Topologies de Grothendieck, descente, quotients
Résumé
Ces notes sont celles d’un cours donné à Luminy en 2011, dans le cadre d’une école d’été organisée à l’occasion de la réédition de SGA 3. L’objectif est de présenter quelques théorèmes d’existence du quotient d’un schéma par une action de groupe, ou plus généralement par une relation d’équivalence. Nous donnons dans un premier temps les bagages nécessaires de théorie des faisceaux et de théorie de la descente.
Introduction
Si est une relation d’équivalence sur un espace topologique , on peut munir l’ensemble quotient d’une topologie naturelle, la « topologie quotient ». L’espace topologique quotient ainsi obtenu satisfait à la propriété universelle que l’on attend de lui, et l’on peut dire que la construction de quotients dans la catégorie des espaces topologiques est une trivialité. En géométrie algébrique, c’est une question beaucoup plus délicate. Un point de vue naïf consiste à construire d’abord un espace topologique quotient, puis à essayer d’en faire une variété algébrique. Mais ceci ne marche pas souvent. Les géomètres ont compris depuis longtemps qu’ils ne pouvaient pas séparer les orbites à leur guise, faute de disposer de suffisament de fonctions algébriques.
On peut bien sûr adopter a priori une définition catégorique. Si par exemple un schéma en groupes agit sur un schéma , on appelle quotient catégorique de par tout schéma muni d’un morphisme -invariant qui soit initial parmi les morphismes de schémas ayant cette propriété. Cette définition, si elle garantit l’unicité du quotient, ne résout pas la question de son existence. On peut voir la catégorie des schémas de deux manières différentes, et chacune d’entre elles nous fournit un candidat pour jouer le rôle du schéma quotient. D’un côté, c’est une sous-catégorie de la catégorie des espaces annelés. De l’autre côté, on peut la voir comme sous-catégorie pleine de la catégorie des faisceaux d’ensembles.
Dans chacune de ces deux sur-catégories, toutes les relations d’équivalence admettent des quotients. Nous disposons donc déjà d’un espace annelé quotient, disons , et d’un faisceau quotient, disons . Si l’un de ces objets est un schéma, c’est alors automatiquement un quotient dans la catégorie des schémas. Dans les bons cas, les deux objets sont des schémas (nécessairement isomorphes), ce qui revient alors à dire qu’il existe un quotient catégorique, et que ce quotient a deux bonnes propriétés : il représente le faisceau quotient, et son espace annelé sous-jacent coïncide avec l’espace annelé quotient. Mais il peut arriver que ni ni ne soient des schémas. On se retrouve alors avec deux objets quotients, auxquels peut éventuellement s’ajouter un quotient catégorique. Lequel privilégier ? En fait, lorsque n’est pas un schéma, il n’est pas d’une grande utilité en géométrie algébrique. Le quotient catégorique, quant à lui, peut être très éloigné de l’idée intuitive du quotient que l’on aurait envie de trouver. Par ailleurs, même si est un schéma, on ne sait en général pas décrire son foncteur des points, et nous aurons tendance à préférer malgré tout111c’est du moins le parti pris dans ces notes le faisceau quotient qui, à défaut d’être un schéma, garde de bonnes chances d’être un espace algébrique, ce qui rend presque les mêmes services en pratique. Dans ce cours, la question principale sera donc : le faisceau quotient est-il représentable par un schéma222ou par un espace algébrique ? Subsidiairement, le schéma quotient et le morphisme de passage au quotient ont-ils de bonnes propriétés ?333Nous n’aborderons pas ici la théorie géométrique des invariants de Mumford, qui s’attelle justement à la construction de « bons » quotients, satisfaisant à quelques exigences supplémentaires de nature géométrique. C’est bien sûr regrettable, mais cela aurait nécessité un cours à part entière. Le sujet était d’ailleurs abordé dans d’autres cours lors de l’école d’été.
Les faisceaux dont nous parlerons ici ne sont pas des faisceaux pour la topologie de Zariski, mais plutôt des faisceaux pour une « topologie de Grothendieck », en général fppf ou étale. Comme c’est un des points-clés de la construction de quotients que nous allons présenter dans ces notes, nous commencerons par là. Le premier chapitre est donc consacré à quelques rudiments de théorie des faisceaux dans le cadre des topologies de Grothendieck. De même, la théorie de la descente sera fort utile, et nous lui consacrons le deuxième chapitre. Si les textes d’initiation aux topologies de Grothendieck et à la descente ont pu faire défaut par le passé, ce n’est plus le cas aujourd’hui : citons par exemple l’exposé de Vistoli dans [9] et le livre en préparation [5]. Nous avons donc essayé de ne pas nous étendre trop longuement sur ces sujets.
Parmi les partis pris de ce cours, outre bien sûr le choix un peu arbitraire des thèmes abordés (notamment à la fin du chapitre 3), signalons le choix de se limiter, sauf en 3.10, à des actions libres. Il se trouve que lorsqu’un groupe agit avec inertie sur un schéma, le faisceau quotient n’est en général pas représentable. Les énoncés traitant ce genre de situation foisonnent pourtant dans [1] SGA 3, V. Ils assurent généralement, sous diverses hypothèses, que l’espace annelé quotient est un schéma, donnent un certain nombre de propriétés du schéma quotient ainsi obtenu, et montrent enfin que ce dernier représente le faisceau quotient lorsque l’action est libre. Nous avons consenti à la perte de généralité occasionnée par l’option retenue ici pour les deux raisons suivantes :
-
—
se limiter aux actions libres simplifie un peu les énoncés et les preuves des théorèmes ;
-
—
pour une action non libre, on considère aujourd’hui que « le bon » objet quotient est plutôt un champ algébrique (le champ quotient), et éventuellement son espace de modules grossier lorsqu’il veut bien exister.
Les sujets présentés dans ce cours sont tout à fait classiques en géométrie algébrique et l’auteur de ces lignes ne prétend à aucune originalité, sauf peut-être dans la présentation. Quelques ouvrages ont particulièrement influencé l’écriture de ce texte : bien entendu, le séminaire SGA 3 [1] de Grothendieck, mais aussi [6] et [9]. Ces notes sont celles d’un cours donné à Luminy en septembre 2011 dans le cadre d’une école d’été organisée à l’occasion de la réédition de SGA 3. Je remercie vivement les organisateurs P. Gille et P. Polo de m’avoir invité à donné ce cours. Je remercie aussi chaleureusement M. Raynaud pour son aide précieuse durant sa préparation. Merci enfin à B. Conrad pour la preuve de 3.8.2, à T.-Y. Lee pour la preuve détaillée dans l’exercice 3.9.3, et à J. Oesterlé pour des commentaires éclairants.
Organisation du document.
Comme indiqué plus haut, les deux premiers chapitres sont consacrés aux topologies de Grothendieck et à la théorie de la descente. Nous n’abordons les quotients que dans le troisième. Les sections 3.1 à 3.4 définissent les objets élémentaires dont il sera question et étudient leurs premières propriétés. Nous donnons en 3.5 les principaux résultats de représentabilité du faisceau quotient que l’on peut trouver dans l’exposé V de SGA 3 [1], avec des preuves presque complètes. C’est là le cœur technique de ce cours. La section 3.6 présente l’important théorème d’Artin de représentabilité par un espace algébrique, sans preuve. Nous nous spécialisons ensuite en 3.7 au cas du quotient d’un groupe par un sous-groupe, lorsque la base est le spectre d’un corps. Des arguments de translation permettent alors d’obtenir un théorème d’existence du quotient (comme schéma) sous des hypothèses de finitude minimalistes. Après ces généralités sur les quotients, les sections 3.8 et 3.9 donnent deux exemples de situations spécifiques dans lesquelles on peut dire plus de choses. Nous effleurons enfin dans la dernière section 3.10 le cas des actions non libres, en donnant d’une part un théorème d’algébricité du champ quotient, et d’autre part le théorème de Keel et Mori assurant l’existence d’un espace de modules grossier (ici aussi, sans preuves).
1 Topologies de Grothendieck
1.1 Rappels sur les morphismes lisses, nets ou étales
Cette section rassemble quelques résultats sur les morphismes lisses, nets ou étales, sans aucune démonstration. Nous renvoyons pour celles-ci à EGA [10] ou « Néron Models » [6], ou encore au livre [17] de Milne.
Définition 1.1.1
Soit un morphisme de schémas.
-
(i)
On dit que est formellement lisse (resp. formellement étale, resp. formellement net) si pour tout -schéma affine et tout sous-schéma fermé de défini par un idéal de carré nul, l’application
est surjective (resp. bijective, resp. injective).
-
(ii)
On dit que est lisse (resp. étale, resp. net) s’il est formellement lisse (resp. formellement étale, resp. formellement net) et localement de présentation finie.
Exercice 1.1.2
1) Montrer que est lisse sur .
2) Montrer que n’est pas formellement lisse sur ( un corps).
3) Montrer qu’une extension de corps est finie séparable si et seulement si le morphisme correspondant est étale.
Nous listons ci-dessous quelques propriétés de ces morphismes.
Proposition 1.1.3 ([10] EGA IV 17.1 et 17.3)
-
(i)
Une immersion ouverte est étale. Un monomorphisme est formellement net.
-
(ii)
La classe des morphismes lisses (resp. nets, resp. étales) est stable par composition, par changement de base et par produit.
-
(iii)
Être lisse (resp. net, resp. étale) est une propriété locale au but comme à la source pour la topologie de Zariski. Autrement dit, si est un morphisme de schémas, un recouvrement ouvert de et un recouvrement ouvert de , alors a cette propriété si et seulement si pour tous le morphisme induit l’a.
-
(iv)
Soit un morphisme net (resp. net, resp. localement de présentation finie). Pour qu’un morphisme soit lisse (resp. étale, resp. net) il suffit que le composé le soit.
Proposition 1.1.4 ([10] EGA IV 17.4.2)
Soit un morphisme localement de présentation finie de schémas. Les propriétés suivantes sont équivalentes :
-
(i)
est net ;
-
(ii)
les fibres de sont nettes ;
-
(iii)
le faisceau des différentielles relatives est nul ;
-
(iv)
l’immersion diagonale est ouverte ;
-
(v)
toute section de est une immersion ouverte, et ceci reste vrai après tout changement de base .
En particulier, pour savoir si un morphisme est net, il suffit de regarder ses fibres. On est donc ramené à étudier la situation sur un corps. La proposition suivante caractérise les schémas nets sur un corps.
Proposition 1.1.5
Soit un schéma sur un corps . Les propriétés suivantes sont équivalentes :
-
(i)
est étale sur ;
-
(ii)
est net sur ;
-
(iii)
est une somme disjointe de spectres d’extensions finies séparables de .
Maintenant que nous comprenons mieux les morphismes nets, passons aux morphismes lisses. On dit qu’un morphisme est lisse en si admet un voisinage ouvert qui est lisse sur (idem pour étale ou net).
Proposition 1.1.6 (critère jacobien, [6] § 2.2, prop. 7)
Soient un anneau et une -algèbre de la forme . On note et . Soit un point de . Les conditions suivantes sont équivalentes.
-
(i)
est lisse sur en , de dimension relative .
-
(ii)
Évaluée en , la matrice jacobienne est de rang .
En particulier, lorsque , le morphisme est étale si et seulement si le déterminant jacobien est inversible dans .
Exercice 1.1.7
1) Soient un schéma affine non vide, un entier, un élément de et . Montrer que est lisse sur (resp. étale sur ) si et seulement si est inversible dans . En particulier on voit que le groupe est étale sur (ou, ce qui revient au même, lisse) si et seulement si est inversible dans .
2) Soit un -schéma affine d’anneau . On pose pour un . Montrer que est étale sur .
Proposition 1.1.8 ([6] §2.2, Proposition 11)
Soit un morphisme lisse. Alors tout point admet un voisinage ouvert tel que se factorise en :
où est étale et est la projection canonique.
Proposition 1.1.9 ([10] EGA IV 17.5.1)
Soit un morphisme de schémas. Pour que soit lisse, il faut et il suffit qu’il soit localement de présentation finie, plat et à fibres lisses.
En particulier, on voit qu’un morphisme est étale si et seulement s’il est net et plat. (Il est évident sur la définition que « étale » équivaut à net et lisse.)
La propriété suivante dit que, en un point où l’extension résiduelle ne l’interdit pas, un morphisme lisse admet, localement au but pour la topologie étale, toujours une section. Comme il y a beaucoup de points comme ça (il y en a un ensemble dense dans toutes les fibres non vides par 1.1.11) on voit qu’un morphisme lisse admet des sections passant à peu près partout (après changement de base étale).
Proposition 1.1.10 ([6] §2.2, Proposition 14)
Soit un morphisme lisse de schémas, un point de , et un point au-dessus de tel que soit une extension finie séparable de . Alors il existe un morphisme étale , un point de au-dessus de de corps résiduel et un -morphisme qui envoie sur . (Autrement dit, après le changement de base étale , le morphisme admet une section passant par .)
Proposition 1.1.11 ([6] §2.2, Corollaire 13)
Si est un schéma lisse sur un corps , l’ensemble des points fermés de tels que soit une extension (finie) séparable de est dense dans .
