Décomposition en éléments simples des formes méromorphes formelles fermées
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Résumé : On prouve que toute -forme méromorphe formelle fermée admet une décomposition "en éléments simples", ce qui permet en particulier de définir une notion de résidu pour les formes méromorphes formelles fermées qui étend la notion définie pour les formes usuelles.
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Abstract: We show that any closed formal meromorphic -form admits a "partial fraction decomposition", which allows us in particular to define a notion of residue for closed formal meromorphic forms which extends the notion defined for usual forms.
Dans toute la suite, on note l’anneau des germes de fonctions holomorphes à l’origine de et l’ensemble des germes de -formes holomorphes sur . On désigne par et leurs complétés formels. Notons aussi et . Par analogie, on pourra appeler "fonction méromorphe formelle" un élément de et "forme méromorphe formelle" un élément de .
Soit un germe de -forme méromorphe fermée à l’origine de ; on peut écrire où , les sont des éléments irréductibles de , et les sont les multiplicités des pôles . Dans [2], les auteurs prouvent le résultat de décomposition "en éléments simples" suivant :
où est un germe de fonction holomorphe et les sont les résidus de qui se calculent en intégrant le long d’un petit chemin autour du pôle .
L’analogue formel de cette décomposition a été conjecturé dans [1] car il n’existe pas de référence pour ce fait. La principale différence avec le cas convergent est qu’on ne peut pas intégrer une forme formelle le long d’un chemin pour utiliser le théorème des résidus. On se propose dans ce papier de donner une preuve de cette décomposition dans le cas formel : plus précisément, on prouve le théorème suivant :
Théorème 1.
Soient , irréductibles et des entiers tels que soit fermée. Alors il existe des nombres et une série formelle tels que
Le cas est bien connu puisqu’une -forme méromorphe formelle est formellement conjuguée à une -forme méromorphe ordinaire. Dans [1], les auteurs donnent un plan de preuve en dimension basée sur la résolution des singularités du dénominateur ; on propose en partie 1 une autre preuve basée sur un argument cohomologique, toujours en dimension .
Pour le cas général, on passera de la dimension à la dimension en fixant un faisceau de -plans linéaires générique . On pourra alors utiliser le cas sur chaque plan , ce qui nous fournira en particulier des résidus . Une étape délicate à traiter est le problème que cette méthode ne donne aucune information sur la régularité des fonctions . On traitera ce point en partie 2 en montrant qu’en dimension , on peut en fait décomposer une famille analytique en famille, ce qui permettra de prouver que chaque est analytique en .
Le but de cette étape est de pouvoir dériver les fonctions , ce qui permet d’utiliser l’hypothèse que la forme dont on était parti est fermée pour conclure (cf. section 3).
1 Le cas de la dimension
Lemme 1.
Le théorème est vrai si les convergent.
Démonstration.
On considère , et les faisceaux pour et .
On note les sections globales du faisceau , (resp. ) le faisceau des -formes méromorphes fermées (resp. méromorphes formelles fermées) de pôles (contenus dans) , et (resp. ) le quotient des formes fermées par les formes exactes. On a la suite exacte :
d’où, par platitude de sur (voir [5]),
On en déduit que
Or, le théorème 1 est vrai sur d’après [2] donc est engendré par les ; il en résulte que est aussi engendré par les , ce qui implique le résultat. ∎
Lemme 2.
Le théorème est vrai pour .
Démonstration.
En dimension , la fonction est de détermination finie donc formellement difféomorphe à une fonction convergente d’après [6] (voir aussi [4]). On peut donc supposer que l’ensemble est convergent, donc que tous les sont convergents. Il existe alors des unités telles que les soient convergents. Comme et que est bien défini puisque est une unité, on peut se ramener au cas où les convergent et conclure par le lemme 1. ∎
2 Décomposition en famille
Dans cette partie, on considère une famille de -formes méromorphes formelles fermées en dimension dépendant analytiquement d’un paramètre , ie. où les coefficients de et des dépendent analytiquement de . On cherchera à étudier la dépendance en des différents objets intervenant dans la preuve présentée en partie 1.
Pour cela, précisons le contexte algébrique. Notons l’anneau des séries formelles où chaque converge sur un petit disque , et la restriction au plan des séries de dont les coefficients convergent en . Posons et ; on s’intéressera aux idéaux de donnés par et et aux idéaux de donnés par et .
