Introduction aux méthodes d’intégrale de chemin et applications
Notes de cours
Master: Physique mathématique (2010-2012),
Centre de Physique Mathématique.
Résumé
Ces notes sont issues du cours que j’ai dispensé aux étudiants de première année inscrits à la faculté des sciences de l’université Mohammed V pour le master “physique mathématique”. Elles sont basées pour l essentiel sur les sources énumérées dans la bibliographie.
Chapitre 1 Introduction
Classiquement, il existe deux types de systèmes dynamiques. Il y a d’abord le mouvement d’une particule ou d’un corps rigide avec un nombre fini de degrés de liberté, qui peut être décrit par un nombre fini de coordonnées. Et puis, il y a des systèmes physiques pour lesquels l’ensemble des degrés de liberté est non dénombrable. Ces systèmes sont décrits par des champs. Des exemples courants de champs classiques sont les champs électromagnétiques décrits par et ou de façon équivalente par les potentiels (). De même, le mouvement d’une corde unidimensionnelle est également décrite par un champ . Ainsi, alors que les coordonnées d’une particule ne dépendent que du temps, les champs varient continuellement en fonction de certaines variables de l’espace. Par conséquent, une théorie décrite par des champs est généralement vue comme une théorie des champs à dimensions, où représente le nombre de dimensions spatiales. Par exemple, une théorie décrivant les déplacements de la corde unidimensionnelle constituerait une théorie des champs de dimensions alors que la théorie des équations de Maxwell, plus familiers, peut être considérée comme une théorie de champs à dimensions. Dans cette perspective, il est alors clair que la théorie décrivant le mouvement d’une particule peut être particulièrement considérée comme une théorie de champs à dimensions.
L’intégrale de chemin est une généralisation à un nombre infini de variables, représenté par des chemins, des intégrales ordinaires. Elle vérifie les mêmes propriétés algébriques de celle-ci, mais présente en plus des propriétés nouvelles.
La puissance des méthodes de l’intégrale de chemin réside dans le fait qu’elle met, très explicitement, en correspondance les mécaniques classique et quantique. Les quantités physiques s’obtiennent en moyennant sur tous les chemins possibles. La caractéristique intéressante de l’intégrale de chemin est que dans la limite semi-classique les chemins dominant l’intégrale se trouvent dans un voisinage du chemin “classique”, ce qui permet de bien comprendre le principe de correspondance.
La formulation de la mécanique quantique basée sur l’intégrale de chemin est plus compliquée du point de vue mathématique. Cependant, elle est bien adaptée à l’étude de systèmes à grand nombre de degrés de liberté où un formalisme basé sur l’équation de Schrödinger perd toute son utilité. Elle permet ainsi une analyse aisée de la théorie quantique des champs et de la mécanique statistique.
1.1 Notes historiques
En 1933, Dirac a observé que l’action joue un rôle central dans la mécanique classique (il considère que la formulation lagrangienne de la mécanique classique est plus fondamentale que la formulation hamiltonienne), mais qu’il ne semblait avoir aucun rôle important dans la mécanique quantique. Il a ensuite avancé que cette situation pourrait être corrigée si le propagateur de la mécanique quantique “correspondait à” où est l’action classique évaluées le long du chemin classique.
En 1948, Feynman a développé la suggestion de Dirac, et a réussi à dériver une troisième formulation de la mécanique quantique, basée sur le fait que le propagateur peut être écrit comme une somme sur tous les chemins possibles (pas seulement les classiques) reliant le point initial et le point final du mouvement d’une particule. Ainsi, alors que Dirac n’a considéré que le chemin classique, Feynman a montré que tous les chemins contribuent. Pour l’anecdote, l’article original de Feynman qui a jeté les bases du sujet a été rejeté par Physical Review!
1.2 Notations
Dans ce cours, nous allons considérer les théories non-relativistes et relativistes. Pour le cas relativiste nous allons utiliser la convention de Bjorken-Drell : les coordonnées contravariantes sont supposées être
(1.1) |
tandis que les coordonnées covariantes sont
(1.2) |
Tout au long de ce cours, nous posons . La métrique covariante est donc diagonale :
(1.3) |
la métrique inverse ou contravariante a la même forme
(1.4) |
l’élément de longueur invariant est
(1.5) |
Les gradients sont également obtenus à partir de (1.1) et (1.2):
(1.6) | |||||
(1.7) |
le D’Alembertien prend donc la forme
(1.8) |
1.3 Fonctionnelles
Dans l’étude de n’importe quel système dynamique, on a souvent affaire avec des fonctions dont la “variable” est une fonction. Ces fonctions composées s’appellent des fonctionnelles. Si nous considérons le mouvement d’une particule plongée dans un potentiel à une dimension, alors le Lagrangien est donné par
(1.9) |
où et sont la coordonnée et la vitesse de la particule. La fonctionnelle la plus simple à laquelle on peut penser en présence d’un lagrangien est l’action définie par
(1.10) |
Notons que, contrairement à une fonction dont la valeur dépend d’un point particulier dans l’espace de coordonnées, la valeur de l’action dépend de la trajectoire tout le long de laquelle l’intégration est effectuée. Pour les différents chemins reliant le point initial au point final , les valeurs de la fonctionnelle action seront différentes.