Corollaire 1.1.12 ([10] EGA IV 17.16.3)
Soit un morphisme lisse et surjectif de schémas. Alors il existe un morphisme étale et surjectif, et un -morphisme . Autrement dit, localement pour la topologie étale, un morphisme lisse et surjectif admet des sections.
1.2 Topologies de Grothendieck
Avant de définir de façon formelle les topologies de Grothendieck, rappelons ce qu’est un faisceau sur un espace topologique. Si est un espace topologique, il est possible de définir la notion de faisceau sur en oubliant complètement l’ensemble sous-jacent à pour ne retenir que les ouverts de et les relations entre eux. On procède de la manière suivante. On note la catégorie dont les objets sont les ouverts de et dont les flèches sont les inclusions entre ouverts. Un préfaisceau sur est alors un foncteur contravariant
C’est un faisceau si, de plus, pour tout recouvrement ouvert , le diagramme
est exact, i.e. la première flèche est injective, et son image est l’ensemble des familles telles que . Si l’on souhaite réellement oublier l’ensemble sous-jacent à et ne retenir que les relations entre les ouverts, on préfèrera éviter le recours à l’intersection ensembliste . Il suffit pour cela de remarquer que dans la catégorie , l’intersection n’est autre que le produit fibré de et au-dessus de . Cet exemple va nous servir de guide pour les définitions qui suivent.
Définition 1.2.1
Soit une catégorie. Une (pré)topologie sur est la donnée, pour tout objet de , d’une collection d’ensembles de flèches ayant toutes le même but (un tel ensemble de flèches sera appelé un « recouvrement » de ou encore une « famille couvrante »), ces données vérifiant les conditions suivantes :
-
(i)
si est un isomorphisme, alors est un recouvrement ;
-
(ii)
si est un recouvrement et une flèche, alors les produits fibrés existent dans , et la collection est un recouvrement de ;
-
(iii)
si est un recouvrement et si pour tout , on se donne un recouvrement de , alors la collection formée des composés est un recouvrement.
Remarque 1.2.2
Nous n’avons pas cru bon de préciser les questions relatives aux choix d’univers. Nous renvoyons pour ceci le lecteur à SGA 4 [2]. Par ailleurs, l’objet défini ci-dessus est habituellement appelé « prétopologie » (par exemple dans SGA 4), et il y a une notion de topologie induite par une prétopologie. Nous n’utiliserons pas la notion de topologie au sens de SGA 4 : en effet lorsqu’une topologie est induite par une prétopologie, ce qui sera toujours le cas pour nous, les faisceaux peuvent être définis en termes de la prétopologie uniquement. Nous utiliserons dorénavant le terme « topologie » pour désigner les « prétopologies » de SGA 4.
Définition 1.2.3
Un site est une catégorie munie d’une topologie.
Exemple 1.2.4
Si est un espace topologique, alors est un site (en prenant les recouvrements ouverts comme familles couvrantes).
Exemple 1.2.5
Soit un schéma et soient une sous-catégorie pleine de et une classe de morphismes de schémas vérifiant les conditions suivantes :
-
(i)
est stable par changement de base, par composition et contient les isomorphismes ;
-
(ii)
si est dans et si est dans , alors est dans .
On note le site dont la catégorie sous-jacente est , et les recouvrements sont les familles de flèches de telles que . Par la suite nous serons amené à considérer les cas suivants.
= | (Zar) | immersions ouvertes | |
---|---|---|---|
= | (ét) | morphismes étales | |
= | (fppf) | morphismes plats et localement de présentation finie. |
En général on parle de « petit site » lorsque l’on considère et de « grand site » lorsque l’on considère (ou encore si besoin, où désigne la catégorie des schémas localement de type fini sur ). On notera , les petits sites , et le grand site .
Exemple 1.2.6 (topologie fpqc)
On dit qu’un morphisme de schémas est fpqc s’il est fidèlement plat et si tout ouvert quasi-compact de est l’image d’un ouvert quasi-compact de . En particulier tout morphisme fidèlement plat et quasi-compact est fpqc. De même tout morphisme fidèlement plat et universellement ouvert (donc tout morphisme fidèlement plat et localement de présentation finie) est fpqc. La « topologie fpqc » sur est alors celle pour laquelle les recouvrements sont les familles telles que le morphisme induit soit fpqc. Nous renvoyons à [9, 2.3.2] pour les sorites sur les morphismes fpqc et pour la preuve du fait que la topologie fpqc que nous venons de définir est bien une topologie.
Définition 1.2.7
Soit un site. Un préfaisceau sur est un foncteur contravariant
On dit que est un faisceau si pour toute famille couvrante le diagramme
est exact. Nous noterons la catégorie des préfaisceaux sur et la catégorie des faisceaux sur .
Remarque 1.2.8
On peut se donner des structures supplémentaires sur . Par exemple un « faisceau de groupes » (resp. de groupes abéliens, d’anneaux) est un foncteur contravariant de dans la catégorie (Gr) des groupes (resp. dans celle (Ab) des groupes abéliens, dans celle (Ann) des anneaux commutatifs et unitaires) dont la composition avec le foncteur d’oubli de (Gr) (resp. de (Ab), (Ann)) vers (Ens) est un faisceau d’ensembles. De même si est un faisceau d’anneaux sur , on dispose d’une notion naturelle de -module. Nous noterons la catégorie des faisceaux de groupes abéliens sur .
Exemple 1.2.9 (préfaisceaux constants)
Soient un ensemble et un schéma. On note le foncteur de vers (Ens) défini par pour non vide et sinon (avec les flèches de transition évidentes). Ceci définit un préfaisceau, mais n’est en général pas un faisceau. Si est un groupe (ou un anneau, etc.) alors est clairement un préfaisceau de groupes (ou d’anneaux, etc.).
Exercice 1.2.10
On suppose et non vide. Montrer que la restriction de au petit site Zariski est un faisceau si et seulement si est irréductible.
Exercice 1.2.11
Soit un morphisme de schémas. Montrer que le foncteur en groupes sur qui à associe n’est jamais un faisceau pour la topologie de Zariski, sauf si est vide. [Prendre un -schéma muni d’un faisceau inversible tel que soit non trivial. Conclure en remarquant que, localement pour la topologie de Zariski sur , le fibré est trivial, donc aussi. Par exemple on pourra prendre et . Alors le morphisme diagonal induit une section de , ce qui prouve que est non trivial.]
Le théorème suivant est un résultat de descente. Nous verrons plus précisément que c’est une conséquence immédiate du théorème 2.2.5. Il permet de produire de nombreux exemples de faisceaux. Il dit que, vu comme foncteur contravariant (donc comme préfaisceau) sur la catégorie , tout -schéma est un faisceau fpqc. En particulier tout -schéma en groupes est un faisceau de groupes.
Théorème 1.2.12
Soit un morphisme de schémas. Alors le foncteur
est un faisceau pour la topologie fpqc (donc aussi fppf, étale et Zariski).
On dit qu’un préfaisceau sur est représentable s’il existe un -schéma tel que soit isomorphe à .
Exemple 1.2.13
-
Le préfaisceau défini par est un faisceau de groupes abéliens sur . En effet il est représentable par .
-
Le préfaisceau défini par est un faisceau de groupes abéliens sur . En effet il est représentable par .
-
Le préfaisceau défini par est un faisceau de groupes abéliens sur . En effet il est représentable par .
Pour un schéma quelconque , on notera (resp. , ) le -schéma en groupes (resp. , ).
1.3 Comparaison entre les topologies fpqc, fppf, étale et Zariski
Ce paragraphe est une digression sur les topologies introduites plus haut sur la catégorie des schémas et peut être omis en première lecture. Une famille couvrante au sens de Zariski (resp. étale, fppf) est toujours une famille couvrante au sens étale (resp. fppf, fpqc). En particulier on voit que les topologies Zariski, étale, fppf et fpqc sont « de plus en plus fines ». En fait chacune est strictement plus fine que la précédente. Ainsi, un revêtement fini étale est un recouvrement étale mais n’est en général pas un recouvrement Zariski (par exemple sur , ou bien le revêtement étale non trivial de degré 2 de la cubique nodale dessiné dans l’exercice III 10.6 de [12]). Nous précisons un peu ces questions de comparaison dans les exercices suivants.
Exercice 1.3.1 (comparaison des morphismes couvrants)
On dit qu’un morphisme est couvrant pour une topologie s’il existe des morphismes tels que les composés forment une famille couvrante (i.e. un recouvrement) de pour la topologie considérée. Il est évident que si est un recouvrement alors c’est un morphisme couvrant, mais la réciproque est fausse en général. Par exemple les morphismes lisses et surjectifs sont couvrants pour la topologie étale d’après 1.1.12 mais en général ils ne sont pas eux-mêmes étales. Le fait que les topologies lisse et étale aient les mêmes morphismes couvrants entraîne que les catégories de faisceaux coïncident (c’est d’ailleurs pour cette raison que l’on ne parle pas beaucoup de la topologie lisse). Pour montrer qu’une topologie est réellement plus fine qu’une autre, il faut montrer qu’elles n’ont pas les mêmes morphismes couvrants. (On voit ici l’un des avantages des « topologies » de SGA 4…)
a) Montrer que les recouvrements étales donnés en exemple à la fin du paragraphe précédent ne sont pas des morphismes couvrants pour la topologie de Zariski.
b) Soit un corps. Montrer que le morphisme donné par est une famille couvrante pour la topologie fppf mais n’est pas un morphisme couvrant pour la topologie étale. Même question pour une extension de corps finie et purement inséparable.
c) Une extension de corps est une famille couvrante pour la topologie fpqc mais n’est pas un morphisme couvrant pour la topologie fppf sauf si l’extension est finie. Voici un autre exemple intéressant de famille couvrante fpqc. Soit un schéma noethérien contenant au moins deux points et soit un point fermé de . On note le complémentaire de et le spectre de l’anneau local en . Alors le morphisme naturel est un recouvrement fpqc mais en général pas ce n’est pas un morphisme couvrant pour la topologie fppf (le démontrer).
Exercice 1.3.2 (comparaison des faisceaux)
Pour comparer les différentes topologies, on peut aussi comparer les catégories de faisceaux qu’elles définissent.
a) Montrer que tout faisceau fpqc est un faisceau fppf. De même, tout faisceau fppf est un faisceau étale et tout faisceau étale est un faisceau Zariski.
b) Soient et l’élévation à la puissance . Montrer que le faisceau image de au sens de Zariski n’est pas un faisceau étale. (Voir la remarque 1.6.2 pour la définition du faisceau image.)
c) Soient un nombre premier, et l’élévation à la puissance . Montrer que le faisceau image de au sens étale n’est pas un faisceau fppf.
d) Soit un corps. Montrer que le foncteur de Picard de la droite affine sur , défini en 1.4.5, est un faisceau fppf mais n’est pas un faisceau fpqc. (Ceci prouve en particulier qu’il n’est pas représentable.)
1.4 Faisceau associé à un préfaisceau
Théorème 1.4.1
Soient un univers, un -site et un préfaisceau. Il existe un faisceau et un morphisme de préfaisceaux avec la propriété universelle suivante : pour tout faisceau et tout morphisme de préfaisceaux de vers , il existe un unique morphisme tel que .
Démonstration. [2] SGA 4, II, théorème 3.4. Autrement dit, le foncteur d’oubli admet un adjoint à gauche . Le faisceau associé est caractérisé (à unique isomorphisme près) par les deux propriétés suivantes :
-
(i)
Deux sections de sont égales dans si et seulement si elles sont « localement égales » dans . Plus précisément : soient un objet de et . Alors, pour que l’égalité ait lieu dans , il faut et il suffit qu’il existe un recouvrement tel que pour tout on ait .
-
(ii)
Toute section de provient localement d’une section de . Plus précisément : soient un objet de et . Alors il existe un recouvrement et des tels que pour tout on ait .
Remarque 1.4.2
Le foncteur dépend de la topologie considérée sur . Si est déjà un faisceau, alors le morphisme est un isomorphisme.
Remarque 1.4.3 (questions d’univers)
Contrairement à ce qui était annoncé dans la remarque 1.2.2, nous avons cru bon ici de préciser que le site en question devait être un « -site », où est un univers fixé. (Nous renvoyons le lecteur désireux de connaître les définitions d’un -site ou d’un univers à SGA 4 [2].) En fait, la preuve du théorème repose sur l’existence de certaines limites inductives indexées par la collection des familles couvrantes d’un objet donné de . Ces limites inductives existent pourvu que cette collection de familles couvrantes ne soit pas trop grosse. C’est essentiellement ce que garantit l’hypothèse selon laquelle est un -site. Lorsque l’on travaille avec les topologies Zariski, étale ou fppf, on peut ignorer ces problèmes logiques : le faisceau associé existe et ne dépend pas du choix de l’univers. En revanche avec la topologie fpqc il faut prendre quelques précautions : le faisceau associé dépend a priori de l’univers fixé. En un sens, on peut dire qu’en général, le faisceau fpqc associé n’existe pas ! Waterhouse donne d’ailleurs dans l’article [26], théorème 5.5, un exemple explicite de préfaisceau qui n’admet pas de faisceautisé. C’est pourquoi on doit généralement se contenter de la topologie fppf dans les processus de faisceautisation. Toutefois, pour un préfaisceau donné et un morphisme vers un faisceau , on peut parfaitement donner un sens à la phrase « est le faisceau fpqc associé à ». Il suffit de demander à de satisfaire à la propriété universelle du théorème 1.4.1, ou ce qui revient au même, de vérifier les propriétés (i) et (ii) mentionnées ci-dessus. Un tel est évidemment unique à unique isomorphisme près. Signalons enfin que, si l’on souhaite réellement disposer, pour un préfaisceau donné, d’un faisceau fpqc associé, c’est parfois possible en pratique. En effet, Waterhouse définit dans [26] une classe de préfaisceaux, qu’il qualifie de « basically bounded », et montre que dans le cas de ces préfaisceaux, le faisceau associé existe bel et bien.
