Une ou deux composantes ?
La réponse de la diffusion en ondelettes
\auteur\coordVincentLostanlen
\adresseMusic and Audio Research Lab, Université de New York
35 West Fourth Street, New York, États-Unis
\resumefrancaisDans le contexte d’une modélisation biologiquement plausible de l’écoute artificielle, on s’intéresse à la représentation d’un signal stationnaire multicomposantes par un réseau de diffusion en ondelettes.
D’abord, nous montrons que la renormalisation des coefficients du second ordre par ceux du premier ordre donne un critère numérique simple pour établir si deux composantes de fréquences voisines interfèrent psychoacoustiquement.
Ensuite, nous généralisons le cadre théorique “une ou deux composantes” à trois sinusoïdes ou plus, et montrons en particulier qu’un réseau de diffusion en ondelettes de profondeur suffit à caractériser l’amplitude relative des premiers termes d’une série de Fourier, tout en bénéficiant d’une propriété d’invariance à la transposition fréquentielle ainsi qu’au déphasage de chaque composante.
\resumeanglaisWith the aim of constructing a biologically plausible model of machine listening, we study the representation of a multicomponent stationary signal by a wavelet scattering network.
First, we show that renormalizing second-order nodes by their first-order parents gives a simple numerical criterion to assess whether two neighboring components will interfere psychoacoustically.
Secondly, we generalize the “one or two components” framework to three sine waves or more, and show that a network of depth suffices to characterize the amplitudes of the first terms in a Fourier series, while enjoying properties of invariance to frequency transposition and component-wise phase shifts.
1 Introduction
En physiologie de l’audition, les cellules ciliées de notre cochlée jouent le rôle de filtres à facteur de qualité constant, dont la bande passante est large d’environ un quart d’octave. Ainsi, étant données deux sinusoïdes et de fréquences respectives et , nous percevons leur somme comme un accord de deux sons purs à condition que et appartiennent à des bandes critiques distinctes. En revanche, si ou , alors la composante est dite masquée par . Au lieu de sons purs, nous entendons un “battement” : une onde localement sinusoïdale dont la fréquence porteuse est et la fréquence de modulation est . La perception de cette modulation d’amplitude met en jeu des processus cognitifs ultérieurs à la cochlée, et notamment le cortex auditif primaire.
Or, la diffusion en ondelettes (wavelet scattering) est un opérateur qui alterne, sur une échelle typique , un banc de filtres passe-bandes analytiques à facteur de qualité constant , et l’application en tout point du module complexe. Dès lors, ses deux premiers niveaux de profondeur modélisent respectivement les propriétés de la cochlée et du cortex auditif primaire. Cet opérateur est employé à des fins de reconnaissance de la parole [1], de sons environnementaux [8], de structures musicales répétées [6], et de modes de jeux étendus [7]. La diffusion en ondelettes bénéficie donc, simultanément, d’une assise mathématique solide, d’applications innovantes en ingénierie informatique, et de liens privilégiés avec la neurophysiologie.
Cet article caractérise la réponse théorique de la diffusion en ondelettes au signal . À ce titre, il s’inscrit méthodologiquement dans une lignée de travaux antérieurs en traitement du signal non stationnaire, visant tous à étudier le comportement de tel ou tel opérateur convolutionnel non linéaire en fonction des grandeurs relatives , , et . Trois de ces opérateurs, qui peuvent être mis en regard de la diffusion en ondelettes, sont la décomposition modale empirique [10], le synchrosqueezing [12], et l’analyse spectrale singulière [4].
Premièrement, nous établissons un critère numérique, appelé coefficient de masquage , fondé sur la diffusion en ondelettes d’ordre deux, et tendant vers pour ou et proche de pour et . Ce coefficient de masquage présente, par construction, une invariance d’échelle : pour tout signal et tous facteurs et non nuls, il existe tel que . Deuxièmement, nous généralisons le cadre théorique “une ou deux composantes” au cas de composantes , et étudions l’apport respectif de chaque ordre dans la diffusion en ondelettes de . En particulier, nous démontrons qu’un réseau de profondeur caractérise les premiers termes de la série de Fourier par leurs amplitudes et fréquences respectives tout en étant invariant aux phases relatives .