Ainsi, une fonctionnelle a la forme générique suivante
(1.11) |
La notion de dérivée peut être étendue au cas de fonctionnelles de façon naturelle à travers la notion de fonctions généralisées (ou distributions). Ainsi, on définit la dérivée fonctionnelle ou la dérivée de Gâteaux par la fonctionnelle linéaire
(1.12) |
la quantité s’appelle dérivée fonctionnelle de . Elle est définie par
(1.13) |
Il s’ensuit de cette définition que
(1.14) |
où est la fonction (plus exactement distribution) de Dirac.
La dérivée fonctionnelle satisfait toutes les propriétés de la dérivée, notamment
(1.15) |
En outre, une fonctionnelle peut être développée en série de Taylor comme suit:
(1.16) |
où
(1.17) | |||||
etc.
1.3.1 Examples
(i) Soit , où est un entier positif.
(1.18) |
Alors,
(1.19) | |||||
Par conséquent, nous obtenons
(1.20) | |||||
(ii) Considérons ensuite l’action (1.10)
(1.21) |
avec
(1.22) | |||||
Nous obtenons sans difficulté
(1.23) | |||||
où . De même,
(1.24) | |||||
Il est clair maintenant que
(1.25) | |||||
Nous obtenons donc pour
(1.26) | |||||
Ce dernier membre rappelle l’équation d’Euler-Lagrange. En fait, on peut noter que
(1.27) |
n’est autre que l’équation d’Euler-Lagrange écrite comme extremum de la fonctionnelle action. Ceci constitue exactement le principe de la moindre action exprimée dans le langage des fonctionnelles.
1.4 Un bref rappel de mécanique quantique
Dans cette section, nous allons décrire très brièvement les éléments essentiels de la mécanique quantique. L’approche conventionnelle à la mécanique quantique commence par la formulation hamiltonienne de la mécanique classique en considérant que les observables sont des opérateurs qui ne commutent pas. La dynamique, dans ce cas, est donné par l’équation de Schrödinger dépendante du temps
(1.28) |
où est l’opérateur hamiltonien du système. De façon équivalente, la fonction d’onde d’une particule, dans le cas uni-dimensionnel, satisfait
(1.29) | |||||
où l’on a posé
(1.30) |
désignent les états de base dans la representation de coordonnées. Cela définit alors l’évolution dans le temps du système.
L’object principal de la résolution de l’équation de Schrödinger est la détermination de l’opérateur d’évolution qui génère la translation de ce système dans le temps. A savoir, l’opérateur d’évolution transformant l’état quantique à un temps passé à l’état quantique à un temps avenir :
(1.31) |
Clairement, pour un hamiltonien indépendant du temps, on voit, à partir de l’équation de Schrödinger
(1.32) |
où est la fonction échelon de Heaviside.
Il est évident que l’opérateur d’évolution temporelle n’est autre que la fonction de Green pour l’équation de Schrödinger vérifiant l’équation différentielle :
(1.33) |
(Note. la dérivée au sens des distributions de est égale à la distribution de Dirac ). Pour déterminer l’opérateur , il faut calculer ses éléments de matrices dans une base donnée. Donc, par exemple, dans la base des vecteurs propres de l’opérateur position : définie par
(1.34) |
nous pouvons écrire
(1.35) |
Si on sait calculer complètement la fonction , alors l’évolution dans le temps de la fonction d’onde peut être exprimée par
(1.36) | |||||
Dans ce calcul, nous avons utilisé la relation de fermeture :
(1.37) |
Le schéma adopté dans la discussion précédente est celui de Schrödinger, où les états quantiques sont dépendants du temps tandis que les opérateurs ne le sont pas.