Exemple 1.4.4 (faisceau constant)
Sur (pour un schéma donné), on note le faisceau associé au préfaisceau de l’exemple 1.2.9. On montre facilement que s’identifie au faisceau qui à associe l’ensemble des fonctions continues de dans (où est muni de la topologie discrète). Si est localement connexe alors . Il est inutile de faisceautiser davantage. En effet, le faisceau ainsi construit est représentable, d’après 1.2.12 c’est donc un faisceau pour toutes les topologies raisonnables sur la catégorie des schémas (en particulier fpqc). Comme schéma, est tout simplement isomorphe à une union disjointe de copies de , indexée par les éléments de A. Maintenant si est un groupe alors est naturellement un schéma en groupes. Le morphisme structural peut être décrit de la manière suivante. On note avec . Le produit fibré s’identifie canoniquement à . Le morphisme envoie simplement (canoniquement isomorphe à ) sur la copie numéro de dans .
Le processus de « faisceautisation » est crucial dans un certain nombre de constructions géométriques. Ce sera le cas pour la construction de quotients par des actions de groupes, où nous commencerons par définir un faisceau quotient, dont nous étudierons ensuite la représentabilité. Voici un autre exemple fondamental de faisceautisation.
Exemple 1.4.5
Soit un morphisme de schémas. On note le faisceau fppf associé au préfaisceau de l’exercice 1.2.11. Ce faisceau est appelé le foncteur de Picard relatif de . S’il est représentable par un schéma, le schéma qui le représente est un schéma en groupes appelé le schéma de Picard de . C’est l’objet géométrique naturel qui paramètre les fibrés en droites sur .
1.5 Fonctorialité
Pour un schéma , on note l’un des sites (gros ou petit) Zariski, étale, ou fppf, et (resp. ) la catégorie des préfaisceaux (resp. des faisceaux) sur ce site. Un morphisme de schémas induit alors un foncteur « image directe » de vers défini comme suit. Soit un préfaisceau sur . Pour tout , on pose
On vérifie facilement que, si est un faisceau, alors est encore un faisceau, donc induit un foncteur, encore noté , de dans . Ce foncteur commute clairement aux limites projectives, et il a un adjoint à gauche que l’on peut décrire de la manière suivante. Soient un faisceau sur . Alors est le faisceau associé au préfaisceau qui à associe , où la limite inductive est prise sur les carrés commutatifs
avec .
Nous laissons au lecteur le soin de vérifier que le foncteur ainsi défini est bien l’adjoint à gauche de . En particulier il commute aux limite inductives. De plus, comme les sites en question ont des objets finals et des produits fibrés, on vérifie que est exact (voir par exemple [25] 3.6.7). Enfin, pour des morphismes composables et , on voit immédiatement sur les définitions que l’on a des isomorphismes canoniques et . Nous utiliserons peu ces foncteurs par la suite, le lecteur est donc invité à consulter les références classiques pour plus d’informations.
1.6 La catégorie des faisceaux abéliens
Proposition 1.6.1
Soit un site. La catégorie des faisceaux de groupes abéliens sur est une catégorie abélienne avec suffisament d’injectifs.
Démonstration. Voir par exemple [25] 3.2.2.
Remarque 1.6.2
Soit un morphisme dans . On peut décrire le noyau, le conoyau et l’image de de la manière suivante. Le noyau est simplement donné par . Le conoyau est , le faisceau associé au préfaisceau donné par . De même le faisceau image est le faisceau associé au préfaisceau image défini par .
L’objet nul est ce que l’on pense, de même que les produits quelconques de faisceaux. Plus généralement les limites projectives de faisceaux se calculent terme à terme. En revanche, pour les sommes directes (et plus généralement pour les limites inductives), après avoir fait le calcul terme à terme il faut prendre le faisceau associé.
Exercice 1.6.3
Soit une suite de faisceaux abéliens fppf sur un schéma . Montrer que, si cette suite est exacte dans , alors elle est aussi exacte dans .
Exemple 1.6.4 (suite exacte de Kummer)
Soit un schéma. Nous allons montrer que la suite
est exacte dans la catégorie , et que cette suite est même exacte dans la catégorie si aucune caractéristique résiduelle de ne divise . D’abord, quel que soit le site avec lequel on travaille, étale ou fppf, il est clair que est le noyau de l’élévation à la puissance de dans lui-même. Il faut donc seulement montrer l’exactitude à droite. Pour cela, il suffit de montrer que, si pour un certain -schéma , alors est localement (pour la topologie considérée) une puissance -ième. La question étant locale sur , on peut supposer affine, disons . On pose et . Alors est une famille couvrante fppf (la platitude est évidente car est libre sur ) et, par construction, la restriction de à admet une racine -ième. Ceci prouve la première assertion. Enfin, si est inversible dans , le critère jacobien montre immédiatement que est étale sur . Le morphisme est donc un recouvrement étale et ceci prouve la seconde assertion.
Exercice 1.6.5
Montrer que pour un schéma et un entier , on a équivalence entre :
-
a)
aucune caractéristique résiduelle de ne divise ;
-
b)
est inversible dans .
Exercice 1.6.6 (suite exacte d’Artin-Schreier)
Soit un -schéma. Le morphisme donné par est alors un morphisme de groupes.
1) Soit un -schéma et soit . Montrer qu’il existe des sous-schémas ouverts et fermés de tels que dans .
2) En déduire que le noyau de est le faisceau constant .
3) Montrer que la suite
est exacte pour la topologie étale (donc aussi pour la topologie fppf).
Exercice 1.6.7
Soit un -schéma et soit le sous-groupe de défini fonctoriellement par . Il est représentable, c’est donc un sous-schéma en groupes de . Si désigne le Frobénius , montrer que la suite de faisceaux fppf
est exacte dans la catégorie .
Soit un site. Comme la catégorie des faisceaux de groupes abéliens sur a suffisament d’injectifs, on peut définir des foncteurs dérivés à droite , , pour tout foncteur additif et exact à gauche à valeurs dans une catégorie abélienne . Sur un schéma , on peut donc définir les groupes de cohomologie étale (resp. fppf) en dérivant le foncteur « sections globales » sur la catégorie des faisceaux abéliens étales (resp. fppf). De même si est un morphisme de schémas, et si est un faisceau (étale, fppf, etc.) on peut définir ses « images directes supérieures » pour la topologie considérée.
Exemple 1.6.8
La suite exacte de Kummer ci-dessus induit une suite exacte longue de cohomologie fppf :
Remarque 1.6.9
Soit un schéma. Nous avons vu ci-dessus que la catégorie des faisceaux de groupes abéliens (disons au sens fppf pour fixer les idées) est abélienne. En général la sous-catégorie des faisceaux représentables, c’est-à-dire la catégorie des -schémas en groupes commutatifs, n’est pas abélienne. Cependant, nous verrons plus loin que la catégorie des schémas en groupes commutatifs et de type fini sur le spectre d’un corps est abélienne (3.7.8).
1.7 Anneaux locaux (pour la topologie étale)
Nous n’aurons pas besoin dans ce cours d’anneaux locaux pour la topologie étale, mais il nous a semblé difficile de passer totalement sous silence leur existence. Le lecteur pressé d’arriver aux quotients de schémas peut donc allègrement sauter cette section. Pour la topologie étale, on peut définir le germe d’un faisceau en un point de manière tout à fait analogue à ce que l’on fait pour la topologie de Zariski, et l’objet ainsi construit rend les mêmes services.
Soient un schéma et un faisceau étale abélien sur . Soit un point géométrique de (i.e. est un corps séparablement clos). Un voisinage étale de est un couple où est un -schéma étale et est un -point de qui relève .
Un morphisme de vers un autre voisinage étale est un -morphisme tel que . Les voisinages étales de forment ainsi une catégorie cofiltrante au sens SGA 4 [2, I 2.7].
Définition 1.7.1
Le germe de en est
où la limite inductive est prise sur la catégorie des voisinages étales de .
Nous listons ci-dessous quelques propriétés utiles, sans preuve.
Proposition 1.7.2
-
(i)
Cette définition ne dépend pas du choix du corps séparablement clos , mais seulement du point image de .555Plus précisément, si est une extension séparablement close de et si est le composé , le morphisme naturel est un isomorphisme. On note parfois simplement au lieu de le germe de en si aucune confusion n’en résulte.
-
(ii)
Un morphisme de faisceaux abéliens sur est un isomorphisme (resp. un monomorphisme, un épimorphisme) si et seulement si pour tout , le morphisme induit en est un.
-
(iii)
Un morphisme comme ci-dessus est nul si et seulement si pour tout , le morphisme induit est nul.
-
(iv)
Pour une section , on a si et seulement si son image dans est nulle pour tout .
-
(v)
Une suite est exacte si et seulement si pour tout la suite est exacte.
-
(vi)
Pour fixé, le foncteur qui à associe commute aux limites inductives.
-
(vii)
Si est un morphisme de schémas et si est un point de , alors
Remarque 1.7.3
Soit un corps séparablement clos et . On rappelle que désigne la catégorie des faisceaux de groupes abéliens sur le petit site étale de . Le foncteur naturel
est une équivalence de catégories. Maintenant si est un faisceau étale abélien sur un schéma quelconque et si est un point géométrique, le groupe abélien correspond via l’équivalence ci-dessus au faisceau étale abélien sur .
Définition 1.7.4
Soient un schéma et un point de . On appelle hensélisé strict de en , et on note ou parfois , le germe du faisceau structural au point géométrique où est une clôture séparable du corps résiduel de .666On évite ici la notation pour ne pas confondre avec l’anneau local en au sens de la topologie de Zariski.
On a alors un morphisme naturel
Définition 1.7.5
Un anneau local est dit strictement hensélien si le morphisme naturel de dans est un isomorphisme (avec et son point fermé). Un schéma est dit strictement local si c’est le spectre d’un anneau local strictement hensélien.
Proposition 1.7.6
-
(i)
est strictement hensélien, de corps résiduel la clôture séparable de dans .
-
(ii)
Le morphisme naturel est fidèlement plat. Par ailleurs si (resp. ) désigne l’idéal maximal de (resp. de ), alors
-
(iii)
Pour que soit noethérien, il faut et il suffit que le soit.
Remarque 1.7.7
Dans la définition de l’hensélisé strict, on pourrait avoir envie de localiser un peu moins en imposant que l’extension résiduelle soit triviale dans les voisinages étales, c’est-à-dire en ne prenant la limite inductive que sur la famille des voisinages étales dont l’extension résiduelle est triviale. On obtient alors l’hensélisé (non strict) et les anneaux locaux ainsi obtenus sont dits henséliens. Si est un anneau local, il est strictement hensélien si et seulement s’il est hensélien et si son corps résiduel est séparablement clos. Il y a un certain nombre de caractérisations utiles des anneaux henséliens ou strictement henséliens. Par exemple un anneau local est hensélien si et seulement s’il vérifie le lemme de Hensel, ou encore si et seulement si toute -algèbre finie est un produit fini d’anneaux locaux.
2 Descente
Avant de traiter le cœur de cette section, à savoir la descente fidèlement plate et ses applications, nous allons essayer d’expliquer la problématique sur un exemple simple. Essentiellement, la descente est un exercice de « recollement ».
Recollement Zariski de morphismes.
Soient un schéma, un recouvrement Zariski de et , deux -schémas. Pour tout on note et les images réciproques de l’ouvert par les morphismes structuraux et (c’est-à-dire les produits fibrés et ). Donnons-nous pour tout un morphisme de schémas et supposons que ces morphismes coïncident sur les intersections, i.e. que pour tout couple , les morphismes et soient égaux sur . Alors il existe un unique morphisme de schémas tel que pour tout , . La preuve est immédiate et laissée en exercice au lecteur.
On peut reformuler ce résultat de la manière suivante. Soient un schéma et deux -schémas. Alors le foncteur
qui à tout -schéma associe l’ensemble des morphismes de -schémas de vers , est un faisceau pour la topologie de Zariski. En particulier, pour , on voit que le foncteur des points de est un faisceau pour la topologie de Zariski.
Recollement Zariski de schémas.
Soient un schéma et un recouvrement Zariski de . Pour tout triplet d’indices on note et . Pour tout , soit un schéma au-dessus de . On suppose que pour tout couple d’indices , on a un isomorphisme . On suppose de plus que ces isomorphismes vérifient la « condition de cocycle » :
Alors il existe un unique -schéma et des isomorphismes tels que pour tous on ait :
Ici aussi la preuve est élémentaire et nous en dispenserons le lecteur. On peut de la même manière recoller bien d’autres objets : des faisceaux, des modules-quasi-cohérents, des courbes elliptiques, etc.
