Polynômes de degré supérieur à 2 prenant beaucoup de valeurs premières
François DRESS et Bernard LANDREAU 111Avec le concours du Centre de Calcul Intensif des Pays de Loire et du Groupement De Services Mathrice du CNRS
7 juin 2012
Abstract
For degrees to , we first give numerical results on polynomials which take many prime values on an interval of consecutive values of the variable.
In particular, we have improved Ruby’s record for the ” out of ” case, for , by using a polynomial of degree .
In the theoretical part of this paper, we describe a heuristic probabilistic model in the ” out of ” case: exactly (different) prime values on an interval of consecutive values of the variable. We find that the heuristic value of the probability of the event ” out of ” for a generic polynomial is equal to the product of two factors: an arithmetic factor related to global conditions of non-divisibility, and a size factor determined by the position of the polynomial in a ”well-shaped” domain of the space of coefficients. This leads to a heuristic estimate for the number of ” out of ” polynomials in a given ”well-shaped” domain. Finally, results of extended numerical experiments show a satisfactory agreement with the heuristic values given by the model.
1 Introduction
L’histoire des polynômes qui prennent ”beaucoup” de valeurs premières commence au polynôme d’Euler (1772), qui prend 40 valeurs premières (distinctes) de à . Le critère de Rabinowitch ([11], 1912) fournit une raison algébrique à cette performance, et en même temps il énonce que, pour les polynômes de la forme , 41 est la dernière valeur opérante de C.
L’arrivée des ordinateurs a modifié la situation en entraînant dans les années 1980 des recherches expérimentales. Deux types de problèmes ont alors été clairement distingués :
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le problème sur : il s’agit de trouver des polynômes qui prennent valeurs premières sur une séquence de valeurs consécutives de la variable,
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le problème sur : il s’agit de trouver des polynômes qui prennent un grand nombre de valeurs premières sur une séquence de valeurs consécutives de la variable.
Des records du type ” sur 1 000” ont d’abord été obtenus — voir Ribenboim ([12], 1996). Ensuite Fung (1988, cité par [10]) suivi par Ruby (1989, cité également par [10]) ont trouvé des polynômes donnant 43 puis 45 valeurs premières (distinctes) pour autant de valeurs consécutives de la variable. Ces records ayant semblé imbattables (et ils le sont très vraisemblablement si l’on se limite au degré 2), les recherches expérimentales se sont alors concentrées sur ce que nous appellons le cas ” sur ”, en degré 2 à l’unique exception d’un résultat de Goetgheluck ([5],1989) en degré 3. La situation est restée confuse quelques années jusqu’à l’article de Boston et Greenwood ([2], 1995) qui normalise de façon efficace les polynômes (et donne une liste de ”bons” polynômes pour ).
Un article de Dress et Olivier ([3], 1999) explore très complètement le cas du degré 2 : il donne un modèle probabiliste heuristique et met en évidence ce qu’ils appellent le mur de Schinzel, il montre la différence entre la problématique des records ” sur ” et celle des records ” sur ”, et enfin il donne des résultats numériques très étendus.
L’objet de notre article est de prolonger l’étude aux degrés supérieurs (de 3 à 6) : exploration numérique générale, et extension du modèle probabiliste heuristique dans le cas ” sur ”. Un nouveau record ” sur ” est établi : le polynôme
prend 58 valeurs premières pour 58 valeurs consécutives de la variable, de à .
2 Problématique générale
2.1 Normalisation des polynômes
Il faut tout d’abord donner les conventions qui précisent l’objet des recherches :
-
-
les valeurs premières comptées doivent avoir des valeurs absolues toutes distinctes,
-
-
1 est accepté comme nombre premier exceptionnel (cela arrive très rarement, et la présence d’une valeur 1 ou sera chaque fois explicitement signalée),
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les polynômes sont à coefficients rationnels, pas nécessairement unitaires et prennent des valeurs entières sur .
Les notations et la normalisation des polynômes sont destinées à éviter les redondances dues aux transformations du type .
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Pour les polynômes à coefficients entiers, on suit la normalisation de Boston et Greenwood : s’écrit
-
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Pour les polynômes à coefficients rationnels, on peut écrire les polynômes dans la base naturelle des polynômes à valeurs entières,
avec les entiers. Mais il faut alors les réécrire sous la forme avec les rationnels de dénominateur pour pouvoir appliquer la normalisation de Boston et Greenwood. Cette normalisation conduit alors à imposer et .
2.2 Les diviseurs premiers périodiques
Pour simplifier l’exposition des résultats et des conjectures, Dress et Olivier ont introduit la notion de diviseur premier périodique, en abrégé d.p.p., d’un polynôme : on désigne ainsi tout nombre premier qui, pour tout , divise au moins l’un des entiers (cela arrive dès qu’il existe tel que , tout diviseur premier est automatiquement périodique).
Pour les performances ” sur ”, l’absence des d.p.p. inférieurs ou égaux à est obligatoire. Pour les records ” sur ”, leur influence est plus modulée, les d.p.p. seront les nombres premiers qui fournissent des facteurs non triviaux dans le produit infini qui donne la constante de Hardy-Littlewood de , voir [8].
2.3 Polynômes à coefficients entiers ou rationnels ?
Les polynômes à coefficients rationnels et à valeurs entières sur sont les combinaisons linéaires à coefficients entiers des polynômes
En degré 2 ou 3, tout polynôme à coefficients rationnels qui n’est pas dans admet forcément 2 ou 3 comme d.p.p., ce qui le rend tout à fait inintéressant pour notre recherche.
En revanche, à partir du degré 4, on voit apparaître des polynômes à coefficients rationnels qui ne sont pas dans et qui peuvent être de bons candidats. Cela accroît considérablement le ”vivier” de polynômes à tester. Une recherche a donc été effectuée sur ces polynômes, cela a permis de battre nettement les records obtenus sur les polynômes à coefficients entiers.
2.4 La conjecture de Schinzel
Si est un polynome (à valeurs entières), on notera par le maximum du nombre de valeurs consécutives de toutes premières (et distinctes en valeur absolue). On a alors toujours où est le plus petit d.p.p de . Si on fixe un entier , on notera le supremum de sur tous les polynômes de degre .
La conjecture de Schinzel ([12]) peut s’énoncer comme suit dans le cas d’un unique polynôme (à coefficients entiers) : si est inférieur au plus petit d.p.p. de , alors il existe une infinité de tels que les entiers soient tous premiers.
