De la Pureté locale à la décomposition
Abstract.
Le théorème de décomposition se déduit de la pureté locale.
Abstract.
The decomposition theorem is deduced from local purity.
Key words and phrases:
Hodge theory, algebraic geometry1991 Mathematics Subject Classification:
Primary 54C40, 14E20; Secondary 46E25, 20C20From Local purity to Decomposition
1. Introduction
Cette note fait suite à la note [14] où nous avons expliqué comment le théorème de décomposition en dehors d’un point implique un théorème de pureté locale en ce point dans le cadre analytique, similaire au théorème de pureté locale de Deligne-Gabber de [10] dans le cadre algébrique. Ici nous montrons comment ce théorème de pureté locale en un point sert à étendre le théorème de décomposition en ce point, ce qui permet d’établir simultanément par récurrence le théorème de pureté locale et le théorème de décomposition.
Nous reprenons les notations de [14]. Soit un morphisme projectif de variétés algébriques complexes, une variation de structures de Hodge (VSH) polarisée sur un ouvert lisse de , , le complexe de cohomologie réduite à en degré où est la dimension de , et l’extension intermédiaire de . Dans la note précédente [14] nous avons déduit la pureté locale en un point de , de la décomposition de sur . Il s’agit à présent d’étendre la décomposition en .
Cette notion consiste en réalité en deux décompositions de nature bien distinctes. L’une consiste à décomposer une cohomologie perverse en une somme directe d’extensions intermédiaires canoniques qui utilise la théorie de Hodge.
L’autre consiste à décomposer le complexe en une somme directe de complexes élémentaires se réduisant à ses propres cohomologies perverses décalées en degré, ce qui découle de la dégénérescense de la suite spectrale de Leray perverse et qui se déduit d’un résultat de type Lefschetz [6], à savoir: le cup-produit itéré avec la classe d’une section hyperplane, induit des isomorphismes de (complexes de) faisceaux de cohomologie perverse
La démontration procède par une récurrence sur les strates d’une stratification convenable du morphisme . Le pas de récurrence consiste à appliquer le théorème de pureté locale à une section normale à une strate de en un point de la strate. Pour poursuivre le raisonnement de récurrence et utiliser chaque fois une SHM sur le complémentaire d’un diviseur à croisements normaux (DCN), on doit préparer la variété à l’aide d’une désingularisation adaptée à et à une stratification de Thom-Whitney de , ce qui ne change pas la portée du résultat puisque l’on peut toujours se réduire à ce cas.
En fait, la décomposition reflète les propriétés topologiques des morphismes projectifs en géométrie algébrique complexe et il est agréable de lier ces résultats à des fibrations topologiques induites sur les strates d’une stratification de Thom-Whitney sur la base. De plus, ayant choisi d’utiliser des complexes logarithmiques, on s’intéresse particulièrement à des fibrations par des DCN sur les strates au sens de la note précédente (voir Définition 3.1 [14]).
On débute la récurrence sur l’ouvert formé par la réunion des grandes strates lisses de tel que la restriction de au-dessus de soit lisse et propre. On suppose par construction que: est le complémentaire d’un DCN, le complémentaire est un DCN et que les singularités de forment au-dessus de un DCN horizontal relatif sur .
Alors la famille de cohomologie d’intersection des fibres forme une VSH polarisée. Dans ce cas, les faisceaux image-directes supérieures classiques coincident avec les cohomologies perverses: , le théorème de Lefschetz difficile s’applique, et par conséquent les résultats de [6] aussi, d’où la décomposition sur .
On choisit un point général de . Il appartient à une strate de de dimension strictement inférieure à la dimension de . La pureté locale en sert alors à étendre la décomposition au voisinage du point dans une section normale dans à la strate . Le point est dans une strate induite de dimension minimale sur , ce qui nous ramène à étudier le cas d’une strate de dimension minimale. On suppose par construction que l’image réciproque de la strate est un DCN dans qui est relatif sur la strate , on pourra étendre la décomposition sur tout un voisinage de dans .
