Soient et deux nombres premiers tels que divise . Nous estimons le -rang du groupe des classes de , en terme du comportement de certaines unitรฉs, dont nous considรฉrons des logarithmes ร valeur dans . Nous rรฉinterprรฉtons ces logarithmes grรขce ร la formule de GrossโKoblitz et ร des identitรฉs sur la fonction Gamma -adique. Un cas particulier (dont nous nโavons pas trouvรฉ de preuve รฉlรฉmentaire) de nos formules sโรฉnonce ainsi : supposons quโil existe , tels que . Alors est une puissance -iรจme modulo . De plus nous donnons une nouvelle dรฉmonstration sans utiliser le formes modulaires dโun rรฉsultat de Calegari et Emerton.
Abstract
Let and be two prime numbers such that divides . We estimate the -rank of the class group of in terms of the discrete logarithm, with values un , of certain units. Using the GrossโKoblitz formula and identities on the -adic Gamma function, we explicitly compute these logarithms. A special case (for which we donโt have an elementary proof) of our formula is the following: assume there are some integers , such that . Then is a -th power modulo . Furthermore we give a new proof which doesnโt use modular forms of a result of Calegari and Emerton.
1 Introduction
Soient et deux nombres premiers . Supposons que . Soit la valuation -adique de . Fixons un morphisme surjectif de groupes . Il nous arrivera de considรฉrer la rรฉduction modulo de , cโest pourquoi nous prรฉciserons toujours dans nos formules si nous travaillons seulement modulo ou bien modulo . Fixons รฉgalement une clรดture algรฉbrique de .
Si est un corps de nombres, soit le -sous-groupe de Sylow du groupe des classes de . Soit le -rang de .
Soit tel que et posons . Le but de cet article est dโรฉtudier lโentier . Cet entier รฉtรฉ รฉtudiรฉ, notamment par Iimura ([Iim86]) et plus rรฉcemment par Calegari et Emerton ([CE05]).
On peut montrer, via la thรฉorie du genre, que (i.e. ).
En utilisant la formule des genres de Jaulent, Iimura parvient ร estimer prรฉcisรฉment en fonction de symboles de Hilbert, qui ont le dรฉsavantage de ne pas รชtre trรจs explicites. Dโun autre cรดtรฉ, Calegari et Emerton donnent le critรจre explicite suivant :
Soient et dans des racines primitives -iรจmes et -iรจmes de lโunitรฉ respectivement. La quantitรฉ intervient naturellement dans lโรฉtude du corps cyclotomique .
Soit le caractรจre de Teichmรผller (vรฉrifiant ). Dans cet article, dรฉsigne un caractรจre . On notera aussi le caractรจre trivial. Si est un groupe fini, on note lโalgรจbre du groupe et, si , on note lโรฉlรฉment correspondant. On note lโidรฉal dโaugmentation. On note lโidempotent associรฉ ร . Si est un groupe abรฉlien, on note .
Soit un gรฉnรฉrateur de lโunique sous-extension de degrรฉ de , et soit . Si est un caractรจre, notons le -rang de .
Thรฉorรจme 2.
On a .
On a si et seulement si .
Le sens direct est implicitement dรป ร Schoof [Sch90] (comme nous le verrons dans la section ), qui semble donc รชtre le premier ร considรฉrer la quantitรฉ . Dans [CE05], Calegari et Emerton construisent par la thรฉorie des dรฉformations un anneau quโils identifient au complรฉtรฉ -adique de lโalgรจbre de Hecke considรฉrรฉe par Mazur dans [Maz77], oรน est le -idรฉal maximal dโEisenstein. Lโรฉtude de ces anneaux par la thรฉorie du corps de classe dโune part et les symboles modulaires dโautre part ([Mer96, Thรฉorรจme 2]) mรจne au thรฉorรจmeย 1. Cela permet de montrer le sens rรฉciproque du thรฉorรจmeย 2 (bien que ce fait nโait pas รฉtรฉ notรฉ par [CE05]). Nous donnons cependant une preuve directe, par la pure thรฉorie algรฉbrique des nombres, des thรฉorรจmesย 1 etย 2, ce qui rรฉpond ร une question de Calegari et Emerton [CE05, note p.].
Comme le note Schoof dans lโintroduction de [Sch90], ce rรฉsultat qui concerne la structure dโun groupe des classes cyclotomique nโest pas prรฉdit par la thรฉorie dโIwasawa qui ne considรจre que le cardinal des groupes de classes.