Schéma | Schrödinger | Heisenberg |
---|---|---|
États | dép de t | indép de t |
Opérateurs | indép de t | dép de t |
D’autre part, dans le schéma de Heisenberg, où les états sont indépendants du temps, nous pouvons écrire par (1.31)
(1.38) |
Dans ce schéma, l’opérateur position est lié à celui dans le schéma de Schrödinger par
(1.39) |
Les états propres de ces opérateurs satisfont
(1.40) |
et par conséquent
(1.41) |
Pour , il est clair que
(1.42) | |||||
Cela montre que les éléments de matrice de l’opérateur d’évolution temporelle n’est autre que l’amplitude de transition entre les états de base dans le schéma de Heisenberg.
Chapitre 2 Intégrale de chemin en mécanique quantique
2.1 Formules de base de la mécanique quantique
Avant de déterminer la représentation par l’intégrale de chemin de l’amplitude de transition , récapitulons quelques formules de base. Considérons, pour simplifier, un système uni-dimensionnel. Les états propres de l’opérateur position forment une base orthonormée :
(2.1) |
Les états propres de l’opérateur impulsion forment également une base orthonormale :
(2.2) |
et
(2.3) |
Le produit scalaire donne les éléments de matrice de l’opérateur de passage entre les deux bases et . En fait, on peut calculer
(2.4) |
Ces relations définissent des transformations de Fourier. Plus précisément, à l’aide de la relation de fermeture, on peut écrire la transformation de Fourier d’une fonction comme
(2.5) | |||||
où
(2.6) | |||||
Ici, peut être vu comme le nombre d’onde.
Dans le schéma de Heisenberg, les états quantiques vérifient
(2.7) | |||||
et
(2.8) | |||||
Il faut noter que l’orthonormalité ainsi que la relation de fermeture ne sont valables dans le schéma de Heisenberg que pour des temps égaux.
2.2 Ordre des opérateurs en mécanique quantique
Les opérateurs en mécanique quantique ne commutent pas. Par conséquent, le hamiltonien classique est sensé “devenir” un opérateur quantique :
Cependant, ce passage ne spécifie pas l’ordre d’écriture de l’analogue quantique d’un terme comme par exemple. Est-ce que c’est ou, plutôt . Comme cet ordre n’importe pas dans la mécanique classique, il est crucial en mécanique quantique, et, à priori, il n’est pas clair qu’un ordre donné doit correspondre à la théorie quantique. c’est le problème de l’ordre des opérateurs et, malheureusement, il n’existe aucun principe bien défini dans ce sens. Il y a cependant quelques conventions que l’on adopte en général. Dans l’ordre “normal”, on ordonne les produits des opérateurs et tels que les impulsions se mettent à gauche des coordonnées. Ainsi
etc. Cependant, il existe une autre convention plus satisfaisante et qui est plus largement adoptée. Il s’agit de l’ordre de Weyl qui consiste à symmétriser les produits d’opérateurs dans toutes les combinaisons possibles avec le même coefficient de pondération. Ainsi,
etc. Pour l’ordre normal, c’est un exercice facile de montrer que pour tout hamiltonien quantique obtenu à partir d’un hamiltonien classique on a
(2.9) | |||||
On peut de même montrer que sous l’ordre de Weyl, cette relation s’écrit
(2.10) |
Comme on le voit, les éléments de matrice du hamiltonien sous l’ordre de Weyl conduit à ce qu’on appelle la prescription du point milieu (mid-point) et c’est ce que nous allons utiliser dans toutes nos discussions.
2.3 Calcul de l’amplitude par l’intégrale de chemin
Nous sommes maintenant prêts pour le calcul de l’amplitude de transition (ou propagateur). Rappelons que dans le schéma de Heisenberg, pour , nous avons
Divisons l’intervalle entre les temps initial et final en segments infinitésimaux de longueur . Soit
(2.11) |
En d’autres termes, pour la simplicité, nous allons discrétiser l’intervalle de temps et, à la fin de nos calculs, nous passerons à la limite et . Un instant intermédiaire peut donc s’écrire
(2.12) |
Utilisant la relation de fermeture (Eq. (2.8)) pour tous les instants intermédiaires, nous obtenons
(2.13) |
Notons que tout produit scalaire dans cette formule admet la forme
(2.14) | |||||
Ici nous avons utilisé la prescription du point milieu de l’ordre de Weyl (2.10).
Substituons cette forme du produit scalaire dans l’amplitude de transition, nous obtenons
(2.15) |
où l’on a posé et . C’est le forme la plus grossière de l’intégrale de chemin de Feynman et est définie dans l’espace de phase du système. Le facteur de phase dans le membre de droite de la dernière équation s’écrit dans la limite
(2.16) | |||||
En d’autres termes, il est proportionnel à l’action.