Morphismes d’intersection. Avec notre hypothèse sur , il est naturel d’exprimer le résultat en termes de morphismes d’intersection dont l’importance apparait comme une des révélations de la théorie dans [2]. Soit l’image réciproque d’une strate de dimension , où est la dimension de , d’une stratification de Thom-Whitney , on pose , et on considère le morphisme composé:
(1.1) |
Sous l’hypothèse de fibration sur les strates de , on en déduit des systèmes locaux images
(1.2) |
sur les différentes strates qui interviennent dans la formule explicite de la décomposition de en tant que somme directe d’extensions intermédiaires par : . Ces sont en fait des VSH polarisées de poids , car est l’image d’une variation de SHM de poids dans une variation de SHM de poids et de plus le tout est calculé avec des complexes logarithmiques en , DCN relatifs sur .
2. Décomposition de la cohomologie perverse
Nous allons expliquer le pas de la récurrence dans le cas d’une fibration par des DCN sur les strates ( [14], définition ?). La situation est donc celle d’un morphisme projectif de variétés algébriques complexes où est lisse et d’une polarisée définie sur un système local sur le complémentaire de un DCN dans . Une stratification de définit une famille de sous-espaces fermés , réunion de strates de dimension pour : , et contient le lieu singulier de . Soit et pour chaque strate de dimension soit , par construction, l’espace est un DCN dans . Les propriétés de la stratification que nous utilisons sont:
-
•
(T) Au-dessus de le morphisme , induit par , est un fibré topologique localement trivial de fibre en un point un DCN dans l’image réciproque lisse d’une setion normale générale à en .
-
•
(W) Le link de la strate en un point de est un invariant topologique localement constant.
Comme les stratifications sont de Thom-Whitney, le résultat de J. Mather dans [18] nous garantit la propiété W.
En particulier, la restriction de à est lisse sur . On peut toujours supposer union de avec un DCN horizontal tel que la restriction de à induise au-dessus de de la grande strate un DCN relatif. De même la fibre de en un point est un DCN dans l’image réciproque d’une section normale générale à en . Dans ce cas la stratification est dite adaptée à et .
L’espace contient donc les singularités de et de de sorte que l’on puisse utiliser des complexes logarithmiques pour la théorie de Hodge à coefficients dans sur [3]. Le diagramme suivant résume les notations
où , (resp.)
dénotent les plongements dans et , (resp. les plongements des compléments ouverts).
Soit un point dans , on écrit et . Enfin est la réunion (éventuellement vide) des strates de dimension .
On va montrer que la pureté locale en permet d’étendre la décomposition de à à travers les points de la réunion des strates de dimension zéro. Cet argument s’applique en fait à l’étape de récurrence inductive à travers une strate de dimension quelconque, auquel cas le point est l’intersection avec une section normale à la strate dans . On écrit aussi pour chaque strate: et de même avec abus de notation .
Proposition 2.1 (Décomposition de la cohomologie perverse).
Soit la réunion des strates de dimension et supposons que la cohomologie perverse de se décompose sur l’ouvert en une somme directe d’extensions intermédiaires de VSH : (1.2) sur toutes les strates de pour tout et en tout degré , soit:
(2.1) |
Alors la suite exacte longue de cohomologie perverse
donne lieu à une suite exacte courte: de faisceaux pervers, scindée sur , qui se décompose en termes de et (1.2):
, et
La preuve étant locale aux points de , on peut supposer projective et réduit à un point et l’on écrit pour les immersions au lieu de . La suite exacte dans la proposition est associée au triangle sur : , et de plus on a: . Afin de calculer successivement: , et prouver le scindage dans , il nous est utile d’abord de signaler le calcul suivant de cohomologie perverse de à partir de la décomposition (2.1):
Lemme 2.2.