2 Interférométrie en ondelettes
Soit un filtre analytique de moyenne nulle, de fréquence centrale , et de bande passante efficace . On définit un banc de filtres passe-bandes à facteur de qualité constant comme la famille d’ondelettes de fréquences centrales , de bandes passantes efficaces , et d’échelles temporelles efficaces . En pratique, la variable fréquentielle est discrétisée selon une série géométrique de raison . Autrement dit, tout signal continu à bande limitée fait résonner au plus un nombre d’ondelettes . On définit le scalogramme comme le carré du module complexe de la transformée en ondelettes continue
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De même, on définit un second niveau de transformation non linéaire comme le “scalogramme du scalogramme”
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Une telle construction peut être itérée ad infinitum en effectuant, pour tout entier naturel , une “diffusion” (en anglais scattering) du signal temporel multivarié dans chacune des sous-bandes :
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Puisque chaque strate du réseau s’exprime comme la composition d’un système linéaire invariant (la transformée en ondelettes continue) et d’une opération ponctuelle (le module complexe), on constate, par récurrence sur , que tout tenseur est équivariant à l’action du délai . Afin de remplacer cette propriété d’équivariance par une propriété d’invariance, on intègre sur une durée pré-établie , conduisant ainsi à la diffusion invariante (invariant scattering)
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où le -uplet est un chemin de diffusion (scattering path) et la fonction un filtre passe-bas symétrique et réel de support temporel efficace .
3 Coefficient de masquage
La convolution entre toute sinusoïde et toute ondelette s’écrit comme une multiplication dans le domaine de Fourier. Puisque est analytique, seule la partie analytique du signal réel est préservée :
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Par linéarité de la transformée en ondelettes continue, le cas à composantes s’exprime comme une multiplication hétérodyne faisant intervenir le conjugué complexe :
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Puisque l’ondelette est de moyenne nulle, les deux termes constants de l’équation ci-dessus, respectivement proportionels à et , sont absorbés par le réseau à l’ordre un, et disparaissent à partir de la deuxième strate. En revanche, le terme mixte, proportionnel à , présente une fréquence fondamentale . Les auteurs d’une publication précédente ont remarqué que cette interférence produit un pic d’énergie au deuxième ordre de la diffusion pour et [2]. En revanche, ils ne commentent pas la dépendance de ce pic en terme de l’amplitude relative , du profil de l’ondelette , du facteur de qualité , et de l’échelle temporelle de stationnarité locale . Cet article propose de remédier à ce manque, par une analyse plus exhaustive de ces différents paramètres.
Dans la définition originelle de la diffusion en ondelettes, la non-linéarité employée est l’amplitude complexe () plutôt que la puissance () , afin de garantir que chaque opérateur soit Lipschitz-contractant [9]. Néanmoins, pour simplifier les calculs et épargner une étape de linéarisation de la racine carrée, nous choisissons d’adopter une mesure de puissance plutôt que d’amplitude. Cette idée a été initialement proposée par [3] dans un contexte de bioacoustique sous-marine.
L’équation 6 montre que le premier ordre de diffusion transforme le signal à deux composantes en un signal à une composante. Pour que cette composante soit non négligeable, trois conditions doivent être réunies. Premièrement, le produit doit être non négligeable devant chacun des carrés et . Deuxièmenent, il doit exister une résolution d’analyse contenant les deux fréquences et dans sa bande passante. Autrement dit, doit satisfaire l’inégalité pour et à la fois. Troisièmement, la différence de fréquence doit appartenir à la bande passante d’une ondelette au sein de la deuxième strate du réseau de diffusion. Or, en pratique, afin d’assurer la localisation temporelle des coefficients et de restreindre chaque banc de filtres à un nombre fini d’octaves, la dilatation des ondelettes est bornée par la constante temporelle . Par conséquent, il est nécessaire que la période du signal différentiel soit inférieure à la pseudo-période de l’ondelette de support efficace , c’est-à-dire . On a donc nécessairement .
