Étude du graphe divisoriel 4
1 Introduction
Appelons chaîne-permutation du graphe divisoriel de (ou plus simplement chaîne-permutation) toute application bijective telle que est un diviseur ou un multiple de pour tout entier . Il est facile de construire des chaînes-permutations. Voici les premières valeurs de l’une d’entre elles:
On a ici . Le résultat ci-dessous montre que la convergence vers l’infini de peut être beaucoup plus lente.
Théorème.
Il existe une constante et une chaîne-permutation telles que pour tout , on a
Intéressons-nous maintenant à des permutations de qui ne sont pas nécessairement des chaînes-permutations. Notons le plus petit commun multiple des entiers et . En 1983, Erdös, Freud et Hegyvari ont montré qu’il existe une constante et une permutation de telles que pour tout , on a
(voir le théorème 3 de [2]). En modifiant légèrement la permutation choisie par Erdös, Freud et Hegyvari, Chen et Ji [1] ont montré en 2011 que l’on peut remplacer la fonction à l’intérieur de l’accolade par . Il découle immédiatement de notre théorème une amélioration de leur résultat.
Corollaire.
Il existe une constante et une permutation de telles que pour tout , on a
Signalons que Tenenbaum [6] conjecture que l’on peut remplacer l’expression à droite du signe dans cette dernière formule par L’exposant de serait alors optimal car on sait que (théorème 3 de [4]) pour toute permutation de , on a
Pour établir le théorème, on utilise une construction de chaîne finie due à Tenenbaum (voir le paragraphe 4 de [6]) et un résultat relatif aux entiers à diviseurs denses (théorème 1 de [3]) (pour la définition de ces termes, voir le paragraphe suivant). Même si cela ne nous est pas utile ici, signalons au passage que le récent travail de Weingartner [7] fournit un équivalent asymptotique de la fonction de comptage des entiers à diviseurs -denses, uniforme en .
2 Notations
Appelons chaîne toute application injective telle que est un diviseur ou un multiple de pour tout entier . Appelons aussi chaîne finie de longueur tout -uplet d’entiers positifs deux à deux distincts et tels que est un diviseur ou un multiple de pour tout entier de l’intervalle . On notera
On note pour tout entier (respectivement ) le plus grand (resp. petit) facteur premier de n. On pose de plus .
On note
On dit qu’un entier est à diviseurs -denses si Cette dénomination provient de l’identité
où désigne la suite croissante des diviseurs de n (voir le lemme 2.2 de [5]).
3 Preuve du théorème
Soit un nombre premier.
Au paragraphe 4 de [6], Tenenbaum construit une famille de chaînes finies pour tout réel . On s’intéresse ici au cas particulier pour lequel on a les quatre propriétés suivantes.
Pour tout
Pour tout est constitué d’entiers sans facteur carré et tels que
Pour tout contient tous les entiers sans facteur carré et tels que
Cette dernière propriété combinée avec le théorème 1 de [3] entraîne l’existence d’une constante telle que pour tout
(3.1) |
Nous modifions légèrement en considérant la chaîne finie obtenue en déplaçant dans le initial pour le mettre en final, puis en multipliant le tout par le nombre premier suivant immédiatement . On a donc pour
Soit la suite commençant à , puis obtenue par concaténation des .
On vérifie que est une chaîne formée d’entiers sans facteur carré. On pose .
On construit alors par récurrence une suite croissante de nombres égaux à ou premiers et des chaînes construites à partir de en remplaçant, pour , la chaîne finie par une chaîne finie à définir.
Supposons construits , pour ainsi donc que . Si est dans l’image de , on pose , il n’y a pas de nouvelle chaîne finie à définir et donc .
On suppose dorénavant que n’est pas dans l’image de .
On choisit un nombre premier tel que et
(3.2) |
On définit alors pour de la manière suivante.
Si , on pose
Si , on choisit
Le fait que est formée d’entiers sans facteur carré assure que les éléments de sont deux à deux distincts et donc que est une chaîne finie.
On pose alors
et on vérifie que c’est une chaîne. On définit enfin
et on vérifie que c’est une chaîne-permutation.
Le début de cette chaîne-permutation est formée des trois entiers , et est suivie de la chaîne finie Soit il existe donc un nombre premier tel que . En utilisant notamment , on a
Par ailleurs notons un nombre premier générique. On a en utilisant (3.1) et le théorème des nombres premiers
On en déduit que . Cela conclut la démonstration du théorème.
Références
- [1] Y.-G. Chen and C.-S. Ji. — The permutation of integers with small least common multiple of two subsequent terms, Acta Math. Hungarica 132 (2011), 307-309.
- [2] P. Erdös, R. Freud and N.Hegyvari.— Arithmetical properties of permutation of integers, Acta Math. Hungarica 41 (1983), 169-176.
- [3] E. Saias.— Entiers à diviseurs denses 1, J. Number Theory 62 (1997), 163-191.
- [4] E. Saias.— Applications des entiers à diviseurs denses, Acta Arithmetica 83 (1998), 225-240.
- [5] G. Tenenbaum.— Sur un problème de crible et ses applications, Ann. Sci. Ecole Norm. Sup. (4) 19 (1986), 1-30.
- [6] G. Tenenbaum.— Sur un problème de crible et ses applications, 2. Corrigendum et étude du graphe divisoriel, Ann. Sci. Ecole Norm. Sup. (4) 28 (1995), 115-127.
- [7] A. Weingartner.— Practical numbers and the distribution of divisors, Quart. J. Maths 66 (2015), 743-758.
Pierre Mazet | Eric Saias |
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