Arguments des unités de Stark et
périodes de séries d’Eisenstein
Pierre Charollois111 charollois@math.jussieu.fr
Le premier auteur a
bénéficié du soutien matériel
de l’Institut de Mathématiques de Bordeaux et du CRM-ISM
de Montréal au cours de l’élaboration
de cet article.
Henri Darmon222
darmon@math.mcgill.ca
Le travail du second auteur a été financé
en partie par le CRSNG et la Chaire James McGill.
25 octobre 2007
Introduction
Soit un corps de nombres, et soit
l’ensemble de ses places archimédiennes. Pour simplifier les énoncés qui suivent, on supposera (dans l’introduction seulement) que le corps a pour nombre de classes au sens restreint. On choisit, pour chaque place de , un plongement réel ou complexe associé, que l’on désignera par le même symbole, et l’on pose (pour appartenant à , et )
Soit un idéal de l’anneau des entiers de , et soit le sous-groupe du groupe des unités totalement positives de formé des éléments qui sont congrus à modulo . Pour tout , on associe au choix de signes la fonction partielle de Hurwitz:
(1) |
où le symbole indique que la somme est à prendre sur les éléments non-nuls. Ces fonctions jouissent des propriétés suivantes:
-
1.
La fonction ne dépend que de l’image de dans le quotient , sur lequel opère le groupe
(2) Plus généralement, pour toute unité , on a
-
2.
La série qui définit converge absolument sur le demi-plan , et admet un prolongement méromorphe à tout le plan complexe avec au plus un pôle simple en . Si , cette fonction est même holomorphe, et s’annule en .
Pour toute place réelle , il existe alors une unité telle que
De plus, la théorie du corps de classes identifie le groupe avec le groupe de Galois d’une extension abélienne de , appelée le corps de classes de rayon au sens restreint associé à . Soit
l’isomorphisme de réciprocité de la théorie du corps de classes, et pour tout , soit la conjugaison complexe (“élément de Frobenius”) associée à la place , de sorte que
On note l’ordre du groupe des racines de l’unité dans et l’on choisit une place de au-dessus de la place .
La conjecture de Stark [St], [Ta], concerne les dérivées premières de en , et peut s’énoncer comme suit:
Conjecture 1 (Stark).
Pour tout , il existe une unité , appelée unité de Stark associée au couple , telle que
-
1.
;
-
2.
;
-
3.
Si , alors ;
-
4.
Pour tout , on a .
On notera que les unités conjecturales dépendent du choix de la place au-dessus de , mais seulement à conjugaison près par .
Si possède une place complexe, la Conjecture 1 est trivialement vérifiée. En effet, quand , la quantité ne dépend que de et non de , et s’écrit comme un multiple rationnel du logarithme d’une unité fondamentale de . Quand , on a de plus , de sorte que la Conjecture 1 est vérifiée avec .
Par conséquent, la Conjecture 1 n’a de l’intérêt que lorsque les places sont toutes réelles, ce qui nous amène à distinguer deux cas.
1. Le cas totalement réel. Si la place est également réelle, le corps est totalement réel. A cause de la propriété dans la Conjecture 1, l’expression appartient alors à . La Conjecture 1 permet donc d’évaluer ce nombre, du moins au signe près. On obtient ainsi, par évaluation des dérivées en des séries , la construction analytique d’unités explicites de . Les conjectures de Stark, une fois démontrées, fourniraient ainsi un élément de “théorie explicite du corps de classes” pour les corps de nombres totalement réels.
2. Le cas ATR. Si est une place complexe, on dit que est un corps de nombres ATR (“Almost Totally Real”) suivant la terminologie de [DL]. Puisque , l’expression n’a plus de raison d’être réelle a priori, et la Conjecture 1 ne permet d’en évaluer que la valeur absolue. L’ambiguïté de signe du cas totalement réel s’avère donc plus sérieuse dans le contexte ATR, puisqu’elle porte sur l’argument de , un élément de . On est amené à poser la question suivante qui peut servir de motivation pour cet article.
Question 1.
Existe-t-il une formule analytique explicite pour l’expression qui apparaît dans la Conjecture 1, lorsque est ATR?
Une réponse affirmative à cette question fournirait une solution du -ème problème de Hilbert pour les extensions ATR.
Dans le premier cas intéressant où est un corps cubique complexe, cette question a été considérée dans [Das] et dans [DTvW] où la conjecture de Stark est étudiée numériquement, et un progrès décisif a été accompli dans [RS].
Le présent article se penche sur la Question 1 lorsque le corps est une extension quadratique d’un corps totalement réel , et lorsque le corps de rayon est remplacé par un certain sous-corps—le corps de classes d’anneau (“ring class field”) associé à et — dont la définition sera rappelée dans la Section 1.
