Dualité de Koszul formelle et théorie des représentations des groupes algébriques réductifs en caractéristique positive
Résumé.
Dans cet article nous présentons les grandes lignes de la preuve d’une formule de caractères pour les représentations basculantes des groupes algébriques réductifs sur un corps de caractéristique positive, obtenue partiellement en collaboration avec plusieurs auteurs. Nous unissons les différentes étapes de cette preuve dans la notion de “dualité de Koszul formelle”, et en présentons quelques applications.
1. Introduction
1.1. Présentation
Le but principal de cet article est de présenter les grandes lignes de la preuve d’une formule de caractères pour les représentations basculantes des groupes algébriques réductifs sur des corps algébriquement clos de caractéristique positive, conjecturée par G. Williamson et le second auteur [RW1], et démontrée dans une suite de travaux partiellement en collaboration avec S. Makisumi, C. Mautner, L. Rider, et G. Williamson (voir notamment [ARd, MR2, AR4, AMRW2]).
Cette preuve implique la construction de plusieurs équivalences de catégories qui ont une structure similaire, que nous avons essayé d’axiomatiser dans la notion de “dualité de Koszul formelle”. La dualité de Koszul “classique” (étudiée notamment dans un article fondateur de Beĭlinson–Ginzburg–Soergel [BGS]) est une équivalence de catégories qu’on peut construire quand on rencontre un anneau de Koszul. Une dualité de Koszul formelle est “une dualité de Koszul sans anneau de Koszul”, c’est-à-dire un foncteur possédant certaines propriétés formellement similaires à celles des dualités de Koszul (ou plus précisément de “Ringel–Koszul”) classiques, mais qui peut exister même dans des situations où aucun anneau de Koszul n’est présent.
1.2. Anneaux et dualité de Koszul
La notion d’anneau de Koszul a été introduite par Priddy, et étudiée dans un cadre général et très satisfaisant par Beĭlinson–Ginzburg–Soergel [BGS]. Il s’agit d’un anneau gradué par , dont la composante de degré est un anneau semi-simple, et qui vérifie la condition que
(1.1) |
(Ici, désigne la catégorie des -modules gradués de type fini, et est le décalage de la graduation, avec des conventions précisées ci-dessous.)
Sous certaines conditions techniques, si est un anneau de Koszul l’anneau gradué
est encore un anneau de Koszul (appelé anneau de Koszul dual), et (sous des hypothèse techniques plus fortes) il existe une équivalence de catégories triangulées entre les catégories dérivées bornées des -modules gradués de type fini et des -modules gradués de type fini (appelée dualité de Koszul associée à ). En un sens cette équivalence “mélange” la graduation des modules et la graduation cohomologique des complexes ; plus préciément elle vérifie . En particulier, la condition (1.1) se traduit par le fait que l’image par d’un -module simple gradué concentré en degré est un -module gradué projectif, et dualement l’image inverse par d’un -module simple gradué concentré en degré est un -module gradué injectif.
Le modèle typique de cette construction est obtenu quand est l’algèbre extérieure d’un espace vectoriel de dimension finie (avec sa graduation naturelle) ; l’anneau dual est alors l’algèbre symétrique de l’espace vectoriel dual (avec sa graduation naturelle, encore une fois).
1.3. La dualité de Koszul de Beĭlinson–Ginzburg–Soergel
L’exemple principal qui a motivé l’étude générale de ces constructions par Beĭlinson–Ginzburg–Soergel est celui où est l’anneau qui “gouverne” un bloc régulier de la catégorie d’une algèbre de Lie semi-simple complexe (c’est-à-dire l’anneau opposé à celui des endomorphismes d’un générateur projectif de cette catégorie). Cet anneau n’est pas “naturellement” gradué ; cependant Beĭlinson–Ginzburg–Soergel montrent qu’il peut être muni d’une graduation qui en fait un anneau de Koszul, isomorphe à son anneau de Koszul dual. La dualité de Koszul associée permet d’“expliquer” certaines formules vérifées par les polynômes de Kazhdan–Lusztig, et notamment la “formule d’inversion” de Kazhdan–Lusztig.
1.4. Dualité de Koszul et anneaux quasi-héréditaires
En plus du fait qu’il peut être muni d’une graduation de Koszul, l’anneau considéré au §1.3 possède une autre structure remarquable : il s’agit d’un anneau quasi-héréditaire ; en d’autres termes, il possède des modules “standards” et des modules “costandards” qui exhibent des propriétés cohomologiques remarquables. Les anneaux gradués qui possèdent ces deux structures, et pour lesquels les deux structures sont “compatibles” en un sens approprié, sont appelés quasi-héréditairement de Koszul.
Les anneaux quasi-héréditaires (gradués ou non) possèdent également un autre type de “dualité”, la dualité de Ringel. En général, le dual de Ringel d’un anneau quasi-héréditairement de Koszul n’est pas nécessairement quasi-héréditairement de Koszul ; cependant, quand il l’est, des résultats de Mazorchuk [Ma] montrent que les dualités de Koszul et de Ringel commutent en un sens approprié, et leur composition devient une “dualité de Koszul–Ringel” qui envoie les modules simples concentrés en degré vers des modules basculants de l’anneau dual. En particulier, cette situation se produit dans le contexte de Beĭlinson–Ginzburg–Soergel ; dans ce cas le dual de Ringel de l’anneau du §1.3 est également isomorphe à , et la dualité de Koszul–Ringel est donc une auto-équivalence de la catégorie dérivée bornée des -modules gradués de type fini.
Cet anneau “contrôle” également la catégorie des faisceaux pervers sur la variété de drapeaux associée à notre algèbre de Lie semi-simple, constructibles par rapport à la stratification de Bruhat (et à coefficients complexes). Une idée fondamentale suggérée par Beĭlinson–Ginzburg [BG] et mise en pratique par Bezrukavnikov–Yun [BY] est que, dans ce cadre, la dualité de Koszul–Ringel admet une vaste généralisation, qui relie les faisceaux pervers sur la variété de drapeaux d’un groupe de Kac–Moody aux faisceaux pervers sur la variété de drapeaux du groupe de Kac–Moody dual (au sens de Langlands).
1.5. Objets à parité et dualité de Koszul formelle
Dans le cadre de Beĭlinson–Ginzburg–Soergel, la “Koszulité” est une propriété d’un anneau, et permet la construction d’une dualité de Koszul (ou de Koszul–Ringel). Une idée exprimée notamment dans [So5]111La prépublication [So5] contient une erreur dans une preuve cruciale ; cette preuve a été corrigée, et la construction complétée, dans l’article [RSW]. est que, dans le contexte de la théorie des représentations sur des corps de caractéristique positive, on peut recontrer des équivalences qui ont les mêmes propriétés formelles que les dualités de Koszul, même en l’absence d’anneaux de Koszul. En d’autres termes, cette idée suggère que la “Koszulité” est une propriété d’un foncteur plutôt que d’un anneau (ou de sa catégorie de modules).
Pour exprimer cette idée plus précisément, nous avons besoin de la notion d’objets à parité. Cette notion a été introduite et étudiée par Juteau–Mautner–Williamson [JMW] dans le cadre des complexes de faisceaux sur des variétés algébriques. Dans cet article nous en considérons une variante dans le cadre des catégories triangulées munies d’une collection quasi-exceptionnelle (au sens de [B1]) “à parité”. Dans le cas où cette collection quasi-exceptionnelle est en fait exceptionnelle (au sens de [B2]), et si de plus ses objets appartiennent au coeur de la t-structure associée, ce coeur possède une structure naturelle de catégorie de plus haut poids (c’est-à-dire une structure similaire à celle de la catégorie des modules sur un anneau quasi-héréditaire), et on peut également considérer les objets basculants dans cette catégorie. Une dualité de Koszul formelle est (essentiellement) un foncteur entre deux catégories triangulées possédant ces structures, qui envoie les objets à parité de la première catégorie sur les objets basculants de la seconde et réciproquement.
Dans la plupart des contextes rencontrés en pratique pour lesquels le corps de coefficients considéré est de caractéristique (comme dans [BGS] ou [BY]), les objets à parité sont en fait des sommes directes de décalés d’objets simples dans le coeur de la t-structure associée à la collection exceptionnelle considérée. En ce sens les dualités de Koszul–Ringel considérées dans [BGS, BY] sont des dualités de Koszul formelles. Cependant, cette notion recouvre également d’autres constructions qui ne s’énoncent pas naturellement en termes d’anneaux (par exemple celles de [ABG]) ; de plus, dans des exemples importants pour les lesquels le corps de coefficients est de caractéristique positive, ces objets à parité ne sont pas des sommes de décalés d’objets simples, et il n’y a donc pas d’anneau de Koszul “sous-jacent” à la dualité de Koszul formelle considérée.
1.6. Formule de caractères pour les représentations basculantes des groupes algébriques réductifs
Le contexte principal dans lequel de tels foncteurs apparaissent est le suivant. Considérons un groupe algébrique réductif connexe défini sur un corps algébriquement clos de caractéristique . La catégorie des représentations algébriques de dimension finie de possède une structure naturelle de catégorie de plus haut poids, et la détermination des caractères des représentations basculantes indécomposables associées est un problème crucial du domaine. (Il est notamment connu qu’à partir de ces caractères on peut obtenir une formule de caractères pour les représentations simples de .)
Dans [RW1], G. Williamson et le second auteur ont proposé une formule conjecturale permettant de déterminer ces caractères, qui fait intervenir les -polynômes de Kazhdan–Lusztig associés au groupe de Weyl affine associé à . Ces polynômes sont une “trace combinatoire” des objets à parité dans une catégorie de -faisceaux sur la variété de drapeaux affines du groupe Langlands-dual. Cette conjecture énonce donc une égalité entre des données combinatoires provenant d’objets basculants et d’objets à parité, ce qui suggère de la voir comme une trace combinatoire d’une dualité de Koszul formelle. Cependant, sa preuve fait intervenir non pas une mais trois foncteurs de type “dualité de Koszul formelle” :
-
(1)
une généralisation de la dualité de Koszul de Bezrukavnikov–Yun au cas des -faisceaux, démontrée en collaboration avec S. Makisumi et G. Williamson [AMRW2] et reliant certains complexes de faisceaux “d’Iwahori–Whittaker” sur une variété de drapeaux affines à des complexes de faisceaux sur une Grassmannienne affine ;
-
(2)
une adaptation au cadre modulaire d’une équivalence due à Arkhipov–Bezrukavnikov–Ginzburg [ABG] reliant certains complexes de faisceaux sur une Grassmannienne affine à des complexes de faisceaux cohérents équivariants sur la résolution de Springer du groupe dual, démontrée indépendamment par L. Rider et le premier auteur [ARd] et par C. Mautner et le second auteur [MR2] ;
- (3)
1.7. Contenu
La Partie I de cet article est dédiée au rappel du point de vue “classique” sur la dualité de Koszul, dû notamment à Beĭlinson–Ginzburg–Soergel. En particulier, au §2 nous rappelons les définitions et propriétés principales des anneaux de Koszul. Au §3 nous considérons les anneaux quasi-héréditaires, et l’interaction entre cette notion et la Koszulité. Enfin, au §4 nous rappelons quelques résultats concernant les relations entre la dualité de Koszul et la dualité de Ringel.
La Partie II est dédiée à l’étude générale de la notion de dualité de Koszul formelle. Au §5 nous considérons une variation de la notion de complexes à parité de Juteau–Mautner–Williamson [JMW]. Puis au §6 nous définissons les dualités de Koszul formelles, et énonçons quelques propriétés qui découlent directement de la définition.
Enfin, la Partie III est dédiée aux exemples de telles dualités qui apparaissent en lien avec la théorie des représentations modulaires des groupes algébriques réductifs. Au §7 nous présentons ces exemples. Au §8 nous énonçons quelques conséquences combinatoires de l’existence de ces foncteurs, dans le cadre des bases -canoniques de Williamson. Enfin, au §9 nous présentons quelques applications de ces résultats :
-
(1)
à la preuve de la formule de caractères conjecturée dans [RW1] ;
-
(2)
à une preuve de la conjecture de Humphreys sur les variétés de support des -modules basculants en grande caractéristique (obtenue dans [AHR], en collaboration avec W. Hardesty) ;
-
(3)
à des formules “de Steinberg” et “de Donkin” pour la base -canonique (qui n’avaient pas été considérées jusque-là).
1.8. Remerciements
Comme expliqué ci-dessus, les résultats présentés dans ce texte sont issus de travaux effectués partiellement en collaboration avec S. Makisumi, C. Mautner, L. Rider, et G. Williamson. Nous les remercions tous les quatre pour l’aide et les idées qu’ils nous ont apportées. Nous remercions également la Société Mathématique de France et les organisateurs du congrès de Lille pour avoir donné l’occasion à l’un de nous de présenter ces travaux lors du 2ème congrès de la S.M.F.
L’essentiel du travail sur cet article a été effectué alors que le second auteur était membre du Freiburg Institute for Advanced Studies, dans le cadre du programme “Cohomology in Algebraic Geometry and Representation Theory” organisé par A. Huber-Klawitter, S. Kebekus et W. Soergel.
Partie I Dualité de Koszul classique
2. Anneaux de Koszul et dualité
2.1. Définitions
Soit un corps, et soit une -algèbre positivement graduée. Notons la catégorie des -modules gradués de type fini, et soit sa catégorie dérivée bornée. Si , nous noterons le module obtenu par décalage de la graduation, où . Pour , soit l’espace vectoriel gradué défini par
(2.1) |
Supposons maintenant de plus que chaque composante de est de dimension finie sur , et que la composante est un anneau semi-simple. Notons
l’ensemble des classes d’isomorphisme de -modules simples dont la graduation est concentrée en degré . (Cet ensemble est en bijection avec celui des classes d’isomorphisme de -modules simples; en particulier il est fini.) Notons
l’ensemble des classes d’isomorphisme de -modules projectifs indécomposables dont l’unique quotient simple est concentré en degré . Il y a évidemment une bijection canonique entre et , envoyant sur son unique quotient simple. Il sera souvent pratique d’introduire un nouvel ensemble de paramètres avec une bijection fixée
(2.2) |
Pour , notons
un -module gradué simple, resp. projectif, dans la classe d’isomorphisme correspondante. En particulier, il y un morphisme surjectif .
Considérons maintenant l’anneau
Cet anneau est -gradué: on a
Il est clair que la graduation en exposant (la graduation “cohomologique”) est positive. La graduation en indice (ou “interne”) vérifie certaines bornes aussi. En effet, nos hypothèses impliquent que le module semi-simple admet une résolution projective
où chaque terme est un -module gradué projectif qui vérifie
Par conséquent, l’algèbre -graduée vérifie
L’algèbre est dite de Koszul si vérifie la condition
Si est de Koszul, soit
l’anneau opposé de , muni de la graduation définie par . Cet anneau gradué vérifie les mêmes hypothèses que celles imposées sur ; en particulier il est de Koszul (voir [BGS, Proposition 2.9.1 et Theorem 2.10.1]), et on l’appelle le dual (au sens de Koszul) de . Il est à noter que l’opération n’est pas une involution. Cependant, elle n’est pas loin de l’être, ce qui justifie l’utilisation du mot “dual” ; voir la Remarque 2.5. On remarquera également que
est un anneau semi-simple, dont les classes d’isomorphisme de modules simples sont en bijection canonique avec .