Pour obtenir la forme la plus familière de l’intégrale de chemin impliquant le Lagrangien dans l’espace de configuration ( c’est à dire une intégrale sur les variables uniquement), nous considérons la classe des Hamiltoniens qui sont quadratiques par rapport aux impulsions . Choisissons
(2.17) |
Dans ce cas, nous avons par l’équation (2.15)
(2.18) |
Les intégrales sur les impulsions sont des intégrales gaussiennes que l’on peut facilement calculer. Utilisant la formule
(2.19) |
on trouve
(2.20) | |||||
Remplaçant en plus dans l’équation (2.18), nous obtenons
(2.21) | |||||
où est une constante indépendante de la dynamique du système et est l’action classique donnée par (1.10). C’est l’intégrale de chemin de Feynman pour l’amplitude de transition en mécanique quantique.
L’intégrale de Feynman stipule que l’amplitude de transition entre un état initial et un état final est simplement la somme sur tous les chemins, reliant les deux points, du facteur . Cette somme est traduite par l’intégrale sur les coordonnées spatiales avec une mesure d’intégration donnée par .
Exercices.
-
1.
Equivalence de la méthode d’intégrale de chemin avec l’équation de Schrödinger.
-
2.
Montrer que l’amplitude de transition pour une particule libre s’écrit
(2.22) -
(a)
Montrer que ce propagateur est une solution de l’équation de Schrödinger.
-
(a)
Chapitre 3 Intégrale de chemin pour l’oscillateur harmonique
Comme exemple important d’application de l’intégrale de chemin, nous allons considérer l’oscillateur harmonique uni-dimensionnel qui est un système exactement soluble. Un oscillateur en interaction avec une source externe est décrit par le Lagrangien
(3.1) |
La source dépendante du temps peut être vue, par exemple, comme un champ électrique si l’oscillateur est supposé acquérir une charge électrique. La limite de l’oscillateur harmonique libre s’obtient de ce système par passage à la limite . L’équation d’Euler-Lagrange appliquée à l’action (1.10)donne la trajectoire classique :
(3.2) |
ce qui donne
(3.3) |
La forme générale de l’amplitude de transition est, comme nous l’avons vu dans le chapitre 2, est donnée par
(3.4) |
Pour évaluer cette intégrale fonctionnelle, notons que l’action est quadratique dans les variables dynamiques . Par conséquent, si on définit
(3.5) |
alors nous pouvons développer l’action par rapport au chemin classique comme
(3.6) |
Nous notons, d’après (3.2), que la trajectoire classique est un extremum pour l’action. Donc, nous avons
(3.7) |
Par conséquent, nous pouvons écrire l’équation (3.6) comme
(3.8) |
La dérivée fonctionnelle dans cette équation peut être évaluée pour l’action de l’oscillateur harmonique. Un calcul direct faisant appel aux propriétés des dérivées fonctionnelles (voir chapitre 1) donne
(3.9) |
Les variables représentent les fluctuations quantiques autour du chemin classique, c’est à dire elles mesurent la déviation d’une trajectoire par rapport à la trajectoire classique. Puisque les extrémités des trajectoires sont fixés, les fluctuations satisfont aux conditions de bords :
(3.10) |
Il est clair que la sommation sur tous les chemins est équivalente à celle sur toutes les fluctuations possibles sujettes à la condition (3.10). Par conséquent,
(3.11) | |||||
Nous remarquons que l’exposant dans cette intégrale est quadratique par rapport aux variables d’intégration. De telles intégrales peuvent être évaluées de plusieurs façons. Nous proposons ici une méthode basée sur un développement de Fourier.
Dans l’intégrale (3.11), on redéfinit la variable temporelle comme
Donc
(3.12) |
où . La variable satisfait à la condition aux limite
(3.13) |
La fluctuation peut, par conséquent, être développée dans une base de fonctions trigonométriques. Par exemple
(3.14) |
étant toujours le nombre de subdivisions de la trajectoire segmentée du chapitre précédent. Remplaçant, on trouve
(3.15) | |||||
où nous avons utilisé la propriété d’orthogonalité de la fonction cosinus. Nous trouvons de même,
(3.16) | |||||
Notons que l’intégrale sur les variables est équivalente à l’intégration sur les variables qui sont les coefficients de Fourier . On peut par conséquent écrire
(3.17) |
Ici, nous notons que le Jacobien du changement de variables de aux coefficients a été ”absorbé” dans la constante dont la forme explicite sera déterminée par la suite.