Pour motiver notre approche, examinons ce qui se passe dans le cas le plus simple où , où est un corps quadratique imaginaire de nombre de classes , et où est un idéal rationnel engendré par . Au lieu de porter sur les séries partielles de Hurwitz, les conjectures de cet article vont plutôt porter sur les sommes
(3) |
où
Le module est un réseau dans , et, quand appartient à , il forme même un module projectif sur l’ordre . La série ne dépend que de la classe d’homothétie de ce réseau; elle est donc déterminée par l’invariant , où est une -base de choisie de telle manière que appartienne au demi-plan de Poincaré . La formule limite de Kronecker fournit les premiers termes du développement de en en la reliant au logarithme de la fonction de Dedekind :
(4) |
où est une constante qui ne dépend que de et pas de À des facteurs parasites près, les dérivées premières sont donc fournies par l’expression . Or, comme appartient à , les produits d’expressions de la forme donnent lieu aux unités elliptiques, que l’on sait être des unités dans des extensions abéliennes du corps grâce à la théorie de la multiplication complexe. Plus précisément, pour , les expressions de la forme
(5) |
sont des nombres algébriques, et leurs puissances -èmes sont des unités dans des extensions abéliennes de . C’est ainsi que les propriétés de la fonction et la théorie de la multiplication complexe permettent non seulement de démontrer la conjecture de Stark dans le cas où est quadratique imaginaire, mais apportent aussi une réponse à la Question 1 dans ce cas.
Dans la généralisation “traditionnelle” de la théorie de la multiplication complexe proposée par Hilbert et son école, puis développée rigoureusement par Shimura et Taniyama, on est amené à remplacer par un corps totalement réel de degré (de sorte que ), et les formes modulaires classiques par des formes modulaires de Hilbert. Celles-ci correspondent à des fonctions holomorphes sur , invariantes (à un facteur d’automorphie près) sous l’action naturelle de . Les corps quadratiques imaginaires sont remplacés par des extensions quadratiques de de type CM, munies d’une identification La théorie de la multiplication complexe affirme alors que les valeurs de certaines fonctions modulaires de Hilbert (quotients de formes modulaires de même poids, possédant des développements de Fourier rationnels) en des points engendrent des extensions abéliennes du corps reflex associé à . Cette théorie possède deux inconvénients du point de vue de la Question 1:
-
(a)
elle ne permet d’aborder la “théorie du corps de classes explicite” que pour les corps de base de type CM;
-
(b)
elle ne permet pas d’obtenir facilement des unités dans des extensions abéliennes de , les unités modulaires n’ayant pas de généralisation évidente pour les formes modulaires de Hilbert. En effet, quand , le faisceau structural sur l’espace complexe analytique ne possède pas de sections globales non-nulles. La relation entre la théorie de Shimura-Taniyama et les conjectures de Stark pour les corps CM (à supposer qu’il y en ait une) reste donc à élucider. (Cf. par exemple [dSG] et [GL].)
Pour aborder la Question 1 lorsque est une extension quadratique ATR d’un corps totalement réel de degré , il faut relever le nombre réel en un nombre complexe Au vu de la formule limite de Kronecker (4) et de la discussion précédente, il s’agit donc de généraliser l’expression
à un cadre où les formes modulaires classiques sont remplacées par des formes modulaires de Hilbert sur . C’est ce qui a été entrepris dans la thèse du premier auteur, qui part de l’identité classique , où est la série d’Eisenstein définie par
La formule (5) peut donc se réécrire en prenant le logarithme complexe des deux côtés:
(6) |
Or, si les unités modulaires n’admettent pas d’analogue évident en dimension supérieure, les séries d’Eisenstein, elles, se généralisent sans difficulté à ce contexte. La section 1.1 rappelle la définition de la série d’Eisenstein de poids sur . Celle-ci donne lieu à une -forme différentielle holomorphe sur l’espace analytique .
La démarche suggérée par [Ch1] consiste essentiellement à remplacer les valeurs de par des intégrales de sur des cycles appropriés de dimension réelle sur . Plus précisément, le présent article associe à tout un cycle fermé de dimension réelle sur . En faisant abstraction pour le moment des phénomènes liés à la présence possible de torsion dans la cohomologie de , on démontre que ces cycles sont homologues à zéro. Autrement dit, il existe une chaîne différentiable de dimension sur telle que
Cela permet de définir un invariant canonique en intégrant un multiple approprié de sur . La contribution la plus importante de cet article est la Conjecture 4.1, qui relie les invariants à l’expression dont la partie réelle apparaît dans la Conjecture 1. La Conjecture 4.1 apporte ainsi un élément de réponse à la Question 1.
La définition des invariants s’appuie de façon essentielle sur la thèse du premier auteur [Ch1]. Elle est aussi à rapprocher de deux autres travaux antérieurs:
-
1.
L’article [DL], où les séries d’Eisenstein sur du présent article sont remplacées par des formes modulaires de Hilbert cuspidales de poids . Dans les cas les plus concrets qui ont pu être testés numériquement, ces formes sont associées à des courbes elliptiques définies sur . L’invariant défini dans ce contexte semble alors permettre la construction de points sur ces courbes définis sur certaines extensions abéliennes de .
-
2.
L’article [DD] peut être lu comme une variante -adique des constructions principales du présent article. Dans le contexte de [DD], on a et le rôle de la place est joué par une place non-archimédienne . L’extension est alors un corps quadratique réel dans lequel le nombre premier est inerte. Les séries d’Eisenstein de poids sur certains sous-groupes de congruence de , réinterprétées convenablement comme des “formes modulaires de Hilbert” sur , où est le demi-plan -adique, donnent alors lieu à des invariants -adiques associés à . Ces invariants correspondent conjecturalement à des -unités dans des extensions abéliennes de .