Et pour d’autres topologies ?
Une question naturelle se pose : les résultats ci-dessus sont-ils encore valables (mutatis mutandis) si l’on remplace la famille couvrante Zariski de par une famille couvrante pour une topologie plus fine, par exemple la topologie fpqc ? Nous verrons plus bas que la réponse est affirmative pour les morphismes de schémas (2.2.5). En revanche le recollement de schémas est un peu plus délicat et ne marche pas toujours (voir 2.2.14). Pour obtenir des résultats positifs, nous devrons faire des hypothèses supplémentaires sur les , par exemple supposer qu’ils sont quasi-affines sur les (2.2.6), ou bien munis de faisceaux inversibles relativement amples (2.2.10). La descente fidèlement plate des modules quasi-cohérents (2.2.1) est la pièce maîtresse sur laquelle repose tout l’édifice. Nous donnons en 2.1 le vocabulaire nécessaire à l’énoncé des résultats de 2.2.
Descente de propriétés de morphismes.
On utilise encore le même terme de « descente » pour un exercice légèrement différent. Considérons comme précédemment une famille couvrante pour une certaine topologie. Soit un -morphisme. Supposons que pour tout , le morphisme induit au-dessus de vérifie une certaine propriété . Alors le morphisme vérifie-t-il ? Autrement dit, la propriété « descend-elle » à ? Lorsque c’est le cas, on dit que est « de nature locale » au but pour la topologie considérée. Nous verrons en 2.3 que de nombreuses propriétés intéressantes de morphismes sont de nature locale au but pour la topologie fpqc.
2.1 Données de descente
Définition 2.1.1
Une catégorie fibrée sur une catégorie consiste en les données suivantes.
-
(i)
Pour tout objet de , une catégorie .
-
(ii)
Pour tout morphisme de , un foncteur .
-
(iii)
Pour tout objet de , un isomorphisme de foncteurs .
-
(iv)
Pour tout couple de flèches un isomorphisme de foncteurs .
Ces données sont assujetties à des conditions de compatibilité évidentes dont nous laissons les détails au lecteur (si est une flèche dans , compatibilité de avec et de avec ; si sont trois flèches composables, diagramme d’« associativité » pour les foncteurs ).
Remarque 2.1.2
Le lecteur attentif aura sans doute remarqué que la définition donnée ici n’est pas équivalente à la définition usuelle d’une catégorie fibrée. En fait, ce que nous avons défini ci-dessus est plutôt appelé « pseudo-foncteur » dans la littérature. La donnée d’un pseudo-foncteur est équivalente à la donnée d’une catégorie fibrée munie d’un « clivage » (avec la terminologie de Vistoli dans [9]). Avec l’axiome du choix, toute catégorie fibrée admet un clivage. L’abus de langage ci-dessus est donc sans dommages, et – je l’espère – compensé par le fait que la notion de pseudo-foncteur semble plus intuitive que celle de catégorie fibrée (ce point de vue subjectif n’engage bien sûr que moi). Pour plus de détails sur ces questions, on pourra consulter l’exposé de Vistoli dans [9].
Exemple 2.1.3
Soient un schéma et la catégorie des -schémas. La catégorie fibrée des modules quasi-cohérents sur est la catégorie fibrée qui à tout -schéma associe la catégorie des modules quasi-cohérents sur . Si est un morphisme de -schémas, le foncteur de changement de base est le foncteur qui à associe . Les isomorphismes et sont les isomorphismes canoniques et .
Exemple 2.1.4
Toujours sur la catégorie des -schémas, la catégorie fibrée des schémas sur est la catégorie fibrée qui à tout -schéma associe la catégorie des -schémas. Si est un morphisme de -schémas, le foncteur de changement de base est le foncteur qui à associe .
Définition 2.1.5 (donnée de descente)
Soient un site (autrement dit, une catégorie munie d’une topologie de Grothendieck) et une catégorie fibrée sur . Soit un objet de et soit un recouvrement de . On note (resp. ) le produit fibré (resp. ) et les projections canoniques (avec , , , etc.). Pour tout , soit un objet de . Une donnée de descente sur la famille est un ensemble d’isomorphismes
dans vérifiant la condition de cocycle suivante : pour tout triplet d’indices , on a dans l’égalité777aux isomorphismes structuraux de près, , etc. On remarque que cette condition de cocycle est l’analogue naturel de celle qui apparaissait dans le « recollement Zariski de schémas ».
On dit que est un objet muni d’une donnée de descente relativement au recouvrement .
Si et sont deux objets munis de données de descente, un morphisme du premier dans le second est un ensemble de flèches dans tel que pour tout couple d’indices le diagramme suivant commute.
On note la catégorie des objets munis d’une donnée de descente relativement au recouvrement de ainsi constituée.
2.1.6
Si est un objet de , on peut lui associer naturellement un objet muni d’une donnée de descente de la manière suivante. Pour tout , on pose où est le morphisme donné , et pour tout couple d’indices, on prend pour l’isomorphisme canonique de dans .
Si est un morphisme dans , on a un morphisme naturel de l’objet muni d’une donnée de descente associé à , vers celui associé à . Ceci définit donc un foncteur
Les exemples vus au début du paragraphe 2 montrent que pour la catégorie fibrée des schémas sur de 2.1.4, le foncteur est une équivalence de catégories pour toute famille couvrante de au sens de Zariski. Plus précisément, le « recollement de morphismes » montre que ce foncteur est pleinement fidèle, et le « recollement de schémas » montre qu’il est essentiellement surjectif.
Définition 2.1.7
Une donnée de descente sur une famille d’objets est dite effective s’il existe un objet de qui induit (à isomorphisme près) la famille avec sa donnée de descente.
Il revient donc au même de dire qu’une donnée de descente est effective, ou que le couple constitué de la famille d’objets et de cette donnée de descente est dans l’image essentielle du foncteur . Dans la pratique, on se ramène souvent au cas où la famille couvrante est constituée d’une seule flèche . On note alors parfois au lieu de .
Donnons encore un peu de vocabulaire dans ce contexte. Soient une catégorie fibrée sur et un morphisme de -schémas. On dit que est un morphisme de descente pour si le foncteur est pleinement fidèle. On dit que est un morphisme de descente effective pour si de plus toute donnée de descente est effective, i.e. si est une équivalence.
Définition 2.1.8
Soit une catégorie fibrée sur un site . On dit que est un champ si pour tout objet de et toute famille couvrante de , le foncteur est une équivalence de catégories.
2.2 Descente fpqc des modules quasi-cohérents et applications
Théorème 2.2.1
La pleine fidélité signifie que, pour tout schéma et tout couple de modules quasi-cohérents sur , le foncteur est un faisceau fpqc. L’essentielle surjectivité signifie que toute donnée de descente sur une collection de -modules quasi-cohérents est effective.
Démonstration. Nous donnons seulement une esquisse. Des arguments certes un peu longs et fastidieux, mais élémentaires et de nature essentiellement formelle888D’ailleurs, les mêmes arguments sont valables pour n’importe quelle catégorie fibrée sur . Autrement dit une telle catégorie fibrée est un champ fpqc si et seulement si c’est un champ Zariski et si pour tout fidèlement plat avec et affines, le foncteur est une équivalence., montrent qu’il suffit de prouver le théorème dans les deux cas particuliers suivants.
-
a)
La famille couvrante est une famille couvrante pour la topologie de Zariski.
-
b)
La famille couvrante est réduite à un morphisme avec et affines.
Le cas a) est trivial. Reste le b). Notons et . Via l’équivalence bien connue entre la catégorie des modules sur un anneau et la catégorie des faisceaux de modules quasi-cohérents sur son spectre, on se ramène à une question portant uniquement sur des modules. Pour la pleine fidélité, il faut montrer que si et sont deux -modules, alors le diagramme naturel (dont nous laissons au lecteur le soin d’expliciter les flèches)
est exact. C’est une conséquence facile du lemme 2.2.2 ci-dessous.
Pour l’essentielle surjectivité, on part d’un -module muni d’une donnée de descente, c’est-à-dire d’un isomorphisme de -modules assujetti à une condition de cocycle. Il faut montrer que le couple provient d’un -module (à isomorphisme près). En regardant d’une part le morphisme canonique , et d’autre part le composé du morphisme canonique et de , on a un couple de flèches . On note le noyau de ce couple de flèches. C’est naturellement un -module. Il reste à vérifier qu’il convient, ce qui demande encore du travail et est laissé en exercice (on pourra, comme dans la preuve du lemme ci-dessous, se ramener via le changement de base fidèlement plat au cas où a une rétraction). Pour plus de détails, consulter par exemple [6] 6.1.
Lemme 2.2.2
Soit un morphisme fidèlement plat d’anneaux. Alors, pour tout -module , le diagramme naturel
est exact.
Démonstration. Si a une rétraction, toutes les flèches du diagramme en ont et l’exactitude est immédiate. On ramène le cas général à ce cas particulier par le changement de base fidèlement plat .
Remarque 2.2.3
Exercice 2.2.4
Déduire de 2.2.1 le fait que les catégories fibrées suivantes sont des champs fpqc :
-
—
la catégorie fibrée des modules cohérents ;
-
—
la catégorie fibrée des modules localement libres de rang .
Théorème 2.2.5
Soit un morphisme fpqc de schémas et soient et deux -schémas. On note , , , les produits fibrés auxquels on pense. Alors le diagramme
est exact.
Démonstration. La question est locale sur et . On peut donc supposer qu’ils sont affines. De plus, quitte à remplacer par une somme disjointe finie d’affines, on peut supposer que est affine. On peut alors reformuler le problème en termes d’algèbres quasi-cohérentes et appliquer le théorème 2.2.1.
Ce théorème montre que est un faisceau fpqc. Autrement dit, les morphismes fpqc sont des morphismes de descente pour la catégorie fibrée des schémas sur , ou encore : pour comme dans l’énoncé et la catégorie fibrée des schémas, le foncteur de 2.1.6 est pleinement fidèle. En prenant , on obtient le cas particulier important mentionné en 1.2.12 : est un faisceau fpqc. En général, la descente fpqc n’est pas effective. Elle l’est cependant dans plusieurs cas utiles, le premier d’entre eux étant le cas des morphismes affines (ou même quasi-affines).
Théorème 2.2.6
Soit un morphisme fidèlement plat et quasi-compact de schémas et soit un -schéma muni d’une donnée de descente, i.e. est un isomorphisme qui vérifie la condition de cocycle usuelle (avec les notations usuelles). On suppose que le morphisme est affine (resp. une immersion ouverte, resp. quasi-affine). Alors la donnée de descente est effective. De plus le morphisme qui induit est affine (resp. une immersion ouverte, resp. quasi-affine).
Démonstration. Ici aussi nous donnons seulement une esquisse, pour les détails nous renvoyons par exemple à [6].
Puisque la catégorie des schémas affines sur une base est anti-équivalente à la catégorie des -algèbres quasi-cohérentes, le cas affine est une conséquence du théorème 2.2.1.
Supposons maintenant que est une immersion ouverte, ou ce qui revient au même que est un ouvert de . On note les projections canoniques de sur . La présence d’une donnée de descente sur montre alors que . On en déduit que . Comme le morphisme est submersif (la topologie de est quotient de celle de ), ceci entraîne que est ouvert dans . On pose alors et on vérifie que ce choix convient.
Comme un morphisme quasi-affine est le composé d’une immersion ouverte quasi-compacte et d’un morphisme affine, le cas général va se déduire des deux précédents. Plus précisément, si est quasi-affine, alors dans la factorisation de Stein
la première flèche est une immersion ouverte quasi-compacte. Comme la formation de commute au changement de base plat, on voit que la donnée de descente sur induit une donnée de descente sur , donc sur . Cette donnée de descente est effective d’après le cas affine et on trouve affine sur qui induit . Le cas d’une immersion ouverte permet alors de trouver ouvert de qui convient. Il reste juste à montrer que l’immersion ouverte est quasi-compacte. C’est une conséquence de 2.3.1.
Ainsi, une donnée de descente sur un schéma quasi-affine est effective. La proposition suivante montre que l’on peut même se contenter de recouvrir par des schémas quasi-affines stables par la donnée de descente. Plus précisément, soit un morphisme fidèlement plat et quasi-compact de schémas et soit un -schéma muni d’une donnée de descente. Un ouvert de est dit stable par si induit une donnée de descente sur , c’est-à-dire si induit un isomorphisme .
Proposition 2.2.7
On suppose que est recouvert par des ouverts stables par la donnée de descente. Pour que la donnée de descente sur soit effective, il faut et il suffit qu’il en soit de même des données de descente induites sur les .
Démonstration. SGA 1 [3] VIII 7.2
Exercice 2.2.8 (SGA 1 [3] VIII 7.5)
Soit un morphisme fidèlement plat, quasi-compact et radiciel (i.e. universellement injectif). Soit un -schéma muni d’une donnée de descente .
1) Montrer que est séparé sur .
2) Montrer que tout ouvert de est stable par .
3) En déduire que la donnée de descente est effective. En d’autres termes : un morphisme fidèlement plat, quasi-compact et radiciel est de descente effective pour la catégorie fibrée des schémas.