Soient un polynôme et son plus petit d.p.p., la conjecture de Schinzel implique qu’en général (en négligeant le cas, rare en pratique, où ou serait une des valeurs prises dans une suite de longueur maximale de valeurs consécutives toutes premières).
Nous avons effectué dans [3] une construction par congruences sur les coefficients d’un polynôme, avec utilisation du thérème chinois, qui permettait d’obtenir un polynôme n’ayant aucun d.p.p. inférieur ou égal à une valeur fixée. On en déduit que la conjecture de Schinzel implique que pour tout .
Un résultat tres récent de Granville ([6]) découlant du théorème de Green et Tao ([7]) sur les progressions arithmétiques dans la suite des nombres premiers assure que, pour tout et tout , il existe une infinité de polynômes tels que soient premiers distincts. Cela entraîne notamment que pour tout de façon sûre. De plus, Granville conjecture l’existence pour tout et tout , d’un polynôme unitaire vérifiant tous premiers et de l’ordre de pour .
2.5 Le mur de Schinzel et la zone observable
L’étude probabiliste heuristique menée par Dress et
Olivier en [3]
met en lumière un phénomène baptisé ”mur de
Schinzel” qui renvoie le fonctionnement effectif de la conjecture de Schinzel à des zones de
valeurs qui sont hors de toute possibilité d’expérimentation
numérique. La taille heuristique du plus petit entier
mentionné dans la conjecture de Schinzel est en effet en général
énorme, de l’ordre en degré de ,
et très vite hors d’atteinte de tout calcul explicite.
La borne impliquée par le résultat de Granville, quoique très
inférieure à la valeur du mur de Schinzel, reste pareillement hors
d’atteinte hors d’atteinte expérimentale (en outre la condition sur est un peu forte,
par exemple elle s’écrit pour , mais ce point est
tout à fait mineur).
On constate expérimentalement que pour un polynôme donné
sans obstructions arithmétiques dues à des petits d.p.p.,
et avec des coefficients “raisonnablement” petits, la meilleure
performance sur en fonction de la variable est atteinte avant
en valeur absolue. Le modèle heuristique confirme cette
observation : si aucune performance n’a été constatée au
voisinage de l’origine, alors il faudra attendre le mur de Schinzel
(ou peut-être la borne de Granville)
pour voir une performance avec la valeur conjecturale maximale de
se produire.
Cela justifie donc, malgré la conjecture de Schinzel, la recherche
de polynômes records sur une zone observable à l’échelle de nos
ordinateurs.
On peut se poser la question d’une définition précise de la zone observable. Cela ne peut être qu’arbitraire, et sans véritable enjeu, tellement l’écart entre les valeurs ”accessibles” et le mur de Schinzel (et même la borne de Granville) devient gigantesque à partir de environ. Nous proposons la valeur comme borne en degré à la fois pour les valeurs (absolues) prises par le polynôme, et pour le numérateur et le dénominateur des coefficients (on peut noter que, pour le polynôme d’interpolation de valeurs entières distinctes arbitraires, le maximum des numérateurs et dénominateurs des coefficients est de l’ordre de ). On peut maintenant définir comme le maximum du nombre de valeurs consécutives toutes premières, sous les restrictions énoncées ci-dessus de borne , puis comme le maximum de sur tous les polynômes de degré , et sous les mêmes restrictions. Malgré les conditions supplémentaires imposées, il est impossible de calculer exactement la valeur de pour un polynôme donné, mais on peut expérimentalement en proposer une valeur présumée, extrêmement probable. Ce sont ces valeurs présumées (en toute rigueur des minorations) que nous donnons ici, et les valeurs également présumées de qui en résultent.
Enfin, on peut définir de façon exactement similaire pour les nombres de valeurs premières sur valeurs consécutives, les maximums et , et .
3 Résultats expérimentaux
3.1 Le problème ” sur ”
Les statistiques effectuées sur les observations expérimentales, confirmées par le modèle probabiliste heuristique décrit au paragraphe 4, permettent d’identifier les facteurs de succès de la recherche numérique, qui reposent respectivement sur l’arithmétique, la taille, et la ”chance”.
Notons tout d’abord que, pour qu’un polynôme puisse donner une performance ” sur ”, il faut que son plus petit d.p.p. soit supérieur à , sauf dans le cas particulier et rare en pratique où prendrait la valeur ou .
Le facteur arithmétique est la restriction (par un criblage efficace) aux polynômes n’ayant pas de petits d.p.p., et on énoncera dans le paragraphe 4 sur la modélisation un théorème arithmétique qui montre que le gain apporté par cette restriction est beaucoup plus important qu’on ne pouvait attendre a priori.
Le facteur taille est la limitation de la recherche aux plages de la variable proches de l’origine avec des polynômes à petits coefficients. Cela permet de maximiser la valeur qui représente (hors facteur arithmétique) la probabilité heuristique que soit premier. C’est probablement ce deuxième facteur qui explique pour le problème ” sur ” l’amélioration des performances lorsque l’on élève le degré (les meilleurs polynômes oscillent et restent plus longtemps avec des ”petites” valeurs).
Nous avons appelé ”chance” le troisième facteur. En effet, on constate dans les recherches expérimentales étendues, qu’une fois les deux premiers facteurs pris en compte, la complexité pourtant toute déterministe du problème donne l’apparence du hasard. Le seul moyen d’action sur ce facteur est alors le nombre de polynômes testés.
NOTA sur les records et leurs auteurs.
Excepté ceux d’Euler, Fung et Ruby, les records listés ci-dessous
jusqu’au degré 6 ont été découverts par Dress et Landreau dans
le cadre du présent travail. Trois records principaux (46 en
degré 3, 46 en degré 4 à coefficients tous entiers, et 57 en
degré 5 à coefficients rationnels non tous entiers) ont été
pré-publiés dans [12] :
P. Ribenboim, The little book of bigger primes, 2d edition, Springer,
2004, p. 148.
Par
contre, en degré 6, le tout dernier record 58 découvert par Dress et
Landreau (2010) est publié pour la première fois ici.
Certains polynômes ont été redécouverts dans la compétition Internet [15] : Al
Zimmermann’s Programming Contest, Prime Generating Polynomials,
organisée par Ed Pegg Jr en juillet 2006. Cela sera mentionné.