En se plaçant dans un cadre classique où l’on dispose de notions topologiques et analytiques générales (homologie et cohomologie singulière, théorie de Hodge), le présent article mène à une clarification conceptuelle des différentes constructions de “points et unités de Stark-Heegner” proposées jusqu’à présent dans la littérature. (Cf. [DL] et [DD], ainsi que le cadre traité originalement dans [Dar2] ou les généralisations formulées dans [Tr] et [Gr].) Le présent article peut très bien servir d’introduction aux travaux sur les points de Stark-Heegner cités en référence, bien qu’il ait été rédigé après ceux-ci.
Remerciements: Le premier auteur tient à remercier chaleureusement Philippe Cassou-Noguès et Martin Taylor qui sont à l’origine de son travail de thèse. Les deux auteurs ont aussi bénéficié de nombreux échanges avec Samit Dasgupta au sujet du présent article.
1 Notions préliminaires
1.1 Séries d’Eisenstein
Soit un corps totalement réel de degré et son ensemble de places archimédiennes. On désigne par l’anneau des entiers de , par son discriminant, et par le régulateur de
On supposera dans la suite de cet article que a nombre de classes 1 au sens restreint, de sorte qu’il existe pour tout une unité avec
Pour tout , on note son image dans par le plongement , et l’image dans d’une matrice de . On identifiera librement avec le -uplet et avec . On obtient ainsi une action par homographies du groupe modulaire de Hilbert sur le produit de copies du demi-plan de Poincaré. Le quotient analytique
s’identifie avec les points complexes d’un ouvert de Zariski d’une variété algébrique projective lisse: la variété modulaire de Hilbert associée au corps .
Une forme modulaire de Hilbert de poids pour est une fonction holomorphe sur telle que la forme différentielle
soit invariante sous l’action de . Autrement dit, pour tout , on exige que
Lorsque , une telle fonction possède, d’après le principe de Koecher, un développement en série de Fourier à l’infini de la forme
où désigne un générateur totalement positif de la différente de
La série d’Eisenstein holomorphe de poids se définit sur par le développement en série de Fourier suivant:
(7) |
où, pour un entier donné, on a posé
la sommation portant sur les idéaux (principaux) entiers qui divisent La fonction est une forme modulaire de Hilbert de poids pour (voir [VdG], chap. I.6).
On se donne des coordonnées réelles sur en posant , et l’on définit à partir de une forme différentielle invariante en posant
(8) |
La -forme différentielle est fermée et, quand , elle est holomorphe. On va s’intéresser à sa classe dans la cohomologie formée à partir du complexe de deRham des formes différentielles sur . Ce groupe de cohomologie est muni d’une action des opérateurs de Hecke , où les parcourent les idéaux de . La forme différentielle est vecteur propre pour ces opérateurs. Plus précisément, on a
Pour tout , on dispose également d’une involution sur l’espace réel-analytique associée à la place (“opérateur de Hecke à l’infini”). Celle-ci se définit en posant
On appelle l’involution sur qui s’en déduit par “pullback” sur les formes différentielles. Les opérateurs et les opérateurs de Hecke engendrent une algèbre commutative sur
On aura besoin dans la suite de certaines fonctions qui joueront le rôle de “primitives” de . On introduit pour cela la fonction de Asai [As] définie sur par
(9) |
Il sera plus commode de travailler avec
de sorte que
(10) |
Les fonctions et jouissent des propriétés suivantes:
-
1.
Elles sont harmoniques par rapport à chacune des variables , ;
-
2.
Elles satisfont les formules de transformation
(11) (12) -
3.
On a
(13) (14)
Toutes ces formules se vérifient par un calcul direct, sauf (11) et (12). Pour ces dernières, voir [As], Théorème 4.
Lemme 1.1.
La forme est exacte.
Démonstration.
Supposons que pour fixer les idées et alléger les notations. À partir de la fonction , on définit la forme différentielle sur :
(15) |
Quand , la formule (12) montre que est invariante sous et correspond donc à une -forme différentielle sur . Parce que est harmonique, cette forme est de plus holomorphe par rapport aux variables d’où la formule
(16) |
Dans le cas où , la forme définie par (15) n’est plus -invariante. En effet, si , on a
Il convient alors de modifier la définition de en (15) en posant cette fois
(17) |
On déduit de l’identité (12) que est invariante sous La formule (16) s’adapte sans difficulté à condition d’ajouter la contribution de
On obtient
puisque la forme est quant à elle dans le noyau de C’est ce calcul qui justifie le terme supplémentaire apparaissant dans la définition (8) de lorsque . ∎
Pour , on appelle le groupe engendré par les combinaisons linéaires formelles à coefficients dans des cycles différentiables fermés de dimension réelle sur . On définit le groupe des périodes de par
Proposition 1.2.
Le groupe est un sous-groupe de de rang un, commensurable avec .
Démonstration.
Cette proposition se démontre en trois parties.
(a) On démontre d’abord que le groupe est un sous-ensemble discret de .
La théorie de Harder [Hard] (cf. le Théorème 6.3, Ch. III, §7 de [Fr] avec ) fournit la décomposition
(18) |
où provient des formes différentielles -invariantes, est l’espace vectoriel de dimension engendré par , et provient des formes modulaires cuspidales de poids sur . La décomposition (18) est respectée par l’algèbre de Hecke , et les éléments sont caractérisés par les propriétés
Il en résulte que la projection naturelle issue de (18) est décrite par un idempotent . Soit l’image naturelle de dans le dual par l’application des périodes. C’est un sous-groupe discret stable pour l’action de . On a de plus
où désigne l’accouplement naturel entre et son dual. Or on a
où est un entier tel que appartient à . Par conséquent est un sous-groupe discret de , ce qui implique que est lui aussi discret.