Remarque 2.1.
-
(1)
Soit comme ci-dessus (positivement graduée, avec composantes graduées de dimension finie), mais ne supposons pas a priori que est semi-simple. Définissons encore comme l’ensemble des classes d’isomorphisme de -modules simples, ou de façon équivalente de -modules simples concentrés en degré . Alors la condition que pour implique en particulier que
pour tous . Donc est automatiquement un anneau semi-simple.
- (2)
Exemple 2.2.
Soit un espace vectoriel de dimension finie sur , et soit l’algèbre symétrique associée. Munissons-la de la graduation “naturelle”, où . Il est bien connu que l’algèbre s’identifie à l’algèbre extérieure de l’espace vectoriel dual, et que si . Cet anneau est isomorphe à son anneau opposé, et on a donc .
Il est également possible d’échanger les rôles des deux algèbres dans cet exemple: voir l’Exemple 2.6.
2.2. Dualité de Koszul
Pour un anneau gradué , on notera
la sous-catégorie triangulée pleine de engendrée par les modules de longueur finie, resp. par les modules projectifs de type fini. (On appelle les objets de les complexes parfaits.) L’énoncé suivant explique, dans le cas où est de Koszul, la relation entre les -modules gradués et les -modules gradués.
Proposition 2.3.
Pour une preuve de cette proposition, voir [BGS, Theorem 2.12.1]. (En fait, ce dernier résultat est beaucoup plus général que notre Proposition 2.3: les hypothèses sur les anneaux ainsi que les conditions “lf” et “pf” ont été affaiblies. Par contre, la version ci-dessus est plus facile à énoncer et suffira pour nos buts.)
Sous certaines hypothèses de finitude supplémentaires, on peut supprimer les indices “lf” et “pf” dans la Proposition 2.3. Si est de dimension finie, alors la catégorie a assez d’injectifs. Notons
l’ensemble des classes d’isomorphisme de -modules gradués injectifs indécomposables dont l’unique sous-module simple est concentré en degré . Il y a encore une fois une bijection canonique . Pour , notons le module injectif correspondant. On a alors le résultat suivant.
Théorème 2.4 (Dualité de Koszul, 1ère version).
Soit comme au §2.1, supposée de plus de dimension finie sur , de dimension globale finie, et de Koszul. Alors le dual est de dimension finie sur , de dimension globale finie (et de Koszul), et il existe une équivalence de catégories triangulées
telle que
pour tout dans . Via l’identification considérée ci-dessus, on a
pour tout .
Démonstration.
L’anneau est de dimension finie car est de dimension globale finie. Puisque tout -module est de longueur finie, le foncteur d’inclusion est une équivalence de catégories. On a alors le foncteur de la Proposition 2.3. En considérant les espaces
on peut vérifier que est l’unique quotient simple de . En particulier, tout -module simple est un complexe parfait, ce qui implique que est de dimension globale finie. Cette propriété nous assure que l’inclusion est une équivalence de catégories, et on peut alors considérer comme une équivalence . ∎
Remarque 2.5.
-
(1)
Pour une version plus “catégorique” de cette construction, on pourra consulter [AR1, Theorem 2.4].
-
(2)
Il est clair d’après la preuve du théorème que les hypothèses réellement nécessaires sont que est de dimension finie et que est de dimension globale finie. Cependant, imposer les deux conditions sur permet d’obtenir une version plus symétrique de l’énoncé.
-
(3)
On peut remarquer que les rôles des modules projectifs et injectifs dans le Théorème 2.4 n’est pas symétrique, et se demander s’il existe une version modifiée de cet énoncé qui échange leurs rôles. C’est bien le cas : si est de Koszul, son anneau opposé l’est aussi (voir [BGS, Proposition 2.2.1]), et on peut poser
Avec cette notation, [BGS, Theorem 2.10.2] implique qu’il existe des isomorphismes canoniques
Si vérifie de plus les hypothèses du Théorème 2.4, alors il existe une équivalence de catégories triangulées qui envoie les modules projectifs (resp. simples) sur des modules simples (resp. injectifs).
Exemple 2.6.
Soit l’algèbre extérieure du dual d’un espace vectoriel . Comme on l’a vu dans l’Exemple 2.2, on a . (Ici on a utilisé le fait que les algèbres symétriques et extérieures sont toutes les deux isomorphes, de façon naturelle, à leurs anneaux opposés.) Cet exemple ne rentre pas dans le cadre du Théorème 2.4 car n’est pas de dimension globale finie ; mais sa preuve reste valable dans ce cas particulier222En fait, ce cas particulier est justement celui qui a motivé le développement de cette théorie. (voir la Remarque 2.5(2)), et on obtient une equivalence de catégories triangulées
Rappelons maintenent que l’anneau est auto-injectif: ses modules injectifs coïncident avec ses modules projectifs. Le foncteur envoie alors
où est l’unique module simple concentré en degré (et de même pour ). La dualité de Koszul pour les algèbres symétrique et extérieure jouit donc d’une symétrie supplémentaire, qui ne vaut pas pour les anneaux de Koszul généraux.
2.3. Quelques exemples
Soit l’algèbre des chemins (à coefficients dans ) du carquois suivant :
(2.3) |
De même, soit l’algèbre des chemins du carquois obtenu en inversant les flèches:
(La concaténation des chemins sera notée avec les mêmes conventions que pour les compositions d’applications.) Munissons et et de la graduation donnée par la longueur des chemins. (En particulier, les idempotents correspondant aux sommets sont de degré , et les éléments , , , et correspondant aux flèches sont tous de degré ). Pour rendre explicite cette graduation, nous décrirons les représentations du carquois comme des espaces vectoriels gradués, de façon compatible avec les degrés des flèches. Par exemple, les diagrammes suivants correspondent à des -modules gradués :
Les anneaux de la colonne de gauche du tableau ci-dessous sont de Koszul, et leurs duaux de Koszul sont les anneaux qui figurent dans la colonne de droite :
En fait, pour vérifier cela on peut procéder de la façon suivante. On écrit comme l’algèbre tensorielle du bimodule sur donné par (avec , , etc.). L’algèbre tensorielle d’un bimodule sur un anneau semisimple est toujours de Koszul, ce qui règle la première et la troisième ligne de ce tableau. Pour la deuxième ligne, on voit que est l’anneau quadratique défini par et les relations . S’il est de Koszul, son anneau dual est l’anneau quadratique dual (voir la Remarque 2.1(2)). Avec les conventions adoptée dans [BGS], cet anneau quadratique dual est défini par le -bimodule (où , , ) et les relations . Il ne reste donc plus qu’à voir que est de Koszul.
Un module gradué sur cet anneau peut être vu comme une représentation graduée du carquois (2.3) qui vérifie la relation . Nous allons donc écrire les modules dans le langage des carquois. Les -modules simples en degré sont :
Leurs couvertures projectives et enveloppes injectives sont:
En particulier, on a des résolutions projectives des objets simples de la forme
(2.4) |
qui montrent que est bien de Koszul.
On peut comprendre plus concrètement la relation dans l’anneau dual de la façon suivante. En utilisant les résolutions projectives ci-dessus on peut vérifier que et sont de dimension ; plus précisément, il existe des suites exactes courtes non scindées
Soient et les éléments correspondants à ces suites exactes courtes. Le produit au sens de Yoneda correspond à la suite exacte
(2.5) |
Il existe une suite de sous-modules telle que et . Autrement dit, la classe de la suite (2.5) dans le groupe est nulle.
3. Anneaux quasi-héréditaires et catégories de plus haut poids
3.1. Anneaux quasi-héréditaires
Comme au §2.1, soit une -algèbre positivement graduée, qu’on supposera ici de dimension finie pour simplifier. Soit un ensemble paramétrant les -modules simples (ou, de façon équivalente, les -modules simples concentrés en degré ). Supposons que est muni d’un ordre partiel . On appellera “idéal” de un sous-ensemble tel que si , et alors . Pour tout idéal , on notera la sous-catégorie pleine de formée par les modules dont tous les facteurs de composition sont de la forme avec et . On considérera en particulier cette sous-catégorie dans le cas où , et dans celui où .
L’algèbre est dite quasi-héréditaire graduée si pour tout il existe des objets et des morphismes qui vérifient les conditions suivantes:
-
(1)
pour tout module simple , on a ;
-
(2)
pour tout idéal et tout maximal, est la couverture projective de dans , et est son enveloppe injective ;
-
(3)
le noyau de et le conoyau de appartiennent à ;
-
(4)
pour tout , on a .
Les modules de la forme , resp. , sont dits standards, resp. costandards. Notons que toute algèbre quasi-héréditaire est de dimension globale finie ; voir [BGS, Corollary 3.2.2]. Notons également qu’on a automatiquement
(3.1) |
voir par exemple [R3, Corollary 7.6].
Remarque 3.1.
-
(1)
Les objets et sont bien sûr uniques (à isomorphisme près) s’ils existent.
-
(2)
La notion d’algèbre quasi-héréditaire est due à Cline–Parshall–Scott ; voir notamment [CPS]. La définition que nous considérons ici est différente de celle étudiée dans [CPS] ; cependant, il est possible de déduire de [CPS, Theorem 3.6] et de [BGS, Theorem 3.2.1] que les deux notions de quasi-hérédité coïncident. La définition adoptée ci-dessus (qui est suggérée dans [BGS]) a l’avantage d’être “catégorique”; c’est-à-dire qu’elle s’adapte bien au cadre des catégories abéliennes plus générales, qui ne sont pas définies naturellement comme une catégorie de modules sur un anneau.
-
(3)
Notons bien que dans cette partie les algèbres que nous considérons sont positivement graduées. On peut bien sûr étudier des algèbres quasi-héréditaires graduées par (aucun des axiomes ci-dessus n’utilise nos restrictions sur la graduation), mais nous ne le ferons pas ici.
-
(4)
Ci-dessous nous considérerons également des algèbres quasi-héréditaires non graduées. Pour les définir, il suffit de remplacer les et les dans les axiomes ci-dessus par les et ordinaires, et d’omettre les décalages de graduation.
3.2. Anneaux quasi-héréditairement de Koszul et dualité de Koszul
Soit une -algèbre quasi-héréditaire graduée (avec les conventions du §3.1). On dira que est quasi-héréditairement de Koszul si pour tous , on a
(3.2) |
si .
Remarque 3.2.
Dans la terminologie de [BGS, Definition 2.14.1], la condition que si peut s’interpréter comme disant que les modules gradués sont des modules de Koszul.
Cette terminologie est justifiée par le résultat suivant. (Pour une preuve dans le langage de modules sur un anneau, voir [ADL]. Pour une preuve dans un langage catégorique plus proche de celui utilisé ici, voir [AR3, Proposition 2.13] et la Remarque 2.1.)
Proposition 3.3.
Si est une -algèbre quasi-héréditairement de Koszul, alors elle est de Koszul.
Remarque 3.4.
Cette proposition implique en particulier que si est une -algèbre quasi-héréditairement de Koszul alors l’anneau est semi-simple.
Considérons encore une -algèbre quasi-héréditaire graduée comme au §3.1. Si est un -module gradué, une filtration standard, resp. costandard, est une filtration finie telle que tout sous-quotient est un module standard, resp. costandard. Une propriété très importante des anneaux quasi-héréditaires est que tout module projectif admet une filtration standard (voir [BGS, Theorem 3.2.1]). En un sens, les modules standards servent donc à “interpoler” entre les modules simples et les modules projectifs. De même, les modules costandards interpolent entre les modules simples et les modules injectifs. Il est donc naturel de se demander comment les modules (co)standards se comportent par rapport au foncteur du Théorème 2.4.
Le résultat suivant est démontré dans [ADL]. Ci-dessous nous en donnons une autre preuve.
Théorème 3.5 (Dualité de Koszul, 2ème version).
Soit une algèbre quasi-héréditaire graduée comme au §3.1 (pour un ensemble partiellement ordonné ), et supposons que est quasi-héréditairement de Koszul. Alors le dual de Koszul est quasi-héréditaire gradué (par rapport à l’ensemble partiellement ordonné ) et quasi-héréditairement de Koszul. Il existe une équivalence de catégories triangulées
qui vérifie
pour tout dans , et telle que
pour tout .
Pour démontrer ce résultat, nous aurons besoin du lemme suivant. Ici, pour une catégorie triangulée et une collection d’objets de , nous noterons la sous-catégorie de engendrée par extensions par les objets , c’est-à-dire la plus petite sous-catégorie pleine de contenant ces objets et telle que si et si est un triangle distingué, alors appartient à .
Lemme 3.6.
Soit une -algèbre quasi-héréditaire graduée comme au §3.1 (pour un ensemble partiellement ordonné ). Pour dans , les deux conditions suivantes sont équivalentes:
-
(1)
pour tout , on a si ;
-
(2)
appartient à .
Démonstration.
Pour démontrer que (2) implique (1), on peut supposer que . Dans ce cas, le résultat voulu est une conséquence de (3.1).
Supposons maintenant que vérifie la condition (1), et soit le plus petit idéal tel que appartient à la sous-catégorie triangulée de engendrée par les objets . Nous procéderons par récurrence sur le cardinal de . Si est vide, alors , et il n’y a rien à prouver. Sinon, soit un élément maximal de . Le formalisme de recollement (tel que développé dans [B1, Lemma 4] ; voir aussi [R3, §7.3]) et notre condition sur permettent de construire un morphisme canonique
dont le cocône appartient à la sous-catégorie triangulée engendrée par les objets . En utilisant (3.1), ll n’est pas difficile de voir que vérifie encore la condition (1). Par récurrence il vérifie également (2), et on en déduit la même condition pour . ∎
Démonstration du Théorème 3.5.
Définissons et comme dans le Théorème 2.4. Pour tout , notons la sous-catégorie pleine de dont les objets sont les modules dont tous les facteurs de composition sont de la forme avec .
Pour commencer, nous allons montrer que vérifie les axiomes (1)–(4) définissant les anneaux quasi-héréditaires, et que envoie les -modules standards sur les -modules costandards.
Pour démontrer (1), on remarque que puisque , pour tout on a
Bien sûr, ce groupe est nul si . Et pour , on remarque que
Mais, puisque est le socle de , en utilisant le fait que est concentré en degrés positifs ou nuls et que est semi-simple, on voit que le conoyau de l’injection est concentré en degrés strictement négatifs; il ne peut donc pas posséder comme facteur de composition, ce qui implique que .
Ensuite, définissons par
A priori, il s’agit d’un objet de . Pour montrer qu’il appartient en fait à , il suffit de montrer que
En appliquant , on transforme cette condition en la version équivalente suivante :
Le fait que cet espace est nul si découle du fait que est quasi-héréditairement de Koszul. Si et , alors appartient à , où est l’idéal , dans lequel est maximal. L’annulation voulue découle alors du fait que (par hypothèse) est l’enveloppe injective de dans , puisque le foncteur naturel
est pleinement fidèle (voir [R3, Proposition 7.9(1)]).