1) Dans le cas d’un seul système local sur une strate contenant dans son adhérence, on note , alors la suite longue de cohomologie perverse définie par le triangle:
se décompose en une suite exacte
de plus, on a des isomorphismes:
2) Dans le cas d’une somme directe de systèmes locaux sur la même strate , on a:
i) Une suite exacte courte pour tout
où le dernier terme est un faisceau en degré zéro de support .
ii)
iii) En particulier un morphisme à valeur dans se factorise par
si .
En 1, on utilise: pour , et pour .
En 2 i) on applique l’assertion 1 à
sur pour déduire:
pour ,
pour ,
et la suite exacte pour :
L’énoncé 2 ii) se déduit du cas , et 2 iii) s’applique pour toute suite exacte dans une catégorie abélienne.
2.1. Preuve de la proposition 2.1
1) Calcul de l’image de . Par définition du foncteur extension intermédiaire [2], 1.4.22, p.54, on a:
qui est égal à , , dim., d’après l’hypothèse (2.1). Le morphisme se factorise en:
on en déduit:
Pour obtenir l’égalité , il suffit de prouver, d’après le lemme 2.2 (2 iii), que le morphisme , induit sur la cohomologie en degré zéro par s’annule:
Interprètation du morphisme .
On considère de petits voisinages de et de et on interprète
le morphisme comme un morphisme de
dans
.
En effet:
car et
, et par conséquent
se factorise comme suit
où l’espace est de poids alors qu’à droite le poids est d’après le résultat sur la semi-pureté en , donc .
2) L’isomorphisme . Le morphisme de connexion
s’annule sur l’image de et par conséquent, d’après le lemme précédent 2.2, (2 i), son image est égale à celle de l’espace vectoriel
et l’on a . Par ailleurs, rappelons que est l’ image du morphisme d’intersection en degré dans le diagramme suivant
et l’on a . Il suffit donc de prouver: .
Vu que la décomposition s’applique par récurrence sur ,
on trouve:
.
Alors que l’on veut l’égalité avec toute l’image ,
ce qui découle de la semi-pureté:
en effet, le quotient
est de poids
et le poids
de est
d’où les images de et sont égaux dans
de poids . Vu que , on obtient
une suite exacte
3) Scindage de . Considérons la suite exacte: . Par définition de , le morphisme induit un isomorphisme sur , alors que , et par conséquent . On en déduit que induit un isomorphisme: et finalement:
Remarque 2.3.
On retient les relations utiles pour la suite
2.2. Lefschetz difficile
Pour terminer, il faut démontrer l’isomorphisme de Lefschetz pour le cup-produit itéré avec la classe d’une section hyperplane sur la cohomologie perverse. Par récurrence, il reste à vérifier le cas d’un point de la strate de dimension zéro. Nous le vérifions sur les termes de la formule explicite de décomposition. Donc on suppose Lefschetz difficile pour , et on pose pour l’image du morphisme d’intersection . Il reste à prouver
Proposition 2.4.
i)
La est duale de Poincaré de
pour tout .
ii) Le cup-produit itéré avec
induit des
isomorphismes pour .
En particulier, est une SH polarisable.
L’assertion i) est claire sur la définition auto-duale du morphisme d’intersection.
ii) Interprétation dans le cas classique où est un système local en degré sur lisse et aussi est lisse. Le résultat utilise la décomposition de Lefschetz sur comme suit
Pour interpréter ce diagramme, on note que pour , l’image de l’injection à gauche est égale à l’image d’après l’isomorphisme de Thom-Gysin: , alors que l’image de la surjection à droite est égale à l’image de .
Donc, l’isomorphisme , induit sur l’image de l’injection à gauche, un isomorphisme sur l’image de à droite:
qui se déduit de l’isomorphisme classique en bas dans le diagramme.
La partie primitive de n’est donc pas concernée, ce qui pourrait expliquer le résultat surprenant qui suit et qui évite le cas crucial dans le cas classique d’une récurrence sur une section hyperplane.
Preuve de ii). L’énoncé garde un sens même si n’est pas la fibre d’un morphisme, mais on va utiliser la remarque (2.3) précédente dans la preuve
et donc le fait que soit la fibre d’un morphisme .