(b) Le groupe est contenu dans .
En effet, le Lemme 1.1 implique que
Par ailleurs, un calcul direct montre que
On en déduit que . Les périodes de appartiennent donc bien à .
(c) Fin de la démonstration
Les parties (a) et (b) montrent que est de rang au plus un. Pour montrer qu’il est non-trivial et déterminer sa classe de commensurabilité, il suffit de calculer une période non-nulle de . Pour cela, on fixe et l’on considère les droites horizontales formées des dont la partie imaginaire est égale à . La région
est préservée par le sous-groupe des translations Soit un domaine fondamental compact pour cette action. Son image dans est un cycle fermé de dimension . La forme différentielle peut s’intégrer terme à terme sur à partir de la formule (7). Seul le terme constant dans la définition de apporte une contribution non-nulle à l’intégrale, puisque les autres termes sont des multiples de caractères non-triviaux de . Comme le volume de est égal à , on en déduit que
Ceci achève la démonstration, puisque appartient à . ∎
1.2 Extensions quadratiques et séries associées
Soit une extension quadratique de . Pour chaque , la -algèbre est isomorphe soit à , soit à . On fixe une telle identification, que l’on appelle aussi par abus de notation. Lorsque est un corps CM, la donnée de correspond au choix d’un type CM associé à . On sait à quel point cette donnée supplémentaire joue un rôle important dans la théorie de la multiplication complexe pour les extensions CM de .
On munit les -espaces vectoriels et de l’orientation standard dans laquelle une orientation positive est assignée aux bases et de et respectivement. Une base de (vu comme espace vectoriel sur de dimension ) est alors dite positive si ses images dans et par les plongements sont orientées positivement. On remarque en particulier que la base de sur est positive si et seulement si:
-
1.
On a pour toute place réelle de ;
-
2.
La partie imaginaire de est strictement positive pour toute place complexe .
Soit un idéal de l’anneau . On se permet de désigner par le même symbole l’idéal de .
On maintiendra tout au long de cet article l’hypothèse que a pour nombre de classes au sens étroit. Par contre, il est souhaitable de ne pas avoir à faire d’hypothèse semblable sur le corps . On généralise la définition (2) du groupe de l’introduction, en le définissant comme un quotient approprié du groupe des idèles de . Pour chaque place non-archimédienne de , on appelle l’anneau des entiers du corps local , et l’on pose
avec
Comme dans l’introduction, la loi de réciprocité du corps de classes donne un isomorphisme , où est le corps de classes de rayon de au sens restreint associé à .
Le sous-corps permet d’introduire un sous-groupe , défini comme l’image naturelle dans du groupe . Le sous-corps de fixé par s’appelle le corps de classes d’anneau associé à et . On a donc l’isomorphisme de réciprocité
Un -ordre de est un sous-anneau de qui contient et qui est localement libre de rang sur (donc libre, puisque ). On désigne par l’ordre de de conducteur , et l’on appelle
son adélisation. On a alors
Ce quotient est en bijection naturelle avec le groupe des modules projectifs de rang 1 sur dans , modulo l’équivalence au sens restreint. (Deux modules projectifs et sur sont dits équivalents au sens restreint s’il existe un élément totalement positif tel que ). On associe en effet à tout un -module en posant
L’application fournit une bijection naturelle entre et les classes d’équivalence au sens restreint de -modules projectifs:
(19) |
Soit le groupe des unités de de norme sur . Il laisse stable le module . On a la suite exacte
où désigne le sous-groupe des unités de de norme relative sur . On note alors le sous-groupe de engendré par et , et l’on pose
Cet indice est un diviseur de . On définit finalement la fonction associée à un -module projectif en posant
(20) |
Remarque 1.3.
a)
Parce que quand est quadratique imaginaire, il en résulte que la définition (20) généralise l’équation (3) de l’introduction.
b) Quand est une extension ATR de ayant pour unique place complexe, la fonction est un multiple rationnel non-nul de la somme de fonctions partielles de Hurwitz de l’introduction. Plus précisément, si est un générateur de en tant que -module, et que désigne le -module projectif
alors
(21) |
Comme dans l’introduction, on vérifie que la fonction ne dépend que de la classe d’équivalence de au sens restreint, puisque
2 Extensions quadratiques totalement réelles et valeurs de fonctions
On supposera dans cette section que l’extension quadratique de est totalement réelle. On veut rappeler un théorème qui apparaît dans la thèse du premier auteur et qui donne une formule explicite pour dans ce cas.
L’hypothèse que a nombre de classes au sens restreint implique que le module est libre de rang comme module sur , et qu’il existe une -base de On suppose que cette base est choisie de sorte que soit orientée positivement. L’invariant appartient à , et il ne dépend que de la classe d’équivalence de au sens restreint, à l’action de près. Le groupe formé des matrices qui fixent est un groupe de rang (modulo torsion), que l’application
identifie avec le sous-groupe des unités de de norme relative sur . Pour chaque , on pose
et l’on appelle la géodésique hyperbolique sur joignant à , orientée dans le sens allant de à . Le produit
est un espace contractile homéomorphe à . On le munit de l’orientation naturelle héritée des . Le groupe opère sur par transformations de Möbius, et le quotient est compact, isomorphe à un tore réel de dimension . Soit un domaine fondamental pour l’action de sur . On identifie avec son image dans , qui est un cycle fermé dans ce quotient.