Nous avons établi que . Pour montrer que, pour tout idéal (pour ) dans lequel est maximal, est la couverture projective de dans , il suffit de montrer que pour tout on a
et que si on a
En appliquant , on se ramène à des arguments similaires à ceux utilisés ci-dessus.
Soit le noyau de la surjection . On veut montrer que appartient à , c’est-à-dire que si . L’objet s’identifie au décalage par du conoyau de l’injection . Ce dernier objet admet une filtration costandard, dans laquelle les objets qui interviennent vérifient . On peut en déduire que si , et ainsi que , comme souhaité. On a donc vérifié les axiomes (2) et (3) pour les objets .
Construisons maintenant les objets . Puisque est de dimension finie, tout module simple admet une enveloppe injective . Si est un idéal (pour ) dans lequel est maximal, notons le plus grand sous-objet de qui appartient à . Alors est l’enveloppe injective de dans . Nous affirmons que cet objet ne dépend par de , c’est-à-dire que si alors l’inclusion est une égalité. Nous procéderons par récurrence descendante sur le cardinal de . Pour cela choisissons maximal et différent de , et posons . Si admet comme facteur de composition pour un , d’après les propriétés des objets standards (démontrées ci-dessus) on doit avoir
Par définition de , cet espace s’identifie à , et donc est un facteur de composition de . Ceci implique que , ce qui est absurde puisque est maximal dans .
Au vu de cette propriété, on peut donc poser , et cet objet vérifie l’axiome (2). Il vérifie également l’axiome (3), puisque pour on a
On considère finalement l’axiome (4). L’axiome (3) implique déjà que
pour tous (voir par exemple la preuve de [R3, Lemma 7.4]). On en déduit plus généralement que si est un -module gradué admettant une filtration par des objets , alors . Soit le noyau de l’unique morphisme non nul (qui est surjectif puisque est la tête de ). Pour montrer que , il suffit de montrer que , et on se ramène donc à montrer que (ou, de façon équivalente, ) possède une filtration par des objets , c’est-à-dire appartient à . Via , cette condition équivaut à dire que appartient à . Cette dernière propriété découle du Lemme 3.6 et de notre hypothèse sur .
Pour conclure, il reste maintenant à montrer que est quasi-héréditairement de Koszul, c’est-à-dire que
si . En appliquant , on voit que la première égalité revient à dire que si , ce qui est clair. Pour la deuxième condition, en appliquant l’énoncé dual du Lemme 3.6, on voit qu’on doit démontrer que appartient à , ce qui se traduit (en appliquant ) par la condition que appartient à , c’est-à-dire que admet une filtration costandard. Cette dernière propriété est connue, comme rappelé ci-dessus. ∎
Exemple 3.7.
Soit comme au §2.3. Considérons son quotient , et posons
On peut montrer que ces objets vérifient les axiomes de la définition d’un anneau quasi-héréditaire (par rapport à l’ordre usuel ). Le seul point délicat de cette preuve est la démonstration que ; pour cela on peut utiliser la première résolution projective de (2.4).
Les anneaux de Koszul autres que et considérés au §2.3 ne sont quasi-héréditaires pour aucun ordre sur .
3.3. Un exemple fondamental : la dualité de Koszul de Beĭlinson–Ginzburg–Soergel
Soit une algèbre de Lie complexe semi-simple, dont on fixe une sous-algèbre de Borel et une sous-algèbre de Cartan, et soit la catégorie de -modules définie dans [BGG]. Soit son bloc principal, c’est-à-dire la sous-catégorie de Serre engendrée par les modules irréductibles dont le plus haut poids est de la forme pour dans le groupe de Weyl , où est la demi-somme des racines positives. Par définition, les objets simples dans sont paramétrés par . Il découle par ailleurs des résultats de [BGG] que tout objet de est de longueur finie, et que cette catégorie a assez d’objets projectifs. Soit , resp. , le module simple correspondant à , resp. sa couverture projective. Des résultats généraux d’algèbre homologique impliquent que
(3.3) |
Ici, l’anneau est une -algèbre de dimension finie.
Cet anneau est en fait quasi-héréditaire : sous l’équivalence (3.3), les -modules de Verma deviennent les -modules standards, et leurs duaux deviennent les -modules costandards. Par contre, n’a pas de graduation évidente.
Les résultats principaux de [BGS] affirment que cet anneau possède les propriétés remarquables suivantes :
-
(1)
L’anneau admet une graduation positive , où est un anneau semi-simple. Ses modules (co)standards admettent des graduations; ainsi, est un anneau quasi-héréditaire gradué.
-
(2)
L’anneau gradué quasi-héréditaire est quasi-héréditairement de Koszul, et donc de Koszul.
-
(3)
L’anneau gradué est isomorphe à son dual de Koszul.
La catégorie des modules gradués de type fini sur peut être considérée comme une “version graduée” de . Le Théorème 3.5 affirme donc l’existence d’une équivalence de catégories triangulées
qui vérifie . Les objets simples dans sont paramétrés par , où désigne l’opposé de l’ordre de Bruhat. Le Théorème 3.5 donne un paramétrage des objets simples du côté dual par ; mais dans ce cas il est plus pratique d’utiliser le paramétrage “intrinsèque” des objets dans . D’après [BGS, Theorem 1.1.3], le foncteur vérifie
pour tout , où est l’élément le plus long de . (Ici, pour tout , désigne le module simple gradué concentré en degré correspondant à , sa couverture projective, son enveloppe injective, l’unique “relevé” de admettant une surjection vers , et l’unique “relevé” de admettant comme sous-objet.)
3.4. Catégories graduées de plus haut poids
Afin de pouvoir adapter les notions du §3.2 dans un cadre plus général, nous allons maintenant introduire une version “catégorique” de quasi-hérédité. Soit une catégorie abélienne -linéaire qui est de longueur finie (c’est-à-dire telle que tout objet est de longueur finie). Supposons que est munie d’un automorphisme , qu’on appellera décalage interne. On peut alors définir et comme dans (2.1).
Soit un ensemble de représentants des objets simples à isomorphisme et à décalage interne près. Soit un ensemble muni d’une bijection fixée
qu’on notera , ainsi que d’un ordre partiel tel que pour tout , l’ensemble est fini. Pour tout idéal , notons la sous-catégorie pleine de dont les objets sont ceux dont tous les facteurs de composition sont de la forme avec et .
En s’inspirant de [BGS, §3.2], on dira que la catégorie (munie des structures ci-dessus) est graduée de plus haut poids s’il existe des objets et des morphismes qui vérifient les conditions suivantes :
-
(1)
Pour tout , on a .
-
(2)
Pour tout , et tout idéal dans lequel est maximal, est la couverture projective de dans , et est son enveloppe injective.
-
(3)
Le noyau du morphisme et le conoyau du morphisme appartiennent à .
-
(4)
Pour tous , on a .
Comme au §3.2, les objets de la forme , resp. , seront dits standards, resp. costandards. Ils vérifient automatiquement
(3.4) |
La catégorie sera dite de type fini si de plus elle vérifie la condition suivante:
-
(5)
L’ensemble est fini.
D’après [BGS, Theorem 3.2.1], si est une catégorie graduée de plus haut poids et de type fini, alors il y a assez de projectifs et d’injectifs dans . De plus, tout objet projectif (resp. injectif) admet une filtration dont les sous-quotients sont des objets standards (resp. costandards). Dans ce cas, on note
la couverture projective et l’enveloppe injective de , respectivement.
Remarque 3.9.
La définition d’une catégorie de plus haut poids (non graduée) est similaire, en omettant le foncteur et en remplaçant par et par . Les mêmes propriétés restent valables dans ce cadre, avec les adaptations évidentes.
La catégorie sera dite positivement graduée, resp. strictement positivement graduée, si elle vérifie
(3.5) |
Si est un anneau positivement gradué avec de dimension finie, et si on choisit pour des représentants concentrés en degré , alors est positivement graduée au sens de (3.5). Elle est strictement positivement graduée si et seulement si est un anneau semi-simple.
Remarque 3.10.
Il est à noter que la propriété d’être positivement graduée pour une catégorie abélienne comme ci-dessus dépend du choix des objets : si on remplace un par un décalage interne, cela peut changer les propriétés de positivité de la catégorie . Ce phénomène correspond au fait qu’un anneau positivement gradué peut être Morita-équivalent à un anneau qui ne l’est pas.
Exemple 3.11.
Soit une variété algébrique complexe, munie d’une stratification algébrique finie (au sens de [CG, Definition 3.2.23]) dont toute strate est un espace affine. Comme expliqué dans [BGS, §3.3], la catégorie des faisceaux pervers sur à coefficients dans et constructibles par rapport à est une catégorie de plus haut poids (non graduée) et de type fini. L’ensemble partiellement ordonné qui gouverne cette catégorie est l’ensemble des strates, ordonnées par les inclusions de leurs adhérences. L’objet standard, resp. costandard, associé à une strate est l’extension par zéro , resp. l’image directe du faisceau pervers constant (où est l’inclusion).
Si , et pour certains choix de (par exemple une variété de drapeaux, éventuellement parabolique, d’un groupe algébrique réductif connexe), les constructions de [BGS, §4] (qui exploitent la théorie des faisceaux étales -adiques de Deligne) permettent de définir une catégorie , qui est graduée de plus haut poids et strictement positivement graduée, et qui peut être considérée comme une “version graduée” de la catégorie .
Dans [AR1], les auteurs ont proposé une nouvelle démarche qui mène à la même catégorie que dans [BGS, §4]. Cette nouvelle approche a présagé une généralisation au cas où est de caractéristique positive, qui a été développée dans [AR2]. Pour quelconque, la catégorie comme définie dans [AR2] est graduée de plus haut poids, mais pas nécessairement positivement graduée.
3.5. Catégories quasi-héréditairement de Koszul
Une catégorie abélienne graduée de plus haut poids est dite quasi-héréditairement de Koszul si elle vérifie la condition suivante (cf. (3.2)):
D’après [AR3, Proposition 2.13], si est quasi-héréditairement de Koszul, alors elle est de Koszul au sens où elle vérifie
(En particulier, est alors strictement positivement graduée.)
Soient et deux catégories abéliennes graduées de plus haut poids, de type fini, et quasi-héréditairement de Koszul. Soient et les ensembles partiellement ordonnés qui paramètrent leurs objets simples respectifs. Une dualité de Koszul “classique” entre et est une équivalence de catégories triangulées
qui vérifie
pour tout dans , et telle qu’il existe un isomorphisme d’ensembles partiellement ordonnés tel que
pour tout .
Un analogue du Théorème 3.5 affirme que si est graduée de plus haut poids, de type fini, et quasi-héréditairement de Koszul, alors il existe une catégorie possédant les mêmes propriétés et une dualité de Koszul . En fait, on a alors pour une certaine -algèbre comme dans le Théorème 3.5, et on peut prendre , où .
Exemple 3.12 (Beilinson–Ginzburg–Soergel).
Soient un groupe réductif complexe et un sous-groupe de Borel. Notons sa variété de drapeaux. Notons la catégorie des faisceaux pervers sur , à coefficients dans , et constructible par rapport à la stratification dont les strates sont les orbites de sur . Ces derniers étant des espaces affines, on peut faire appel à l’Exemple 3.11 et ainsi conclure que la catégorie est de plus haut poids.
Dans ce cadre, Beilinson–Ginzburg–Soergel ont établi dans [BGS, §4] une version géométrique de l’exemple du §3.3. Soit le groupe de Weyl de , et pour , notons le faisceau pervers simple de poids dont le support est la variété de Schubert correspondant à . Soiet , resp. , sa couverture projective, resp. son enveloppe injective, dans . Les résultats de [BGS] impliquent qu’il existe une équivalence de catégories
qui vérifie
pour tout dans . Par rapport au paramétrage “intrinsèque” des deux côtés, ce foncteur vérifie
pour tout , où est l’élément le plus long de .
4. Objets basculants et dualité de Ringel
4.1. Objets basculants
Soit une catégorie de plus haut poids (pas nécessairement de type fini à ce stade). Un objet est dit basculant s’il existe une suite de sous-objets telle que tout sous-quotient est standard, ainsi qu’une autre suite telle que tout sous-quotient est costandard.
Le résultat suivant est dû à Ringel [Rin]. Pour une preuve dans le langage de cet article, on pourra consulter [R3, §7].
Théorème 4.1 (Classification des objets basculants).
Soit une catégorie de plus haut poids. Pour tout , il existe un objet basculant indécomposable , unique à isomorphisme près, tel que et . De plus, tout objet basculant indécomposable dans est isomorphe à pour un unique .
La classification dans le cas gradué est très similaire. En utilisant (3.4), on voit que tous les supérieurs entre objets basculants s’annulent. De ce point de vue, le comportement des objets basculants ressemble à celui des objets projectifs (ou injectifs).
La dualité de Ringel transforme cette remarque en une équivalence de catégories. Supposons désormais que est de type fini. Il y a donc assez de projectifs (et d’injectifs) dans . Soit une autre catégorie de plus haut poids et de type fini. Soient et les ensembles partiellement ordonnés qui paramètrent leurs objets simples respectifs. Une dualité de Ringel entre et est un foncteur triangulé
qui vérifie
pour tout , pour un isomorphisme d’ensembles partiellement ordonnés
Dans le cas gradué, on impose de plus que commute au décalage interne.
Étant donnée , une telle dualité existe toujours, comme affirmé dans l’énoncé suivant.
Théorème 4.2 (Ringel [Rin]).
Soit une catégorie de plus haut poids et de type fini. Il existe une catégorie de plus haut poids et de type fini et une dualité de Ringel .
La preuve dans [Rin] est écrite dans le langage des anneaux quasi-héréditaires. Concrètement, si pour un anneau quasi-héréditaire , on peut prendre , où
(4.1) |
puis poser . Le contenu principal du Théorème 4.2 est que l’anneau est quasi-héréditaire.
Pour la version graduée du Théorème 4.2, on définit et en termes de et . Notons que dans ce cas, n’est pas nécessairement positivement graduée.
Exemple 4.3.
Nous avons vu dans l’Exemple 3.7 que l’anneau qui a été introduit au §2.3 est quasi-héréditaire. Les modules basculants indécomposables pour cet anneau sont:
Il existe des morphismes non nuls et qui vérifient . On peut en déduire un isomorphisme . Autrement dit, l’anneau est auto-dual au sens de Ringel.
Exemple 4.4 (Beĭlinson–Bezrukavnikov–Mirković).
Soient , , et comme dans l’Exemple 3.12. On a déjà vu que la catégorie est de plus haut poids et de type fini, et on peut se demander quel est son dual au sens de Ringel. Un résultat remarquable de Beĭlinson–Bezrukavnikov–Mirković [BBM] affirme que cette catégorie est auto-duale au sens de Ringel. (Dans le cas particulier de , on peut déduire ce résultat de l’Exemple 4.3.) En fait, les auteurs donnent une construction “faisceautique” d’une equivalence de catégories
qui vérifie
pour tout . Ici nous avons suivi la convention du §3.3 et utilisé le paramétrage intrinsèque des deux côtés.