L’amplitude de transition est, dans ce cas, un produit d’intégrales de Fresnel que l’on peut aisément évaluer. En fait, nous avons
(3.18) | |||||
Substituant cette forme dans l’expression (3.17), nous obtenons
(3.19) |
la constante “absorbe” toutes les constantes. Si nous utilisons maintenant l’identité,
(3.20) |
nous obtenons après passage à la limite
(3.21) |
Nous pouvons calculer la constante simplement par noter que lorsque , l’oscillateur harmonique se réduit à une particule libre. En fait, identifiant l’équation (2.22) et l’équation (3.21) pour , nous obtenons
(3.22) |
La forme complète de l’amplitude de transition peut finalement s’écrire sous la forme
(3.23) |
Quant à l’action classique de l’oscillateur harmonique, elle peut être directement déduite du Lagrangien :
(3.24) |
Chapitre 4 Méthode de l’intégrale de chemin pour la théorie quantique des champs
4.1 Introduction
Nous allons voir dans ce chapitre l’application la plus intéressante des intégrales de chemin. Comme nous l’avons mentionné dans l’introduction, cette méthode est surtout bien adaptée à l’étude de systèmes à très grand nombre de degrés de liberté, voire une infinité comme pour la théorie des champs.
Notre objectif est de présenter une explication élémentaire des mathématiques derrière les intégrales de chemin de Feynman appliquées à la théorie quantique des champs (TQC). Notre prototype est une TQC connue sous le nom de théorie des champs scalaires avec terme d’interaction en . Quoique l’exemple est élémentaire, il fournit suffisamment d’informations pour comprendre l’application des intégrales de chemin aux systèmes de plusieurs particules en interaction.
Le passage de la mécanique quantique à la TQC est direct, mais le concept sous-jacent est un peu compliquée à saisir. Fondamentalement, trois questions se posent à ce niveau : (1). En TQC, on exige que la dynamique de la théorie soit relativiste ; (2). Les variables de l’espace et du temps doivent être traitées aux mêmes pieds d’égalité, ce qui est précisément une autre exigence de la théorie de la relativité. En mécanique quantique, le temps est juste un paramètre alors que la position est un opérateur (le symbole est dénué de sens); (3). La mécanique quantique est avant tout une théorie à une particule, alors que dans la TQC plusieurs particules se mettent en jeu. L’intégrale de chemin répond admirablement à toutes ces exigences.
Maintenant, voici le grand saut en un mot : la TQC remplace la coordonnée de position par un champ , où la quantité est actuellement un raccourci pour les coordonnées . Ce processus de réaffectation des coordonnées est connu sous le nom de seconde quantification.
En TQC, nous supposons l’existence d’un champ quantique qui pourra décrire des spécificités comme le spin des particules, moment angulaire, etc. Dans ce qu’on appelle TQC canonique, le champ lui même est un opérateur (heureusement, les intégrales de chemin ignorent cette complication). A partir de ce que nous avons vu dans le chapitre précédent, il est tout à fait compréhensible que l’intégrale de chemin dans la TQC soit de la forme :
(4.1) |
où tous les coefficients libres sont actuellement “absorbés” dans la mesure qui prend une forme comme . Le fait d’appeler cette intégrale est une pure convention. D’une façon imagée, on pourrait voir cette intégrale comme l’amplitude de transition pour un champ qui se propage du “vide” à au “vide” à . Un champ peut généralement décrire n’importe quelle dynamique, mais nous pouvons le voir dans notre situation comme une quantité décrivant une population de particules s’interagissant en chaque point de l’espace-temps. Il faut noter qu’appeler une intégrale de chemin n’est pas approprié puisqu’elle ne s’étend pas sur les chemins de l’espace-temps. On l’appelle l’intégrale fonctionnelle ou la fonctionnelle génératrice (generating functional).
Parce que l’intégrale fonctionnelle avec termes d’interaction ne peut pas être évaluée directement, on a recours en général à une approche perturbative.
La forme du Lagrangien pour un champ dépend de la nature des particules et des forces qui interviennent dans l’interaction. Par conséquent, il y a des Lagrangiens pour des particules scalaires (spin zéro) ou bosons, pour les spineurs (spin 1/2) ou fermions et pour des particules vectorielles (spin 1). Il y a même un pour les gravitons (spin 2). Le plus simple est le Lagrangien scalaire ou bosonique. Le présent chapitre s’illustrera sur une TQC scalaire relativiste ayant pour Lagrangien :
(4.2) |
Le terme d’interaction le plus simple que l’on peut considérer est où est une constante appelée la constante de couplage. C’est ce qu’on appelle une TQC à self-interaction (self-interacting field theory), autrement dit, le champ interagit avec lui-même et avec toute particule créée le long de l’interaction. Comme nous l’avons indiqué, l’intégrale n’a pas une forme explicite et de ce fait un traitement perturbatif s’impose. Ceci conduit à une interprétation fort intéressante du processus de création et de propagation des particules.