Théorème 2.1.
Pour tout -module projectif dans on a:
(22) |
Démonstration.
C’est une conséquence du corollaire 7.2 qui est démontré dans la dernière partie de cet article. Puisque est une extension quadratique totalement réelle de on choisit et dans la formule (55). Elle s’écrit alors
(23) |
D’après l’identité (13), on en déduit que
(24) |
La formule (22) en résulte immédiatement lorsque vu la définition (8) de Cette formule reste encore valable pour puisque les intégrales des formes et sur le cycle sont nulles. ∎
Corollaire 2.2.
Pour tout réseau dans , les valeurs spéciales sont rationnelles. Plus précisément, il existe une constante entière ne dépendant que du corps et pas de l’extension ni de telle que
Démonstration.
Cela résulte de ce que les périodes de , d’après la Proposition 1.2, appartiennent à un réseau qui ne dépend que du corps ∎
3 Extensions quadratiques ATR et dérivées de fonctions
On suppose dans cette section que l’extension quadratique de est ATR, et que se prolonge en une place complexe de . On veut donner dans ce cas une formule explicite pour lorsque est un -module projectif dans .
Comme dans la section précédente, on pose , où est une -base positive de , choisie de sorte que soit positivement orientée. On pose ensuite
Le nombre complexe appartient alors à . Pour chaque , on appelle la géodésique hyperbolique de joignant à , orientée dans le sens allant de à . Le produit
est un espace contractile homéomorphe à , que l’on munit de l’orientation naturelle héritée des . Le stabilisateur de dans est un groupe de rang modulo torsion, que l’on peut identifier avec le sous-groupe d’unités relatives introduit précédemment. Il opère sur par transformations de Möbius, et le quotient est compact, isomorphe à un tore réel de dimension . Soit un domaine fondamental pour l’action de sur . On identifie avec son image dans , qui est un cycle fermé de dimension dans ce quotient.
Lemme 3.1.
La classe de dans est de torsion. En particulier, il existe une -chaîne différentiable à coefficients dans telle que
(25) |
Démonstration.
Le sous-groupe de torsion de s’identifie avec le noyau de l’application naturelle . Lorsque est pair, le Lemme 3.1 résulte de ce que (cf. [Fr], Ch. III). De même, lorsque est impair, le groupe est engendré par les classes des formes différentielles du type
Or on voit que les restrictions de ces classes sur (et même sur les régions ) sont nulles, puisque la projection de sur chaque facteur est de dimension réelle ou . On en déduit par la dualité de Poincaré que l’image de dans est nulle. ∎
On introduit la projection de la forme différentielle sur l’espace propre de associé à la valeur propre autrement dit la “partie réelle pour la place ” de la forme
Théorème 3.2.
Soit un -module projectif associé à . L’intégrale de sur ne dépend pas du choix de vérifiant (25), et l’on a
(26) |
Démonstration.
La première assertion découle du fait que est exacte: le Lemme 1.1 montre que Le calcul se poursuit en utilisant le théorème de Stokes pour obtenir
(27) |
Supposons tout d’abord que de sorte que est la ()-forme holomorphe sur donnée par la formule (15). Comme est une extension ATR, on choisit ici et dans le corollaire 7.2.i). La formule correspondante s’écrit
(28) |
ce qui permet de conclure.
Il reste à traiter le cas où en faisant cette fois appel au corollaire 7.2.ii). On choisit et dans la formule (56) qui s’écrit
Au vu de la définition (17) de la forme pour cette égalité se réduit à
La formule de Stokes permet de nouveau de conclure à la formule souhaitée. ∎
4 Application d’Abel-Jacobi et unités de Stark
Quand on combine le Théorème 3.2 avec la Conjecture 1 de Stark, on obtient la formule conjecturale suivante pour le logarithme du module de l’unité de Stark:
(29) |
où désigne l’ordre du groupe des racines de l’unité dans Pour relever l’invariant réel en un invariant complexe bien défini modulo , il suffira de remplacer dans la formule (29) la différentielle exacte par la forme différentielle
Pour tout , on désigne par le groupe engendré par les combinaisons linéaires formelles à coefficients dans des chaînes différentiables de dimension réelle sur , et l’on désigne par et les sous-groupes engendrés par les cycles différentiables fermés et homologues à zéro respectivement:
On pose aussi
On sait que est un groupe de type fini, dont le sous-groupe de torsion s’identifie avec . Soit l’exposant de ce groupe fini, et soit
On peut définir à partir de la forme différentielle une “application d’Abel-Jacobi”
en posant
l’intégrale étant prise sur n’importe quelle -chaîne différentiable sur tel que . Cette application est bien définie modulo le réseau des périodes en vertu de la Proposition 1.2. Quitte à remplacer le réseau par , on peut étendre au groupe tout entier, en posant
(30) |
l’intégrale étant prise sur n’importe quelle -chaîne différentiable sur tel que . On pose ensuite
Soit le réseau de engendré par et . On fixe une place de au-dessus de la place de . Nous sommes maintenant en mesure d’énoncer la conjecture principale de cet article.
Conjecture 4.1.