4.2. Composition des dualités de Koszul et de Ringel
Soit une catégorie graduée de plus haut poids, de type fini, et quasi-héréditairement de Koszul. Il existe alors une autre catégorie quasi-héréditairement de Koszul ainsi qu’une dualité de Koszul classique
Appliquons la version graduée et inversée du Théorème 4.2 à : il existe une catégorie de plus haut poids et une équivalence de catégories
qui envoie les objets basculants (resp. injectifs) sur des objets projectifs (resp. basculants). Le foncteur composé
a la propriété qu’il envoie sur pour une bijection convenable .
En général, il n’est pas possible de prendre la composition des Théorèmes 3.5 et 4.2 (ou des foncteurs et ) dans l’autre sens: même si est quasi-héréditairement de Koszul, son dual au sens de Ringel n’est pas nécessairement de Koszul. Si celui-ci est effectivement quasi-héréditairement de Koszul, on dit (d’après [Ma]) que est équilibrée. Le résultat principal de [Ma] affirme que si est équilibrée, les dualités de Koszul et de Ringel commutent.
L’énoncé suivant est un résumé des remarques précédentes.
Théorème 4.5 (Dualité de Koszul, 3ème version).
Soit une catégorie de plus haut poids, de type fini, et quasi-héréditairement de Koszul, dont les objets simples sont paramétrés par .
Alors il existe une catégorie graduée de plus haut poids (par rapport à un ensemble ), un isomorphisme , et une équivalence de catégories triangulées
qui vérifie
pour tout dans , et telle que pour tout .
Si est équilibrée, alors vérifie également pour tout .
4.3. Travaux de Bezrukavnikov–Yun
Soient , , et comme dans les Exemples 3.12 et 4.4. Les constructions de l’Exemple 4.4 se généralisent au cadre des faisceaux pervers mixtes (voir [AR1]), de sorte que le dual de Ringel de la catégorie est bien quasi-héréditairement de Koszul. Cette catégorie est donc équilibrée au sens de [Ma], et le Théorème 4.5 nous permet d’affirmer qu’il existe une équivalence de catégories triangulées
qui vérifie
pour tout dans , et telle que
pour tout . Il est à noter que ni les objets projectifs, ni les objets injectifs ne figurent dans cet énoncé. Prenant cette observation (suggérée plus tôt par Beĭlinson–Ginzburg dans [BG]) comme point de départ, Bezrukavnikov–Yun ont établi une vaste généralisation de cet énoncé.
Ils travaillent dans le contexte d’un groupe de Kac–Moody . (Il existe plusieurs versions des “groupes de Kac–Moody” dans la littérature. On renvoie à [RW1, §9] pour une discussion de la version que nous utilisons. En particulier, pour nous un groupe de Kac–Moody est déterminé par une “donnée radicielle de Kac–Moody”; cette donnée est sous-entendue quand on considère . La dualité de Langlands pour les groupes de Kac–Moody est définie par l’involution évidente sur l’ensemble des données radicielles de Kac–Moody.) Par définition ce groupe possède un sous-groupe de Borel canonique , et on notera sa variété de drapeaux. Alors la décomposition de Bruhat fournit une stratification naturelle
(4.2) |
où est le groupe de Weyl du groupe de Kac–Moody correspondant (muni de sa structure naturelle de groupe de Coxeter), et où pour tout .
Si est de dimension infinie, alors l’est aussi, et il y a un nombre infini de strates. Cependant, l’adhérence de toute strate est la réunion d’un nombre fini de strates, ce qui permet de définir la catégorie des complexes constructibles ainsi que la sous-catégorie des faisceaux pervers . Cette dernière catégorie est encore une catégorie de plus haut poids : on peut donc parler des objets standards, costandards, ou basculants dans cette catégorie.
Par contre, quand est de dimension infinie, la catégorie n’a en général pas assez d’objets projectifs ni d’objets injectifs. Les Théorèmes 3.5 et 4.2 n’ont donc pas de sens pour , mais leur “composée”, le Théorème 4.5, admet une généralisation.
Théorème 4.6 (Bezrukavnikov–Yun).
Soit un groupe de Kac–Moody, et soit son dual de Langlands. Il existe une équivalence de catégories triangulées
qui vérifie
pour tout dans , et telle que
pour tout , où on identifie les groupes de Weyl de et de la façon canonique.
Si on remplace par la variété de drapeaux “opposée” , on obtient un foncteur vérifiant
pour tout .
Remarque 4.7.
-
(1)
Dans [BY] les auteurs ne considèrent pas des catégories du type , mais plutôt certaines catégories dont la définition fait intervenir tous les faisceaux pervers mixtes au sens de Deligne. La version énoncée au Théorème 4.6 peut être obtenue par des méthodes similaires (ou être vue comme un cas particulier du Théorème 7.4 ci-dessous).
-
(2)
Sous l’hypothèse où est symétrisable, le Théorème 4.6 reste vrai si on remplace par . Ceci explique pourquoi la dualité de Langlands n’apparaissait pas dans l’énoncé considéré au début de ce paragraphe.
Pour les faisceaux pervers à coefficients dans un corps général , le Théorème 4.6 tel qu’énoncé ici n’est pas vrai: si est de caractéristique positive, les faisceaux pervers mixtes standards et simples ne vérifient pas (3.2) en général.
Cependant, il est possible d’énoncer une version du Théorème 4.6 qui est valable en caractéristique positive si on remplace les faisceaux pervers simples par de nouveau objets : les faisceaux à parité introduits dans [JMW]. Dans le §5 nous considérons une variante de cette construction, à savoir le concept d’objets à parité dans une catégorie triangulée munie d’une suite quasi-exceptionnelle.
Partie II Dualité de Koszul formelle
5. Objets à parité
Dans cette partie nous développons une théorie d’objets à parité dans le cadre des catégories triangulées munies d’une collection quasi-exceptionnelle satisfaisant certaines conditions techniques. Cette théorie s’inspire de la théorie des complexes à parité considérés par Juteau–Mautner–Williamson [JMW], et les preuves des propriétés de nos objets suivent étroitement celles de ces auteurs. Cependant, le cadre considéré est un petit peu différent (voir le §5.5 pour une comparaison précise).
5.1. Collections quasi-exceptionnelles
Considérons une catégorie triangulée . Si et sont deux objets de , on notera
et on considérera ce groupe abélien comme gradué avec la graduation naturelle.
Soit un ensemble partiellement ordonné. Suivant Bezrukavnikov [B1], une collection quasi-exceptionnelle paramétrée par est une famille d’objets de paramétrée par et vérifiant les conditions suivantes :
-
(1)
si et , alors ;
-
(2)
si alors pour , et est une algèbre à division.
Étant donnée une telle collection exceptionnelle, une famille d’objets de sera dite duale de si elle vérifie
et si de plus les images de et dans le quotient de Verdier (où est la sous-catégorie triangulée pleine de engendrée par les objets avec ) sont isomorphes. D’après [B1, Lemma 2], une collection duale est unique (à isomorphismes près) si elle existe, elle forme une collection quasi-exceptionnelle paramétrée par où est l’ordre opposé à , et enfin on a :
-
(1)
pour tous avec ;
-
(2)
un isomorphisme d’anneaux gradués pour tout .
Exemple 5.1.
Les exemples principaux de collections quasi-exceptionnelles que nous rencontrerons seront les suivants.
-
(1)
Supposons que est linéaire sur un corps , et que pour tous dans le -espace vectoriel est de dimension finie. Suivant [B2], une collection quasi-exceptionnelle est dite exceptionnelle si elle vérifie pour , et . Sous ces conditions, si est une réunion disjointe d’ensembles finis et de copies de (avec son ordre naturel), la collection duale existe toujours d’après [B2, Proposition 1].
-
(2)
Soit un corps, soit une variété algébrique complexe, munie d’une action d’un groupe algébrique complexe connexe , et soit une stratification algébrique finie de dont toute strate est connexe et stable par l’action de . On notera l’inclusion. Soit la catégorie dérivée -équivariante et -constructible des faisceaux de -espaces vectoriels sur . On supposera que pour tout et pour tous systèmes locaux simples -équivariants non isomorphes et on a
(Cette condition est bien sûr automatique si le système local constant est le seul système local -équivariant simple sur .) Soit alors l’ensemble des paires où et est un(e classe d’isomorphisme de) système local -équivariant simple sur , muni de l’ordre induit par l’inclusion des adhérences de strates. Il est facile de vérifier que la collection définie par
est quasi-exceptionnelle, que la collection duale existe, et qu’elle est donnée par
Dans la suite, on supposera toujours que est bien ordonné (c’est-à-dire que l’ordre est total, et que tout sous-ensemble non vide de admet un élément minimal), et on notera , resp. , la sous-catégorie triangulée de engendrée par les objets avec , resp. . D’après [B1, Lemma 2(f)], notre hypothèse implique que est également engendrée par les objets avec , et de même pour .
Sous cette hypothèse, et si est engendrée comme catégorie triangulée par les objets , il existe une (unique) t-structure sur telle que est la sous-catégorie pleine engendrée par extension par les objets de la forme avec et , et est la sous-catégorie pleine engendrée par extension par les objets de la forme avec et ; voir [B1, Proposition 1]. Cette t-structure se restreint en une t-structure sur chacune des sous-catégories et (plus précisément, en la t-structure associée aux collections quasi-exceptionnelles et respectivement).
5.2. Objets à parité : définition
Soit une catégorie triangulée qui est de Krull–Schmidt (c’est-à-dire que tout objet s’écrit comme somme directe d’objets indécomposables dont l’anneau des endomorphismes est local), et soit un ensemble bien ordonné.
Si est une collection quasi-exceptionnelle qui admet une collection duale , on dira que est à parité si elle vérifie
(5.1) |
Dans la suite, on fixe une telle collection, et on suppose de plus que la famille (ou, de façon équivalente, la famille ) engendre comme catégorie triangulée.
La définition suivante est inspirée par [JMW]. (Voir le §5.5 ci-dessous pour une comparaison détaillée.)
Définition 5.3.
Considérons une fonction . On dira qu’un object de est:
-
(1)
-pair si pour tout le -module à gauche -gradué
est libre de rang fini et concentré en degrés dont la classe modulo est ;
-
(2)
-pair si pour tout le -module à droite -gradué
est libre de rang fini et concentré en degrés dont la classe modulo est ;
-
(3)
-pair si est -pair et -pair;
-
(4)
-impair si est -pair;
-
(5)
-impair si est -pair;
-
(6)
-impair si est -pair;
-
(7)
à -parité si est isomorphe à une somme avec -pair et -impair.
Dans la suite, la fonction sera souvent sous-entendue, et omise des notations.
Remarque 5.4.
- (1)
-
(2)
La sous-catégorie pleine de dont les objets sont les objets à -parité est stable par le décalage cohomologique .
-
(3)
Par le lemme de Nakayama gradué, tout facteur direct d’un -module gradué libre de rang fini est également libre de rang fini; on en déduit qu’un facteur direct d’un objet -pair est -pair, et qu’un facteur direct d’un objet -pair est -pair.
-
(4)
Il est clair que ces définitions dépendent du choix de la collection quasi-exceptionnelle. Par exemple, si est une collection quasi-exceptionnelle et si est une fonction, alors est également une collection quasi-exceptionnelle (pour le même ordre sur ), pour laquelle les notions de parité seront différentes en général. Par exemple, un objet sera -pair par rapport à ssi il est -pair pour . Cette idée suggère de ne pas mentionner de fonction dans la définition, puisqu’elle peut être modifiée en “renormalisant” la collection quasi-exceptionnelle. Cependant, les collections quasi-exceptionnelles qu’on rencontrera ci-dessous auront une “normalisation” naturelle, et changer celle-ci risque d’amener à des confusions.
5.3. Le cas des éléments minimaux
Avant d’étudier les objets à parité en général, nous devons considérer le cas de la catégorie où est l’élément minimal de .
Lemme 5.5.
Si est minimal dans (de sorte que ), alors pour un objet de les conditions suivantes sont équivalentes :
-
(1)
est -pair;
-
(2)
est -pair;
-
(3)
est isomorphe à une somme directe d’objets de la forme où .
Démonstration.
On va montrer que (1) implique (3); l’implication opposée est claire par définition (et d’après notre hypothèse (5.1)), et l’équivalence entre (2) et (3) s’obtient par des arguments duaux.
On raisonne par récurrence sur le rang de . Si ce rang est nul alors (car engendre ) et il n’y a rien à démontrer. Sinon, soit l’entier minimal tel que . (En particulier, .) On considère la t-structure sur associée à la collection quasi-exceptionnelle . Alors est l’unique objet simple dans le coeur de cette t-structure (voir par exemple [B1, Proposition 2]) ; notre hypothèse (5.1) implique donc que tout objet dans le coeur de cette t-structure est une somme directe de copies de . On en déduit que est l’entier minimal tel que (pour cette t-structure), et que est une somme directe de copies de .
Considérons le triangle distingué de troncation
Alors le morphisme
induit par la deuxième flèche de ce triangle est l’inclusion du facteur direct engendré par , de sorte que est -pair également. Par récurrence c’est une somme directe d’objets de la forme avec . En utilisant encore (5.1) on voit que le triangle considéré ci-dessus est scindé, et le résultat suit. ∎
5.4. Objets à parité : classification
Les hypothèses du §5.2 restent en vigueur. Puisque est supposée de Krull–Schmidt, et au vu de la Remarque 5.4(3), tout objet à parité dans est une somme directe d’objets à parité indécomposables. Le résultat suivant (une variante de [JMW, Theorem 2.12], dont la preuve est essentiellement identique) classifie ces derniers objets à isomorphisme près.
Théorème 5.6 (Juteau–Mautner–Williamson).
Pour tout , il existe au plus un objet à parité indécomposable qui appartient à et dont l’image dans est isomorphe à celle de . De plus, tout objet à parité indécomposable est isomorphe à pour un unique couple tel que existe.
Lorsqu’il existe, l’objet sera appelé l’objet à parité indécomposable normalisé associé à .
Remarque 5.7.
- (1)
-
(2)
Considérons le cas particulier où est la catégorie dérivée d’une catégorie de plus haut poids avec objets standards et objets costandards paramétrés par un ensemble bien ordonné . Alors est une collection exceptionnelle dans , et est la collection duale. Les objets basculants de sont alors pairs au sens de la Définition 5.3 pour la fonction constante égale à ; d’après le Théorème 5.6 on en déduit que dans ce cas les objets à parité sont les sommes directes de décalés cohomologiques d’objets basculants de .
-
(3)
Par définition, un objet à parité indécomposable est soit pair, soit impair. Avec nos conventions, l’objet est pair si , et impair si .
L’étape-clé de la démonstration du théorème sera le lemme suivant.
Lemme 5.8.
Si est -pair et est -pair, alors on a pour tout impair.
Démonstration.
On raisonne par récurrence (transfinie) sur un élément tel que est dans . Si est minimal, le résultat découle du Lemme 5.5 et de la définition des objets -pairs.
Soit maintenant , et supposons que le résultat est vrai si appartient à . Rappelons que d’après [B1, Lemma 4] le foncteur de projection
admet un adjoint à gauche vérifiant et un adjoint à droite vérifiant , et que l’inclusion
admet également un adjoint à gauche et un adjoint à droite . De plus, ces données vérifient les axiomes de “recollement” de [BBD, §1.4]; en particulier on a un triangle distingué fonctoriel
(5.2) |
pour tout dans .