Signalons enfin deux particularités de cette compétition. Primo une catégorie spéciale était consacrée aux polynômes prenant (sur la zone record) des valeurs toutes de même signe, qui ne seront pas donnés ici. Secundo il n’était pas imposé que les valeurs premières (obtenues pour des valeurs consécutives de la variable) soient toutes différentes en valeur absolue ; cette spécification était imposée par Boston et Greenwood, que nous avons suivi pour les records (mais non pour l’heuristique).
Degré 2
: 1 polynôme : (polynôme de
Ruby), de à
: 2 polynômes : (polynôme de Fung), de à
(Ruby)
: 7 polynômes (dont le polynôme d’Euler)
Degré 3
: 1 polynôme : , de à (DL)
: 3 polynômes
: 7 polynômes
Degré 4
: 2 polynômes :
(DL, redécouvert par
J. Wroblewski et J.-C. Meyrignac dans [AZPC])
(DL)
: 1 polynôme
: 8 polynômes à coefficients entiers (DL)
+ 1 polynôme à coefficients rationnels non entiers
Degré 5
: 1 polynôme :
(DL, redécouvert
par Shyam Sunder Gupta dans [AZPC])
: 1 polynôme : (DL)
: 4 polynômes à coefficients rationnels non entiers (dont un prend la valeur -1)
: 1 polynôme à coefficients entiers :
(DL 2001),
+ plusieurs polynômes à coefficients rationnels non entiers
Degré 6
: 1 polynôme :
(DL 2010)
: 2 polynômes :
et
(DL 2009 et 2010)
: 1 polynôme :
(J. Wroblewski et J.-C. Meyrignac dans [AZPC])
: 3 polynômes :
: 10 polynômes (DL)
: 2 polynômes à coefficients entiers :
(non normalisé)
(J. Wroblewski et J.-C. Meyrignac dans [AZPC])
(DL 2011)
Table 1 minorations expérimentales de
(qui sont en même temps les valeurs présumées si )
3.2 Le problème ” sur ”
Les facteurs de succès de la recherche numérique sont bien sûr les mêmes que ceux du problème ” sur ”, mais leur mode d’action est très différent. En conséquence, la modélisation heuristique est également très différente (mais nous ne l’exposerons pas dans cet article).
Le facteur arithmétique ne se limite pas à l’élimination des polynômes à petits d.p.p. Pour le problème ” sur ”, il faut considérer globalement un grand nombre des ”premiers” d.p.p. du polynôme, dont la répartition va fortement influencer ses performances. Une conjecture due à Hardy et Littlewood ([8], 1923) énonce que le nombre des valeurs premières prises jusqu’à par un polynôme est égal au produit du logarithme intégral de par la “constante de Hardy-Littlewood”, qui est un produit infini dont le facteur générique essentiel est , où désigne le nombre de solutions de la congruence .
Cette conjecture de Hardy et Littlewood était limitée au degré 2 mais elle peut être étendue aux degrés supérieurs (Bateman et Horn, [1], 1962). Enfin, dans le cas de polynômes à coefficients rationnels, elle peut également s’étendre en remplaçant le quotient par le quotient , où ( entier ) est la période de la suite modulo et le nombre de solutions de la congruence .
Finalement, les performances d’un polynôme donné ont heuristiquement et expérimentalement un comportement de loi binomiale avec une probabilité liée à sa constante de Hardy- Littlewood. Les meilleures performances en ” sur ” sont obtenues pour des polynômes ayant une constante de Hardy-Littlewood élevée (voir par exemple Fung et Williams, [4], 1962, et Jacobson et Williams, [9], 2003, dans une problématique plus théorique que la nôtre). Nous avons étudié les performances du polynôme de Jacobson et Williams record pour en discriminant positif, , avec (). La conjecture d’Hardy-Littlewood est trop globale mais elle peut s’interpréter localement par une probabilité heuristique que soit premier, voisine de . On en déduit alors qu’heuristiquement les records sont à chercher dans une zone très limitée autour de . Les calculs heuristiques selon la méthode du paragraphe 4.5 du présent article suggèrent qu’on pourrait trouver le record à 17 ou 18 : de fait, nous avons trouvé 17 valeurs consécutives premières à partir de . On peut également chercher le record sur 1 000. L’heuristique repose alors (comme dans [3]) sur une loi binomiale et les calculs suggèrent qu’on pourrait trouver le record vers 395 (valeur de pour ) : de fait, nous avons trouvé 399 valeurs premières sur 1 000 à partir de . Ces résultats numériques sur le polynôme de Jacobson et Williams appellent deux commentaires : d’une part ils corroborent notre heuristique, d’autre part ils montrent qu’il ne suffit pas d’une bonne constante de Hardy-Littlewood si on le ”paie” d’une augmentation excessive des valeurs prises (on retrouve le facteur ”chance”).
En ce qui nous concerne, la constante n’est jamais calculée précisément dans la recherche expérimentale car les temps de calcul sont prohibitifs ; par contre la somme des ”premiers” fournit un excellent critère empirique qui est à la base du criblage que nous avons effectué.
Les recherches sont effectuées sur des plages de la variable proches de l’origine, mais encore plus ici que pour le problème ” sur ”, le facteur heuristique lié à la taille des valeurs est crucial. Il s’ensuit que les meilleures performances sont obtenues, à degré fixé, pour les polynômes de petit coefficient directeur. Ce phénomène n’intervenait pas pour les performances ” sur ”, il est ici d’autant plus prononcé que est grand. Cela étant, la dépendance précise par rapport au degré, qui est un des aspects de ce facteur taille, est malaisée à saisir.
Le facteur ”chance”, qui intervenait très brutalement dans le cas ” sur ”, est ici moins visible et fonctionne en deux temps : primo pour fournir après criblages des polynômes ayant une grande constante de Hardy-Littlewood, secundo pour donner des performances avantageuses dans le comportement de loi binomiale évoqué plus haut.
Nous donnons ci-dessous, tout d’abord un tableau récapitulatif des performances (minorations expérimentales de , qui sont en même temps les valeurs présumées sauf si et sont grands), ensuite la liste des polynômes records.