Définition 2.2.9
-
a)
Soit un schéma quasi-compact et quasi-séparé. Un faisceau inversible sur est dit ample s’il existe un entier tel que soit engendré par des sections globales telles que pour tout , le lieu où engendre soit quasi-affine. (Alors, pour tout et toute section globale de , l’ouvert de est quasi-affine.)
-
b)
Soient un schéma de base et un -schéma quasi-compact et quasi-séparé. Un faisceau inversible sur est dit -ample s’il existe un recouvrement ouvert affine de tel que pour tout , la restriction de à soit ample. (On montre qu’alors, pour tout ouvert affine de , la restriction de à est ample.)
Théorème 2.2.10
Soit un morphisme fidèlement plat et quasi-compact de schémas et soit un -schéma muni d’une donnée de descente. Soit un faisceau inversible -ample sur et soit une donnée de descente sur compatible avec . Alors la donnée de descente sur est effective, et le couple descend en un couple où est un faisceau inversible -ample sur .
Avant d’esquisser la démonstration, précisons un peu l’énoncé. La donnée de descente sur est un -isomorphisme qui vérifie une certaine condition de cocycle. En notant la projection sur le premier facteur et la composée de et de la projection sur le second facteur, on obtient un couple de flèches . La donnée de descente « compatible avec » est alors un isomorphisme qui vérifie une certaine condition de cocycle.
Exercice 2.2.11
Expliciter cette condition de cocycle.
Démonstration. Encore une fois, nous donnons seulement une esquisse (tirée d’ailleurs de [6]). On peut supposer et affines. On note le morphisme structural de . On note la -algèbre graduée . C’est une -algèbre quasi-cohérente. D’après 2.2.1 elle descend donc à une algèbre quasi-cohérente sur . De plus la graduation naturelle sur induit une graduation sur . Soit une section globale de pour un certain . On peut écrire
où les sont des sections globales de et les sont des sections globales de . Si, en un point , la section engendre , alors au moins une des sections doit engendrer en . On peut donc recouvrir par des ouverts quasi-affines où est une section globale d’un qui descend en une section globale de . Ceci montre que les sont stables par , donc cette donnée de descente sur est effective d’après 2.2.7. Enfin, en appliquant de nouveau 2.2.1, on voit que le faisceau inversible descend à .
Lorsque l’on souhaite utiliser ce théorème en pratique, il n’est pas toujours aisé de vérifier que le faisceau inversible est ample relativement à . À toutes fins utiles, rappelons ici le critère d’amplitude relative EGA IV [10] 9.6.5. Soit un schéma propre et de présentation finie sur une base , et soit un faisceau inversible sur . Alors est -ample si et seulement si sa restriction à chaque fibre de est ample.
Exercice 2.2.12
Soit la catégorie fibrée sur définie ainsi. Pour tout , les objets de la catégorie sont les morphismes propres et lisses dont les fibres géométriques sont des courbes connexes de genre , et les flèches de sont les -isomorphismes. Montrer que, si , alors est un champ pour la topologie fpqc. [Indication : On utilisera le théorème précédent. Pour , on pourra remarquer que, si est un objet de , alors le fibré canonique sur est ample relativement à . Pour on peut prendre son dual.]
Remarque 2.2.13
Pour il n’y a pas de fibré relativement ample canonique sur une famille de courbes . On ne pourra donc pas appliquer le théorème précédent. Et de fait, un exemple de Raynaud (voir [23] XIII 3.2) montre que n’est pas un champ pour la topologie fpqc.
Exemple 2.2.14 (données de descente non effectives)
Nous terminons cette partie par une application des théorèmes de descente ci-dessus à la question de la représentabilité d’un faisceau.
Lemme 2.2.15 (descente de la représentabilité)
Soient un schéma et un foncteur.
-
(i)
On suppose que est un faisceau pour la topologie de Zariski. Soit un recouvrement ouvert (Zariski) de tel que la restriction de à chaque soit représentable par un -schéma . Alors est représentable par un -schéma . (Autrement dit : pour un faisceau Zariski, être représentable par un schéma est une condition de nature locale sur pour la topologie de Zariski.)
-
(ii)
On suppose que est un faisceau fpqc (resp. fppf, resp. étale). Soit une famille couvrante fpqc (resp. fppf, resp. étale) telle que la restriction de à chaque soit représentable par un -schéma . Alors la famille des est munie d’une donnée de descente relativement à la famille couvrante .
Si de plus cette donnée de descente est effective (ce qui est le cas par exemple si chaque est quasi-affine sur ), alors est représentable par un -schéma (quasi-affine sur dans le cas particulier de la parenthèse précédente).
Démonstration. Voir la réédition de SGA 3, [1] VIII 1.7.2
2.3 Propriétés de permanence
Si est un morphisme de changement de base, et si est un -morphisme de schémas, on peut se demander dans quelle mesure une propriété du morphisme obtenu par changement de base « descend » à . Nous avons rassemblé ci-dessous un certain nombre de cas traités dans les EGA. En fait la plupart des propriétés intéressantes descendent par morphismes fpqc. Lorsqu’une hypothèse plus faible sur est suffisante, nous l’avons signalé entre parenthèses.
Proposition 2.3.1
Soit un morphisme fidèlement plat et quasi-compact de schémas et soit un morphisme de -schémas. On note le morphisme obtenu par le changement de base . Considérons, pour un morphisme, la propriété d’être :
-
—
injectif ( surjectif suffit) ;
-
—
surjectif ( surjectif suffit) ;
-
—
à fibres ensemblistement finies ( surjectif suffit) ;
-
—
bijectif ( surjectif suffit) ;
-
—
radiciel ( surjectif suffit) ;
-
—
ouvert ;
-
—
universellement ouvert ;
-
—
fermé ;
-
—
universellement fermé ;
-
—
un homéomorphisme ;
-
—
universellement un homéomorphisme ;
-
—
quasi-compact ( quasi-compact et surjectif suffit) ;
-
—
quasi-compact et dominant ;
-
—
séparé ;
-
—
quasi-séparé ;
-
—
de type fini ;
-
—
localement de type fini ;
-
—
de présentation finie ;
-
—
localement de présentation finie ;
-
—
propre ;
-
—
un isomorphisme ;
-
—
un monomorphisme ;
-
—
une immersion ouverte ;
-
—
une immersion fermée ;
-
—
affine ;
-
—
quasi-affine ;
-
—
fini ;
-
—
quasi-fini ;
-
—
entier ;
-
—
plat ;
-
—
fidèlement plat ;
-
—
lisse ;
-
—
net (i.e. non-ramifié) ;
-
—
étale.
Alors, si désigne l’une des propriétés précédentes, pour que ait la propriété il suffit que la possède.
Démonstration. EGA IV [10], 2.2.13, 2.6.1, 2.6.2, 2.6.4, 2.7.1, 17.7.3.
Remarque 2.3.2
Les grands absents de la liste ci-dessus sont les morphismes projectifs ou quasi-projectifs. De fait, Hironaka a donné dans [13] un exemple de morphisme propre non projectif , où est réunion de deux ouverts et tels que les deux morphismes soient projectifs. Dans cet exemple, est une variété de dimension 3 sur , obtenue à partir d’une variété projective lisse de dimension 3 en faisant des éclatements astucieux le long de certaines courbes, puis un recollement. On pourra consulter [12] App. B, 3.4.1 pour plus de détails et un joli dessin.
3 Quotients
3.1 Schémas en groupes
Définition 3.1.1
Soit un schéma. Un schéma en groupes sur est un objet en groupes dans la catégorie des -schémas.
De manière équivalente, c’est un -schéma muni d’un morphisme de -schémas
qui vérifie un certain nombre d’axiomes : existence d’un morphisme inverse et commutativité de quelques diagrammes. D’après le lemme de Yoneda, la donnée d’une structure de schéma en groupes sur est encore équivalente à la donnée d’une factorisation
de son foncteur des points à travers la catégorie des groupes.
Exemple 3.1.2
Nous avons déjà parlé plus haut des schémas en groupes et . De nombreux autres exemples sont donnés par les groupes linéaires. Ainsi est défini fonctoriellement de la manière suivante. Pour tout schéma , est l’ensemble des matrices carrées de taille à coefficients dans et dont le déterminant est un inversible de . Il est représentable par le spectre de où est le polynôme en les variables qui représente le déterminant. Les sous-groupes , , etc. sont définis de manière analogue.
Exemple 3.1.3 (groupes constants)
Soit un groupe commutatif ordinaire et un schéma. Nous noterons ici le faisceau constant associé à l’ensemble (pour éviter toute ambiguïté sur la base). Nous avons vu en 1.4.4 que est naturellement muni d’une structure de schéma en groupes sur .
Exemple 3.1.4 (groupes diagonalisables)
Soit un groupe commutatif ordinaire. On note alors le foncteur sur défini par
On vérifie alors facilement que est représentable par le spectre de l’algèbre du groupe sur . Un groupe diagonalisable est un groupe de la forme pour un certain groupe commutatif . Par exemple, si , on obtient , et si , on a . Plus généralement, si est un groupe abélien de type fini, disons le produit de par un produit fini de facteurs , , alors s’identifie à .
Revenons au cas général. L’égalité montre que est affine sur . Son algèbre étant libre sur , il est de plus fidèlement plat. Nous retiendrons en particulier que le morphisme structural est fidèlement plat et quasi-compact, ce qui sera utile dans les questions de descente. Nous donnons ci-dessous quelques propriétés élémentaires. Nous renvoyons à SGA 3 [1], ou au cours de J. Oesterlé sur les groupes de type multiplicatif dans la même école d’été, pour de plus amples développements. Nous donnerons en 3.9 un théorème d’existence du quotient d’un schéma affine par un groupe diagonolisable agissant librement.
Proposition 3.1.5 (SGA 3 VIII 2.1)
Soient un schéma, un groupe commutatif ordinaire, et le -groupe diagonalisable défini par .
-
a)
Si est de type fini, alors est de présentation finie sur .
-
b)
Si est fini, alors est fini sur .
-
c)
Si est de torsion, alors est entier sur .
De plus, si est non vide, les réciproques sont vraies. Enfin dans le cas b), le degré de sur est égal au cardinal de .
3.2 Conoyaux et espaces annelés quotients
Soit une catégorie (par exemple la catégorie des schémas). Si un objet en groupes de agit sur un objet , la première idée qui vient à l’esprit pour définir un quotient de par est de le définir par propriété universelle. On dit que est un quotient catégorique, ou plus précisément un quotient dans la catégorie , si c’est un morphisme invariant sous (ce qui se traduit par la commutativité d’un certain diagramme) et s’il est universel parmi les morphismes invariants sous . Il revient au même de dire que est un conoyau du couple de flèches où est l’action et la projection sur le second facteur.
Définition 3.2.1
Soit un couple de flèches dans une catégorie . Un morphisme est dit compatible avec si . C’est un conoyau s’il est universel parmi les morphismes compatibles avec , i.e. si pour tout morphisme compatible avec , il existe un unique tel que .
Remarque 3.2.2
Le conoyau ci-dessus représente naturellement un foncteur covariant.
Exemple 3.2.3
Soit un morphisme de schémas qui forme une famille couvrante pour la topologie fpqc, et soient les projections canoniques de vers . Alors est un conoyau de dans la catégorie des schémas. En effet, le fait que tout schéma soit un faisceau fpqc donne immédiatement la propriété universelle du conoyau. En fait, cette propriété est vraie dès que est un morphisme couvrant (voir exercice 3.2.8).
Si est une double flèche dans la catégorie des espaces annelés, elle a toujours un conoyau dans cette catégorie. En effet, a pour espace topologique sous-jacent le quotient de l’espace topologique sous-jacent à obtenu en identifiant et , pour tout . On note la projection canonique. Le faisceau d’anneaux sur est construit de la manière suivante. Si est un ouvert de , est le sous-anneau de formé des éléments tels que où est le morphisme associé à .
Exemple 3.2.4
Au-dessus d’un corps de caractéristique différente de 2, on fait agir sur la droite affine par . On vérifie facilement que défini par est un quotient au sens des espaces annelés. C’est aussi un quotient dans la catégorie des schémas.
Proposition 3.2.5
Soit une double flèche dans la catégorie des schémas, et soit son conoyau dans la catégorie des espaces annelés. Si est un schéma et un morphisme de schémas, alors est un conoyau dans la catégorie des schémas.
Démonstration. La courte preuve est sans surprise, voir SGA 3 [1] V 1.2.
Pour construire le quotient d’un schéma sous l’action d’un groupe, l’espace annelé quotient semble donc a priori être un bon candidat : il existe toujours, et si c’est un schéma alors c’est bien un quotient dans la catégorie des schémas. Cependant, ce point de vue présente au moins deux inconvénients. D’une part, l’espace annelé quotient n’est pas toujours un schéma (ceci peut arriver même s’il existe un conoyau dans la catégorie des schémas, voir exemple ci-dessous). Il ne sert alors pas à grand-chose en géométrie algébrique. D’autre part, même si ce quotient est un schéma, on ne sait pas décrire son foncteur des points. Le point de vue dominant dans la suite sera donc celui du faisceau quotient, plus facile à décrire comme foncteur et dont on peut espérer qu’il soit représentable par un espace algébrique, sinon un schéma.