Schoof รฉtablit (implicitement) le rรฉsultat suivant dans [Sch90] :
Thรฉorรจme 3.
Soit un entier tel que .
Si , alors pour tout , on a .
La rรฉciproque du thรฉorรจmeย 3 est vraie au moins pour . Nous le montrerons en effet dans un prochain article grรขce aux symboles modulaires et au travail de CalegariโEmerton.
La rรฉciproque du thรฉorรจmeย 1 est fausse en gรฉnรฉral (contrairement ร ce quโespรฉraient Calegari et Emerton sur la base de rรฉsultats numรฉriques, cf. [CE05] dernier paragraphe de la page ) : par exemple si et , on a mais (en fait le groupe des classes de est isomorphe ร par SAGE en supposant GRH pour les fonctions L de Dirichlet). Pour montrer leur critรจre, Calegari et Emerton construisent explicitement (en utilisant les reprรฉsentations galoisiennes) deux -extensions abรฉliennes indรฉpendantes partout non ramifiรฉes de . Cependant les rรฉsultats de Iimura montrent que ces deux extensions ne correspondent quโaux deux premiers crans dโune filtration de . Iimura, en รฉtudiant ces deux premiers crans, sโintรฉresse au cas particulier suivant :
Supposons quโil existe deux entiers et tels que . Si , alors on a .
On peut soupรงonner que et sont proportionnels. Cโest effectivement le cas et on peut faire le lien entre les thรฉorรจmesย 1 etย 4 :
Thรฉorรจme 5.
Supposons que avec , . Alors on a
Cette identitรฉ, dont nous nโavons pas trouvรฉ de preuve รฉlรฉmentaire, est un cas particulier dโun rรฉsultat plus gรฉnรฉral que nous dรฉcrivons maintenant.
Supposons que est une norme dans , i.e. quโil existe tel que .
Soit un caractรจre impair (), diffรฉrent de , et tel que soit dans (autrement dit, si on รฉcrit avec , alors ne divise pas le nombre de Bernoulli car par [Was97, Corollary ] on a ).
Si , soit tel que ( sโidentifie ร un รฉlรฉment de par restriction).
Comme , lโidรฉal est totalement dรฉcomposรฉ dans . Les idรฉaux premiers au dessus de sont les pour . Si , notons que est premier ร . De plus sโidentifie canoniquement ร . On peut donc considรฉrer .
Thรฉorรจme 6.
On a :
Notons que la quantitรฉ de gauche a un sens pour tout caractรจre (y compris pour pair). Nous nโavons pas pu trouver de formule explicite si ne vรฉrifie pas les conditions ci-dessus. On a une formule analogue sans supposer que les idรฉaux au-dessus de dans sont principaux, en utilisant le fait que par le thรฉorรจme dโHerbrandโRibet (cf. Thรฉorรจmeย 9).
Les calculs figurant dans [Iim86, p. ] permettent de montrer que les membres de gauche des thรฉorรจmesย 5 etย 6 sont congrus modulo (lorsque , et ), si bien que le thรฉorรจmeย 5 rรฉsulte du thรฉorรจmeย 6 (en utilisant le fait que ).
Lโidentitรฉ du thรฉorรจmeย 6 provient essentiellement dโune conjecture (tordue par ) de Gross ([Gro88, Conjecture ]) : le terme de gauche correspond ร un rรฉgulateur des -unitรฉs de et le terme de droite correspond ร lโimage dโun รฉlรฉment de Stickelberger dans oรน est lโidรฉal dโaugmentation dans (cf. la propositionย 8). Gross relie une telle quantitรฉ ร la dรฉrivรฉe dโune fonction abรฉlienne en . Cependant nous nโavons pas trouvรฉ dans la littรฉrature de preuve dโune version de la conjecture de Gross sur donnant lieu ร cette identitรฉ. Nous avons donc prouvรฉ directement lโidentitรฉ du thรฉorรจmeย 6, en suivant lโidรฉe de la preuve de la conjecture de Gross usuelle (cf. [Hay88]), cโest ร dire en utilisant la formule de GrossโKoblitz (cf. [GK79, Theorem ]).
Si , posons :
oรน est le -iรจme polynรดme de Bernoulli (et est le -iรจme nombre de Bernoulli).
Soit le nombre de dans impairs tels que et .
On verra (cf. lemmeย 11) que . On pose si et sinon.
Thรฉorรจme 7.