Table 2 Meilleurs résultats ” sur ” en fonction du degré
(les nombres écrits en italiques concernent les zones où les recherches n’ont pas pu être suffisamment poussées et où les résultats ne sont donc vraisemblablement pas optimaux - et nous ne donnerons d’ailleurs pas nos polynômes records)
Degré 2
: : (Dress et Olivier, 1999, [3])
: : (Boston et Greenwood, 1995, [2])
: : (Dress et Olivier)
: : (Dress et Olivier)
: : (Dress et Olivier)
Signalons également que les records sur pour le degré 2 ont été donnés
en continu jusqu’à (Dress et Olivier, 1999, [3])
Degré 3
: : (Dress et Olivier, 1999, [3])
ultérieurement 9 autres polynômes avec 48 sur 50 ont été trouvés
: :
(Dress et Landreau, pour ce record et tous ceux qui suivent)
: : et
: :
: :
Degré 4
: : 21 polynômes
(7 à coefficients entiers + 14 à coefficients rationnels non entiers)
celui qui fournit le plus petit maximum des valeurs absolues prises est :
: :
: :
: :
: :
Degré 5
: (le record ” sur ” est à 57)
Degré 6
: (le record ” sur ” est à 58)
3.3 Méthode utilisée pour l’exploration numérique
La base de la méthode est une exploration exhaustive des polynômes (normalisés) par boucles emboîtées sur les coefficients avec des limites fixées, exploration convenablement criblée pour éviter les ”petits” diviseurs des valeurs prises. La primalité des valeurs est testée par référence à une table préalablement construite qui peut indexer jusqu’à 600 millions de nombres premiers.
Il nous est apparu que la meilleure utilisation du crible sur les d.p.p. pour accélérer la recherche consistait, dans son principe, à travailler, dans l’avant-dernière boucle de l’exploration, sur les polynômes sans terme constant . Pour un tel polynôme, et pour un , nous déterminons les classes où doit se trouver modulo pour que les polynômes n’aient pas pour d.p.p. Même en limitant ce premier crible à de ”petits” , le gain est très important.
Pour le problème ” sur ”, ce crible fonctionne seul. Pour le problème ” sur ”, on lui adjoint un crible sur les d.p.p. ”globalisé” comme nous l’avons expliqué plus haut, en utilisant comme critère (empirique) une majoration de la somme des pour inférieur à une borne convenable.
Enfin, nous avons pris la décision de limiter la recherche au proche voisinage de l’origine, ce qui fait gagner un temps considérable et ne laisse éventuellement échapper qu’une très faible proportion de ”bons” polynômes.
La limite exacte des coefficients des polynômes systématiquement explorés dépend du premier coefficient , mais les zones d’exploration des coefficients ne sont pas homothétiques, parce que le facteur de taille entraînerait alors une décroissance brutale des chances de succès (cela est expliqué plus loin dans la présentation du modèle heuristique). Il serait fastidieux de détailler le champ précis des zones explorées mais on peut donner des ordres de grandeur. A chaque fois, le nombre de polynômes est considéré avant de faire opérer les différents cribles.
-
•
degré 2
de 1 à 3 500, environ polynômes considérés, -
•
degré 3
de 1 à 500, environ polynômes considérés, -
•
degré 4
- en coefficients entiers : de 1 à 36, environ polynômes,
- en coefficients rationnels : de 1 à 60, environ polynômes, -
•
degré 5
- en coefficients entiers : de 1 à 5, environ polynômes,
- en coefficients rationnels : de 1 à 150, environ polynômes, -
•
degré 6
- en coefficients entiers : de 1 à 2, environ polynômes,
- en coefficients rationnels : de 1 à 20, environ polynômes.Nous avons fait tourner pour cela des progammes écrits en langage C et parallélisés principalement sur deux grappes de calculs :
- la grappe Loire du CCIPL (Centre de Calcul Intensif des Pays de Loire, http://www.cnrs-imn.fr/CCIPL/HTML/index.html),
- et la grappe Gaia du laboratoire LAGA accessible depuis la plateforme de calcul du Groupement De Services Mathrice du CNRS (http://mathrice.org, https://gaia.math.univ-paris13.fr).
4 Le modèle probabiliste heuristique dans le cas ” sur ”
4.1 Localisation des zones riches en valeurs premières et normalisation
Comme on l’a déjà noté, une heuristique élémentaire — confirmée par la recherche expérimentale — indique que le maximum de chances de trouver des valeurs premières pour un polynôme consiste à les rechercher dans la zone des plus petites valeurs (absolues) prises. La traduction pour le modèle de cette indication est complètement différente en degré 2 et en degrés supérieurs.
Dans le cas du degré 2, la zone d’efficacité peut se trouver très éloignée de l’origine, c’est le cas notamment des polynômes , avec petit (normalisation de Boston et Greenwood) et négatif de grande valeur absolue. En conséquence, le modèle probabiliste heuristique, présenté en [3] pour le seul cas du degré 2, ”oubliait” entièrement les polynômes eux-mêmes et ne considérait que des séquences de entiers à différences secondes (paires) constantes, caractérisées par leurs valeurs extrêmes et une valeur médiane.
En degré supérieur à 2 par contre, les essais que nous avons effectués nous ont montré que les polynômes avec des petites valeurs loin de l’origine étaient statistiquement très rares. Comme il est beaucoup plus rapide de rechercher les valeurs premières au voisinage de l’origine que de chercher à localiser la zone où est ”petit”, nous avons donc suivi cette voie. De façon plus précise, nous avons constaté que le premier maximum relatif (maximum évoqué au paragraphe 2.4 lors de la présentation du mur de Schinzel) du nombre de valeurs consécutives toutes premières se trouvait, à un nombre très faible d’exceptions près, dans la zone centrale très resserrée entre et (pour la variable). Cela a été confirmé par les tests de recherche exhaustive que, pour , nous avons pu effectuer jusqu’à la limite . On peut également donner une justification heuristique de cette décroissance très rapide de la performance lorsqu’on s’écarte de l’origine, et constater que la modélisation est concordante avec les résultats de l’expérimentation.
Il est bien sûr possible que la limitation au proche voisinage de l’origine fasse perdre quelques polynômes ”intéressants”, mais le gain de rapidité est tel qu’on regagne sûrement beaucoup plus grâce au nombre de polynômes explorés. La situation est analogue dans le modèle : il est trop compliqué de calculer une estimation heuristique exacte du nombre des suites ”intéressantes”, mais les suites négligées sont en proportion infime, et la minoration qui sera calculée sera extrêmement voisine de la réalité.
En définitive, le modèle heuristique ” sur ” en degrés supérieurs à 2, présenté dans cet article, sera fondé sur la considération des polynômes normalisés selon Boston et Greenwood, et en outre adapté pour privilégier les ”petites valeurs”. Il est décrit ci-dessous.