Exemple 3.2.6
(cf. [8] III §2 no 3.1) Soit un corps algébriquement clos. On considère le groupe additif sous-jacent à (comme groupe ordinaire) et on note le groupe constant associé au-dessus de . Pour tout , on note l’automorphisme de correspondant à l’automorphisme de . Ceci définit une action de sur , donc un couple de flèches où est l’action de et est la projection sur le second facteur. On vérifie facilement que l’espace topologique quotient est un ensemble à deux points muni de la topologie grossière. En particulier l’espace annelé quotient ne peut pas être un schéma. Par ailleurs, on démontre sans difficultés que le morphisme structural est un conoyau de dans la catégorie des schémas.
Exemple 3.2.7
Soit un anneau de valuation discrète contenant , de corps des fractions et soit une uniformisante. On note le corps et la fermeture intégrale de dans . L’anneau est encore de valuation discrète, d’uniformisante . L’extension est galoisienne de groupe et totalement ramifiée. Le groupe agit naturellement sur , donc sur son spectre , et on vérifie facilement que le quotient catégorique s’identifie au spectre de l’anneau des invariants . Notons l’idéal maximal de . Il est naturellement muni d’une action de , compatible avec l’action sur , donc il définit un -module -équivariant sur . Supposons que ce module -équivariant provienne d’un -module. Il existerait alors un -module tel que soit isomorphe à en tant que -module avec action de . Le -module serait nécessairement libre de rang 1 par descente si bien que serait engendré, comme -module, par , donc par , ce qui fournit une contradiction. On voit en particulier que la catégorie des modules quasi-cohérents sur le quotient n’est pas équivalente à la catégorie des -modules quasi-cohérents -équivariants.
Exercice 3.2.8 (épimorphismes effectifs)
Soit un morphisme de schémas. On dit que est un épimorphisme effectif s’il est égal au conoyau du couple de projections . On a vu en 3.2.3 que si est une famille couvrante fpqc c’est un épimorphisme effectif.
1. Montrer que si a une section alors est un épimorphisme effectif. [Indication : On vérifiera simplement la propriété universelle du conoyau. On pourra utiliser le morphisme de vers qui vaut l’identité sur le premier facteur et sur le second.]
2. Montrer qu’un morphisme couvrant999Voir définition en 1.3.1. pour la topologie fpqc est un épimorphisme effectif.
3.3 Groupoïdes et relations d’équivalence
Définition 3.3.1
Soient un schéma et un foncteur contravariant de vers la catégorie des ensembles. Une relation d’équivalence sur est un sous-foncteur de tel que pour tout -schéma , soit le graphe d’une relation d’équivalence sur .
Remarquons qu’il revient au même de se donner l’inclusion de dans , ou de se donner le couple de flèches obtenues en composant l’inclusion avec les projections canoniques. Nous dirons donc parfois (par un léger abus de langage clairement innofensif) qu’une relation d’équivalence est la donnée d’un foncteur et d’un couple de -morphismes tels que le morphisme soit un monomorphisme et que pour tout -schéma , l’image de soit le graphe d’une relation d’équivalence sur .
Remarque 3.3.2
Si est une relation d’équivalence, on voit facilement qu’il existe un automorphisme de tel que et (on envoie un couple sur ). De même, la diagonale de induit un morphisme qui est une section de et de .
Définition 3.3.3 (changement de base)
Soit une relation d’équivalence sur un foncteur et soit un morphisme compatible avec , i.e. . Soit un morphisme. Notons , et les morphismes obtenus à partir de par le changement de base . Alors est une relation d’équivalence sur . On dit que la relation d’équivalence est obtenue à partir de par le changement de base .
En pratique, dans les cas qui nous intéressent, et sont au moins des espaces algébriques, voire des schémas. Dans ce cas, on appelle souvent quotient catégorique de par le conoyau de dans la catégorie des schémas (s’il existe). On fera attention de ne pas confondre avec le faisceau quotient de par dont nous parlerons au prochain paragraphe (chacun de ces deux objets est parfois appelé simplement « quotient »…). Il se trouve que, dans plusieurs cas utiles, ces deux objets coïncident (voir les théorèmes de représentabilité à partir de 3.5). Dans la suite nous essaierons de préciser à chaque fois à quel objet nous faisons référence.
Exemple 3.3.4
Soit un -schéma en groupes agissant sur (disons à gauche). On dit que l’action est libre si pour tout , le groupe agit librement sur . De manière équivalente, une action est libre si et seulement si le morphisme induit
est un monomorphisme. Il est immédiat que ce monomorphisme est alors une relation d’équivalence sur .
Si l’action n’est pas libre, le morphisme ci-dessus n’est pas un monomorphisme. Dans ce cas la notion ad hoc pour tenir compte des groupes d’inertie est celle de -groupoïde. Comme le montre la remarque 3.3.7, cette notion n’apporte rien pour étudier une action libre. Nous n’en aurons donc pas besoin car nous nous limiterons dans ce qui suit aux actions libres (à l’exception de quelques remarques dans le paragraphe 3.10). Nous donnons tout de même la définition ci-dessous à titre culturel. Rappelons qu’une catégorie est un groupoïde si tous ses morphismes sont des isomorphismes.
Définition 3.3.5
Soit un schéma. Un -groupoïde est la donnée de deux foncteurs contravariants et munis de -morphismes source , but , neutre , composition et inverse de telle sorte que pour tout -schéma , soit un groupoïde dont l’ensemble des flèches est , l’ensemble des objets est , et les applications source, but, composition, inverse, identité sont données par .
Notons le produit fibré et les projections sur le premier et le second facteur. On a alors un diagramme :
En fait il revient au même (par un léger abus de langage) de se donner un groupoïde , ou de se donner un diagramme comme ci-dessus, en exigeant que les trois carrés
soient cartésiens, qu’un diagramme évident traduisant l’associativité de la composition soit commutatif, et qu’il existe une flèche qui est à la fois une section de et une section de (voir SGA 3 [1] V 1 pour plus de détails).
Exemple 3.3.6
Soient un -schéma et un -groupe agissant sur (à gauche pour fixer les idées). On note l’action de . On appelle groupoïde associé à l’action de sur le groupoïde
où la composition est le morphisme ( et désignant les projections évidentes).
Remarque 3.3.7
Soit un groupoïde. Si est un monomorphisme, alors le couple de flèches est une relation d’équivalence. Réciproquement, si on part d’une relation d’équivalence , on pose . Il existe alors une unique flèche faisant de un groupoïde. (Exercice : le démontrer, et décrire . La réponse se trouve dans SGA 3 V §2 b)). Il revient donc au même de se donner une relation d’équivalence ou un groupoïde dans lequel est un monomorphisme.
Nous définissons ci-dessous l’image réciproque d’une relation d’équivalence par un morphisme , puis nous en étudions quelques propriétés dans les exercices qui suivent. Cette notion servira essentiellement dans la preuve du lemme 3.5.5 et le lecteur peut éventuellement omettre la fin de ce paragraphe en première lecture.
Définition 3.3.8
Si est une relation d’équivalence et si est un -morphisme, on définit une relation d’équivalence sur en choisissant égal au produit fibré suivant.
On dit que est l’image réciproque de par le morphisme .
Remarque 3.3.9
On prendra garde de ne pas confondre cette notion d’image réciproque avec la notion de changement de base (d’ailleurs plus utile) de 3.3.3. En particulier, avec les notations ci-dessus, si les diagrammes
sont toujours commutatifs, il ne sont en général pas cartésiens.
Exercice 3.3.10
Soient un préfaisceau sur et un sous-foncteur de qui définit une relation d’équivalence . Montrer que la relation d’équivalence , image réciproque de par le morphisme , coïncide, comme sous-foncteur de , avec l’image réciproque de par . [Indication : Les deux sont égales au sous-foncteur de des couples tels que les soient tous équivalents modulo .]
Exercice 3.3.11
Soit une relation d’équivalence où et sont des schémas. Soit un morphisme couvrant (cf. 1.3.1) pour la topologie fpqc. On note la relation d’équivalence sur image réciproque de par .
1. Soit un conoyau de dans . Montrer que est un conoyau de . [Indication : En notant et ses projections sur , construire de vers tel que , puis jouer avec les propriétés universelles.]
2. Réciproquement, soit un conoyau de . Montrer qu’il existe un unique morphisme de vers tel que , puis que est un conoyau de .
3.4 Faisceau quotient
Définition 3.4.1
Soient un schéma et soit une relation d’équivalence où et sont des schémas (voire des espaces algébriques). Soit (Top) une topologie sur . On appelle faisceau quotient (Top) de par le faisceau (Top) associé au préfaisceau qui à associe l’ensemble quotient . En général on choisira la topologie fppf, et lorsque l’on parlera du faisceau quotient, il s’agira du faisceau quotient fppf.
Remarque 3.4.2
On vérifie facilement avec la propriété universelle du faisceau associé à un préfaisceau que le faisceau quotient (Top) est en fait le conoyau du couple de flèches dans la catégorie des faisceaux (Top). En particulier, si , et sont des schémas, alors est le conoyau de dans la catégorie des schémas (donc un quotient catégorique au sens du paragraphe 3.2).
Remarque 3.4.3
Plus généralement, si est un groupoïde, on peut lui associer un faisceau quotient. En effet, le sous-foncteur de défini en prenant pour l’image du morphisme est une relation d’équivalence sur (mais en général n’est pas représentable). On définit alors un faisceau quotient comme ci-dessus. Ici aussi, on vérifie que le faisceau quotient (Top) est le conoyau du couple de flèches dans la catégorie des faisceaux (Top). Pour un -schéma en groupes agissant sur un -schéma , le faisceau quotient est donc le faisceau fppf associé au préfaisceau qui à associe l’ensemble quotient .
Lemme 3.4.4
Soit un morphisme de faisceaux sur un site . Les propositions suivantes sont équivalentes :
-
(i)
est « localement surjectif » (i.e. toute section de provient localement de ) ;
-
(ii)
est un épimorphisme dans la catégorie des faisceaux sur ;
-
(iii)
est un épimorphisme effectif dans la catégorie , autrement dit c’est un conoyau du couple de flèches .
Démonstration. L’équivalence entre (i) et (ii) est facile et laissée en exercice au lecteur. Par ailleurs il est évident que (iii) implique (ii). Réciproquement supposons que soit couvrant et montrons (iii). On note le sous-préfaisceau de image de . Comme est localement surjectif, on voit que s’identifie au faisceau associé à . On a donc une suite de morphismes de préfaisceaux :
Par construction de , pour tout -schéma le morphisme est surjectif, autrement dit c’est un conoyau (dans la catégorie des ensembles) du couple de flèches . Ceci montre que est un conoyau, dans la catégorie des préfaisceaux, du couple de flèches . Par ailleurs, comme est un monomorphisme, le produit fibré s’identifie à , si bien que est le conoyau, dans la catégorie des préfaisceaux, du couple de flèches . Le faisceau associé à est donc le conoyau de ce même couple de flèches dans la catégorie des faisceaux (conséquence immédiate des propriétés universelles), cqfd.
Proposition 3.4.5
Soient un schéma et une relation d’équivalence avec des faisceaux (Top) sur , où (Top) est l’une des topologies fpqc, fppf, étale ou Zariski. On note le faisceau quotient (Top) de par (on suppose son existence dans le cas fpqc) et la projection canonique.
-
(i)
Le morphisme est un épimorphisme dans la catégorie des faisceaux (Top).
-
(ii)
Le carré
est cartésien, autrement dit le morphisme naturel est un isomorphisme.
-
(iii)
Si est un morphisme de faisceaux (Top), alors est le faisceau quotient (Top) de la relation d’équivalence . Autrement dit, la formation du faisceau quotient commute au changement de base.
Démonstration. Le point (i) est clair, car un conoyau est toujours un épimorphisme. Le carré de (ii) induit un morphisme . C’est un monomorphisme puisque le composé en est un. Maintenant, soit un -schéma et soit . Alors les éléments de ont la même image dans . Il existe donc une famille couvrante telle que et aient la même image dans le préfaisceau quotient (car est le faisceau associé à ce préfaisceau). On en déduit que puis, comme est un faisceau, que , ce qui achève de prouver (ii). Le point (iii) est facile et laissé en exercice au lecteur.
Proposition 3.4.6
Soit une relation d’équivalence avec des schémas sur une base fixée. Les propriétés suivantes sont équivalentes :
-
(i)
il existe un schéma qui représente le faisceau quotient au sens fpqc (resp. fppf, resp. étale) ;
-
(ii)
la relation d’équivalence admet un conoyau dans la catégorie des schémas, le morphisme naturel est un isomorphisme, et le morphisme est couvrant101010On rappelle qu’un morphisme de schémas est dit couvrant pour une topologie (sous-canonique) s’il existe des morphismes tels que les composés forment une famille couvrante de pour la topologie considérée. Cela revient à dire que c’est un épimorphisme dans la catégorie des faisceaux pour cette topologie. pour la topologie fpqc (resp. fppf, resp. étale).
S’il en est ainsi, représente le faisceau .
Remarque 3.4.7
L’énoncé est encore valable, avec la même preuve, en remplaçant partout le mot « schéma » par « espace algébrique » (cf. plus bas pour la définition).