On a :
En particulier on retrouve le thรฉorรจmeย 1. Comme nous le verrons dans la preuve, on a une description plus fine mais plus compliquรฉe de et , et nous expliquerons quelles sont les difficultรฉs pour amรฉliorer les bornes explicitement.
Pour trouver des couples avec mais , il est judicieux au vu du thรฉorรจmeย 7 de chercher lโannulation des sommes pour dans impair tel que . Par exemple pour et , on a mais , et dans ces cas on vรฉrifie en utilisant SAGE (sous GRH) que .
Pour nous conjecturons, comme CalegariโEmerton, que la rรฉciproque du thรฉorรจmeย 1 est vraie.
Thรฉorรจme 8.
Supposons que (dans ce cas est principal et est une unitรฉ fondamentale de ). Soit tel que est un idรฉal premier au-dessus de dans .
On a
(i) Si , alors , et dans ce cas, si , alors
et
(la deuxiรจme quantitรฉ est indรฉpendante du choix de sous lโhypothรจse que la premiรจre quantitรฉ est nulle)
(ii) Si et que alors
et
Nous conjecturons que le cas ( et ) ne se produit jamais. Nous conjecturons que dans le cas oรน , le fait que est รฉquivalent ร
et
Nous avons vรฉrifiรฉ cette conjecture numรฉriquement avec SAGE, sous GRH, pour (le plus petit exemple pour lequel est ). Il serait intรฉressant dโavoir une formule plus explicite pour ces deux sommes de logarithmes (comme dans le thรฉorรจmeย 6).
Pour et , le groupe a รฉtรฉ รฉtudiรฉ par les mรชmes mรฉthodes dans [Ger05] et rรฉpond ร une conjecture de Calegari et Emerton [CE05, ].
Pour et , Calegari et Emerton ([CE05, Theorem ]) ont reliรฉ le cardinal de au rang de lโalgรจbre de Hecke mentionnรฉe ci-dessus, mais nous ne connaissons pas de bornes pour le -rang du -sylow de (qui est par la thรฉorie du genre de Gauss).
Dans la deuxiรจme partie de cet article, nous reprenons les mรฉthodes dโIimura pour รฉtudier lโentier , et donnons des bornes en termes de symboles de Hilbert. Dans la troisiรจme partie, nous explicitons ces symboles de Hilbert en termes du logarithme discret dโune certaine -unitรฉ (qui est liรฉe ร une somme de Gauss). Dans la quatriรจme partie, nous รฉtudions lโentier avec les mรชme mรฉthodes que prรฉcรฉdemment, et nous faisons le lien avec [Sch90]. Dans la cinquiรจme partie, nous faisons le lien entre la fonction Gamma -adique et certains รฉlรฉments de Stickelberger. Dans la sixiรจme partie, nous finissons la dรฉmonstration des thรฉorรจmes รฉnoncรฉs plus hauts grรขce ร la formule de GrossโKoblitz.
Je voudrais remercier Loรฏc Merel, mon directeur de thรจse, pour avoir guidรฉ ce travail et pour ses conseils de rรฉdaction. Il a attirรฉ mon attention sur la quantitรฉ , et a remarquรฉ lโanalogie avec une valeur de dรฉrivรฉe de fonction . Il a aussi remarquรฉ que certaines identitรฉs de ce papier ressemblent ร des formules de nombre de classe, ce qui mโa menรฉ ร la conjecture de Gross. Je souhaite aussi remercier Henri Cohen qui mโa soulignรฉ le lien entre les travaux de Renรฉ Schoof sur les corps cyclotomiques et la quantitรฉ . Enfin je tiens ร remercier Renรฉ Schoof pour mโavoir envoyรฉ lโarticle en question.
2 Rappels des rรฉsultats dโIimura et Jaulent (et complรฉments)
Cette partie est largement due ร Iimura, mais pour le confort du lecteur nous reprenons ses mรฉthodes (et ses notations autant que possible) dans notre contexte, sans constamment renvoyer ร lโarticle original ([Iim86]).
Soit la clรดture galoisienne de dans . Soient , et . On identifie ร par restriction, ainsi quโร via lโisomorphisme donnรฉ par (rappelons que ). Ainsi un caractรจre sโidentifie ร un caractรจre de . Fixons dans ce qui suit un gรฉnรฉrateur de . Rappelons que dรฉnote le caractรจre de Teichmรผller.
Le groupe est un -module ร gauche.