4.2 Présentation générale du modèle
Le degré étant fixé, , on considère une famille croissante de parties finies de l’espace des coefficients des polynômes de degré , dépendant essentiellement d’un paramètre de taille mais aussi de .
Les ensembles seront équiprobabilisés. On établira une estimation heuristique de la probabilité qu’un polynôme pris au hasard dans prenne une suite de valeurs consécutives premières, pour (i.e. , avec la notation du paragraphe 2.5). Cette probabilité sera calculée à partir de la probabilité que les valeurs soient premières, probabilité elle-même estimée comme le produit d’un facteur ”arithmétique” par un facteur qui traduit l’effet de taille du polynôme considéré. On peut alors évaluer la probabilité , ainsi que le volume de . L’indicateur crucial est l’espérance mathématique heuristique du nombre de polynômes de qui satisfont , et on termine l’étude du modèle en examinant le comportement de cette espérance lorsque tend vers l’infini.
Les parties seront des pavés de l’espace des coefficients, qui seront paramétrisés de telle sorte que majore le maximum de la valeur absolue des valeurs prises par les polynômes de sur l’intervalle . Bien entendu, il n’y pas a priori de manière unique de définir les , on donnera au paragraphe 4.5 ceux que nous avons utilisés, pour lesquels les différentes bornes imposées aux coefficients sont déterminées à partir de considérations empiriques pour s’adapter aux (relativement) fortes probabilités de primalité au très proche voisinage de l’origine.
4.3 Séparation du facteur arithmétique et du facteur de taille
Etant donné un polynôme générique, i.e. tiré au hasard avec équiprobabililité sur le pavé de l’espace des coefficients, il faut commencer par donner une estimation heuristique de la probabilité que les valeurs soient premières. Cela se fait par un criblage par les nombres premiers inférieurs à la racine carrée des valeurs (absolues) prises, que l’on applique de façon différente pour les valeurs de inférieures à et pour celles supérieures. Pour un , la périodicité rend non indépendantes les divisibilités par des valeurs de à ), et la condition de non-divisibilité est globale : que ne soit pas d.p.p. du polynôme (générique) . Pour fixé et grand, cette probabilité ne dépend pas de , et l’on obtient ainsi pour chaque un facteur . On suppose ensuite que, dans le modèle, les divisibilités par les nombres premiers successifs sont indépendantes, ce qui est une approximation raisonnable (en effet dans le cas de tous les nombres entiers, il n’y a pas plus qu’un facteur entre le théorème de Mertens et l’heuristique des divisibilités indépendantes). Cela permet alors de multiplier les pour , obtenant ainsi le facteur ”arithmétique” (générique) annoncé. Par contre, pour les , on crible chaque valeur de à individuellement. Les valeurs de interviennent ”à travers” la taille du polynôme, dont le facteur obtenu traduit l’effet (de façon assez complexe comme on le verra).
Cette modélisation conduit à la formule
Les facteurs sont estimés avec le théorème de Mertens par . On a alors la décomposition
avec et .
4.4 Le facteur arithmétique
Il faut commencer par estimer chaque facteur . Nous le ferons en nous limitant au cas des coefficients entiers. Comme sera fixé et que tendra vers l’infini, le tirage au hasard du polynôme générique de degré , avec équiprobabililité sur le pavé de l’espace des coefficients, sera convenablement modélisé par l’équiprobabilité des coefficients modulo sur le produit , (i.e. une probabilité uniforme égale à pour tout -uplet de coefficients modulo ). On néglige les polynômes dont une valeur serait exactement ou , ce qui a une incidence quantitative infime. Cette modélisation, justifiée par l’équivalence asymptotique, conservera une justification heuristique forte alors même qu’elle sera utilisée comme nous le ferons pour des valeurs fixées de et de .
Proposition 1
Dans le cas des polynômes à coefficients entiers de degré , la probabilité heuristique que ne soit pas d.p.p. vaut :
En particulier, pour , on a .
Démonstration: il s’agit de déterminer le cardinal de l’ensemble des polynômes définis modulo de degré inférieur ou égal à et sans zéro dans .
On travaille nécessairement dans l’ensemble des polynômes de terme constant non nul. Considérons parmi ceux-ci uniquemement les polynômes de terme constant égal à 1, il suffira ensuite de multiplier le cardinal obtenu par .
Pour tout de 1 à , on pose . Un calcul rapide montre
que et on peut de même calculer, pour , , .
Le principe combinatoire classique d’inclusion-exclusion montre alors
que le nombre de polynômes sans zéro dans et de terme constant 1 vaut
où car les polynômes concernés ne peuvent avoir plus de zéros sur . On en déduit la valeur de par multiplication par , puis la valeur de :
On remarque que pour , on obtient la formule simplifiée .
Estimation numérique
On donne dans le tableau suivant les valeurs numériques du facteur arithmétique , pour et ainsi que la valeur de .
Table 3 valeurs numériques du facteur arithmétique
Ce tableau est obtenu par calcul numérique de avec les valeurs de de la proposition 1. On remarquera qu’à partir de les valeurs de sont très proches de la valeur indépendante de . La raison en est que la contribution principale est en fait celle des nombres premiers pour laquelle on dispose de la formule simplifiée. D’un point de vue asymptotique, on peut facilement montrer que
4.5 Le facteur de taille
Le facteur de taille a été introduit au début du paragraphe 4.3. Nous avions annoncé au paragraphe 4.2 une définition des pavés de l’espace des coefficients qui ferait de un majorant du maximum de la valeur absolue des valeurs prises par les polynômes de sur l’intervalle . Néanmoins, dans l’estimation du facteur de taille, ce serait une maladresse de considérer seulement cette borne et de minorer par . En procédant ainsi, non seulement on obtiendrait une minoration trop inférieure à une estimation raisonnable (et d’ailleurs en désaccord avec les résultats numériques), mais surtout on cacherait complètement le resserrement de la zone d’efficacité autour de l’origine. Il faut donc choisir la ”forme” efficace des parties et la faire intervenir dans les estimations.
Nous avons considéré des parties ensembles des -uplets des coefficients des polynômes dont les coefficients sont majorés par des bornes plus petites que , et ce d’autant plus que le degré est faible. Ce critère qualitatif garantit (heuristiquement et expérimentalement) que les parties contiennent la zone d’efficacité où se trouvent la plupart des ”bons” polynômes, et les résultats ne dépendent que faiblement du choix précis — mathématiquement arbitraire. Notre choix s’appuie sur la limitation pour le dernier coefficient, limitation très voisine de celle adoptée dans nos ”explorations” expérimentales. Nous avons ainsi pris :
-
•
,
-
•
(imposé par la normalisation de Bonston et Greenwood),
-
•
pour .