On procède par réduction à une section hyperplane relative lisse dans ,
d’intersection transversale aux strates du DCN: . Soit l’immersion. Le cup-produit
avec la classe de définit un morphisme égal au composé des
morphismes . Par application des foncteurs et
on obtient des morphismes commutant avec les morphismes d’intersection sur et sur dans le diagramme
On pose: pour les images des morphismes verticaux définis par . On s’intéresse à l’image de la première ligne dans la seconde ligne représentée par la ligne intermédiaire qui aurait dû figurer dans le diagramme:
où ( resp. ) est induit par le morphisme (resp. ).
Lemme 2.5.
Le morphisme induit est un isomorphisme pour et par dualité est un isomorphisme pour .
Preuve. D’après le théorème d’annulation d’Artin-Lefschetz sur l’espace affine , on a:
Lemme 2.6.
i) Les morphismes
sont des isomorphismes pour et injectifs pour .
ii) Les morphismes
sont des isomorphismes pour et
injectifs pour .
On démontre i). Le complexe
est
un faisceau pervers sur le diviseur de Cartier [2] p.106.
Sur l’espace affine, on a:
pour , d’où on déduit l’isomorphisme pour
.
Suite de la preuve. On pose et et, vue la remarque (2.3), on introduit les morphismes sur , et sur , dans le diagramme suivant:
Pour établir l’isomorphisme , étant donné que est un isomorphisme pour , il suffit de prouver que le morphisme induit aussi un isomorphisme ou aussi ; or on a d’après la remarque précédente (2.3):
-
(1)
-
(2)
(noter que: la restriction décalée de est un faisceau pervers sur , et d’après la formule (1.2): et que ), ce qui compense les indices). Pour comparer les faisceaux et , on considère un point d’une strate de dimension , une section normale à au point , et les sous-espaces qui est lisse et qui est un DCN dans par construction, alors:
où la restriction de à est un faisceau pervers car est de codimension par transversalité. Comme et on a et le théorème d’annulation d’Artin sur l’espace affine s’applique; on en déduit l’isomorphisme:
des deux termes pris avant restriction à à gauche et après restriction à à droite. En particulier le raisonnement s’applique aussi sur une strate générique . En effet est ouvert, et en tout point , l’espace est lisse, on a:
où est isomorphe à
par le théorème sur la section hyperplane de Lefschetz
car est de dimension et .
D’où qui est un isomorphisme, induit aussi des isomorphismes de sur . Les colonnes du diagramme étant exactes, il induit les isomorphismes pour (et par dualité on a des isomorphismes ) dans le diagramme suivant:
où est un isomorphisme par récurrence; ce qui termine la preuve du lemme, et celle de la proposition.
Corollaire 2.7.
i) Le cup-product avec la classe d’une section hyperplane
définit des isomorphismes pour .
ii) Le théorème de décomposition est vrai pour un morphisme fibré par des DCN sur les strates, donc pour tout morphisme algébrique propre.
ii) En effet, le théorème s’applique sur la grande strate d’après le cas classique. Si on suppose par récurrence le théorème vrai sur , il se prolonge à la réunion des strates de dimension , car en tout point de , les résultats précédents s’appliquent sur la normale en à ce qui entraîne le résultat au voisinage de dans et donc sur tout . On a vu que pour tout morphisme , on peut se réduire au cas fibré par des DCN relatifs sur les strates.
Remarque 2.8 (La décomposition naturelle).
Deligne déduit du théorème
de décomposition, pour fixé, un morphisme canonique [9] qui présente
l’avantage d’être compatible avec la SHM sur la cohomologie d’un ouvert de la forme ,
ce qui devrait permettre de construire une théorie de Hodge en bas sur à partir des
VSH sur les images des morphismes d’intersection et compatible avec la SHM induite sur les gradués pervers utilisés dans cette note. Ce résultat correspond au fait
bien connu que la suite spectrale de Leray perverse est compatible avec les SHM.
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