’inégalité
due à Kolmogorov pour , est valable pour toute valeur de (cf. [45], p. 586-588). Outre , cette majoration est aussi optimale pour (Ditzian, 1975, cf. [12], p. 149). Pour , la majoration optimale est simplement
et sont les seules valeurs pour lesquelles les bornes soient connues.
Si , le premier résultat est l’inégalité démontrée en 1932 par Hardy et Littlewood,
où la constante est optimale (cf. [20], Theorem 6, p. 249). Dans [29] (14.1, p. 251), Malliavin énonce l’inégalité générale
(où est définie dans (45)), dans le cas où est indéfiniment dérivable sur .
Enfin, si , les résultats actuellement les plus précis sont ceux des articles de Bojanov et Naidenov déjà cités.
Remerciements
Je remercie Sonia Fourati de m’avoir invité et encouragé à écrire cet article, et l’arbitre anonyme d’avoir suggéré l’écriture du §8.
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BALAZARD, Michel
Aix Marseille Univ, CNRS, Centrale Marseille, I2M, Marseille, France
Adresse électronique : balazard@math.cnrs.fr