(Pour simplifier les formules, nous continuerons à nous limiter au cas des polynômes à coefficients entiers.) Il faut immédiatement noter la contrainte (nécessaire pour que puisse au moins prendre la valeur 1), apparemment triviale, mais qui en fait jouera un rôle important quand on voudra effectuer des prédictions.
Pour calculer la probabilité ponctuelle, nous écrirons , et nous établirons une estimation efficace du facteur correctif , pris pour un polynôme ”typique” du pavé .
Il faudra ensuite passer de l’estimation de la probabilité ponctuelle à la probabilité globale qu’un polynôme générique présente (au moins) valeurs consécutives premières. Comme il s’agit d’évènements (très) rares, on peut assimiler les probabilités aux espérances, ce qui permet d’approcher la probabilité de la réunion d’évènements non indépendants par la somme de leurs probabilités. On obtient ainsi , et l’estimation de cette somme s’effectuera de façon standard par assimilation à une intégrale.
a) Estimation du facteur élémentaire du facteur correctif .
Pour simplifier la suite de la présentation et des calculs, on pose
; compte tenu des nombreuses
approximations effectuées, on n’introduit aucune erreur
significative en effectuant les calculs comme si on avait exactement
et comme si l’intervalle contenait
exactement entiers.
C’est maintenant qu’intervient la définition précise des parties qui vient d’être effectuée : elle implique que le polynôme générique prend à l’origine des valeurs de l’ordre de , que son terme de plus haut degré est de l’ordre de , et que ce terme domine numériquement tous les autres sauf dans un voisinage restreint de l’origine. Pour donner une estimation analytique du facteur correctif, nous effectuerons la sommation des valeurs de , cette fonction étant elle-même évaluée par son approximation symétrique non triviale la plus simple, i.e. . Cela réalise un compromis efficace entre une approximation simpliste et des calculs impraticables.
Compte tenu des indications données ci-dessus sur l’ordre de grandeur du polynôme générique , cette approximation sera ajustée pour et :
-
-
en : ,
-
-
en : .
On trouve alors et en ayant posé .
Cette approximation n’est raisonnable que si la valeur prise en assimilant le polynôme à son terme de plus haut degré est supérieure à l’ordre de grandeur du terme constant. On devra donc respecter la contrainte , ce qui découle, si , de la contrainte plus forte évoquée juste après la définition des . On peut enfin noter que l’inégalité , nécessaire pour que l’origine soit un maximum de , est alors trivialement satisfaite.
On peut enfin comparer les valeurs et qui est négatif si et : notre approximation à partir de la fonction conduira donc à une sous-estimation de la probabilité lorsque l’on s’écartera de l’intervalle central, et par conséquent à une sous-estimation globale, mais ce n’est pas vraiment gênant car décroit rapidement et les ”queues de distribution” sont sans incidence numérique notable.
b) Fin de l’estimation du facteur correctif
On approche classiquement
par l’intégrale de correspondante, soit
c) Estimation de la probabilité globale .
On termine en calculant comme annoncé plus haut la somme
, où , avec
.
On est donc ramené à évaluer , ce qui se fait en l’approchant classiquement par une intégrale :
Lorsque et sont fixés et que tend vers l’infini, tend (lentement) vers 1, et par conséquent est équivalent à . Mais on conservera dans l’expression de la proposition 2 ci-dessous, de façon à pouvoir la remplacer par sa valeur exacte dans les tests de comparaison entre le modèle heuristisque et les expérimentations numériques qui seront effectués au paragraphe suivant, et à conserver la pertinence de ces comparaisons.
Proposition 2
La probabilité globale peut être estimée de la façon suivante lorsque, et n étant fixés, tend vers l’infini
Démonstration: on a
4.6 Etude de l’espérance globale, modèle heuristique
Nous pouvons maintenant conclure. Il reste à calculer le nombre de points d’un ensemble et le produit de la probabilité globale par fournit une estimation de l’espérance mathématique du nombre de polynômes pour lesquels .
Proposition 3
Le nombre de points des parties définies ci-dessus peut être estimé par :
Démonstration: Compte-tenu des contraintes et , le nombre de valeurs possibles des couples peut être estimé par ; par contre les contraintes sur les coefficients sont indépendantes de , et peut donc être estimé par le produit
Nous pouvons maintenant conclure. Le produit de la probabilité globale par le nombre de points fournit une estimation de l’espérance mathématique du nombre de polynômes pour lesquels .
Proposition 4
L’espérance mathématique définie ci-dessus peut être estimée de la façon suivante lorsque, et étant fixés, tend vers l’infini :
avec .
Démonstration: On effectue comme annoncé le produit de (proposition 2) par (proposition 3), et on isole le facteur qui regroupe les facteurs élémentaires qui dépendent de (on rappelle que ). Il reste alors le facteur qui regroupe les facteurs élémentaires qui ne dépendent que de et de n, comme détaillé dans la proposition 5.
Une analyse fine de la grandeur et de la rapidité de croissance/décroissance des différents facteurs de sera effectuée à la fin du paragraphe 4.7. (ils ont été écrits dans l’énoncé de la proposition 4 par ordre croissant de vitesse de variation). Mais on peut noter dès maintenant que la croissance du facteur est fortement prépondérante et que par conséquent (et comme on pouvait s’y attendre), et étant fixés, tend vers l’infini avec .
Cette formule asymptotique n’a qu’une valeur indicative. Pour comparer les valeurs numériques heuristiques avec les résultats expérimentaux, nous prendrons les formules ”compliquées” de manière à ne pas introduire de ”brouillage” numérique inutile.
4.7 Etude de l’espérance globale et validation expérimentale
Dans la comparaison des valeurs numériques du modèle heuristique avec les résultats de nos expérimentations, on présente, en plus des espérances, les nombres de polynômes dans et les probabilités, de façon à montrer clairement leurs ordres de grandeur respectifs. Les valeurs de sont les valeurs exactes (les valeurs de la proposition 3 souffrant de remplacement de parties entières par des valeurs réelles, ce qui est très mauvais lorsque est de l’ordre de ) et les probabilités sont calculées avec les vraies valeurs de et la vraie valeur de . Enfin, le nombre réel de polynômes dans le pavé avec au moins sur valeurs premières est le nombre trouvé expérimentalement sans la contrainte que les valeurs premières soient distinctes en valeur absolue (contrainte convenue par Boston et Greenwood pour les records, mais artificielle et surtout impossible à respecter dans les calculs heuristiques de probabilités).