Si est un entier, on note (oรน est lโidรฉal dโaugmentation de ) et on pose , qui est un -module. Si est un caractรจre, notons le -rang de .
Comme le degrรฉ est premier ร , la flรจche naturelle est injective. Rappelons que est le caractรจre trivial de .
Le fait suivant est la clรฉ pour lโรฉtude de .
Prouvons la propositionย 1.
On a clairement . Rรฉciproquement, si une classe dโidรฉaux est fixรฉe par , on a donc . Par le lemmeย 1, (on utilise le fait que car a un groupe des classes trivial).
Il sโagit donc de comprendre les .
Notons que si , alors
On pose, en suivant par exemple Jaulent dans [Jau81],
Fait 1.
[Jau81, Proposition ]
Lโรฉlรฉment de lโalgรจbre de groupe est un gรฉnรฉrateur de lโidรฉal dโaugmentation. De plus on a la relation suivante, pour tout caractรจre :
oรน on rappelle que .
En suivant Iimura, on a la suite exacte suivante, pour tout :
oรน la flรจche est la multiplication par .
Par le faitย 1, cette suite induit pour tout caractรจre de une suite exacte :
(1)
Il semble difficile de comprendre les en gรฉnรฉral, mais est calculable en termes de symboles de Hilbert. La thรฉorie du genre nous donne par ailleurs une description de pour tout . La suite exacte permet alors une majoration de .
Pour รฉnoncer la formule des genres de Jaulent, on a besoin de quelques notations. Soit un caractรจre. Soit le -rang du groupe . Soit le noyau de . On a car . Soit , et le -rang de . Remarquons que par le lemmeย 1.
La proposition suivante, qui utilise la thรฉorie du genre, sera importante pour comprendre (cf. la propositionย 3 ci-dessous).
Proposition 2.
On a, pour tout caractรจre :
sauf si et que , auquel cas on a
Proof.
Dโaprรจs [Jau81, Proposition ], on a une suite exacte :
(2)
Ici est la plus grande extension dโordre une puissance de non ramifiรฉe sur dans qui est abรฉlienne sur . Le corps est le -Hilbert de et est la somme directe des groupes dโinerties dans en les idรฉaux premiers de se ramifiant dans . La flรจche de gauche est donnรฉe par le symbole dโArtin en les diffรฉrents , le point important est lโexactitude au milieu. Le groupe est une extension de par . En effet on a un diagramme commutatif dont les lignes sont exactes :
Le noyau de la flรจche verticale de gauche est par la thรฉorie globale du corps de classe (en effet, la restriction des groupes de Galois correspond ร la norme des idรฉaux). Le lemme du serpent nous donne alors une suite exacte :
Comme les sont dโordre , la suite exacteย (2) est une suite exacte de de -espace vectoriels, qui est -รฉquivariante (pour lโaction usuelle de sur .
Considรฉrons maintenant la -partie de cette suite exacte.
Si , on a . Seuls les idรฉaux premiers au-dessus de dans interviennent dans le terme , et comme agit transitivement sur ces idรฉaux, le thรฉorรจmeย 2 est prouvรฉ.
Si , on a . Les idรฉaux premiers de intervenant dans sont ceux au-dessus de et de sauf si auquel cas nโest pas ramifiรฉ en au-dessus de et seuls les idรฉaux premiers au-dessus de interviennent. Cela achรจve la preuve du thรฉorรจmeย 2 dans ce cas.
โ
En fait on montrera dans le lemmeย 10 quโon a toujours .
Comme est ramifiรฉ en au-dessus de , la flรจche naturelle est injective. On voit donc comme un sous-groupe de . Par ailleurs la thรฉorie globale du corps de classe nous donne :
(3)
(en effet, en termes dโextensions abรฉliennes, la norme correspond ร la restriction des groupes de Galois, et la restriction est ici surjective car est totalement ramifiรฉ en sur ).
Lemme 2.
On a dans :
(oรน lโon voit abusivement comme un sous-groupe de ).
Posons . Alors .
Considรฉrons le diagramme commutatif dont les lignes sont exactes et les flรจches verticales sont des inclusions :
Les troisiรจmes flรจches horizontales correspondent ร la norme. Par le lemmeย 2, on a . Cela achรจve la dรฉmonstration de la propositionย 3 par le lemme du serpent.
โ
On suppose dรฉsormais, sauf mention du contraire, que est impair, et . Par exemple convient par le thรฉorรจme dโHerbrandโRibet puisque est premier ร .
On a (sous les hypothรจses sur ) .