Pour tout -module associé à , il existe une unité telle que
De plus, pour tout , l’image de par n’importe quel plongement complexe au-dessus de est de module . Pour tout , on a , où désigne l’invariant associé au module .
5 Algorithmes
L’invariant et l’application d’Abel-Jacobi ont l’inconvénient de ne pas être faciles à calculer numériquement a priori. Le but de la présente section est de décrire un algorithme pour le calcul de dans la cas le plus simple où .
La première étape consiste à décrire la classe de cohomologie de en terme de cohomologie du groupe .
On rappelle le dictionnaire bien connu entre la cohomologie de deRham de et la cohomologie de . Si sont des points de , on appelle n’importe quelle -chaîne différentiable dont la frontière est égale au triangle géodésique de sommets , et . On munit cette région de l’orientation standard, selon les définitions usuelles de l’homologie singulière. On pose aussi, pour et ,
On associe à (plus précisément: à sa classe de cohomologie) un -cocycle
par la règle
Un calcul direct montre que satisfait la relation de -cocycle: , et que son image dans ne dépend pas du choix du point base .
On rappelle le réseau des périodes de et l’on note l’image de dans .
Lemme 5.1.
La classe de dans est nulle.
Démonstration.
Pour tout , on appelle l’image dans du chemin géodésique sur allant de à . Comme est un -cycle fermé sur et que , il existe une -chaîne différentiable sur à coefficients entiers, que l’on appellera , telle que
(31) |
La région est déterminée par cette équation modulo les -cycles fermés, et par conséquent l’élément de défini par
(32) |
ne dépend pas du choix de satisfaisant (31). On vérifie ensuite par un calcul direct que
∎
Le Lemme 5.1 permet de définir une -chaîne en choisissant une solution de l’équation
(33) |
La proposition suivante permet de calculer l’invariant numérique en terme de cohomologie des groupes—du moins, en admettant que l’on sache résoudre l’équation (33).
Soit un corps ATR et soit un élément provenant d’une base positive d’un réseau . Parce que , le groupe est de rang un modulo la torsion. On se donne un générateur de modulo torsion, choisi de sorte que pour tout point de la géodésique , le chemin allant de à soit orienté dans le sens positif. On choisit le point base de manière à ce que sa première composante soit égale à . Avec ces choix, on a alors
Proposition 5.2.
Démonstration.
Cela résulte directement de la formule pour de l’équation (32). ∎
La définition du -cocycle exige d’intégrer sur des régions de type peu commodes à paramétrer. Dans les calculs numériques, il est donc utile de remplacer ce cocycle par un représentant de la même classe de cohomologie qui ne fait intervenir que des régions “rectangulaires” de la forme (avec et de dimension , bien entendu). Les intégrales de sur de telles régions s’expriment au moyen d’intégrales itérées, et sont donc plus faciles à calculer numériquement. (On se sert pour cela du développement de Fourier de .)
Si appartiennent à , soit le segment géodésique joignant le point au point . On pose
et on définit un nouveau cocycle par la règle
Il est nécessaire de modifier légèrement pour qu’il représente la même classe de cohomologie que On dispose pour cela d’un -cocycle classique sur appelé cocycle d’aire, dont on rappelle la définition : étant données deux matrices et de et en notant leur produit, la formule
(34) |
(où si et sinon) définit un -cocycle sur à valeurs entières. Par composition avec les plongements de dans on en déduit deux -cocycles sur à valeurs dans On définit finalement le -cocycle sur par la formule
Proposition 5.3.
Les cocycles et représentent la même classe de cohomologie dans Plus précisément, on a
où
Démonstration.
On dit que deux -chaînes et sont homologues si leurs frontières sont égales, et on écrit dans ce cas . Un calcul direct fournit la relation
(35) |
avec
Par -invariance, on observe que dans En outre, l’intégrale de sur et est nulle, et par conséquent
Ces dernières intégrales se calculent élémentairement : on constate d’abord qu’elles ne dépendent pas du point base et que Or l’intégrale
n’est rien d’autre que l’aire, dans le disque de Poincaré, du triangle idéal orienté de sommets et D’après [K-M] formule 1.2, il en résulte que
On conclut alors de (35) que
d’où la proposition. ∎
Corollaire 5.4.
Soit une solution de l’équation
(36) |
Alors on a
Démonstration.
La Proposition 5.3 montre que l’on peut choisir
où la -cochaîne est définie dans l’énoncé de cette proposition. Comme la région qui intervient dans la formule pour est contenue dans , on a
Le corollaire en résulte. ∎
Remarque 5.5.
Dans le présent article le cocycle n’intervient que dans les algorithmes pour calculer numériquement. Signalons tout de même que la proposition 5.3 et le corollaire 5.4 sont d’un intérêt plus que pratique. Dans le contexte partiellement -adique étudié dans [Dar1] et [DD] où l’on est amené à travailler avec des formes modulaires sur , on ignore comment donner un sens aux régions de la forme , ou au cocycle . Par contre, on sait définir ce qui doit jouer le rôle des intégrales “itérées” de formes modulaires (cuspidales ou Eisenstein) sur des régions “rectangulaires” de la forme . Cela permet de définir un avatar -adique de , et par conséquent des versions -adiques des invariants du présent article.
Il reste finalement à calculer une solution de l’équation (33) ou (36). Le procédé étant le même, qu’il s’agisse de ou de , on se bornera au cas de pour alléger les notations.