Il n’est pas difficile de vérifier que l’objet est -pair, de sorte qu’on a pour impair par récurrence. D’un autre côté, puisque l’objet est -pair dans (pour la suite quasi-exceptionnelle ); d’après le Lemme 5.5 ceci implique que est une somme directe d’objets avec , et donc que est une somme directe d’objets avec . Le résultat voulu suit en considérant la suite exacte longue obtenue en appliquant le foncteur au triangle (5.2) (appliqué à ). ∎
Démonstration du Théorème 5.6.
Supposons qu’il existe deux objets et satisfaisant les conditions de l’énoncé. Soient et comme dans la preuve du Lemme 5.8, et fixons des isomorphismes et . Considérons le triangle distingué (5.2) pour :
Comme dans la preuve du Lemme 5.8 l’objet est -pair, de sorte que le Lemme 5.8 implique que le morphisme naturel
est surjectif. Choisissons un morphisme dont l’image est . De même, il existe un morphisme tel que . Alors est un élément de l’anneau local dont l’image dans son quotient est inversible, et donc est un isomorphisme. De même, est un isomorphisme, donc et également.
Pour un objet à parité indécomposable général, on choisit minimal tel que appartient à . Alors l’image de dans est non nulle, à parité et indécomposable par le même argument que ci-dessus ; il est donc isomorphe à l’image de pour un d’après le Lemme 5.5. On en déduit que . ∎
5.5. L’exemple des faisceaux constructibles
Notre définition des objets à parité est inspirée de celle considérée dans [JMW]. Le contexte que ces auteurs considèrent est celui de l’Exemple 5.1(2). Pour que la collection quasi-exceptionnelle considérée dans cet exemple soit à parité, il faut supposer que pour tout et tout système local -équivariant simple sur on a
Les définitions des objets pairs et impairs dans la Définition 5.3 (dans ce cas particulier) sont formellement différentes de celles données dans [JMW, Definition 2.4], mais les deux définitions sont équivalentes. (Ce fait peut se démontrer par récurrence sur un élément tel que appartient à , en utilisant le Lemme 5.5, le triangle distingué (5.2), et le triangle “dual” faisant intervenir les adjoints à droite.)
Les normalisations que nous utilisons sont également différentes de celles utilisées dans [JMW] : par exemple, un objet de est -pair au sens du présent article ssi il est -pair au sens de [JMW], où . Dans la pratique, le cas qui intervient dans toutes les applications connues de cette théorie est celui où on prend (correspondant au cas de la “pariversité constante” dans les conventions de [JMW]).
Remarque 5.9.
Dans ce contexte particulier, les auteurs de [JMW] considèrent une situation un petit peu plus générale : ils autorisent des anneaux de coefficients plus généraux, et font l’hypothèse plus faible que
pour tous et systèmes locaux -équivariants simples sur . Sans nos hypothèses supplémentaires, ce cadre ne rentre pas dans le formalisme des collections quasi-exceptionnelles (mais on dispose tout de même d’un formalisme de recollement qui permet de considérer des constructions similaires).
5.6. Version graduée
En plus du contexte étudié aux §§5.2–5.4, il est utile de considérer une situation “graduée” dans laquelle la catégorie triangulée admet un automorphisme triangulé . Pour tout , on notera alors la puissance -ième de . On supposera de nouveau que est de Krull–Schmidt. Si et sont dans on notera
avec la -graduation évidente. On considérera également l’automorphisme
de .
Si est un ensemble bien ordonné, une collection quasi-exceptionnelle graduée est une collection telle que
-
(1)
si et , alors ;
-
(2)
si alors pour tous tels que ou et , et est une algèbre à division.
On définit alors et comme les sous-catégories triangulées engendrées par les objets de la forme avec et et avec et respectivement. On peut définir de façon évidente la collection duale, et la théorie développée dans [B1] s’étend aisément à ce cadre.
Si est une collection quasi-exceptionnelle graduée admettant une collection duale , on dira que est à parité si
Sous ces conditions, l’anneau -gradué est concentré sur . Dans la suite, on supposera de plus que la famille engendre comme catégorie triangulée.
Si on se fixe une fonction , on dira alors qu’un objet de est
-
(1)
-pair si pour tout le -module à gauche -gradué
est libre de rang fini et concentré sur ;
-
(2)
-pair si pour tout le -module à droite -gradué
est libre de rang fini et concentré sur ;
-
(3)
-pair si est -pair et -pair;
-
(4)
-impair si est -pair;
-
(5)
-impair si est -pair;
-
(6)
-impair si est -pair;
-
(7)
à -parité si est isomorphe à une somme avec -pair et -impair.
Comme dans le cas non gradué, la fonction sera souvent omise des notations.
Remarque 5.10.
-
(1)
Cette notion a déjà été considérée, dans le cas particulier où est la catégorie dérivée d’une catégorie de plus haut poids graduée (pour la suite quasi-exceptionnelle graduée formée par les objets costandards de ), dans [AHR].
-
(2)
La sous-catégorie pleine de dont les objets sont les objets à -parité est stable par le décalage .
Dans ce contexte le Théorème 5.6 admet la variante suivante, dont la preuve est essentiellement identique.
Théorème 5.11.
Pour tout , il existe au plus un objet à parité indécomposable qui appartient à et dont l’image dans est isomorphe à celle de . De plus, tout objet à parité indécomposable est isomorphe à pour un unique couple tel que existe.
Exemple 5.13.
Soit une catégorie de plus haut poids graduée, d’objets costandards et standards associés et respectivement. Posons et considérons la collection quasi-exceptionnelle graduée formée par les . Supposons qu’il existe une fonction telle que les objets basculants indécomposables normalisés vérifient
Plutôt que de considérer l’automorphisme de induit par l’automorphisme de (qu’on notera similairement), considérons l’automorphisme . Alors puisque
si le terme de gauche est non nul on doit avoir et . Donc est pair si , et impair si . On en déduit que, dans ce contexte, pour tout l’objet du Théorème 5.11 existe, et est isomorphe à .
5.7. Foncteurs de dégraduation
Soit une catégorie triangulée munie d’un automorphisme comme au §5.6, et soit une autre catégorie triangulée. Un foncteur de dégraduation (par rapport à l’automorphisme ) est un foncteur triangulé muni d’un isomorphisme naturel
qui vérifie les deux conditions suivantes:
-
(1)
les objets dans l’image essentielle de engendrent en tant que catégorie triangulée;
-
(2)
si et sont dans , alors l’application
induite par et est un isomorphisme.
Moralement, un foncteur de dégraduation est “aussi proche que possible d’être une équivalence de catégories” entre et , compte tenu du fait que ces catégories ont des structures différentes : la condition (1) ci-dessus remplace la condition d’être essentiellement surjectif, et la condition (1) remplace la condition d’être pleinement fidèle.
Exemple 5.14.
Soit un anneau gradué Noetherien. Si désigne la catégorie des -modules gradués de type fini et celle des -modules de type fini, alors le foncteur d’oubli vérifie toujours la propriété (2) ci-dessus. Si est Artinien (comme anneau non gradué), alors la catégorie triangulée est engendrée par les -modules simples, et ceux-ci appartiennent à l’image essentielle de (voir [GG, Proposition 3.5]). Celui-ci est donc un foncteur de dégraduation.
Considérons encore , et comme ci-dessus. Il est clair que si est une collection quasi-exceptionelle graduée dans , alors est une collection quasi-exceptionelle dans . Il est clair également que, pour ces collections, l’image par d’un objet -pair, resp. -pair, resp. pair, est -pair, resp. -pair, resp. pair, et de même pour les objets impairs ou à parité.
6. Dualité de Koszul formelle
6.1. Contexte
On considérera à partir de maintenant le contexte suivant: désignera un corps, sera une catégorie triangulée -linéaire munie d’un automorphisme . On supposera donnés un ensemble bien ordonné isomorphe à et deux familles d’objets et vérifiant les conditions suivantes :
-
(1)
la famille engendre comme catégorie triangulée;
-
(2)
si alors ;
-
(3)
pour tout et tous on a si , et de plus ;
-
(4)
pour tous on a , et et ont des images isomorphes dans ;
-
(5)
pour tous et tous , si alors , et de même si alors .
En particulier, ces conditions impliquent que pour tous dans le -espace vectoriel
est de dimension finie, et donc que est de Krull–Schmidt (voir notamment [CYZ, Corollary A.2]). De plus est une collection exceptionnelle graduée dans (voir l’Exemple 5.1(1)), de collection duale . Notre condition (5) implique que les objets et appartiennent au coeur de la t-structure associée à cette collection exceptionnelle, et des arguments standards montrent alors que est une catégorie graduée de plus haut poids au sens du §3.4, pour la restriction de à , et avec objets costandards les et objets standards les . En particulier, ceci permet de considérer les objets basculants indécomposables dans cette catégorie.
Ci-dessous nous considérerons les objets à parité dans cette catégorie au sens du §5.6, principalement par rapport au choix de l’automorphisme et de la collection quasi-exceptionnelle . Mais on peut également considérer ces objets pour le choix d’automorphisme plutôt que (et la même collection quasi-exceptionnelle graduée). L’énoncé suivant est une sorte de réciproque de la situation considérée dans l’Exemple 5.13.
Lemme 6.1.
Soit une fonction. Tout objet à parité pour la fonction et l’automorphisme appartient à , et est basculant dans cette catégorie. En particulier, s’il existe un objet indécomposable comme dans le Théorème 5.11 pour la fonction et l’automorphisme , alors .
Démonstration.
Soit comme dans l’énoncé. Par définition, pour tout l’espace
s’annule sauf si . De même, on a
sauf si . D’après un argument classique (voir [B2, Lemma 4]), ceci implique que appartient à et est basculant. Si pour un , il est facile de voir que cet objet vérifie les conditions qui caractérisent . ∎
Remarque 6.2.
Le Lemme 6.1 montre que l’existence d’objets à parité impose de fortes contraintes sur la fonction . Dans la pratique, cette fonction sera toujours imposée par le contexte étudié.
6.2. Définition
On considère maintenant deux catégories et munies des structures considérées au §6.1. Par souci de clarté, les données associées seront notées avec un indice ou .
Définition 6.3.
Une dualité de Koszul formelle est un foncteur triangulé qui vérifie les conditions suivantes :
-
(1)
;
-
(2)
pour tout , il existe un indice tel que
-
(3)
la fonction déterminée par la condition (2) est une bijection qui identifie les ordres et .
6.3. Propriétés
Lemme 6.4.
Si est une dualité de Koszul formelle, alors c’est une équivalence de catégories, et est également une dualité de Koszul formelle.
Démonstration.
Les conditions imposées dans la Définition 6.3 montrent que pour tout on a . Comme le cône de tout morphisme non nul appartient à , ceci montre que le cône de son image par appartient à ; en particulier, ce morphisme est non nul. Donc induit un isomorphisme
pour tous et . Comme les objets et les objets engendrent chacun comme catégorie triangulée, par un argument classique on en déduit que est pleinement fidèle. Enfin, puisque les objets engendrent comme catégorie triangulée, est également essentiellement surjective.
L’assertion concernant est évidente. ∎
Proposition 6.5.
Soit une fonction, et soit une dualité de Koszul formelle. Alors pour tout objet à -parité dans , appartient à et est basculant. En particulier, si et s’il existe un objet indécomposable comme dans le Théorème 5.11, alors .
Démonstration.
Puisque , si est à -parité dans alors est à -parité dans , pour le choix de foncteur de décalage . L’énoncé découle alors du Lemme 6.1. ∎
6.4. Version non graduée
On considère maintenant une catégorie triangulée comme au §6.1, et une catégorie triangulée munie d’une structure similaire mais non graduée, c’est-à-dire de collections et , telles que
-
(1)
la famille engendre comme catégorie triangulée;
-
(2)
si alors ;
-
(3)
pour tout on a si , et de plus ;
-
(4)
pour tous on a , et et ont des images isomorphes dans ;
-
(5)
pour tous , si alors , et de même si alors .
Comme au §6.1, ces conditions impliquent que est une collection quasi-exceptionnelle, avec collection duale et que le coeur de la t-structure associée a une structure naturelle de catégorie de plus haut poids. Les objets basculants indécomposables dans cette catégorie seront notés .
Définition 6.6.
Une dualité de Koszul formelle dégraduante est un foncteur triangulé qui vérifie les conditions suivantes :
-
(1)
;
-
(2)
pour tout , il existe un indice tel que
-
(3)
la fonction déterminée par la condition (2) est une bijection qui identifie les ordres correspondant.
Moralement, on considérera une dualité de Koszul dégraduante comme “la composée d’une dualité de Koszul formelle et d’un foncteur de dégraduation” (comme défini au §5.7).
Les énoncés suivants sont des analogues du Lemme 6.4 et de la Proposition 6.5, et découlent d’arguments similaires.
Lemme 6.7.
Si est une dualité de Koszul formelle dégraduante, alors c’est un foncteur de dégraduation pour l’automorphisme .
Proposition 6.8.
Soit une fonction, et soit une dualité de Koszul formelle dégraduante. Alors pour tout objet à -parité dans , appartient à et est basculant. En particulier, si et s’il existe un objet indécomposable comme dans le Théorème 5.11, alors .
Partie III Exemples et applications
7. Exemples
7.1. Catégories dérivées mixtes pour les variétés de drapeaux des groupes de Kac–Moody
Soit un groupe de Kac–Moody, et soit son groupe de Weyl. (Voir le §4.3 pour des rappels et le détail des notations que nous utiliserons ci-dessous). Choisissons un ordre sur étendant l’ordre de Bruhat et tel que est isomorphe à .
Soit la variété de drapeaux de , et notons la catégorie des complexes de -faisceaux sur , constructibles par rapport à la stratification (4.2). Cette catégorie possède une collection exceptionnelle naturelle, donnée par
où est l’inclusion (voir l’Exemple 5.1(2)). La collection duale est donnée par , et la t-structure associée est la t-structure perverse.
Considérons la fonction associant à la classe de . Alors les résultats de [JMW, §4.1] (voir également le §5.5 pour une comparaison avec nos conventions) montrent que pour tout il existe un objet à -parité dans comme dans le Théorème 5.6. Nous noterons la sous-catégorie pleine de dont les objets sont les objets à -parité. Suivant [AR2] on pose alors
Le décalage cohomologique dans induit un automorphisme de la catégorie , et donc de ; cet automorphisme sera noté . On définit alors le “décalage de Tate” par .
La théorie développée dans [AR2] fournit des objets et dans la catégorie . Pour , nous noterons le complexe concentré en degré , et formé par l’objet en ce degré.
Proposition 7.1.
La catégorie , munie des structures définies ci-dessus, vérifie les conditions du §6.1. De plus, si est la fonction associant à la classe de , alors pour tout l’objet est un objet à -parité indécomposable satisfaisant les conditions du Théorème 5.11 (dans munie de l’automorphisme et de la suite exceptionnelle graduée ci-dessus).
Démonstration.