En effet, il sโagit de voir par le thรฉorรจmeย 2 que . Il suffit de voir que . Cela dรฉcoule du rรฉsultat classique suivant :
Lemme 3.
Soit un entier impair. Soit (resp. ) le groupe des unitรฉs de lโanneau des entiers de (resp. du sous-corps totalement rรฉel maximal de ).
Si est un nombre premier impair, on a :
En gรฉnรฉral, sans supposer que est premier,
est un -groupe dโexposant divisant .
Proof.
Le cas premier impair est bien connu, mais nous nโavons pas trouvรฉ de rรฉfรฉrence pour le cas impair quelconque. Nous reproduisons une preuve dโEmerton trouvรฉe sur le site de discussion en ligne StackExchange.
Soit non trivial ( est la conjugaison complexe).
Soient et . Soit , on a alors . Le thรฉorรจme des unitรฉs de Dirichlet montre que et ont le mรชme rang. Comme , le groupe est fini, donc tout รฉlรฉment de est une racine de lโunitรฉ dans . Le groupe des racines de lโunitรฉs de est รฉgal ร . En effet, soit le cardinal de . On a alors et divise (car est un sous-corps de ). Cela implique que .
Par consรฉquent, pour un . Donc pour un . Soit . On a , donc , donc , donc est dโexposant divisant .
Si est premier, on a en fait car sinon et dans ce cas mais , donc est non ramifiรฉ en dehors de , ce qui est impossible car si est premier, est totalement ramifiรฉ en sur , donc sur .
โ
Nous allons calculer le noyau de la flรจche . Comme , alors est non nul seulement si .
Soit . La proposition suivante est due ร Iimura si . Nous reprenons sa dรฉmonstration dans le cas gรฉnรฉral. Notons que dans lโรฉnoncรฉ on ne suppose pas les conditions prรฉcรฉdentes sur .
Proposition 4.
([Iim86, Lemma ] pour le cas )
Soit .
Soit le sous-groupe engendrรฉ par les classes dโidรฉaux tels que (rappelons que est un gรฉnรฉrateur de ). Alors
avec รฉgalitรฉ si (ce qui est vrai si la conjecture de Vandiver est vraie ou si ) et oรน est le groupe des unitรฉs de (ce qui est vrai si ).
Proof.
Lโinclusion est immรฉdiate car . Montrons lโassertion sur le cas dโรฉgalitรฉ. On suppose donc dans toute la suite de la dรฉmonstration que
et que
Notons
et
Lemme 4.
On a .
Proof.
Il sโagit de montrer que . Soit tel que avec . Alors . Si alors on a et donc . โ
Lemme 5.
On a .
Proof.
On sait, par [Jau81, Proposition (i)] que , ce dernier groupe รฉtant trivial par hypothรจse.
โ
Finissons la preuve de la propositionย 4.
Soit . On a , donc .
Lemme 6.
On a .
Proof.
Si , alors pour un . Par le lemmeย 1, cela implique quโil existe et dans tels que , donc . Rรฉciproquement, si , alors pour un certain . Par le lemmeย 1, il existe et dans tels que , donc .
โ
La propositionย 4 rรฉsulte du lemme prรฉcรฉdent.
โ
3 Un critรจre par les logarithmes dโunitรฉ (dโune somme de Gauss)
Nous allons maintenant expliciter le terme . Soit un idรฉal premier de au-dessus de (comme , est totalement dรฉcomposรฉ dans ). Soit lโunique idรฉal premier au-dessus de dans . Si est un idรฉal de , soit sa classe dans le groupe des classes de .
Considรฉrons la classe
oรน est lโimage de par lโรฉlรฉment de . Il est clair que est engendrรฉ par .
On a :
Comme par hypothรจse sur , on a , alors est trivial.
Comme est plat sur , on a une suite exacte :
oรน est le groupe des classes de et est le groupe des idรฉaux fractionnaires de .
Lโรฉlรฉment de a son image triviale dans , donc il existe tel que :
Comme par le lemmeย 3 et le fait que est impair, est uniquement dรฉterminรฉ.
En fait est liรฉ ร une somme de Gauss.
Rappelons quโon a fixรฉ une racine primitive -iรจme . Soit le caractรจre de Teichmรผller (qui vรฉrifie ). On peut voir comme un caractรจre ร valeurs dans par le choix de .
Considรฉrons la somme de Gauss :
Rappelons quโon a notรฉ . Par la thรฉorie de Galois, , donc . Soit lโidรฉal premier au-dessus de dans .