Lemme 3.
Soit une famille analytique de -formes méromorphes formelles fermées en dimension . On suppose que les séries sont irréductibles et deux à deux premières entre elles pour tout proche de .
Alors on peut décomposer les formes en famille au voisinage d’un paramètre générique, ie. il existe des fonctions analytiques et une famille analytique de séries formelles définies au voisinage de telles que
Démonstration.
Commençons par étudier la dépendance en du difféomorphisme formel conjugant à un polynôme dans la preuve du lemme 2.
Considérons la décomposition de en composantes primaires . Comme les sont irréductibles, chaque contient une puissance de donc aucune des composantes n’a de support contenant strictement la droite d’équation . Ainsi, il y a un des (disons ) dont le support est cette droite, et tous les autres supports n’intersectent qu’en des sous-ensembles stricts. Il s’ensuit qu’au voisinage d’un point générique, est égal à donc est -primaire. Or, cela implique qu’il contient une puissance de : il existe tel que au voisinage d’un point générique.
Pour simplifier dans la suite, on considère que . Écrivons où est polynomial dans les variables , de degré total majoré par , et . Posons aussi pour dans .
On doit maintenant incorporer le paramètre comme variable et réitérer le raisonnement précédent. Posons et les objets obtenus en remplaçant le paramètre par dans les définitions précédentes. Notons aussi l’idéal . Écrivons la décomposition de en composantes primaires . On remarque que et de sorte que pour tout . Si l’un des n’était pas invariant le long de la fibration donnée par au voisinage de , on aurait au voisinage du paramètre où le support de intersecte la droite . Ainsi et est en fait -primaire au voisinage de la droite .
Tout ceci nous assure qu’il existe des éléments qui s’annulent en tels que
dans l’anneau . Introduisons enfin le champ de vecteurs , vu comme champ de vecteurs dans l’espace des variables , dépendant analytiquement du paramètre ; son flot au temps , noté , est un difféomorphisme formel entre les plans et , dépendant analytiquement du paramètre . Alors la dérivée dans la direction de vaut par construction. Donc est invariant sous le flot et donc .
On voit donc dans cette construction que les polynômes et les difféomorphismes dépendent analytiquement du paramètre .
Reprenons l’analyse de la dépendance en de la preuve du lemme 2. Quitte à composer pour tout par le difféomorphisme trouvé, on peut supposer que est polynomial pour tout . Alors tous les sont convergents, et comme dépend analytiquement de , les dépendent aussi analytiquement de . Il existe donc des équations convergentes dépendant analytiquement de . C’est ainsi que l’on se ramène au cas où les convergent.
Maintenant, il faut étudier la dépendance en de la preuve du lemme 1. On peut en fait réutiliser exactement les mêmes idées en remplaçant systématiquement chaque faisceau par le faisceau des familles d’éléments de dont les coefficients dépendent analytiquement de paramètres . Pour faire fonctionner la démonstration il faut alors considérer la dérivation uniquement dans les variables spaciales, et utiliser une notion de "platitude en famille" ; plus précisément, on a besoin du fait que la complétion de par rapport à l’idéal soit plate. Ce fait peut être trouvé dans [3]. On est ainsi ramené à prouver le lemme dans le cas convergent. Dans ce cas, les résidus sont définis par des intégrales donc dépendent analytiquement des paramètres, ce qui termine la preuve. ∎
3 La preuve en dimension
Commençons par prouver quelques lemmes dont nous aurons besoin.
Lemme 4.
Si sont des séries formelles irréductibles deux à deux premières entre elles et , alors admet une primitive méromorphe formelle si et seulement si pour tout .
Démonstration.
Supposons que pour une fonction méromorphe formelle . Alors les pôles de sont d’ordre au moins deux donc pour tout . ∎
Le prochain lemme examine comment se comportent les résidus d’une forme globale restreinte aux fibres d’une fibration régulière. On va avoir besoin de distinguer les opérateurs de différentiations en considérant comme un paramètre ou comme une variable, donc pour le prochain lemme, on introduit momentanément les notations suivantes.
Dans un système de coordonnées , on notera l’opérateur de différentiation pour les variables et l’opérateur de différentiation totale (pour les variables et ). Ces opérateurs pourront agir sur les séries ou les -formes, par exemple .