Notons la catégorie dérivée mixte construite comme ci-dessus pour la variété au lieu de . Dans [AR2] on construit un formalisme de “recollement” (au sens de [BBD, §1.4]), qui fournit notamment des foncteurs et qui vérifient les adjonctions habituelles. Par définition on a alors
Le fait que la collection est une collection exceptionnelle graduée découle du formalisme de recollement. Le fait qu’elle vérifie la condition (5) du §6.1 est le contenu de [AR2, Theorem 4.7].
Pour et , par adjonction on a
D’après [AR2, Remark 2.7] le complexe est concentré en degré , avec en ce degré l’objet (où ici est le foncteur d’image inverse exceptionnelle usuel). L’espace ci-dessus s’annule donc si , et est isomorphe à
si . Puisque a la même parité que , par définition cet espace s’annule si n’a pas la même parité que .
On vérifie par des arguments similaires que
s’annule sauf si et a la même parité que , ce qui entraîne que est à parité (plus précisément, pair si est pair et impair sinon). Cet objet est clairement indécomposable ; il coïncide donc avec l’objet caractérisé dans le Théorème 5.11. ∎
Suivant la terminologie de [AR2], nous appellerons “t-structure perverse” la t-structure associée à la collection exceptionnelle . Son coeur sera noté . La Proposition 7.1 assure que cette catégorie possède une structure naturelle de catégorie de plus haut poids graduée. En particulier, on dispose d’objets basculants indécomposables “normalisés” pour .
Exemple 7.2.
Si est une réflexion simple, l’objet peut se décrire explicitement comme le complexe
où est en degré , et les différentielles sont les applications naturelles.
Remarque 7.3.
-
(1)
Notre notation est bien sûr compatible avec celles utilisées dans la Partie 6 (si l’automorphisme de décalage interne est ).
-
(2)
Une partie de la théorie développée dans [AR2] s’applique à des variétés très générales (la seule hypothèse importante étant que les strates de la stratification considérée sont des espaces affines). Cependant, nous ne savons pas si la condition (5) du §6.1 est vraie en générale. Dans [AR2], cette condition n’est démontrée que dans le cas des variétés de drapeaux (éventuellement paraboliques) des groupes de Kac–Moody. (La preuve s’applique également aux “variantes” considérées au §7.2 ci-dessous.)
-
(3)
Nous considérerons la catégorie comme une “version graduée” de la catégorie des faisceaux pervers ordinaires . Notons cependant qu’il n’existe aucun foncteur naturel “d’oubli” reliant ces catégories.
Ci-dessous on considérera également la variété de drapeaux “opposée” . Toutes les constructions ci-dessus s’appliquent de la même façon à cette variété ; on utilisera des notations similaires, en remplaçant les indices “” par “”. Bien sûr, l’application induit des équivalences de catégories
envoyant sur , sur , etc. ; mais comme on le verra il est parfois utile de distinguer ces deux versions.
7.2. Variante : les variétés de drapeaux affines
Soit un groupe algébrique complexe réductif connexe, un sous-groupe de Borel, et un tore maximal. Posons , , et notons , resp. le ind-schéma en groupe, resp. schéma en groupe, sur qui représente le foncteur
On a un morphisme d’évaluation (correspondant à ), et on note l’image inverse de par ce morphisme. La variété de drapeaux affine de est la ind-variété complexe
Si est quasi-simple et simplement connexe, cette ind-variété est la variété de drapeaux d’un groupe de Kac–Moody (affine, non tordu), et on peut donc lui appliquer les constructions du §7.1. Dans le cas général, n’est pas la variété de drapeaux d’un groupe de Kac–Moody ; cependant elle possède une structure très similaire. En particulier on a une “décomposition de Bruhat” décrivant les -orbites sur , qui sont isomorphes à des espaces affines et paramétrées par le “groupe de Weyl affine étendu” (voir le §8.3 ci-dessous pour plus de détails sur ce groupe). On peut donc considérer les complexes à parité sur cette variété (pour la fonction donnée par la parité de la dimension de l’orbite), la catégorie dérivée mixte associée , et sa t-structure perverse. Les objets à parité indécomposables dans sont paramétrés par , et on notera l’objet associé à (pour ) et son image dans . Les objets standards et costandards associés à seront notés et respectivement; alors l’analogue de la Proposition 7.1 est vrai, et se prouve de façon similaire. Les faisceaux pervers basculants indécomposables dans sont également paramétrés par , et on notera l’objet associé à .
De même on considérera la variété de drapeaux affine “opposée”
et la catégorie dérivée mixte associée . Les objets à parité indécomposables normalisés, leurs images dans , et les faisceaux pervers basculants normalisés seront notés respectivement , et . Les objets standards et costandards seront notés et respectivement.
Ces variétés ont également des analogues paraboliques (souvent appelées plutôt “parahoriques” dans ce contexte). Le cas qui nous intéressera sera celui de la “Grassmannienne affine” et sa version opposée, définies respectivement par
Dans ce cas on peut considérer les orbites de l’action naturelle de sur ou ; la combinatoire associée sera rappelée au §8.4. Mais on peut également considérer l’action du sous-groupe d’Iwahori “opposé” , défini comme l’image inverse par le morphisme d’évaluation du sous-groupe de Borel opposé à (par rapport à ). Dans ce cadre-là on paramètrera les orbites par , en envoyant sur l’orbite de la classe de l’image de par le morphisme induit par . On obtient ainsi une stratification algébrique
où chaque est isomorphe à un espace affine. On notera la catégorie dérivée des -faisceaux constructibles par rapport à cette stratification, et la catégorie dérivée mixte associée. Cette catégorie possède une t-structure perverse, dont on notera le coeur. Les objets standards et costandards associés à seront notés et respectivement, et les complexes à parité indécomposables normalisés et leurs images dans seront notés et respectivement. Encore une fois, l’analogue de la Proposition 7.1 est vrai, et se prouve de façon similaire. Les faisceaux pervers indécomposables normalisés seront notés .
Nous utiliserons des notations similaires pour à la place de .
7.3. Dualité de Koszul pour les faisceaux constructibles
On revient aux notations du §7.1 : on suppose donc que est la variété de drapeaux d’un groupe de Kac–Moody . On considère également la variété de drapeaux opposée du groupe de Kac–Moody dual de au sens de Langlands (c’est-à-dire dont la donnée radicielle de Kac–Moody est duale de celle de ). On peut alors considérer les catégories et . Notons que les groupes de Weyl associés à et sont canoniquement isomorphes ; ils seront tous deux notés .
Le théorème suivant est le résultat principal de [AMRW2].
Théorème 7.4.
Supposons que est différent de . Il existe une dualité de Koszul formelle
dont la bijection associée sur les ensembles de paramètres est .
Notons que la Proposition 6.5 nous assure que l’équivalence du Théorème 7.4 vérifie
(7.1) |
pour tout .
Remarque 7.5.
-
(1)
Dans [AMRW2] nous travaillons en fait sous une hypothèse plus faible (mais plus technique à énoncer) sur . Puisque cette hypothèse est vérifiée dès que est différent de , ici nous avons simplifié l’énoncé en nous restreignant à ce cas.
-
(2)
Il devrait être possible de généraliser les constructions du Théorème 7.4 au contexte du §7.2 (pour réductif quelconque). Cependant les méthodes utilisées dans [AMRW2] reposent sur les constructions de [EW], qui n’ont été développées que pour les groupes de Coxeter (et non pour leurs “cousins” que sont les groupes de Weyl affines étendus) ; cette généralisation demanderait donc comme préalable de généraliser ces outils, ce que nous ne ferons pas ici. Cependant la “trace combinatoire” de cette équivalence se généralise facilement au cadre du §7.2; voir le §8.3 ci-dessous. Ceci est suffisant pour toutes les applications considérées jusque-là.
7.4. Faisceaux cohérents sur la résolution de Springer et t-structure exotique
On suppose maintenant que est algébriquement clos, et on note un groupe algébrique connexe réductif sur dont le sous-groupe dérivé est simplement connexe. On choisit un sous-groupe de Borel et un tore maximal , et on pose .
Soit l’espace cotangent à la variété de drapeaux . Cette variété possède une action naturelle de , où agit via l’action induite par l’action naturelle sur , et agit par multiplication par le long des fibres de la projection . On considère alors la catégorie dérivée bornée
de la catégorie des faisceaux cohérents -équivariants sur . On note333La convention adoptée ici est opposée à celle utilisée dans [MR2, AR4, AHR]. l’automorphisme donné par le produit tensoriel avec le -module de dimension et de poids .
Dans [B2] (voir aussi [MR1]), Bezrukavnikov construit une collection exceptionnelle graduée dans , pour un certain ordre sur . (Cet ordre n’est pas uniquement déterminé ; dans la suite on le fixe, en supposant en particulier que est isomorphe à . Ce choix n’affecte aucune des constructions considérées.) On notera la collection duale, et la fonction envoyant sur la classe de
(7.2) |
où est le système de racines de , est le système de racines positives tel que est le sous-groupe de Borel négatif, est la coracine associée à , et enfin est l’élément du groupe de Weyl de de longueur minimale tel que est dominant (pour la structure de groupe de Coxeter sur déterminée par ). (Voir la Remarque 7.9 ci-dessous pour une interprétation plus naturelle de cette fonction.)
Proposition 7.6.
Démonstration.
La t-structure associée à la collection exceptionnelle graduée est appelée la t-structure exotique. La Proposition 7.6 implique que le coeur de cette t-structure est une catégorie graduée de plus haut poids ; on peut donc considérer ses objets basculants indécomposables. Ceux-ci sont paramétrés par , et on notera l’objet associé à (pour ).
7.5. Dualité de Koszul constructibles-cohérents
On continue avec les notations du §7.4, et on suppose de plus que la caractéristique de est bonne pour , et que l’algèbre de Lie de possède une forme bilinéaire -invariante non-dégénérée. On notera le groupe réductif connexe complexe qui est dual de au sens de Langlands, avec le tore maximal et le sous-groupe de Borel qui sont duaux de , et la Grassmannienne affine de . On a alors, par définition . Comme au §7.2 on considère l’action sur du sous-groupe d’Iwahori défini par le sous-groupe de Borel opposé à (par rapport à ), et la catégorie dérivée mixte associée .
L’énoncé suivant est le résultat principal de [ARd] (voir également [MR2] pour une preuve alternative, sous des hypothèse légèrement plus fortes).
Théorème 7.7.
Il existe une dualité de Koszul formelle
dont la bijection associée sur les ensembles de paramètres est .
7.6. Des faisceaux cohérents aux représentations
Comme aux §§7.4–7.5 on suppose que est un corps algébriquement clos, mais on suppose maintenant que sa caractéristique est positive. Pour tout -groupe algébrique affine , on notera le décalé de Frobenius de (voir par exemple [Ja, §I.9.2]).
Soit un groupe algébrique connexe réductif sur , à sous-groupe dérivé simplement connexe, et soient un tore maximal et un sous-groupe de Borel. Dans ce paragraphe on supposera que , où est le nombre de Coxeter de . Alors le groupe vérifie les hypothèses du §7.5. On appliquera les constructions de ce paragraphe pour le tore maximal et le sous-groupe de Borel . On identifiera le groupe des caractères de à de sorte que la composition avec le morphisme de Frobenius correspond à la multiplication par sur .
Remarque 7.8.
Il est plus courant en théorie des représentations d’imposer l’hypothèse plutôt que . On peut vérifier (en consultant la table des nombres de Coxeter par exemple) que cette dernière condition est équivalente à demander que :
-
(1)
;
-
(2)
est très bon pour .
On notera la catégorie des représentations algébriques de dimension finie de . Si est le sous-ensemble des poids dominants (pour le choix de racines positives tel que est le sous-groupe de Borel négatif), alors pour on notera le module induit de plus haut poids (noté dans [Ja]) et le module de Weyl de plus haut poids . Si est l’élément de plus grande longueur dans le groupe de Weyl de , alors on a . Il existe (à scalaire près) un unique morphisme de -modules non nul ; son image est l’unique sous-module simple de , qu’on notera .
D’après [Ja, §II.4.13, Remark 2], les objets forment une collection exceptionnelle dans la catégorie triangulée pour l’ordre naturel sur (voir par exemple [Ja, §II.1.5]). La famille duale est la famille (voir [Ja, Proposition II.4.13]), et la t-structure associée est la t-structure tautologique. Puisque les objets et sont concentrés en degré , la catégorie possède une structure naturelle de catégorie de plus haut poids, et on peut donc considérer ses objets basculants ; les objets basculants indécomposables sont classifiés (à isomorphisme près) par , et on notera l’objet associé à (voir également [Ja, Appendice E]).
Considérons maintenant le groupe de Weyl affine étendu
et son sous-groupe (où est le système de racines de , et est le réseau radiciel). On notera l’image dans d’un élément . Alors possède une structure naturelle de groupe de Coxeter (voir [Ja, Chap. II.6]). Sa fonction de longueur vérifie
pour et . Cette formule a un sens plus généralement pour , ce qui permet d’étendre en une fonction sur (qu’on notera de la même façon). En utilisant cette fonction on peut également étendre de façon naturelle l’ordre de Bruhat sur en un ordre partiel sur .
On considère l’action de sur définie par
pour et , où est la demi-somme des racines positives de . Alors il est bien connu que, sous nos hypothèses, pour le poids est dominant si et seulement si appartient au sous-ensemble formé des éléments de longueur minimale dans . De plus, on a des bijections naturelles
leur composée sera notée . On utilise cette bijection pour transférer l’ordre sur en un ordre sur , qu’on notera par le même symbole. (Par construction, cet ordre étend la restriction à de l’ordre de Bruhat sur .)
Remarque 7.9.
Pour , on pose maintenant
Le “linkage principle” (voir [Ja, Corollary II.6.17]) assure que la sous-catégorie de Serre de engendrée par les modules simple est un facteur direct de , qui contient les représentations , et pour . De plus, la catégorie , munie des objets et , est encore une catégorie de plus haut poids pour l’ordre sur (voir notamment [Ja, Proposition II.6.16] et [AR4, Lemma 10.1]).
L’énoncé suivant est le résultat principal de [AR4].
Théorème 7.10.
Il existe une dualité de Koszul formelle dégraduante
dont la bijection associée sur les espaces de paramètres est .
8. Traces combinatoires
Dans cette partie on interprète les resultats du §7 en termes de la “base -canonique” de Williamson.
8.1. Base -canonique
Considérons le cadre du §7.1: est un groupe de Kac–Moody, la variété de drapeaux correspondante, et son groupe de Weyl, qu’on munit de sa structure naturelle de groupe de Coxeter. On choisit un corps de caractéristique .
À on peut associer son algèbre de Hecke . (On suivra les conventions de notation de [So2]; en particulier la base standard de sera notée , et sa base de Kazhdan–Lusztig sera notée .) Si on note le groupe de Grothendieck de la catégorie triangulée , il n’est pas difficile de vérifier qu’il existe un unique isomorphisme de -modules
envoyant sur . Sous cet isomorphisme, pour toute réflexion simple l’action de sur correspond au foncteur induit par la convolution à droite avec le complexe à parité (un complexe -équivariant).
De façon plus concrète, si est un complexe à parité sur , qu’on identifie à l’objet de donné par le complexe concentré en degré , avec en degré , alors on a
(8.1) |
Définition 8.1.