Le groupe sโidentifie ร . Si , notons lโunique entier tel que (i.e. ).
On a la factorisation en idรฉaux premiers dans :
Soit
Si est un idรฉal premier de , et , on pose (oรน est la valuation -adique de ). Cela induit une injection oรน dรฉcrit les idรฉaux premiers de . Par platitude de sur , le noyau est oรน est lโanneau des entiers de . On a (la -composante de ).
Lemme 7.
On a .
Proof.
On a . Par platitude de sur , il suffit de montrer le mรชme rรฉsultat avec ร la place de . Comme est impair et que , cela dรฉcoule du lemmeย 3.
โ
Le rรฉsultat suivant est important car il nous permet de lier ร une somme de Gauss, quโon calculera avec la formule de GrossโKoblitz.
Proposition 5.
On a
Proof.
Soit .
Par le lemme prรฉcรฉdent, il suffit de vรฉrifier que pour tout idรฉal premier de on a .
On a sauf si pour un , auquel cas on a .
โ
Dรฉfinissons un logarithme discret de ร valeur dans .
Soit dรฉfini par :
oรน , , et dรฉsignent la rรฉduction modulo et respectivement.
Comme est totalement dรฉcomposรฉ dans , la complรฉtion de en est รฉgale ร .
Rappelons que et que est un sous--espace vectoriel de de dimension (car est de dimension ).
La proposition suivante est le point essentiel de cette partie.
Proposition 6.
On a
si et seulement si on a
Proof.
Comme , on et est trivial si et seulement si est nul.
Pour , soit
lโapplication dโArtin locale de la thรฉorie locale du corps de classe.
Soit
donnรฉe par et .
Notons que le noyau la restriction de ร est . En effet, par le thรฉorรจme des normes de Hasse pour une extension cyclique, un รฉlรฉment de est une norme de si et seulement si cโest une norme localement en tous les idรฉaux premiers, si et seulement si cโest une norme en tous les idรฉaux premiers ramifiรฉs (car est premier), si et seulement si par la thรฉorie locale du corps de classe. En particulier,
Soit
lโapplication suivante. Si , . Si on รฉcrit comme la classe de la norme dโun idรฉal fractionnaire de . Alors est principal, engendrรฉ par un รฉlรฉment . On pose
Cela ne dรฉpend pas du choix de car on a quotientรฉ par .
Le groupe est un -module naturel (si , ).
Lโapplication est -รฉquivariante. Donc est un sous -module de , et est -รฉquivariante.
Lemme 8.
[HK72, Satz 1]
Lโapplication est injective. Cโest un isomorphisme si (i.e. si ou encore si est ramifiรฉ dans ).
Le lemmeย 3 montre que (sous les hypothรจses sur ). On a donc si et seulement si .
Lemme 9.
On a si et seulement si .
Proof.
On a si et seulement si oรน si , dรฉsigne le symbole de Hilbert relativement au corps . On a la formule classique :
oรน et dรฉsignent la valuation -adique de et respectivement, et si ,
( est le corps rรฉsiduel de en ).
Cela achรจve la preuve du lemmeย 9 et de la propositionย 6.
โ
On sait que cโest vrai si par la propositionย 2.
Si , il sโagit de voir que . On a vu dans la preuve de la propositionย 6 que si et seulement si si et seulement si , si et seulement si est une puissance -iรจme modulo , ce qui est le cas si et seulement si .
โ
Pour montrer le thรฉorรจmeย 7, il suffit de montrer le lemmeย 10 ci-dessous et lโidentitรฉ :
Thรฉorรจme 9.
On a :
Nous montrons cette identitรฉ dans la derniรจre partie en utilisant la formule de GrossโKoblitz, en mรชme temps que les diverses identitรฉs annoncรฉes dans lโintroduction.
Traitons le cas . Dans ce cas, est principal, son groupe des unitรฉs est . Notons que (cโest ร dire que lโaction de est donnรฉe par ). En effet, et .
On a, par le lemmeย 1, avec et . On a vu que , et que si et seulement si .
On a .
En effet, il suffit de montrer que car . Cela dรฉcoule du lemmeย 10.