On rappelle que les polynômes des pavés vérifient entre autres deux propriétés : sur l’intervalle on a , et le terme constant est inférieur à en valeur absolue. La borne paramétrique est présentée sous la forme et c’est la valeur de qui est portée dans le tableau. La dernière ligne du tableau donne le quotient de par , qui mesure l’adéquation du modèle.
d = 3 :
()
Table 4 Comparaisons du modèle heuristique avec les valeurs expérimentales pour ,
• , (),
Table 5 Comparaisons du modèle heuristique avec les valeurs expérimentales pour ,
• , (),
Table 6 Comparaisons du modèle heuristique avec les valeurs expérimentales pour ,
d = 4 :
• , (),
Table 7 Comparaisons du modèle heuristique avec les valeurs expérimentales pour ,
• , (),
Table 8 Comparaisons du modèle heuristique avec les valeurs expérimentales pour ,
• , (),
Table 9 Comparaisons du modèle heuristique avec les valeurs expérimentales pour ,
• , ,
Table 10 Comparaisons du modèle heuristique avec les valeurs expérimentales pour ,
d = 5 :
• , ,
Table 11 Comparaisons du modèle heuristique avec les valeurs expérimentales pour ,
• , ,
Table 12 Comparaisons du modèle heuristique avec les valeurs expérimentales pour ,
Pour commenter la comparaison entre les formules heuristiques et les résultats expérimentaux ci-dessus, il faut analyser la structure (multiplicative) des formules heuristiques : des constantes et des facteurs avec un exposant qui peut lui-même être séparé entre son terme principal et des termes secondaires.
Pour un premier commentaire, on notera que l’on multiplie un ”très grand” nombre par un ”très petit” nombre : si le premier est convenablement connu, le second est obtenu après un certain nombre d’approximations et de simplifications heuristiques. Il se manifeste alors ce que l’on pourrait appeler un “effet” exposant : la moindre variation sur l’heuristique du calcul d’un exposant entraîne des variations (multiplicatives) considérables sur le résultat final .
On constate entre les valeurs heuristiques et les valeurs expérimentales une discordance d’un facteur de l’ordre de 10 — en fait entre 3 et 6 dans les zones les plus centrales de la confrontation —, ce qui n’est pas énorme compte tenu des facteurs du produit (jusqu’à pour le ”très grand” nombre, et jusqu’à pour le ”très petit” ). Mais surtout, il y a une très grande stabilité lorsque et varient, ce qui nous permet d’affirmer que la ”forme” des formules est validée, et que les termes principaux des exposants sont également validés.
Il reste à l’évidence des améliorations à apporter aux constantes (multiplicatives) et aux termes secondaires des exposants, notamment pour supprimer la variation ”convexe” du quotient en fonction de (et donc de ). Mais nous ne pensons pas qu’il y ait aujourd’hui un enjeu suffisant pour se lancer dans ce travail d’amélioration, délicat (et hasardeux, si l’on ose dire). On peut aussi noter que notre évaluation heuristique de la probabilité a été guidée par le comportement des polynômes dans la ”zone centrale” des mais qu’elle pourrait avoir été surestimée à la périphérie (qui compte beaucoup en volume). Cela pourrait expliquer, ou expliquer en partie, l’écart…De fait, nous constatons expérimentalement cette surestimation, et si la raison est bien celle qui vient d’être avancée, il suffirait de réduire les parties (sous réserve que reste la borne génériquement atteinte) pour mieux cibler la zone centrale et améliorer l’accord entre heuristique et expérimentation numérique. Mais là encore, nous ne pensons pas qu’il y ait aujourd’hui un enjeu suffisant.
4.8 Le modèle dans le cas des polynômes à coefficients rationnels
L’étude effectuée dans le cas des polynômes à coefficients entiers peut être facilement adaptée au cas de polynômes à coefficients rationnels. Il est sans intérêt de la réécrire au complet et nous contenterons d’exposer brièvement les trois points qui sont à remanier, et de montrer comment la conclusion est légèrement modifiée.
Facteur arithmétique
Il est aisé de voir que la fonction ,
pour est périodique modulo de période
où est la plus grande puissance de qui divise (autrement dit ).
Par conséquent la fonction
est périodique modulo de période où .
Notons la probabilité pour un polynôme générique
du pavé de ne pas avoir comme d.p.p. On a alors
- pour , et un calcul analogue au cas des
polynômes à coefficients entiers conduit à ,
- pour , et sa valeur est calculée numériquement.
Dans l’évaluation de l’expression , il suffira de remplacer par .
Il faudra alors remplacer par .
Volume du pavé
On rappelle que les polynômes des pavés
vérifient entre autres deux propriétés : sur l’intervalle on a , et le terme constant est inférieur à en valeur absolue.
Pour
on a par la normalisation
,
et
.
Cela donne un nombre de polynômes rationnels
soit encore
.
Estimation de l’espérance et conclusion
Dans la formule estimant l’espérance, il faut remplacer par et
par . Globalement l’espérance
pour un même triplet va
augmenter par rapport au cas des polynômes à coefficients entiers car l’augmentation due à est plus forte que la diminution due à
, ce qui va améliorer les perfomances à fixés.
La comparaison numérique avec le cas des polynômes à
coefficients entiers est illustrée par le tableau suivant, où
pour et , on donne successivement le rapport ,
le rapport des estimations pour et
(indépendant de ) et enfin le rapport
qui en résulte.
Table 13 Comparaison de l’estimation de l’espérance dans le cas des poynômes à coefficients entiers ou rationnels
4.9 Heuristique des prévisions.
Cas des coefficients entiers
Si l’on veut utiliser notre modèle heuristique pour effectuer des prévisions, il faut adopter la même problématique que celle qui a conduit à la définition du mur de Schinzel : pour et donnés, quelle est la valeur de telle que ?
C’est un simple problème de calcul, un peu long car les formules ”complètes” sont compliquées.
La recherche expérimentale suggère que la valeur critique de est de l’ordre de ou un peu supérieure. Si on fixe et que l’on prend , lorsque l’on fait croître , il existe une valeur critique à partir de laquelle on a ; le tableau ci-dessous donne cette valeur pour les valeurs de qui correspondent aux recherches expérimentales entreprises :
Table 14 Valeurs de la valeur critique
Compte tenu de la forte croissance de (facteur principal ), la situation – heuristique – est la suivante :
-
-
si , la valeur critique est égale à ;
-
-
si , la valeur critique est légèrement supérieure à .