Lemme 5.
Soit une -forme méromorphe formelle fermée sur un voisinage formel d’un ouvert . Soit une fibration régulière de dimension sur transverse à . Notons et .
Supposons qu’il existe des fonctions méromorphes formelles et des résidus tels que
pour tout et que les sont irréductibles et deux à deux premiers entre eux. Alors il existe un ouvert dense sur lequel est constante en et si on pose et , il existe des fonctions méromorphes formelles telles que
Démonstration.
Tout d’abord, notons que le lemme 3 s’applique : les résidus dépendent analytiquement de sur un ouvert dense (et donc la série aussi si on choisit ). Notons la section de telle que pour tout et de sorte que . On obtient donc pour des fonctions méromorphes formelles et pour
D’un autre côté, est fermée donc , or
Ainsi, les coefficients de et de donnent et donc il existe une fonction telle que
Or pour chaque fixé, les fonctions s’annulent en , sont irréductibles et d’après le calcul précédent, est méromorphe. On en déduit d’après le lemme 4 que pour tous et que
∎
Preuve du théorème 1.
Pour se ramener à la dimension , fixons une droite générique et considérons le faisceau de -plans d’axe : si , où décrit un supplémentaire de . Notons et ; la généricité du faisceau garantit que pour tout . On peut donc appliquer le théorème sur ; cependant, les ne sont peut-être plus irréductibles. Ainsi, si , le théorème nous livre résidus ; montrons que ces résidus ne dépendent pas de et que pour tout .
On fait un éclatement le long de : notons la variété éclatée et l’éclatement. Remarquons que est isomorphe à si est l’éclaté de en . Soit et notons l’ensemble des valeurs de non génériques relativement à et à l’éclatement . Plus précisément, un point appartient à s’il satisfait une des conditions suivantes :
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1.
deux coïncident ;
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2.
un des se décompose en plusieurs pour proche de ;
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3.
est un paramètre non générique au sens des lemmes précédents.
Introduisons également l’ouvert de Zariski .
Alors les séries et les résidus sont bien définis localement sur . Par le lemme 5, on peut écrire
au voisinage de tout point de . En particulier, le résidu est constant le long de la branche en dehors de . Les pôles de viennent tous de pôles de donc ils ne sont pas tangents aux fibres de l’éclatement générique . Ainsi n’a pas de résidus et admet donc une intégrale première (on utilise ici le cas convergent : les étant les variables de l’éclatement, on a affaire à une forme convergente). Quitte à changer , on peut ainsi supposer que pour tout .
En dehors de , on peut suivre une branche quand varie et on obtient donc une application de monodromie qui à un lacet basé en associe l’indice tel que à constante multiplicative près. Supposons que ne soit pas transitive : il existe stable. Alors donne une hypersurface invariante par , donc qui provient d’une surface ; comme , l’équation de divise , mais n’est ni inversible ni égale à à constante près.
Ceci contredit l’irréductibilité de donc est transitive et pour tout , notons-le . On obtient ainsi
au voisinage de . On remarque alors que a des pôles bien précis, donc que pour des entiers assez grands, est localement bornée (ou, plus précisément : les dérivées des coefficients de la série formelle sont localement bornés) sur . Il s’ensuit que se prolonge en une fonction méromorphe formelle définie sur tout entier.
Cette formule passe ainsi à l’éclatement pour donner
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Références
- [1] Cerveau, D., and Garba Belko, D. Théorèmes de Borel avec contraintes. J. Singul. 17 (2018), 245–266.
- [2] Cerveau, D., and Mattei, J.-F. Formes intégrables holomorphes singulières. Astérisque 97. Soc. Math. France, 1982.
- [3] Eisenbud, D. Commutative Algebra with a View Toward Algebraic Geometry. Graduate Texts in Mathematics. Springer, 1995.
- [4] Mather, J. N. Stability of mappings. II. Ann. of Math. 89 (1969), 254–291.
- [5] Serre, J. P. Géométrie algébrique et géométrie analytique. Ann. Inst. Fourier 6 (1955-56), 1–42.
- [6] Tougeron, J.-C. Équivalence des idéaux de fonctions différentiables. C. R. Acad. Sci. Paris Sér. A-B 262 (1966), 563–565.
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