Démonstration. Le fait que (i) implique (ii) résulte de ce qui précède. Réciproquement, supposons (ii). Comme est couvrant, le lemme 3.4.4 montre que c’est un conoyau de dans la catégorie des faisceaux. Le schéma représente donc le faisceau quotient .
Comparaison étale versus fppf
Dans le cas d’une relation d’équivalence donnée par l’action d’un groupe lisse et de présentation finie, en admettant les résultats (difficiles) d’Artin de représentabilité par des espaces algébriques (voir plus bas), on déduit de la proposition 3.4.6 un théorème de comparaison du faisceau quotient étale et du faisceau quotient fppf.
Théorème 3.4.8
Soient un schéma, et un -schéma en groupes qui agit (disons à droite) librement sur un -schéma quasi-séparé. On suppose que le morphisme structural est lisse et de présentation finie. Alors le faisceau quotient étale est représentable par un espace algébrique. En particulier il coïncide avec le faisceau quotient au sens fppf.
Démonstration. D’après 3.6.6, on sait que le faisceau quotient (fppf) est représentable par un espace algébrique . Notons le morphisme de passage au quotient, l’action de sur et la projection sur le premier facteur. D’après 3.4.6, le carré
est cartésien et est couvrant pour la topologie fppf. Or est lisse et surjectif. Par descente fidèlement plate, on en déduit que est lui-même lisse et surjectif, donc couvrant pour la topologie étale par 1.1.12. La proposition 3.4.6 montre alors que le quotient au sens étale est déjà un espace algébrique.
Exercice 3.4.9
Soit un schéma en groupes agissant librement sur un schéma au-dessus d’une base fixée. On suppose que le faisceau quotient (au sens fppf) est représentable par un -schéma et on note le morphisme quotient. Montrer les assertions suivantes.
-
(1)
Soit un morphisme de schémas. Posons et . Alors est représentable par .
-
(2)
Si est réduit, alors aussi.
-
(3)
Le monomorphisme est une immersion.
-
(4)
Pour que soit séparé sur , il faut et il suffit que soit une immersion fermée.
-
(5)
Le morphisme est plat et localement de présentation finie si et seulement si l’est. Sous ces conditions (c’est notamment le cas si lui-même est plat et localement de présentation finie sur ), si est localement de type fini (resp. de type fini, resp. plat, resp. lisse, resp. étale, resp. net, resp. localement quasi-fini, resp. quasi-fini) sur , il en est de même de .
Exercice 3.4.10 (cf. SGA 3 [1] VI B §9)
Soit un monomorphisme de -schémas en groupes. On fait agir sur (librement) par translations à droite. On suppose que le faisceau quotient (au sens fppf) est représentable par un -schéma et on note le morphisme quotient. Montrer les assertions suivantes.
-
(1)
On note la section unité de et son composé avec . On appelle la « section unité » de . Montrer que le diagramme
est cartésien. En particulier, est une immersion (car en est une, puisque c’est une section de ).
-
(2)
agit à gauche sur , et le morphisme est compatible avec cette action et avec l’action de sur lui-même par translations à gauche.
-
(3)
Si est invariant dans , il existe sur une unique structure de -groupe qui fait de un morphisme de -groupes.
-
(4)
Pour que soit séparé sur , il faut et il suffit que soit une immersion fermée, ou encore que soit une immersion fermée.
Nous terminons cette section par l’énoncé d’un théorème qui permet de se débarrasser des nilpotents de la base dans les questions de représentabilité du faisceau quotient.
Théorème 3.4.11 ([8] III §2, no 7, thm 7.1)
Soit un schéma de base et soit une relation d’équivalence où et sont des schémas et où les sont fidèlement plats et de présentation finie. Soit un sous-schéma fermé de défini par un idéal nilpotent. On note et la relation induite par sur . Si le faisceau quotient est représentable par un schéma, alors l’est aussi.
3.5 Passage au quotient par une relation d’équivalence
Nous donnons dans ce paragraphe les principaux résultats de SGA 3 [1] V, avec des esquisses de preuves. Nous renvoyons à loc. cit. pour des preuves complètes. Nous avons préféré nous limiter aux relations d’équivalence, cas dans lequel les résultats sont plus forts (représentabilité du faisceau quotient, contre la seule existence d’un quotient catégorique autrement) et les preuves un peu plus simples. Les résultats présentés ici ont tous des analogues dans le cas des groupoïdes, que nous évoquerons dans la section 3.10.
Théorème 3.5.1 (cas fini et localement libre)
Soit une relation d’équivalence, avec des schémas. On suppose que
-
a)
est fini et localement libre (alors l’est aussi) ;
-
b)
pour tout , est contenu dans un ouvert affine de .
Alors :
-
(i)
Il existe un morphisme qui est un conoyau de dans . De plus est un conoyau dans la catégorie (Esp. Ann.) de tous les espaces annelés.
-
(ii)
est fini et localement libre.
-
(iii)
Le morphisme de composantes et est un isomorphisme.
-
(iv)
représente le faisceau quotient fppf de par la relation d’équivalence .
-
(v)
Pour tout morphisme , est le conoyau du couple de flèches déduit de par le changement de base . Autrement dit, « la formation du quotient commute au changement de base ».
Démonstration. On rappelle (3.3.2) qu’il existe une involution de telle que (donc ). En particulier, on voit que est fini et localement libre si et seulement si l’est. Par ailleurs, l’ensemble est aussi , donc les hypothèses sont en réalité symétriques en et . Il suffit de montrer (i), (ii) et (iii). Les assertions (iv) et (v) en sont des conséquences par 3.4.6 et 3.4.5.
Cas où est affine et localement libre de rang constant .
est alors affine aussi puisque est fini. On note et le morphisme d’anneaux correspondant à . On note le sous-anneau de formé des éléments tels que . On note enfin et le morphisme induit par l’inclusion de dans . Nous allons montrer que convient. En utilisant les propriétés d’une relation d’équivalence, on montre sans trop de difficultés (voir SGA 3 pour les détails) que pour , le polynôme caractéristique de lorsqu’on considère comme algèbre sur via est à coefficients dans et qu’il annule . Ceci prouve d’une part que est entier sur , et d’autre part
que pour , la norme est dans .
Assertion : si deux points ont même image dans , alors il existe tel que et . On raisonne par l’absurde. Dans le cas contraire, pour on aurait . Par ailleurs, on a aussi . Comme est entier, ceci implique que (par Cohen-Seidenberg, si et alors ). On a donc montré que l’ensemble ne rencontre pas . Comme est affine et fini, il existe alors une fonction qui s’annule en mais pas aux points de (voir exercice 3.5.2 ci-dessous). Alors la fonction s’annule sur la fibre , mais en aucun point de . Notant le lieu des zéros de cette fonction, on a (voir exercice 3.5.3). Alors s’annule sur , donc en , mais pas en . Ceci est absurde car et et ont la même image dans .
Considérons le morphisme de composantes et . Il est immédiat que c’est un morphisme fini (en composant avec par exemple, on obtient qui est fini). De plus c’est un monomorphisme puisque est une relation d’équivalence. C’est donc une immersion fermée. Par des arguments d’algèbre un peu longs pour être reproduits ici (voir SGA 3), on montre que c’est même un isomorphisme, et au passage que est fini et localement libre de rang (tout ceci est admis ici), donc surjectif.
Nous pouvons maintenant conclure. Vu l’assertion ci-dessus, on voit que l’ensemble sous-jacent à est le quotient de l’ensemble sous-jacent à par la relation d’équivalence définie par . De plus, comme est fini et localement libre, il est surjectif et ouvert, donc submersif, si bien que la topologie de est la topologie quotient de celle de . Enfin, il est clair vu la définition de que le faisceau structural de est formé des sections de telles que . Il en résulte que est le conoyau dans la catégorie des espaces annelés (voir la construction de ce conoyau en 3.2). Mais comme de plus est un morphisme de schémas, c’est un conoyau dans la catégorie des schémas par 3.2.5.
Cas où est localement libre de rang constant .
On montre d’abord l’assertion suivante.
Assertion : Tout point possède un voisinage ouvert affine et saturé.
Par hypothèse, il existe ouvert affine contenant la classe d’équivalence . On note la réunion des classes d’équivalences incluses dans . C’est un ouvert de car c’est le complémentaire de qui est fermé puisque est fini. De plus il est saturé par construction et c’est le plus grand ouvert saturé inclus dans . Comme est affine et comme l’ensemble est fini et contenu dans , il existe une fonction qui s’annule sur mais pas aux points de . Autrement dit l’ouvert principal est inclus dans et contient . On note la réunion des classes d’équivalences incluses dans . Comme précédemment c’est un ouvert saturé de . Il est contenu dans et contient . Il suffit de montrer qu’il est affine. On note le lieu d’annulation de dans . Alors est le lieu d’annulation de dans . Donc est le lieu d’annulation de dans (exercice 3.5.3). Or son complémentaire dans est précisément (par construction). est donc l’ensemble des points de où ne s’annule pas, ce qui prouve qu’il est affine et achève la preuve de notre assertion.
Montrons maintenant (i), (ii) et (iii). Soit le conoyau de dans la catégorie des espaces annelés. Soit et soit un voisinage ouvert affine et saturé de . On note . Alors est une relation d’équivalence dont (qui est un ouvert de ) est le conoyau dans (Esp. Ann.). D’après le cas affine, est un schéma. Vu que de tels recouvrent , on voit que est un morphisme de schémas, puis qu’il vérifie les conclusions (i), (ii) et (iii), locales sur .
Cas général.
Si , on note le rang de la fibre . Pour , on note alors l’ensemble des points de tels que . Comme est fini et localement libre, est la somme disjointe des . Par ailleurs, en utilisant l’associativité de la relation d’équivalence, on montre que , autrement dit, est saturé. On note . Le couple d’équivalence est alors la somme disjointe des couples d’équivalence , ce qui nous ramène au cas précédent et termine la preuve.
Exercice 3.5.2 (lemme d’évitement)
Soit un schéma affine. Montrer que si est un fermé de et si sont des points de , il existe une fonction qui s’annule sur mais pas aux points .
Exercice 3.5.3 (norme)
Soit un morphisme de schémas fini et localement libre de rang constant . Soit . Soit un ouvert affine de au-dessus duquel est libre de rang . La multiplication par est un endomorphisme -linéaire de . On note son déterminant. Il est clair que les se recollent en une section de que l’on appelle la norme de relativement à et que l’on note .
1) Montrer que la formation de commute au changement de base.
2) Montrer que si et seulement si .
3) Montrer que si désigne le lieu des zéros de dans , alors est le lieu des zéros de dans .
Les autres résultats majeurs de cet exposé V de SGA 3 sont l’existence du quotient dans le cas propre et plat (théorème 3.5.6) et l’existence du quotient génériquement dans le cas d’une relation d’équivalence seulement plate (théorème 3.5.8). Ils se ramènent tous deux au cas fini et localement libre vu ci-dessus par des techniques de quasi-section.
Définition 3.5.4
Soit une relation d’équivalence. Une quasi-section de est un sous-schéma qui vérifie les deux conditions suivantes.
-
(1)
La restriction de à est un morphisme fini, localement libre et surjectif de sur .
-
(2)
Pour tout , l’ensemble (fini d’après (1)) est contenu dans un ouvert affine de .
Lemme 3.5.5 (passage au quotient en présence d’une quasi-section)
Soit une relation d’équivalence qui possède une quasi-section. Alors :
-
(i)
Il existe un morphisme qui est un conoyau de dans . De plus est un conoyau dans la catégorie (Esp. Ann.) de tous les espaces annelés.
-
(i’)
est surjectif. De plus, si est ouvert (resp. universellement fermé, resp. plat) alors l’est aussi.
-
(ii)
Supposons localement noethérien et localement de type fini (resp. de type fini) sur . Alors et sont localement de présentation finie (resp. de présentation finie).
-
(iii)
Le morphisme de composantes et est un isomorphisme.
Démonstration. Soit une quasi-section. Notons et la restriction de à . Notons aussi et les relations d’équivalence obtenues à partir de par image réciproque (3.3.8) via les morphismes où est l’inclusion de dans . Il est clair sur la définition que est l’intersection . En particulier on a un carré cartésien :
On en déduit que est fini, localement libre et surjectif. La relation d’équivalence sur satisfait donc les hypothèses du théorème 3.5.1, et elle admet un quotient catégorique. De plus, le morphisme a une section (car en a une) donc il est couvrant et l’exercice 3.3.11 montre que la relation d’équivalence sur a elle aussi un conoyau, qui de plus coïncide avec celui de . Mais est obtenue par image réciproque à partir de via , qui est égal au composé . L’exercice 3.3.10 montre donc que s’obtient aussi par image réciproque via le morphisme . Or ce dernier est fini et localement libre, donc couvrant, et l’exercice 3.3.11 donne l’existence d’un quotient catégorique pour la relation sur . On a de plus un diagramme commutatif
où et sont les conoyaux des relations d’équivalence et . Comme est fini et localement libre par 3.5.1, on déduit sans difficultés de ce diagramme les assertions (i’) et (ii). Pour montrer (iii), par descente fidèlement plate il suffit de montrer que le morphisme naturel est un isomorphisme, puisqu’il se déduit de par le changement de base fidèlement plat et quasi-compact . Or il se déduit aussi par changement de base de , qui est un isomorphisme.