Une manière simple de mesurer le degré d’interférence mutuelle des composantes et consiste à renormaliser les coefficients du second ordre par ceux du premier ordre:
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Une telle opération de post-traitement, proposée par [1], se rapproche conceptuellement de méthodes classiques de contrôle adaptatif du gain, et notamment de la normalisation d’énergie par canal (per-channel energy normalization ou PCEN) [5].
En accord avec la méthodologie “une ou deux composantes” [10], la figure 2 illustre la valeur de ce rapport d’énergie dans la bande de fréquence , pour différentes valeurs de l’amplitude relative et de la différence de fréquence relative . On a fixé sans perte de généralité. Comme attendu, on constate que, pour et une différence de fréquence relative comprise entre et , les ondelettes de la seconde strate résonnent avec le signal différentiel produit par l’interférence des composantes et . La différence des logarithmes entre et caractérise l’intervalle musical formé par ces deux composantes. De plus, afin d’approximer la réponse des cellules ciliées de la cochlée, on emploie des ondelettes Gammatone [8]. Ce choix a pour conséquence de produire un masquage fréquentiel asymétrique, : puisque par convention, il est possible, à et fixées, que soit dans la bande critique de sans que l’inverse soit nécessairement vrai. L’asymétrie est d’autant plus prononcée que la différence de fréquence est grande. Ce phénomène est en accord avec des résultats expérimentaux connus en psychoacoustique.
Afin de décider si la composante est masquée par , on définit le coefficient de masquage
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comme la somme des coefficients renormalisés à travers tous les chemins de diffusion en ondelettes . Pour assez grand, le critère bénéficie de trois propriétés d’invariance : (i) au déphasage ; (ii) à la transposition fréquentielle ; et (iii) au changement d’intensité .
4 Trois composantes ou plus
En acoustique musicale, les sons tonaux naturels sont rarement approximables comme un mélange de seulement deux composantes. Bien plus souvent, ils comportent dix composantes, voire plus, et couvrent simultanément plusieurs octaves. Dès lors, un calcul à l’ordre deux des coefficients de masquage n’apporte qu’une représentation grossière du contenu timbral de chaque bande critique. En effet, ces coefficient encodent les relations mutuelles entre paires de composantes, mais demeurent peu sensibles à la présence de structures plus globales dans l’enveloppe spectrale de la note de musique analysée.
Dans un contexte d’écoute artificielle, l’identification d’une source peut se formuler — en régime stationnaire, du moins — comme un problème inverse sur les paramètres physiques de l’équation des ondes, sous contrainte d’invariance à la fréquence fondamentale. S’agissant d’instruments de musique, on sait par exemple que le mode d’excitation (corde pincée ou frappée) influence l’exposant de décroissance de l’amplitude en fonction de la fréquence, tandis que les conditions aux bords (conduit fermé ou semi-ouvert) influence l’amplitude relative des harmoniques paires par rapport aux harmoniques impaires.
La construction d’un espace de similarité dans lequel les deux facteurs de variabilité susnommés se traduisent par des effets quasi linéaires, orthogonaux, invariants à la fréquence fondamentale, et robustes à la présence de bruit, est essentielle à l’amélioration des performances en apprentissage automatique des sons musicaux. Pourtant, la difficulté de sa résolution réside dans son aspect multi-échelles. Si l’on restreint l’interférométrie à deux partiels adjacents en fréquence, il est difficile de distinguer les effets respectifs des conditions initiales (onde de forme rectangulaire ou triangulaire) et des conditions aux bords (onde à symétrie paire ou impaire) sur les paires d’amplitudes observées. Dans le but de caractériser l’effet conjoint de paramètres physiques divers sur la production d’une note de musique, nous proposons d’étendre la procédure de diffusion en ondelettes au-delà de l’ordre deux. À partir de l’ordre trois, les interférences ne mettent plus en jeu des paires de composantes, mais des structures hétérodynes de plus grande multiplicité, quoique restreintes à une bande critique de largeur préétablie , mesurée en fraction d’octave.