L’algorithme que nous proposons pour calculer , pour n’importe quel élément de , se base sur l’observation suivante: lorsque est un commutateur dans , la formule (33) permet d’exprimer directement en fonction de . En effet, l’identité facile assure que
En reportant, on en conclut que
Cette dernière formule, avec et remplacés par et respectivement, donne un accès numérique à puisque les nombres complexes se calculent grâce au développement en série de Fourier de la série d’Eisenstein.
Enfin, l’abélianisé de est fini (voir [DL, Prop. 1.3]). Son ordre divise où désigne l’unité fondamentale de Pour calculer pour une matrice de il suffit donc de décomposer en un produit de commutateurs.
Sous l’hypothèse que est de nombre de classes on peut procéder comme suit. L’anneau des entiers est euclidien en -étapes pour la norme selon la terminologie de Cooke [Co, Th. 1]. Par conséquent, le groupe modulaire de Hilbert est engendré par les matrices élémentaires de type suivant: l’involution les matrices de translation et les puissances de la matrice Il en résulte que s’écrit comme un produit de matrices élémentaires grâce à l’algorithme d’Euclide dans puis comme un produit de commutateurs à l’aide des relations
Remarque 5.6.
Dans notre contexte “Eisenstein”, on ne peut pas utiliser tel quel l’algorithme proposé dans [DL, section 4]. En effet, les intégrales du type (avec ) n’ont de sens que si est une forme modulaire de Hilbert cuspidale. Notons cependant que cet algorithme et le nôtre reposent tous deux sur l’hypothèse que est un anneau euclidien.
6 Exemples numériques
Dans cette partie, nous présentons quelques résultats expérimentaux obtenus grâce à l’algorithme précédent. Il s’agit, pour quelques cas d’extensions ATR , de tester numériquement la Conjecture 4.1 de cet article et d’exhiber le polynôme minimal de l’unité attendue.
6.1 Corps de base
On considère d’abord la situation où et l’on note son unité fondamentale de norme L’anneau des entiers est euclidien pour la norme. On fixe les places archimédiennes et de de sorte que et On supposera dans cette section que et l’on se donne un entier tel que Les exemples ci-dessous laissent penser que convient.
Nous étudions maintenant les invariants associés à différentes extensions quadratiques ATR de dans lesquelles la place devient complexe.
(a) Un exemple à groupe des classes .
On considère . C’est une extension ATR de , dont le groupe des classes au sens restreint est cyclique d’ordre
Aux quatre classes distinctes de au sens restreint, on associe les éléments de fixés par les matrices suivantes de :
On calcule dans les invariants associés. On trouve avec une précision minimale de 50 décimales significatives
Sans connaître la constante on doit tester l’algébricité du nombre complexe bien défini
Cependant, dans la pratique, il semble qu’il existe toujours une racine -ième de qui appartienne au corps de définition de Pour chaque valeur de dans la liste précédente, notons
Le nombre complexe est bien défini seulement modulo les racines -ièmes de l’unité. Quitte à modifier par une racine de l’unité, on peut donc espérer tester avec succès son algébricité. Précisément, la commande Pari algdep( suggère la relation algébrique suivante pour :
(37) |
On en conclut que le nombre complexe
coïncide sur 50 décimales avec la racine
du polynôme .
Il en va de même pour les trois autres invariants :
coïncide
avec la racine de
coïncide avec la racine
coïncide avec la racine
On vérifie a posteriori que est effectivement le polynôme minimal d’une unité du corps de classes de Hilbert (au sens restreint) de
(b) Un exemple à groupe des classes .
On considère maintenant , dont le nombre de classes au sens restreint est On trouve avec parfois 200 décimales de précision dans :
La commande algdep( de Pari suggère la relation algébrique:
Ce polynôme est effectivement le polynôme minimal d’une unité de En outre, les nombres complexes
coïncident chacun avec une racine de sur plusieurs dizaines de décimales.
(c) Un exemple à groupe des classes .
Le groupe des classes (au sens restreint) de est d’ordre isomorphe à L’algorithme décrit précédemment permet de calculer
L’invariant le plus précis est dont on a obtenu 200 décimales significatives. La commande Pari algdep( fournit comme candidat le polynôme réciproque
On constate d’abord que est en effet le polynôme minimal d’une unité de Par ailleurs, six autres invariants coïncident eux aussi avec des racines de ce polynôme, au moins pour leurs premières décimales ( selon les cas):
La précision avec laquelle est obtenu se révèle insuffisante pour identifier avec une des racines de Pour des raisons de symétrie, il doit correspondre à la racine
6.2 Corps de base
L’anneau des entiers de est euclidien pour la norme. On note son unité fondamentale de norme et l’on ordonne les plongements de sorte que et La constante optimale est vraisemblablement dans ce cas.