Il reste ร รฉtudier . Comme , une condition nรฉcessaire pour que est que , i.e. que par la propositionย 2. Cette derniรจre condition est รฉquivalente ร
Supposons cette condition rรฉalisรฉe. On a alors . La propositionย 4 pour et la propositionย 6 (dont la preuve sโadapte pour car par la condition prรฉcรฉdente) montrent que le noyau de la flรจche est nul si et seulement si
oรน est un idรฉal premier au-dessus de dans (cette derniรจre quantitรฉ ne dรฉpend pas du choix de car ).
Cela achรจve la preuve du thรฉorรจmeย 8. Nous voyons que la difficultรฉ pour dรฉterminer complรจtement dans le cas est de calculer le noyau de la flรจche . Nous conjecturons que ce noyau est nul si et seulement si (quand les conditions sont satisfaites). Cela impliquerait la rรฉciproque du thรฉorรจmeย 1 pour , i.e. que si et seulement si .
4 Etude de
Thรฉorรจme 10.
On a si et seulement si .
Proof.
On refait la mรชme รฉtude avec au lieu de . Cette fois est abรฉlien donc et commutent. On a donc une suite exacte :
oรน les dรฉfinitions de et de sont similaires pour . Lโanalogue immรฉdiat de la propositionย 3 (avec ) donne (en tenant compte du fait que par le thรฉorรจme dโHerbrandโRibet) :
(en fait correspond par la thรฉorie globale du corps de classe ร lโextension abรฉlienne de oรน est lโunique -extension de non ramifiรฉe en dehors de , sur laquelle le groupe de Galois agit par , cf. (iii) de [CE05, Proposition ]). Donc si et seulement si si et seulement si (car si , alors pour tout , ). Lโanalogue de la propositionย 4 pour donne :
(on utilise le fait que et que ).
Ici est engendrรฉ par les idรฉaux premiers de au dessus de , quโon note comme ci-dessus , . Lโanalogue immรฉdiat de la propositionย 6 est le suivant :
Proposition 7.
Soit tel que (cโest possible par la thรฉorie de Kummer). Alors on a
Esquissons finalement la preuve du thรฉorรจmeย 3, implicite dans [Sch90]. On raisonne par rรฉcurrence sur . Si , cela dรฉcoule du thรฉorรจmeย 2. Nous nous rรฉfรฉrons ร la partie suivante (ou ร [Sch90, p. ]) pour la dรฉfinition de lโรฉlรฉment de Stickelberger tordu . Si , le coefficient de en est par la preuve de la propositionย 8 dans la partie ci-dessous. Si on identifie un gรฉnรฉrateur de ร lโindรฉterminรฉe (modulo lโidรฉal engendrรฉ par , on peut voir comme un รฉlรฉment de . Son coefficient modulo en pour est nul par lโhypothรจse de rรฉcurrence. Son coefficient en est par la mรชme preuve que le lemmeย 11 (avec lโhypothรจse que pour tout ). Comme est dans lโidรฉal de Fitting du -module , par la proposition de [Sch90] on a , dโoรน le rรฉsultat par rรฉcurrence.
Il serait intรฉressant de prouver que la rรฉciproque du thรฉorรจmeย 3 est vraie pour tout . En utilisant les reprรฉsentations galoisiennes construites par CalegariโEmerton et la thรฉorie des symboles modulaires, on montrera dans un prochain article que la rรฉciproque est vraie pour , au moins si .
5 Lien avec la conjecture de Gross
Soit un caractรจre diffรฉrent de (donc pour entier, ). Soit . Rappelons que est lโidรฉal dโaugmentation.
Soit le premier polynรดme de Bernoulli pรฉriodique dรฉfini par si et si .
On dรฉfinit lโรฉlรฉment de Stickelberger tordu par , notรฉ donnรฉ par :
Il est classique que si , (nous le dรฉmontrons dans la proposition ci-dessous).
Proposition 8.
Si , on a . On a un homomorphisme de groupes donnรฉe par . On a :
En particulier si , cette image modulo est
Proof.
Soit un entier premier ร tel que .
Le coefficient en de est
Comme ,
Donc
oรน est le premier nombre de Bernoulli gรฉnรฉralisรฉ associรฉ ร .
Dโaprรจs [Was97, Corollary ] (comme ), (et est congru ร modulo si ). Donc , et on a la formule pour . La derniรจre assertion vient du :
Lemme 11.
On a :
Proof.
On pose . Soit dรฉfini par
oรน est le deuxiรจme polynรดme de Bernoulli et est la partie entiรจre (infรฉrieure) de .
On a alors
oรน
Par consรฉquent, on a
donc
โ
โ
Soit la fonction gamma -adique de Morita. Cโest lโunique fonction continue vรฉrifiant si est un entier.