Pour , on pose
Il est facile de vérifier que :
-
(1)
les éléments ne dépendent pas de lui-même, mais uniquement de sa caractéristique (ce qui justifie la notation) ;
-
(2)
la famille est une base de .
La famille est la base -canonique de Williamson (voir [JW] ; le lien entre la définition adoptée dans [JW] et celle considérée ici—qui est suggérée dans [JMW]—est établi dans [RW1, Partie III]). Dans le cas où , des résultats de Kazhdan–Lusztig [KL2] (voir également [Sp]) montrent que est le complexe de cohomologie d’intersection de , et que pour tout . Il est connu également que pour tout il existe tel que pour tout nombre premier ; mais l’entier n’est pas connu, et semble difficile à décrire (sauf dans des cas très particuliers).
De même que les polynômes de Kazhdan–Lusztig se définissent à partir de la base de Kazhdan–Lusztig de , on définit les -polynômes de Kazhdan–Lusztig comme les coefficients des éléments de la base -canonique dans la base standard, c’est-à-dire par l’égalité
pour . Contrairement aux polynômes de Kazhdan–Lusztig usuels, ces polynômes n’appartiennent pas nécessairement à (mais plutôt à ). Par contre, d’après (8.1), ils ont des coefficients positifs ou nuls.
Remarque 8.2.
Bien sûr, on peut considérer des constructions similaires pour la variété de drapeaux opposée à la place de . On a alors un isomorphisme
envoyant sur . En utilisant le fait que les objets se “relèvent” dans la catégorie -équivariante, on peut vérifier sans difficulté qu’on a encore
(8.2) |
pour tout . (Au vu des commentaires à la fin du §7.1, cela revient à dire que pour tous .)
8.2. Dualité de Koszul et base -canonique
On considère maintenant le groupe de Kac–Moody qui est dual de au sens de Langlands, sa variété de drapeaux opposée , et l’équivalence du Théorème 7.4.
Lemme 8.3.
L’automorphisme de donné par coincide avec l’involution d’anneau donnée par
pour et .
Démonstration.
La formule découle du fait que
pour et . ∎
Le résultat suivant est une traduction de (7.1) dans les groupes de Grothendieck. (On peut considérer ce fait comme la “trace combinatoire” de la dualité de Koszul.)
Proposition 8.4.
Pour tout on a
Remarque 8.5.
-
(1)
Considérons le cas particulier où . Dans ce cas, comme expliqué au §8.1, on a pour tout . Dans les conventions de Kazhdan–Lusztig [KL1], la base est notée . Kazhdan et Lusztig considèrent également une autre base, notée . Avec nos notations, on a . En d’autres termes, pour général, la base peut être considérée comme une “version -canonique” de “l’autre” base de Kazhdan–Lusztig.
-
(2)
Toujours dans le cas particulier où , les “caractères” des faisceaux pervers mixtes basculants sur les variétés de drapeaux ont été déterminés par Yun [Yu]. Dans ce cas particulier, notre formule est identique à la sienne. (Yun utilise une autre notion de “faisceaux pervers mixtes” ; voir [AR1] pour le lien avec notre définition.)
-
(3)
Revenons au cas où est quelconque. En utilisant (8.2) pour le groupe , et le fait que est une involution, on trouve aussi que pour tout . En comparant avec la formule de la Proposition 8.4 (appliquée au groupe ), il s’ensuit que
pour tout . Cette égalité peut également se démontrer directement (c’est-à-dire sans utiliser le Théorème 7.4) en utilisant les “objets libre-monodromiques” considérés dans [AMRW1].
8.3. Le cas particulier des variétés de drapeaux affines
Considérons le cadre du §7.2, et supposons de plus que est quasi-simple et simplement connexe. Alors est la variété de drapeaux d’un groupe de Kac–Moody, et on peut donc lui appliquer les résultats considérés au §7.3 et au §8.1. Le “groupe de Weyl” correspondant est le groupe de Weyl affine non étendu associé à (ou au groupe dual, selon les conventions choisies) et qui se décrit comme , où est le réseau des coracines de .
Cependant, le groupe de Kac–Moody dual du groupe affine non tordu associé à n’est pas toujours du même type : il s’agit d’un groupe de Kac–Moody affine, mais tordu si n’est pas simplement lacé. Cependant, si on suppose que est très bon pour (et, comme toujours, différent de ), la catégorie des complexes à parité sur la variété de drapeaux de ce groupe dual s’identifie canoniquement à celle des complexes à parité sur ; voir [AMRW2, §7.1] pour plus de détails. L’algèbre de Hecke associée sera notée , et sa base -canonique .
Plutôt que d’énoncer les résultats du §8.2 dans ce cadre, nous allons les étendre au cas des groupes réductifs généraux. Considérons donc le contexte du §7.2, où est maintenant un groupe reductif connexe complexe quelconque. Le “groupe de Weyl affine étendu” associé est défini par . Il contient le groupe comme sous-groupe distingué (où, comme ci-dessus, est le réseau des coracines de ). Comme au §7.6 le groupe admet une structure naturelle de groupe de Coxeter, dont la fonction de longueur vérifie
Cette formule permet d’étendre à . De plus est un sous-groupe abélien de , isomorphe à , dont l’action sur (par conjugaison) préserve les générateurs de Coxeter, et tel que la multiplication induit un isomorphisme
Remarque 8.6.
Dans le contexte considéré au §7.6, avec le groupe “” considéré ici égal au groupe dual de Langlands de , le groupe de Weyl affine étendu s’identifie canoniquement avec celui noté de la même manière au §7.6. (Dans ce cas particulier le quotient est sans torsion ; cette hypothèse n’est pas nécessaire pour les résultats considérés ici.)
On notera l’algèbre de Hecke affine “étendue”, c’est-à-dire la -algèbre engendrée par des éléments , soumis aux relations
-
(1)
si et ;
-
(2)
si et .
L’application induit un morphisme de groupes de vers le groupe des éléments inversibles de . D’autre part, l’algèbre de Hecke du groupe de Coxeter est naturellement une sous-algèbre de , et la multiplication induit un isomorphisme
(où l’action de sur est induite par l’action sur ). On notera encore l’involution d’anneau de déterminée par pour et .
On “étend” la base -canonique de en une base de en posant
(On peut vérifier que si avec et , alors on a aussi .)
Du point de vue géométrique, on peut considérer comme au §7.2 les variétés de drapeaux affines et , leurs catégories dérivées mixtes et , et les isomorphismes naturels
déterminés par et pour et .
Proposition 8.7.
Supposons que est très bon pour et différent de . Pour tout on a
Démonstration.
On se ramène facilement au cas où . Dans ce cas les formules voulues découlent du Théorème 7.4, puisque la composante connexe de contenant le point de base s’identifie à la variété de drapeaux affine du recouvrement simplement connexe du sous-groupe dérivé de , qui lui-même est un produit de groupes quasi-simples et simplement connexes (voir [AMRW2, §7.1] pour plus de détails). ∎
8.4. Dualité de Koszul constructible parabolique
Dans [AMRW2] nous démontrons également une version “parabolique” du Théorème 7.4. Pour simplifier, ici nous n’énoncerons ce résultat que dans un cas particulier, dans le cadre des variétés de drapeaux affines.
On continue de supposer que est un groupe réductif connexe complexe quelconque, et on considère comme au §7.2 sa “Grassmannienne affine opposée” . Cette variété admet une décomposition de Bruhat en terme d’orbites pour l’action du sous-groupe d’Iwahori induite par multiplication à droite sur ; ses strates sont paramétrées par le sous-ensemble formé des éléments qui sont de longueur minimale dans . Comme pour les variétés de drapeaux des groupes de Kac–Moody, on lui associe une catégorie dérivée mixte, qu’on notera . Les objets standards et costandards dans cette catégorie seront notés et respectivement ().
Fixons maintenant un corps algébriquement clos de caractéristique positive , et supposons qu’il existe une racine primitive -ième de l’unité dans (qu’on fixe). Notons le -groupe algébrique réductif connexe dont la donnée radicielle est la même que celle de . Notons également le sous-groupe de Borel et le tore maximal correspondant à et . Nous noterons le sous-groupe de Borel de qui est opposé à par rapport à , et son radical unipotent. En fixant une trivialisation de chacun des sous-espaces radiciels de correspondant à une racine simple, et en composant avec le morphisme somme, on obtient un “caractère additif non dégénéré”
Notre choix de racine primitive -ième de l’unité dans définit un faisceau d’Artin–Schreier sur , qu’on notera .
Considérons maintenant la variété de drapeaux affine
définie comme précédemment, en remplaçant par . On considérera également le sous-groupe d’Iwahori associé à , dont on notera le radical pro-unipotent. Il existe une surjection naturelle , dont on notera la composée avec . Nous noterons alors
la catégorie dérivée des -faisceaux étales sur qui sont -équivariants. (Ici, la notation est un symbole pour “Iwahori–Whittaker”.) Dans cette catégorie on peut considérer les objets à parité, puis définir la catégorie dérivée mixte associée et sa t-structure perverse. Les orbites de sur sont paramétrées naturellement par ; celles qui supportent un système local -équivariant non nul sont celles paramétrées par les éléments de . Les objets standards et costandards associés à dans seront notés et respectivement.
Dans [AMRW2, Theorem 7.4], sous l’hypothèse où est quasi-simple et simplement connexe, on construit une dualité de Koszul formelle
(8.3) |
dont la bijection associée sur les ensembles de paramètres est .
Cette dualité admet l’interprétation “combinatoire” suivante, qui s’étend en fait au cas des groupes réductifs arbitraires. Considérons l’algèbre de Hecke associée à (pour sa structure de groupe de Coxeter déterminée par ). Alors est une sous-algèbre de , et elle possède deux actions naturelles sur : l’action “triviale”, pour laquelle agit par multiplication par (pour tout ), et l’action “signe”, pour laquelle agit par multiplication par (pour tout ). Les modules correspondants seront notés et . On considère alors les modules “sphérique” et “antisphérique” de définis par
respectivement. L’automorphisme induit un isomorphisme , qu’on notera encore , et qui vérifie
(8.4) |
pour et .
Chacun de ces modules possède une “base standard” paramétrée par , et définie par
Ils possèdent également des bases -canoniques et qui sont reliées à la base canonique de de la façon suivante. (Ces bases peuvent être définies indépendemment des relations qui suivent, mais elles sont caractérisées par celles-ci.) Notons l’application naturelle (avec ) et l’application déterminée par , où est l’élément de plus grande longueur dans . Alors pour on a
(8.5) |
et pour on a
(8.6) |
Ces bases déterminent des -polynômes de Kazhdan–Lusztig sphériques et antisphériques respectivement, définis par les égalités
(Comme dans le cas des bases -canoniques des algèbres de Hecke au §8.1, ces bases dépendent du groupe et pas seulement du groupe . Mais pour alléger les notations nous ne ferons pas apparaître cette dépendance.)
On a des isomorphismes canoniques
(8.7) |
envoyant sur et sur respectivement. Les images des objets à parité indécomposables associés à dans et seront notés et respectivement. Pour , on notera également et les faisceaux pervers basculants associés à dans et respectivement.
Remarque 8.8.
Le résultat suivant découle des propriétés de l’équivalence (8.3), suivant les mêmes arguments que pour la Proposition 8.7.
Proposition 8.9.
Via les identifications (8.7), les classes et correspondent à et respectivement, et les classes et correspondent à et respectivement.
Remarque 8.10.
Au §7.2 on a considéré la catégorie dérivée mixte des faisceaux sur la Grassmannienne affine “usuelle” munie de la stratification par les orbites du sous-groupe d’Iwahori positif . Cette catégorie est reliée à catégorie (définie pour la stratification par les orbites du sous-groupe d’Iwahori négatif) considérée ici de la façon suivante. Considérons un anti-automorphisme de qui se restreint à l’identité sur , et qui échange les sous-groupes de Borel positif et négatif. Cet anti-automorphisme induit un anti-automorphisme de qui stabilise , et donc un isomorphisme de ind-variétés . Cet isomorphisme échange la -orbite paramétrée par et la -orbite paramétrée par ; elle induit donc une équivalence de catégories
envoyant sur , sur , sur et sur . On en déduit un isomorphisme
(8.8) |
envoyant sur , sur et sur , pour tout .
8.5. Base -canonique et faisceaux exotiques
Revenons aux notations du §7.4. La base -canonique du module encode également la combinatoire des objets basculants et à parité pour la t-structure exotique sur . En effet, en combinant l’isomorphisme (8.8) avec celui induit par l’équivalence du Théorème 7.7, on obtient un isomorphisme
envoyant sur , sur et sur , pour tout et tout . (Ici l’algèbre de Hecke considérée est celle associée au groupe réductif complexe dual de au sens de Langlands.) Sous cet isomorphisme, l’action de est induite par l’action catégorique du groupe de tresses affine étudiée dans [BR, R1]; plus précisément, l’action (à droite) de est induite par le foncteur noté dans [MR1].
9. Applications en théorie des représentations
9.1. Formule de caractères pour les modules basculants
Notre motivation principale pour développer les travaux exposés au §7 était une application à un calcul de caractères dans la théorie des représentations des groupes réductifs, qu’on présente maintenant.
Comme au §7.6, soit un groupe algébrique réductif dont le sous-groupe dérivé est simplement connexe, soit un sous-groupe de Borel, et soit un tore maximal. Si on considère les constructions du §8.4 pour le groupe qui est dual de au sens de Langlands, le groupe s’interprète comme le “groupe de Weyl affine” associé à comme dans [Ja]. L’algèbre de Hecke affine étendue associée sera notée simplement . On supposera que , où est le nombre de Coxeter de .
La formule suivante a été conjecturée par G. Williamson et le second auteur dans [RW1]. Dans cet énoncé on considère la base -canonique du module antisphérique définie comme au §8.4, pour le groupe , et on note le nombre d’occurences de dans une filtration costandard de .
Conjecture 9.1.
Pour tous on a
Remarque 9.2.
- (1)
-
(2)
La formule énoncée dans la Conjecture 9.1 est très proche de (et inspirée par) la formule de multiplicités pour les modules basculants des groupes quantiques de Lusztig en une racine de l’unité conjecturée par Soergel dans [So2] puis démontrée peu après par lui-même dans [So3] (voir également [So4]). Une extension de cette formule au cas des représentations modulaires des groupes réductifs a été proposée par Andersen (voir notamment [An]). Mais la Conjecture 9.1 est différente de celle d’Andersen dans la mesure où elle s’exprime en termes des -polynômes de Kazhdan–Lusztig, et non des polynômes de Kazhdan–Lusztig ordinaires. D’autre part, elle n’impose aucune condition sur . (Cette propriété est liée au fait que les -polynômes de Kazhdan–Lusztig antisphériques “intègrent” la formule de Donkin modulaire, alors que leurs analogues ordinaires n’intègrent “que” sa version quantique; voir le §9.3 ci-dessous pour plus de détails.)
-
(3)
Une remarque d’Andersen (basée sur des travaux antérieurs de Jantzen et de Donkin) montre que si on connait les multiplicités pour certaines valeurs de , on peut en déduire une formule de caractères pour les modules simples (pour tous les ); voir [RW1, §1.8] pour des détails et des références. Cependant, la formule obtenue suivant cette approche s’avère assez peu éclairante. Pour une formule plus satisfaisante, on pourra consulter [RW2].