Pour préciser l’adjectif ”légèrement”, nous allons poser (ce n’est pas la convention que nous avions prise pour comparer les valeurs heuristiques et les valeurs expérimentales, mais celle-ci est plus commode pour les calculs de prévisions).
Imaginons que l’on veuille entreprendre la recherche de polynômes à coefficients entiers de performance supérieure ou égale à 50, quel est le degré optimal où rechercher ?
Réponse avec notre modèle heuristique : le degré où la zone brute à explorer (i.e. avant cribles) est la moins étendue. Les deux tableaux ci-dessous donnent, pour , 55 et 60, la valeur de (obtenue numériquement par dichotomie) telle que et le volume ) de la zone à explorer.
•
Table 15 Prévisions des valeurs critiques pour
La réponse est donc a priori pour : ou 5.
Notons que l’on a trouvé une performance de 46 sur 46 en degré 4
et une performance de 49 sur 49 en degré 5.
Une idée du temps de calcul nécessaire. Avec les performances actuelles des ordinateurs (juin 2011) , on obtient par exemple en degré 5 ou 6, un temps de calcul de 12 s environ pour explorer polynômes (comptés avant cribles). Cela donne pour un seul processeur 140 jours pour explorer une zone de polynômes et 38 ans (!) pour une zone de polynômes.
•
Table 16 Prévisions des valeurs critiques pour
La réponse pour est a priori mais le nombre de polynômes à explorer rend vaine cette recherche.
•
Table 17 Prévisions des valeurs critiques pour
La réponse est donc a priori pour encore mais le nombre de polynômes à explorer est astronomique.
Prévisions dans le cas des polynômes à coefficients rationnels
On reprend pour le même type de calcul avec les formules modifiées pour le cas rationnel et on obtient les prévisions suivantes. On notera que le coefficient peut maintenant être inférieur à 1 puisque la valeur plancher de correspond à .
•
Table 18 Prévisions des valeurs critiques pour dans le cas des polynômes à coefficients rationnels
La réponse est donc ici pour , . Notons que l’on a trouvé précisément deux performances de 49 sur 49 en degré 4, 6 performances d’au moins 50 sur 50 en degré 5 et plus de 50 performances en degré 6.
Il faut tempérer les nombres bruts de polynômes à tester donnés dans le tableau car avec des coefficients rationnels, on peut facilement éviter les petits d.p.p. en choisissant convenablement dès le départ les coefficients . Cela fait chuter considérablement le temps de calcul. Par exemple en degré 6, le temps de calcul pour un même nombre de polynômes est divisé par environ 6000 par rapport au cas des polynômes à coefficients entiers. Cela compense l’augmentation du nombre de polynômes à tester et expliquer les ”bonnes” performances obtenues.
•
Table 19 Prévisions des valeurs critiques pour dans le cas des polynômes à coefficients rationnels
La réponse est donc ici pour , ou 6. Du côté expérimental, la première performance trouvée d’au moins 55 sur 55 a été en degré 5 mais nous n’avons pas exploré les quelques polynômes en degré 4.
•
Table 20 Prévisions des valeurs critiques pour dans le cas des polynômes à coefficients rationnels
La réponse est donc ici pour , . Notons que l’on a trouvé précisément notre record de 58 sur 58 en degré 6. C’est probablement encore dans ce degré qu’il faudrait chercher le 60 sur 60 si cela était nécessaire.
5 Et le cas ” sur ” ?
Il semble opportun de rappeler ce que Dress et Olivier avaient noté dans [3] : ”Les performances d’un polynôme apparaissent comme la ”somme” d’un terme fonction de sa constante de Hardy-Littlewood et d’un terme d’apparence aléatoire (qui est en quelque sorte un pseudo-aléa produit par une situation déterministe mais extrêmement complexe)”.
Pour le cas ” sur ”, l’apparence aléatoire est totale, que ce soit en degré 2 ou en degré supérieur. Cela explique le succès du modèle heuristique probabiliste qui a été développé dans ce cet article.
Pour le cas ” sur ”, et si est ”grand”, le terme déterministe est prépondérant, mais le pseudo-hasard produit par la complexité de la situation se traduit par des performances qui ont l’apparence du réésultat d’une épreuve binomiale dont le paramètre est proportionnel à la constante de Hardy-Littlewood du polynôme et inversement proportionnel à . Cette heuristique, pleinement confirmée par les résultats expérimentaux de Dress et Olivier en degré 2, est confortée (toujours en degré 2) par notre étude numérique d’un ”très grand” polynôme de Jacobson et Williams (cf. plus haut, § 3.2). Il ne fait aucun doute qu’elle ”fonctionne” pour les degrés supérieurs. Pour autant, il n’existe actuellement aucun enjeu qui demanderait l’élaboration d’un modèle explicite.
Remerciements
Les auteurs tiennent à remercier tout particulièrement les ingénieurs du Centre de Calcul Intensif des Pays de Loire et du Groupement de Services Mathrice du CNRS pour la mise à disposition des grappes de calculs ainsi que pour l’aide apportée à la parallélisation des programmes.
François DRESS
Institut de Mathématiques de Bordeaux
UMR CNRS 5251
Université Bordeaux I
F-33405 TALENCE Cedex
Bernard LANDREAU
Laboratoire Angevin de REcherche en MAthématiques
UMR CNRS 6093
Université d’Angers
2, bd Lavoisier
F-49045 ANGERS Cedex 01
References
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- [4] G. W. Fung and H. C. Williams, Quadratic polynomials which have a high density of prime values, Math. Comp. 55 (1962), 345–353.
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- [6] A. Granville, Prime numbers patterns, Amer. Math. Monthly, 115 (2008), no. 4, 279–296.
- [7] B. Green and T. Tao, The primes contain arbitrarily long arithmetic progressions, Ann. of Math. (2) 167 (2008), no. 2, 481-–547.
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- [14] A. Schinzel et W. Sierpinski, Sur certaines hypothèses concernant les nombres premiers, Acta Arith, 4 (1958), 185–208.
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[15]
Al Zimmermann’s Programming Contest, Prime Generating Polynomials, by Ed Pegg Jr, juillet 2006
(www.maa.org/editorial/mathgames/mathgames_07_17_06.html)
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