L’application alternée d’une transformée en ondelettes continue et du module complexe présente une forte ressemblance avec l’architecture des réseaux de neurones convolutifs. On parle donc de réseau de diffusion (scattering network), organisé selon différents niveaux (layers) de profondeur. Intuitivement, le passage d’un niveau au suivant double la multiplicité de l’interférence, exprimée en termes de nombre de composantes. La figure 2 illustre cette dépendance logarithmique entre le nombre de composantes et la profondeur de diffusion maximale. On se place dans le cas particulier de la série de Fourier , c’est-à-dire , , et pour tout entier . On étudie la norme de chaque strate, obtenue en sommant les chemins de profondeur finie . Pour compris entre et , on constate que les premières strates du réseau de diffusion parviennent à absorber la quasi-totalité de l’énergie totale du signal, l’énergie résiduelle tombant à zéro pour .
Pour justifier cette observation, on raisonne par récurrence sur la profondeur du réseau de diffusion. On décompose la partie analytique de en une somme de termes dont la bande passante débute à la fréquence et s’arrête à la fréquence . L’utilisation d’ondelettes analytiques de Shannon (profil symétrique en sinus cardinal) avec permet de séparer les signaux , chacun comprenant composantes. L’application du module carré s’écrivant comme une convolution dans le domaine de Fourier, est une série de Fourier de fréquence fondamentale et de bande passante . On se ramène ainsi à l’hypothèse de récurrence avec une profondeur et au plus composantes, ce qui permet de conclure.
5 Conclusion
Dans cet article, on étudié le rôle de chaque strate dans un réseau de diffusion à partir d’une méthodologie de type “une ou deux composantes” [10]. On a donné un critère numérique de masquage psychoacoustique fondé sur la diffusion en ondelettes de sons différentiels. Dans le cas d’une série de Fourier, on a montré que l’énergie diffusée tombe subitement à zéro à partir d’une profondeur de l’ordre du logarithme du nombre de composantes. Ce résultat est un cas particulier du théorème de décroissance exponentielle des coefficients de diffusion [11], qui est généralement valable dans mais exprimé en terme de borne supérieure d’énergie à profondeur fixée, non de borne supérieure de profondeur à bande passante fixée.
Références
- [1] Joakim Andén and Stéphane Mallat “Deep scattering spectrum” In IEEE Trans. Signal Process. 62.16 IEEE, 2014, pp. 4114–4128
- [2] Joakim Andén and Stéphane Mallat “Scattering representation of modulated sounds” In Proc. DAFx, 2012
- [3] Randall Balestriero and Hervé Glotin “Linear time complexity deep fourier scattering network and extension to nonlinear invariants” In arXiv 1707.05841, 2017
- [4] Jinane Harmouche, Dominique Fourer, Pierre Auger and Patrick Flandrin “Une ou deux composantes: la réponse de l’analyse spectrale singulière” In Actes du colloque GRETSI, 2015
- [5] V. Lostanlen et al. “Per-Channel Energy Normalization: Why and How” In IEEE Signal Proc. Let. 26.1, 2019, pp. 39–43
- [6] Vincent Lostanlen “Découverte de structures musicales en temps réel par la géométrie de l’information”, 2013
- [7] Vincent Lostanlen, Joakim Andén and Mathieu Lagrange “Extended playing techniques: The next milestone in musical instrument recognition” In Proc. DLfM, 2018
- [8] Vincent Lostanlen, Grégoire Lafay, Joakim Andén and Mathieu Lagrange “Relevance-based quantization of scattering features for unsupervised mining of environmental audio” In EURASIP J. Audio Speech Mus. Process. 2018.1 Springer, 2018, pp. 15
- [9] Stéphane Mallat “Group invariant scattering” In Comm. Pure Appl. Math. 65.10 Wiley Online Library, 2012, pp. 1331–1398
- [10] Gabriel Rilling and Patrick Flandrin “One or two frequencies? The empirical mode decomposition answers” In IEEE Trans. Signal Process. 56.1 IEEE, 2008, pp. 85–95
- [11] Irène Waldspurger “Exponential decay of scattering coefficients” In Proc. SampTA, 2017, pp. 143–146 IEEE
- [12] Hau-Tieng Wu, Patrick Flandrin and Ingrid Daubechies “One or two frequencies? The synchrosqueezing answers” In Adv. Adapt. Data Anal. 3.01–02 World Scientific, 2011, pp. 29–39