Rappelons quelques propriรฉtรฉs de (qui caractรฉrisent en fait , par [Hay88, p.]).
.
Si , .
Si , .
Si et , notons
Rappelons quโon a dรฉfini un logarithme discret
Proposition 9.
Soit un caractรจre . Alors on a
(cf. propositionย 8). En particulier si , on obtient la congruence suivante (on voit comme un morphisme via la projection ) :
Proof.
Remarquons dโabord que si , on a .
En effet cโest vrai si car , or est dense dans et est continue.
On suit [Hay88, ]. Par lโรฉquation fonctionnelle satisfaite par , pour tous entiers et avec on a :
oรน si et si .
Lemme 12.
Soit un entier. On a :
oรน est nโimporte quel ensemble dโentiers reprรฉsentant les classes inversibles modulo , avec la condition que tout soit ( est la partie entiรจre infรฉrieure).
Proof.
On choisit avec , et dans lโidentitรฉ prรฉcรฉdent le lemme.
Cela donne :
. On a vu au dรฉbut de la dรฉmonstration de la proposition que .
Cela montre :
Pour tout , on a . En effet, si pour un entier , on a et , donc , i.e. avec , donc .
Soit un ensemble comme dans lโรฉnoncรฉ du lemme. Soit . On considรจre les entiers tels que et .
On รฉcrit pour un . On a . On a car et car . On a donc . Rรฉciproquement, si , on dรฉfinit par , cโest ร dire , et on a car . En รฉcrivant , on obtient , donc il y a possibilitรฉs pour , ce qui montre le lemme.
โ
Fixons dans toute la suite lโensemble . On peut aussi รฉcrire oรน .
On a :
Donc :
Fixons dans toute la suite lโensemble .
On a :
oรน .
On a :
Lemme 13.
On a, pour tout entier :
Proof.
Notons la quantitรฉ de gauche. Alors est le nombre de points ร coordonnรฉes entiรจres (bords compris) dans un rectangle ร sommets entiers et de cรดtรฉs de longueurs et , cโest ร dire . Donc .
โ
Lemme 14.
On a
Proof.
En effet, on regroupe et , en utilisant le fait que et que .
โ
En utilisant les deux lemmes prรฉcรฉdents, on obtient
Pour finir la preuve du thรฉorรจmeย 9, il sโagit de montrer lโidentitรฉ :
Rappelons que , et quโen fait . Soit un relรจvement du fixรฉ dans cet article.
Soit
Pour finir la dรฉmonstration de la propositionย 9, il reste ร montrer que .
On a :
On a :
Le terme
ne dรฉpend pas de et est divisible par . Comme , on a :
Donc :
On a
On a
(la derniรจre congruence vient du fait que ).
On a :
car (on regroupe les termes en et pour la premiรจre congruence).
On obtient finalement :
La preuve de la propositionย 9 est donc achevรฉe.
โ
6 Dรฉmonstration par la formule de GrossโKoblitz
Achevons cet article en montrant les thรฉorรจmesย 9,ย 11 etย 6.
Rappelons quโon a fixรฉ un idรฉal premier au-dessus de dans . Soit lโidรฉal premier au-dessus de dans . On a un plongement canonique oรน est le complรฉtรฉ -adique de . Rappelons quโon a dรฉfini une somme de Gauss .
Thรฉorรจme 12.
(Formule de Gross-Koblitz, [GK79, Theorem ])
Soit lโunique uniformisante vรฉrifiant :
,
.
Alors dans on a lโรฉgalitรฉ suivante pour tout :
Par la propositionย 5 et la formule de GrossโKoblitz ci-dessus, on a
Cette รฉgalitรฉ, combinรฉe avec la propositionย 9, prouve le thรฉorรจmeย 9.
Si est principal, engendrรฉ par , on a par construction :
et
donc
Dโaprรจs la propositionย 9, on obtient la formule annoncรฉe dans le thรฉorรจmeย 6.
Pour conclure cet article, il reste ร montrer le thรฉorรจmeย 11.
On doit montrer que oรน est tel que (on voit comme un รฉlรฉment de via la complรฉtion de en ). Par la thรฉorie de Galois, on a
Comme , on en dรฉduit quโon peut choisir .
Les congruences de Kummer (cf. [Gar10, p.5]) nous donnent :
On a :
et comme , on obtient
Donc :
Cela montre que est une puissance -iรจme modulo , donc que .
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