-
(4)
Considérons l’isomorphisme de groupes abéliens
(où est vu comme -module via ) envoyant sur pour tout . L’action de sur le membre de gauche se réalise en termes du membre de droite de la façon suivante : pour tout tel que , la multiplication by correspond au morphisme induit par le foncteur 444Avec les notations de [AR4], on a . de “croisement des murs” associé à . La Conjecture 9.1 peut se reformuler en disant que cet isomorphisme envoie sur , pour tout .
L’article [RW1] contient un plan de preuve de la Conjecture 9.1 (suivant des idées de “représentations catégoriques” dues à Rouquier et Khovanov–Lauda), ainsi que sa mise en oeuvre effective dans le cas particulier où . Cependant, cette approche semble très difficile à mettre en pratique pour d’autres groupes. L’application principale des travaux présentés au §7 est une preuve générale de cette conjecture, basée sur des idées différentes inspirées de certains travaux de Bezrukavnikov (avec divers collaborateurs) consacrés aux groupes quantiques (et notamment [ABG]).
Nous obtenons finalement le résultat suivant.
Théorème 9.3.
La conjecture 9.1 est vraie.
Démonstration.
En combinant les foncteurs des Théorèmes 7.7 et 7.10 on obtient un foncteur de dégraduation (au sens du §5.7, et par rapport à ) de vers . Ce foncteur envoie sur , sur , et sur , pour tout . On en déduit que pour tous on a
où et sont les poids tels que et . Le résultat voulu découle alors de la Remarque 8.10. ∎
9.2. Support des modules basculants et conjecture de Humphreys
On continue dans le cadre du §9.1. Soit le morphisme de Frobenius, et notons son noyau (un -schéma en groupes fini). Dans ce paragraphe nous présentons une application des constructions du §7.6 au calcul de la cohomologie
de à coefficients dans un -module (ou plus généralement dans un complexe de -modules). Dans le cas où est un -module basculant, cette approche permet de démontrer une conjecture de Humphreys sur le support de cette cohomologie.
Notons que pour tout dans , l’espace vectoriel gradué admet une action naturelle de , qui se factorise via une action de .
Proposition 9.4.
Pour tout et tout , il existe un isomorphisme canonique et -équivariant
Ici est le foncteur du Théorème 7.10, et le “” en indice dans le membre de droite désigne la composante graduée de degré . (Notons que les espaces vectoriels ont une structure naturelle de -module. La graduation provient de l’action de .)
Démonstration.
Par adjonction, pour tout -module , on a
où est l’anneau des fonctions sur . Ensuite, nous exploitons l’amplification suivante du Théorème 7.10: si est un -module, alors pour tout il existe un isomorphisme naturel
(voir [AR4]). Supposons désormais que . Puisque est un foncteur de dégraduation pour (voir le Lemme 6.7), on a
La proposition est alors une conséquence du fait que pour tout -module , l’espace s’identifie canoniquement à l’espace vectoriel sous-jacent à . ∎
Soit le cône nilpotent dans l’algèbre de Lie de , et notons
la résolution de Springer. Rappelons que c’est une résolution rationelle; en d’autres termes on a , ou, puisque est une variété affine, (voir [KLT, Theorem 2]). Par conséquent, dans le cas où , la Proposition 9.4 nous donne un isomorphisme
dont on vérifie facilement qu’il s’agit d’un isomorphisme d’anneaux (où le membre de gauche est muni du produit de Yoneda.) On retrouve ainsi un célèbre résultat d’Andersen–Jantzen [AJ] (démontré également par Friedlander–Parshall [FP] sous des hypothèses légèrement plus fortes).
Pour tout -module , la cohomologie est munie d’une structure de module sur , et donc sur , et par là peut s’interpréter comme un faisceau quasi-cohérent sur . Le support de ce dernier (une sous-variété fermée de ) est appelé la variété de support relative de . La variété de support ordinaire (i.e., non relative) est définie de la même façon en remplaçant par . Les idées de la preuve de la Proposition 9.4 s’adaptent aisément pour démontrer l’énoncé suivant.
Proposition 9.5.
Pour tout , la variété de support relative de est le support de l’objet .
Considérons maintenant les variétés de support relatives des -modules basculants avec . Il n’est pas difficile de voir que si n’est pas antidominant, alors , et donc sa variété de support relative est vide. La conjecture de Humphreys relative propose une description de la variété de support relative de pour .555La conjecture telle qu’énoncée dans [Hu] concerne les variétés de support ordinaires, mais celles-ci sont étroitement liées aux variétés de support relatives : voir notamment [AHR, Lemma 8.11 et Remark 9.4]. Pour expliquer cette conjecture, rappelons que se répartit en cellules bilatères, et que ces dernières sont en bijection naturelle avec les -orbites dans [Lu2]. Pour , posons
Ces notations permettent d’énoncer le théorème suivant, qui est l’un des résultats principaux de [AHR].
Théorème 9.6 (Conjecture de Humphreys relative).
Si la caractéristique de est assez grande, ou si et , alors pour tout la variété de support relative de est .
Remarque 9.7.
-
(1)
Dans [AHR] on démontre également une version non relative de ce résultat, pour assez grand.
-
(2)
Dans le cas (et ), ce théorème est obtenu comme corollaire de sa version non relative, démontrée par W. Hardesty dans [Ha].
-
(3)
Dans le cas général, les méthodes utilisées dans [AHR] ne permettent pas de déterminer explicitement une borne sur au-delà de laquelle la conjecture est vraie.
9.3. Une “formule de Donkin” pour la base -canonique antisphérique
Continuons avec les notations du §9.1. Pour , on notera l’élément de Bernstein de associé, qui est défini par
où avec ; voir par exemple [Lu1]. (Il est bien connu que cet élément ne dépend pas du choix de et .) Pour tout dans , on posera
(Ici, désigne le sous-espace de poids dans , où on a identifié aux caractères de comme au §7.6. Cette somme est bien sûr finie, et a donc un sens.) Puisque pour tous et , des résultats de Bernstein et Lusztig (voir [Lu1]) montrent que cet élément est central dans . En particulier, on considérera ces éléments quand est le -module basculant indécomposable de plus haut poids .
Choisissons un poids tel que pour toute racine simple . (Un tel poids existe grâce à notre hypothèse que le sous-groupe dérivé de est simplement connexe.) Nous dirons qu’un élément est restreint si le poids dominant est restreint. (Bien sûr, cette définition ne dépend pas de la caractéristique sur laquelle on travaille, sous notre hypothèse où .) Le résultat suivant est un analogue de la “formule de Donkin” pour les -modules basculants (voir [Ja, §E.9]).
Proposition 9.8.
Supposons que . Alors pour tout tel que appartient à et est restreint, et pour tout , on a
Remarque 9.9.
-
(1)
Il n’est pas difficile de voir que notre hypothèse sur ne dépend pas du choix de .
-
(2)
Puisque est premier, l’hypothèse “” est équivalente à demander que et . Ces dernières seront les deux conditions dont nous aurons besoin.
-
(3)
L’hypothèse que n’est probablement pas nécessaire. Elle est utilisée dans la preuve pour se ramener à la formule de Donkin en théorie des représentations ; mais une approche géométrique (qui serait de toute façon plus satisfaisante) devrait permettre de s’en passer.
Avant de donner la preuve de la Proposition 9.8 nous devons faire quelques rappels (pour lesquels l’hypothèse sur n’est pas nécessaire). Considérons la catégorie des -faisceaux pervers -équivariants sur . Cette catégorie peut être munie d’un “produit de convolution” qui en fait une catégorie monoïdale, et l’équivalence de Satake géométrique fournit une équivalence de catégories monoïdales
(Voir [MV] pour la preuve originale dans cette généralité, et [BaR] pour une version plus détaillée et des remarques historiques. Cette équivalence ne nécessite aucune hypothèse sur , ni sur .)
Si on suppose que est très bon pour , alors la théorie des complexes à parité de [JMW] s’applique dans la catégorie dérivée équivariante . Puisque les -orbites dans sont paramétrées par , les complexes à parité indécomposables dans sont paramétrés par ; on notera l’objet associé à . Les résultats de [MR2] montrent que est un faisceau pervers, et que est isomorphe à . (Voir [JMW2] pour une preuve antérieure, sous des hypothèse plus fortes.)
Continuons de supposer que est très bon pour . Pour tout , la convolution à gauche avec définit un endofunctor de la catégorie qui stabilise les complexes à parité (grâce aux résultats de [JMW, §4.1]); elle induit donc un foncteur
(9.1) |
Lemme 9.10.
Démonstration.
Les deux applications considérées sont des endomorphismes de -modules à droite. Puisque est un module cyclique, il suffit donc de vérifier qu’elles coïncident sur l’élément .
Pour tout , on notera l’élément de plus grande longueur dans . (Cet élément est noté dans [Lu1].) Avec cette notation, l’image de par le morphisme induit par (9.1) est , c’est-à-dire . En comparant l’équivalence de Satake géométrique sur et en caractéristique , et en notant le -module induit de plus haut poids , on voit que
(voir par exemple [JMW2, Remark 4.2]). D’un autre côté, on peut interpréter [Lu1, Proposition 8.6] comme disant que pour tout on a
On en déduit que
ce qui conclut la preuve. ∎
Démonstration de la Proposition 9.8.
On a vu au cours de la preuve du Théorème 9.3 qu’il existe un foncteur de dégraduation . Ce foncteur est t-exact pour la t-structure perverse sur sa source et la t-structure tautologique sur son but. Il induit donc un foncteur exact
Dans [AR4, §11] on considère le foncteur de convolution à droite avec sur (défini comme ci-dessus pour (9.1)). On vérifie que ce foncteur est t-exact, et induit donc un foncteur entre catégories de faisceaux pervers, et que de plus a les propriétés suivantes :
-
(1)
pour dans et ;
-
(2)
un object de est basculant (resp. basculant et indécomposable) ssi son image est un -module basculant (resp. un -module basculant et indécomposable).
Sous nos hypothèses un résultat de Donkin (voir [Ja, §II.E.9]) assure que
pour comme dans l’énoncé et . En utilisant les propriétés de rappelées ci-dessus, on en déduit que
où sont les poids tels que et . On utilise ensuite la Remarque 8.10 pour “transférer” cet isomorphisme en un isomorphisme
En utilisant le Lemme 9.10 et la Proposition 8.9, cet isomorphisme implique que
En appliquant et en utilisant (8.4) et le fait que pour tout , on en déduit l’égalité voulue. ∎
Une fois l’égalité de la Proposition 9.8 établie, on peut la “relever” en un énoncé sur les complexes à parité de la façon suivante. Dans cet énoncé, on note
(où est le sous-groupe d’Iwahori noté au §8.3, pour notre groupe ) le “foncteur central” construit par Gaitsgory dans [Ga] (ou sa variante considérée par Zhu dans [Zh]). D’autre part, la catégorie dérivée -équivariante possède un produit de convolution qui en fait une catégorie monoïdale, et qu’on notera . Cette catégorie agit naturellement par convolution à droite sur ; le bifoncteur associé sera noté également.
Proposition 9.11.
Supposons que , et soient et comme dans la Proposition 9.8. Alors on a
Remarque 9.12.
-
(1)
Comme pour la Proposition 9.8, l’hypothèse sur dans la Proposition 9.11 n’est probablement pas nécessaire. En fait ici on va déduire la Proposition 9.11 de la Proposition 9.8. Une stratégie plus satisfaisante serait de démontrer la Proposition 9.11 par des arguments géométriques, et sous une hypothèse plus faible, et d’en déduire la Proposition 9.8.
-
(2)
Signalons qu’il n’est pas vrai que est un complexe à parité pour tous et .
Démonstration.
Notons le sous--module de engendré par les éléments avec tel que . Alors est un sous--module de . En effet, pour justifier cela il suffit de montrer que pour tout comme ci-dessus et pour toute réflexion simple , appartient à . Mais est la classe d’un complexe à parité (considéré comme un complexe dans concentré en degré ) ; ses coefficients dans la base sont donc des polynômes à coefficients positifs ou nuls. Donc, pour démontrer notre affirmation, il suffit de voir que les valeurs en des coefficients de sur les éléments tels que n’appartient pas à s’annulent. En utilisant la Remarque 9.2(4), ce qu’on doit démontrer est donc que si est comme ci-dessus et si est le foncteur de “croisement des murs” associé à , alors est une somme directe d’objets avec tel que . Mais les modules basculants indécomposables avec vérifiant cette condition sont exactement ceux qui sont projectifs comme -modules ; voir [Ja, Lemma E.8]. Il suffit donc de remarquer que cette propriété est stable par les foncteurs de translation, ce qui découle de la discussion de [Ja, §II.9.22].
Cette discussion montre également que est un -module cyclique, engendré par ; plus précisément, tout complexe à parité de la forme avec tel que apparait comme facteur direct d’un complexe à parité de la forme avec un complexe à parité -équivariant sur . En utilisant [Zh, Theorem 7.3] on voit que
D’autre part, d’après [BGMRR, Proposition 4.18] l’objet est un complexe à parité. On en déduit qu’il en est de même pour , et donc pour .
Ce qu’on vient donc de montrer implique en particulier que le foncteur induit un endomorphisme de -module de . Puisque, d’après [BGMRR, Proposition 4.18], on a
cet endomorphisme coïncide avec l’action de . Donc, pour comme dans l’énoncé, on a
On en déduit l’isomorphisme de la proposition. ∎
9.4. Une “formule de Steinberg” pour la base -canonique sphérique
Considérons un élément comme au §9.3. Dans l’article [RW2], G. Williamson et le second auteur considèrent l’unique morphisme de -modules à droite envoyant sur . Ils démontrent que ce morphisme est injectif et vérifie
pour tout , sous l’hypothèse où est bon pour . En utilisant cet résultat, la Proposition 9.8 est équivalente au résultat suivant, qu’on peut voir comme une “formule de Steinberg” pour la base -canonique sphérique.
Proposition 9.13.
Supposons que . Alors pour tout restreint et tout , on a
Une fois cette égalité établie, comme pour la Proposition 9.11 on peut obtenir les isomorphismes suivants (sous l’hypothèse ) :
-
(1)
dans , si est restreint et si alors
-
(2)
dans , si est tel que est restreint et si , alors
où est le poids tel que .
(Pour le cas (1), le fait que notre objet est un complexe à parité découle des résultats de [JMW, §4.1], et on utilisera le Lemme 9.10. Pour le cas (2), le fait que notre objet est un faisceau exotique basculant découle de [MR1, Proposition 4.10], et on peut identifier l’action du foncteur sur le groupe de Grothendieck en utilisant [MR1, Proposition 4.6] et la relation entre les -analogues de Lusztig et les polynômes de Kazhdan–Lusztig, voir [Ka]. Alternativement, on peut déduire ce cas du cas (1) en utilisant l’équivalence du Théorème 7.7, dont la version construite dans [ARd] est compatible avec l’équivalence de Satake au sens approprié.)
Remarque 9.14.
- (1)
- (2)
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