Le problème est donc de résoudre l’intégrale
(4.3) |
cette intégrale ne peut pas être attaquée dans cette forme. Le problème principal est que le nombre de variables d’intégration est infini. Nous aurons besoin de faire quelques changements avant de proposer une solution perturbative.
4.2 Modification de la fonctionnelle génératrice
Considérons la forme libre () de avec une “source” :
(4.4) |
tendra vers 0 par la suite. Notons que nous nous plaçons dans un système d’unité où et que remplace pour alléger les écritures. Une intégration par partie du terme donne
Maintenant, supposons que le champ peut être mis sous la forme
où est ce qu’on appelle la solution “classique” de l’équation hétérogène
(4.5) |
c’est l’équation de Klein-Gordon avec source. La solution classique est unique (elle correspond au “chemin” classique). Elle peut être obtenue par la méthode usuelle des fonctions de Green :
(4.6) |
où est la fonction de Green (à 4 dimensions) associée à l’opérateur . Donc
est la solution désirée. Pour résoudre (4.6) par rapport à , nous supposons que la fonction de Green peut être exprimée comme une transformée de Fourier d’une certaine fonction :
(4.7) |
où est le quadrivecteur énergie-impulsion . En faisant agir l’opérateur sur l’expression de , et tenant compte du fait que la transformée de l’unité est tout simplement la distribution de Dirac :
nous aboutissons à la solution
(4.8) |
et par suite,
(4.9) | |||||
(4.10) |
Dans la TQC scalaire, la fonction de Green (4.9) est appelée le propagateur de Feynman et notée . Le propagateur exprimé dans l’espace des impulsions nous sera utile plus tard quand nous définirons les règles dites de Feynman pour un processus de diffusion 111Pour éviter la divergence de l’intégrale (4.9), le dénominateur de l’intégrand est généralement remplacé par .. Pour récapituler, nous avons les formules:
où
Un calcul direct mais long permet d’écrire (4.4) sous la forme
Faisant sortir tout ce qui ne dépend pas de , on a
où
peut être vue comme une constante de normalisation, mais nous allons poser parce que nous utiliserons des amplitudes normalisées plus tard. On a donc finalement
(4.11) |
Nous avons donc transformé une intégrale à nombre infini de variables à une autre sur les quatre variables spatio-temporelles. Nous sommes maintenant en mesure de développer la fonctionnelle génératrice pour un traitement perturbatif.
4.3 Développement en série de puissances - les fonctions de Green
La fonctionnelle peut se développer en série de Taylor comme suit (conformément à la formule (1.16))
(4.12) |
où
(4.13) |
La fonction est une sorte de fonction de Green. Dans la TQC elle est appelée fonction à -points (-point function). Nous allons voir que la fonction à -points n’est non-nulle que pour des valeurs paires de . Les physiciens ont compris que ces fonctions ne sont autres que les amplitudes de transition. Par exemple, dérivant (4.11), nous pouvons calculer la fonction à 2 points
Schématiquement, peut se représenter par un graphe connexe à 2 points.
Un calcul similaire donne pour la fonction à 4 points
ce qui peut se représenter par les trois graphes à 4 points
Pour la fonction à 6 points, on trouve 15 termes correspondant à 15 graphes différents. En général, pour la fonction à points, le nombre de graphes est le nombre de façons de grouper les points en paires distinctes. Une analyse combinatoire inductive montre que ce nombre est égale à
(4.14) |
Ce résultat peut se démontrer par récurrence.
La fonctionnelle est un exponentiel. Le calcul peut donc être fait pour n’importe quel ordre. On verra qu’en général, le calcul est souvent laborieux. Heureusement, on verra aussi qu’il y a une formule simple pour ce genre de calcul perturbatif.
On interprète les fonctions comme des quantités associées à des particules crées à un certain point de l’espace-temp , se propage le long d’une ligne (représentée par la quantité ), et annihilée ensuite en un point final . Le propagateur de Feynman est le pivot des fonctions à -points et de ce qu’on appelle les diagrammes de Feynman.