(a) Un exemple à groupe des classes
L’extension ATR possède un groupe des classes au sens restreint cyclique d’ordre Nous associons à chaque classe un invariant dans :
Tous sont obtenus avec une précision supérieure à décimales. On en déduit au moyen de la commande Pari algdep le polynôme candidat
On vérifie a posteriori que ce polynôme définit bien une unité du corps de classes de Hilbert au sens restreint de Par ailleurs, des racines de coïncident sur leurs premières décimales avec les nombres complexes
(b) Un exemple à groupe des classes
On considère enfin l’extension quadratique ATR dont le groupe des classes au sens restreint est cyclique d’ordre . À chaque classe correspond une matrice et un invariant de :
L’invariant le plus précis est , qu’on a pu calculer avec plus de 200 décimales significatives. La commande Pari algdep( suggère le polynôme réciproque
Il est aisé de vérifier que définit effectivement une unité de À une racine de l’unité près, les exponentielles des nombres complexes précédents coïncident sur leurs premières décimales (entre 10 et 200 selon les cas) avec les racines suivantes de :
La précision obtenue sur les décimales de est insuffisante pour identifier Pour des raisons de symétrie, il doit correspondre à la racine suivante de
7 Périodes de séries d’Eisenstein.
L’objet de cette partie est d’établir une formule générale qui exprime la valeur spéciale en des fonctions introduites précédemment en terme de périodes de séries d’Eisenstein pour un tore de ce qui complète la démonstration des théorèmes 2.1 et 3.2.
Des formules similaires ont déjà été obtenues dans [Har] et [Ha] par exemple. On donne ici une présentation des résultats exposés dans la thèse du premier auteur [Ch1, section 5] sous une forme directement utilisable dans les parties 2 et 3.
Quelques notations multi-indices standard permettront de rendre les formules plus agréables. On associe d’abord à un -uplet de nombres complexes sa partie imaginaire sa trace et sa norme Pour un élement de on désigne par et les -uplets et respectivement. On introduit alors pour la série d’Eisenstein
(40) |
où le groupe d’unités opère diagonalement sur Cette série définit une forme modulaire de Hilbert non-holomorphe de poids pour Le théorème principal de cette partie met en jeu des périodes associées à des dérivées partielles de
Soit une extension quadratique de La signature de est de la forme avec On ordonne les places archimédiennes de de sorte que les premières places se prolongent chacune en une place complexe de et que pour les places suivantes on ait un isomorphisme de -algèbre On fixe une fois pour toutes de telles identifications, que l’on appelle encore par abus de notation.
Comme dans la partie 1.2, on fixe un idéal de et l’on note l’ordre de de conducteur On se donne un -module projectif de et l’on définit où est une une -base positive de On pose alors
Pour chaque on appelle la géodésique hyperbolique sur joignant à , orientée dans le sens allant de à .
Le produit
est un espace contractile homéomorphe à . On le munit de l’orientation naturelle héritée des . Le stabilisateur de dans est un groupe abélien de rang (modulo la torsion), qui s’identifie avec le sous-groupe des unités de de norme relative sur . Il opère sur par homographies, et le quotient est compact, isomorphe à un tore réel de dimension . Soit un domaine fondamental pour l’action de sur . On identifie avec son image dans , qui est un cycle fermé de dimension dans ce quotient.
Théorème 7.1.
Pour tout -module projectif dans on a:
(41) |
Démonstration.
On associe à tout nombre complexe la -forme différentielle -invariante sur
Lorsque un calcul direct montre que la période considérée prend la forme
(42) |
On définit une action naturelle de (et donc du groupe ) sur par la formule
Le tore compact réel est muni d’une mesure de Haar canonique
On peut supposer que est une -base positive de , quitte à changer en avec . Dans ce cas, la géodésique est orientée dans le sens trigonométrique selon nos conventions. On obtient une paramétrisation de cette géodésique en posant Elle permet d’identifier le quotient avec le tore en respectant les orientations. On observe d’abord que
Le changement de variable qui correspond à cette paramétrisation transforme l’identité (42) en l’expression
(45) |
où l’on a posé élément de qui parcourt les classes non nulles de quand le couple parcourt les classes non nulles de et où désigne la fonction auxiliaire
L’étape cruciale consiste maintenant à utiliser une idée due à Hecke ([Si] p. 86) : on observe d’abord que l’on obtient un système de représentants des classes non nulles de en considérant la famille lorsque parcourt les classes non-nulles de et parcourt
Par conséquent, l’identité (45) devient
(48) | ||||
(51) |
Le changement de variable dans la dernière intégrale permet de scinder cette intégrale multiple en un produit de intégrales de la forme suivante ([Si] formule (107)) :
Il s’ensuit que
(54) |
La formule (41) s’en déduit immédiatement au vu de la définition (20) de ∎
Corollaire 7.2.
Soit une extension quadratique de signature du corps avec Soit un -module projectif dans La fonction possède alors un zéro d’ordre en et l’on a les formules :
-
i)
si alors :
(55) -
ii)
si le corps n’a que deux places réelles (), alors
(56)
Démonstration.
D’après les résultats de Asai ([As], Théorème 3, ou [Ch2], Théorème 2.1), la fonction se prolonge sur en une fonction méromorphe de la variable qui satisfait l’équation fonctionnelle
(57) |
avec En outre, elle possède un unique pôle simple en , et les premiers termes de son développement de Laurent au voisinage de ce pôle sont fournis par la formule limite de Kronecker généralisée :
(58) |
où est une constante qui ne dépend que de et où les fonctions et ont été introduites en (9) et (10). Les deux égalités précédentes permettent d’obtenir le développement de Taylor de au voisinage de :
(59) |
où ne dépend que de On trouve par conséquent pour :
(60) |
et pour :
(61) |
On conclut alors du théorème 7.1 que se prolonge en une fonction méromorphe sur dont le développement de Taylor au voisinage de se déduit des identités (60) et (61) ci-dessus :
pour tandis que pour :
Références
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