Feynman a compris que les multiples differentiations (4.13) produit des termes que l’on peut décrire par des graphes simples. Chaque terme a un coefficient qui lui est associé relatif à la topologie du diagramme correspondant. L’ordre de multiplicité de chaque terme dépend du nombre de façons avec lesquelles on peut tracer le diagramme. Ces amplitudes et multiplicités peuvent être évalués par l’analyse combinatoire.
4.4 L’intégrale fonctionnelle avec le terme d’interaction
Nous allons maintenant introduire dans le Lagrangien le terme d’interaction du potentiel . Par une convention qui sera claire par la suite, nous poserons . La nouvelle fonctionnelle devient alors
Cette intégrale se présente vaguement sous la forme
Il est facile de montrer que l’on peut écrire cette intégrale sous la forme différentielle suivante :
Nous rappelons que pour un opérateur , . Nous allons user de cette approche pour introduire le terme exponentiel contenant dans la fonctionnelle . Nous écrivons comme
(4.16) |
Remplaçant par son expression (4.11), nous obtenons
(4.17) |
L’exponentiel de l’opérateur différentiel se développe comme suit
(4.18) |
Étudions en détail les dérivées fonctionnelles de par rapport à . On a
(4.19) |
Donc
Nous avons de même
Il est commode d’adopter la notation concise suivante :
En éliminant l’intégrale, nous pouvons écrire
Seuls les termes qui sont proportionnels à survivent dans la limite . Il est aussi important de souligner que tous les termes avec nombres de différenciations impair s’annulent dans cette limite (comme ).
Pour évaluer la fonction à points , nous devons évaluer des dérivations de aux points . Par exemple, la fonction à 4 points au premier ordre par rapport à dans le développement (4.18) sera
où est le point d’interaction. La fonction à 4 points à l’ordre 2 est donnée par . Là, nous avons deux points d’interaction et , etc.
4.5 Formules de différentiations et facteurs de symétrie
Rappelons que la fonction à points se calcule par dérivation fonctionnelle de fois, évaluées pour . Pour la fonction à points, nous avons déjà vu qu’elle se présente sous la forme générale
(4.20) |
où le nombre est donné par (4.14). Comme nous l’avons expliqué, chaque terme peut être représenté par un graphe connexe. Ainsi, tout terme avec un nombre impair de dérivées fonctionnelles doit s’annuler vu que toute ligne dans le graphe doit joindre seulement deux points. La situation devient plus intéressante lorsque l’on doit considérer des propagateurs de la forme , où les points initial et final sont les mêmes. Par exemple, calculons correspondant à lorsque . Dans ce cas, nous avons
(4.21) |
Ryder [3] exprime graphiquement par un cercle pour désigner qu’une particule se crée au point , se propage pendant un moment et ensuite se détruit au même point , ce qui peut se présenter par une boucle; l’analogie est très suggestive. Le terme (4.21) se schématise par -3 . Le facteur de pondération -3 est appelé le facteur de symétrie pour . Sa valeur absolue représente le nombre de façons avec lesquelles un graphe peut être écrit. En général, quand le nombre de dérivations est assez grand, le calcul devient excessivement laborieux. Y-a-t-il un moyen d’écrire directement toutes ces quantités? La réponse est oui et c’est en plus relativement simple.
De l’équation (4.20), nous voyons qu’en même point , nous avons
Le facteur de symétrie dans ce cas est donné par . Mais qu’en-est-il lorsqu’on dérive en plus par rapport à des variables qui ne sont pas nécessairement égales, par exemple
(où , etc). En général, dans la quantité
(4.22) |
il y a, entre autres, des termes qui contiennent des facteurs pour ; les facteurs de symétrie correspondant à ces termes sont donnés par
(4.23) |
En fait, l’entier est égale au nombre de boucles dans le graphe correspondant. Pour illustrer, un calcul de , qui, rappelons le, donne la fonction à 4 points évaluée à l’ordre 1 par rapport à , donne
(4.24) |
Nous remarquons que les termes proportionnels à , et sont bien pondérés par (4.23) pour et 0 respectivement, et de surcroît apparaissent avec des multiplicités respectivement égales à 3, 6 et 1. Ces multiplicités s’expliquent par le fait que les points peuvent être permutés pour produire des graphes équivalents. Les trois termes de la quantité (4.24) se schématisent par les diagrammes suivants
Une analyse combinatoire inductive montre que la multiplicité pour tout terme dans (4.22) correspondant à un nombre de boucles , s’écrit
(4.25) |
où
(4.26) |
Il ne faut pas oublier que c’est une formule valable uniquement à l’ordre .
L’ordre par rapport à fait, en général, intervenir dérivées quadruples par rapport à . Ainsi, à l’ordre 2, on a à calculer . Un exemple de graphes à 2 points, à l’ordre 2 est
La formule donnant le facteur de symétrie et la multiplicité pour un ordre quelconque ( vertexes internes) et points externes, s’écrit
(4.27) |
désigne le nombre de lignes internes joignant les vertexes et . Par exemple, pour le diagramme précèdent, on a , , , , et . Donc
4.6 Règles de Feynman
Pour calculer l’amplitude de transition pour un processus réel, Feynman a élaboré un ensemble de règles qui portent maintenant son nom. Rappelons (4.8), qui est le propagateur de Feynman dans l’espace des moments . C’est effectivement beaucoup plus pratique que d’utiliser la forme spatiale , et nous pouvons utiliser (4.8) pour associer à chaque ligne dans un diagramme de Feynman avec un quadri-vecteur impulsion . Les règles de Feynman pour la TQC sont
-
1.
Dessiner tous les diagrammes possibles correspondant au nombre désiré d’interactions (, , …) et de points de l’espace-temps (, , …), utilisant le temps comme l’axe vertical et l’espace comme l’axe horizontal. Pour chaque graphique, étiqueter chaque ligne interne et externe avec une impulsion et l’orienter par une flèche (le sens de la flèche peut être complètement arbitraire). Pour chaque ligne interne, écrire l’ intégrale propagateur
-
2.
Pour chaque vertex d’interaction, écrire un facteur .
-
3.
Pour chaque vertex d’interaction, écrire une fonction delta de Dirac qui exprime la conservation d’impulsion sur ce sommet : la somme des 4-impulsions entrantes est égale à la somme des 4-impulsions sortantes :
où est positif si la ligne entre le vertex et négative si elle sort du sommet.
-
4.
Pour chaque graphique, il y aura une fonction delta résiduelle de la forme qui exprime la conservation globale de la 4-impulsion dans le diagramme. Éliminer ce terme.
-
5.
Dans l’évaluation des intégrales qui restent les fonctions delta introduites dans l’étape 3 simplifient énormément les calculs, et on n’a souvent même pas à les faire.
-
6.
Calculer le facteur de symétrie pour chaque graphique utilisant (4.5) et le multiplier par le résultat obtenu à l’étape 5.
Notons que pour tout processus physique, il peut y avoir un très grand nombre de schémas possibles en fonction du nombre d’interaction envisagés. Quand l’ordre de l’interaction augmente, le nombre et la complexité des schémas possibles augmente rapidement. Toutefois, la constante d’interaction est généralement une quantité très faible (dans l’électrodynamique quantique, il est numériquement égale à environ 1/137), la petitesse de ce terme pour grand réduit efficacement la probabilité qu’un processus compliqué se produise effectivement. Cela justifie l’utilisation de l’approche perturbatif.
Exemples.
Pour voir comment ces règles fonctionnent, nous allons voir deux exemples. Pour le diagramme
Ici et, par conséquent, et , l’amplitude est donc simplement .
Maintenant, calculons l’amplitude pour le diagramme à l’ordre 2 suivant
Nous avons deux points d’interaction qui contribuent avec le facteur . Nous avons deux lignes internes, donc nous avons
simplifiant, on trouve
Il y une fonction de Dirac résiduelle qui traduit la conservation de la 4-impulsion total. On peut s’en débarrasser. Pour ce diagramme, , . Utilisant (4.5), on a
L’amplitude est donc
Mais, est-ce que cette intégrale converge ? NON!!!, car pour , l’intégrand se comporte comme . C’est le célèbre problème de la divergence ultraviolette. La solution repose sur une acrobatie qui est vivement critiqué pour son manque de “rigueur mathématique” selon les mots de Paul Dirac. Cette technique marche pourtant bien et donne des résultats satisfaisant; elle est connue sous le nom de renormalisation. Malheureusement le temps réservé à ce cours ne permet pas de s’étaler sur ce point.
Références
- [1] A. Das, Field theory : A Path Integral Approach, Second Edition, World Scientific Lecture Notes in Physics –Vol. 75.
- [2] R. MacKenzie, Path Integral Methods and Applications, arXiv:quant-ph/0004090
- [3] L. Ryder, Quantum Field Theory. Cambridge University Press, 2nd ed., Cambridge, 1996.
- [4] W.O. Straub, Feynman’s path integral approach to quantum field theory. Notes available at www.weylmann.com/pathintegral.pdf.