Il reste à démontrer que est un conoyau dans la catégorie de tous les espaces annelés. On déduit aisément de ce qui précède que est bien l’ensemble quotient de par , puis l’espace topologique quotient. En appliquant la propriété universelle du conoyau pour à la droite affine , on voit que s’identifie à l’ensemble des fonctions telles que . Ceci montre que le faisceau structural de a les bonnes sections globales. Pour les sections au-dessus d’un ouvert quelconque de , on applique ce qui précède à la relation d’équivalence sur induite par via le changement de base (il faut juste vérifier que induit une quasi-section pour cette relation d’équivalence).
Théorème 3.5.6 (cas propre et plat)
Soient un schéma localement noethérien et une relation d’équivalence dans . On suppose que :
-
a)
est propre et plat (donc aussi) ;
-
b)
est quasi-projectif sur .
Alors :
-
(i)
Il existe un morphisme qui est un conoyau de dans . De plus est un conoyau dans la catégorie (Esp. Ann.) de tous les espaces annelés.
-
(ii)
est propre, fidèlement plat et de présentation finie. De plus est de présentation finie.
-
(iii)
Le morphisme de composantes et est un isomorphisme.
-
(iv)
On a les mêmes conséquences (iv) et (v) qu’en 3.5.1.
Démonstration. Pour prouver (i), il suffit de montrer que tout point de possède un voisinage ouvert et saturé tel que le conoyau de la relation d’équivalence induite au-dessus de dans la catégorie des espaces annelés soit un conoyau dans la catégorie des schémas. Vu le lemme ci-dessus, il suffit de montrer que l’on peut choisir de telle sorte que ait une quasi-section. De plus, on peut supposer que est fermé dans sa fibre au-dessus de , puisque dans chaque fibre les points fermés sont très denses. Fixons donc un tel , et construisons .
La question étant locale sur , on peut le supposer affine. Le lemme 3.5.7 donne alors l’existence d’un fermé de tel que soit fini et non vide, et tel que le morphisme composé
soit plat aux points de . Notons et le morphisme induit par . Comme est de type fini, d’après SGA 1, IV 6.10 et EGA 3, 4.4.10, l’ensemble des points où il est plat et quasi-fini est un ouvert de . Notons le fermé complémentaire de cet ensemble dans . C’est aussi un fermé de . Comme est propre, est fermé dans . On pose . est un ouvert de car il est égal à et est plat et de type fini, donc ouvert, sur .
Montrons que contient . Pour cela, comme on sait déjà que est plat aux points de , il suffit de montrer qu’il est aussi quasi-fini en ces points, c’est-à-dire que la fibre est finie. Pour cette question, on peut raisonner sur les fibres au-dessus de l’image de dans , et supposer que est le spectre d’un corps. Alors est un point fermé de . Comme l’ensemble est fini par construction de , l’exercice 3.5.9 montre que ne contient qu’un nombre fini de points dont la première (resp. seconde) projection est dans cet ensemble (resp. est égale à ). Vu que s’injecte dans , on en déduit aussitôt que est fini.
En utilisant l’associativité de la relation d’équivalence, on montre que est saturé, et qu’il existe un ouvert de tel que (ceci est admis ici, voir SGA 3 pour les détails). Notons que contient nécessairement puisqu’il est saturé. Il résulte alors de la construction de que le sous-schéma est une quasi-section pour la relation d’équivalence induite par au-dessus de . Ceci achève la preuve de (i).
Les assertions (ii) et (iii) sont locales sur . On peut donc supposer, vu ce qui précède, que la relation d’équivalence a une quasi-section. Le lemme 3.5.5 donne alors toutes les conclusions sauf la séparation de . Mais celle-ci résulte du fait que est quasi-projectif, donc séparé.
Lemme 3.5.7
Soient un schéma affine et noethérien et une relation d’équivalence dans . On suppose que est plat et de type fini (donc aussi) et que est quasi-projectif sur . Soit un point de qui est fermé dans sa fibre au-dessus de . Alors il existe un fermé de tel que :
-
a)
soit fini et non vide ;
-
b)
le composé soit plat aux points de .
Démonstration. On construit une suite décroissante de fermés qui vérifient la propriété b) et tels que soit non vide. On peut prendre . Supposons construit. Si est fini, alors convient et on s’arrête. Sinon nous allons construire . Comme est noethérien le processus doit s’arrêter donc ceci achèvera la preuve du lemme. Notons l’image de , et , les fibres au-dessus de . On peut supposer que est un sous-schéma de où est l’algèbre symétrique d’un -module de type fini. L’ensemble est fermé dans . Notons les points génériques de ses composantes irréductibles. L’image de cet ensemble est une partie constructible de , et infinie par hypothèse, donc elle contient une infinité de points fermés. On peut donc y choisir un point fermé dans la fibre et distinct des points . Comme est fermé dans , son adhérence dans ne contient pas les , donc il existe homogène de degré qui s’annule en mais pas aux points (exercice analogue à 3.5.2). On pose alors . C’est un fermé de , strictement inclus dans car il ne contient pas les , et non vide car il contient .
Il reste à montrer que la restriction de à est plate aux points de . Soit un tel point. Notons (resp. , ) l’anneau local de dans (resp. de dans , de dans vu comme sous-schéma fermé de ). On sait par hypothèse que est plat sur . On peut décrire l’anneau local de dans comme suit. Soit homogène de degré 1 tel que soit un voisinage de dans . Au voisinage de , a pour équation (dans ). Donc au voisinage de , a pour équation (dans ) l’image de dans . L’anneau local est donc . Il résulte par ailleurs de la construction de que ne divise pas 0 dans . On en déduit que est plat sur d’après l’exercice 3.5.10.
Théorème 3.5.8 (cas plat)
Soient un schéma localement noethérien et une relation d’équivalence dans . On suppose que :
-
a)
est plat et de type fini ;
-
b)
est de type fini sur .
Il existe alors un ouvert de dense, saturé et satisfaisant aux propriétés suivantes :
-
(i)
La relation d’équivalence induite par sur possède un conoyau dans . De plus est un conoyau dans la catégorie (Esp. Ann.) de tous les espaces annelés.
-
(ii)
est fidèlement plat et de présentation finie, et est de présentation finie.
-
(iii)
Le morphisme de composantes et est un isomorphisme.
Démonstration. D’après le lemme 3.5.5, il suffit de montrer que l’on peut choisir de telle sorte que la relation d’équivalence induite sur ait une quasi-section. Il suffit en fait de montrer que, pour fermé dans sa fibre au-dessus de , il existe un ouvert saturé qui possède une quasi-section et rencontre toutes les composantes irréductibles de passant par (mais ne contient pas nécessairement ). En effet on peut alors construire un ouvert dense qui soit union disjointe de tels .
Pour construire , on peut supposer affine. Pour simplifier l’exposé, supposons quasi-projectif sur (voir SGA 3 pour la variante permettant de s’affranchir de cette hypothèse). On peut alors appliquer le lemme 3.5.7, qui nous donne un fermé de tel que soit fini et non vide et que le composé soit plat aux points de . De même qu’en 3.5.6, il résulte de 3.5.9 que la fibre est finie. Notons l’ouvert de formé des points où est à la fois plat et quasi-fini. On note alors le plus grand ouvert de au-dessus duquel est fini et plat. Cet ouvert ne contient pas nécessairement , mais il contient les points génériques des composantes irréductibles passant par . En utilisant l’associativité de la relation d’équivalence et des arguments de descente fpqc, on montre alors que est saturé, puis que est de la forme où est un ouvert de qui est une quasi-section pour la relation d’équivalence induite par au-dessus de (voir SGA 3 pour les détails).
Exercice 3.5.9
Soient un corps et deux -schémas avec de type fini. Soient un point fermé de et un point de . Alors le produit fibré ne contient qu’un nombre fini de points dont les projections sont et .
Exercice 3.5.10 (SGA 1, IV, 5.7)
Soit un morphisme local d’anneaux locaux noethériens, un morphisme de -modules de type fini, avec plat sur , et injectif (où est le corps résiduel de ). Alors est injectif, et est plat sur .
Exemple 3.5.11
Soient un schéma noethérien et un -schéma projectif, plat et à fibres géométriquement intègres. Notons le foncteur de Picard de . Grothendieck a montré dans FGA que est représentable par un schéma qui est union disjointe de sous-schémas ouverts, dont chacun est réunion d’ouverts quasi-projectifs. L’existence de quotients par des relations d’équivalence propres et plates est un ingrédient essentiel de la démonstration. Voici l’idée. Étant donné un polynôme , on note le sous-faisceau étale de associé au préfaisceau dont les -points sont les fibrés en droites sur tels que pour tout et pour tout ,
On montre que est une union disjointe des ainsi définis. Notons le sous-faisceau étale de associé au préfaisceau dont les -points sont les fibrés en droites sur qui vérifient la condition précédente, et tels que de plus le faisceau soit nul pour tout et tout . On montre alors que les sont des ouverts de , dont est la réunion croissante. On montre enfin que est le quotient par une relation d’équivalence propre et lisse d’un ouvert convenable de , et que cet ouvert est quasi-projectif (en plongeant dans le schéma de Hilbert de sur ). Le théorème 3.5.6 montre alors que est représentable. Nous renvoyons à l’exposé de Kleiman dans [9], théorème 9.4.8, pour les détails de la preuve et pour la quasi-projectivité de .
3.6 Espaces algébriques
Nous nous autorisons ici une petite digression que le lecteur désireux de rester dans le monde des schémas peut passer. La théorie des espaces algébriques est due à Michael Artin et fut développée avec Donald Knutson. Un espace algébrique est un faisceau étale qui, localement pour la topologie étale, est isomorphe à un schéma (voir la définition précise ci-dessous). De plus, la plupart des concepts et des techniques disponibles pour les schémas se généralisent aux espaces algébriques (voir [15]), si bien que l’on peut travailler avec eux « presque comme si » l’on travaillait avec des schémas. La catégorie des espaces algébriques contient celle des schémas quasi-séparés, et le difficile théorème 3.6.5 montre en particulier que cette catégorie des espaces algébriques est un champ pour la topologie fppf. Ce résultat remarquable a notamment la conséquence suivante. Soit une famille couvrante fppf et soit une famille de -schémas quasi-séparés. Alors toute donnée de descente sur cette famille est effective dans la catégorie des espaces algébriques. Autrement dit, à défaut d’obtenir un schéma en recollant les le long de cette donnée de descente, on obtient toujours au moins un espace algébrique. Pour la question de l’existence du quotient d’un schéma sous l’action d’un groupe , on retiendra le corollaire 3.6.6 : si l’action est libre et le groupe plat (avec des hypothèses de finitude raisonnables), alors est au moins un espace algébrique.
Définition 3.6.1
Un espace algébrique (sous-entendu, quasi-séparé) est un faisceau étale
vérifiant les propriétés :
-
(i)
Le morphisme diagonal est schématique et quasi-compact.
-
(ii)
Il existe un schéma et un morphisme de faisceaux (automatiquement schématique par (i)) qui est étale et surjectif.
Exercice 3.6.2
Soient un -schéma et deux -schémas (ou plus généralement , , des foncteurs de vers (Ens) avec des morphismes et ). Vérifier que le carré
est cartesien (où est le morphisme diagonal). En déduire qu’un morphisme comme en (ii) est automatiquement schématique sous la condition (i).
De manière équivalente, on peut définir un espace algébrique comme étant le quotient d’une relation d’équivalence étale.
Proposition 3.6.3
-
a)
Si est un espace algébrique et si en est une présentation (i.e. est un schéma et est étale et surjectif) alors est le faisceau quotient de la relation d’équivalence
On vérifie facilement qu’ici les projections sont étales et le monomorphisme est quasi-compact.
-
b)
Soit
une relation d’équivalence dans avec étales et quasi-compact. Alors le faisceau quotient est un espace algébrique et le morphisme canonique en est une présentation.
Démonstration. Voir [15] II 1.3. On remarquera que a) est facile. En revanche, la réciproque b) nécessite des arguments de descente et un peu de travail.
Exercice 3.6.4
Soit un schéma en groupes étale et de présentation finie qui agit librement sur un -schéma quasi-séparé. Montrer que la relation d’équivalence associée vérifie les conditions de la proposition précédente et en déduire que le faisceau quotient est un espace algébrique.
Théorème 3.6.5 (Artin)
Soit une relation d’équivalence dans (ou plus généralement dans la catégorie des espaces algébriques sur ) avec et plats et localement de présentation finie et quasi-compact. Alors le faisceau quotient est un espace algébrique.
Démonstration. [16] 10.4
Corollaire 3.6.6
Soit un espace algébrique en groupes plat et de présentation finie qui agit librement sur un espace algébrique quasi-séparé. Alors le faisceau quotient est un espace algébrique.
Démonstration. C’est juste un cas particulier du théorème précédent.
Exercice 3.6.7 ([4], Example 03FN)
Soient et .
1) Montrer que est isomorphe à avec , les projections sur s’identifiant aux applications et où est la conjugaison complexe.
2) On note . Montrer que l’inclusion de dans est une relation d’équivalence sur et que le quotient est un espace algébrique.
3) En utilisant 3.4.5, montrer que le morphisme induit un isomorphisme , que la fibre s’identifie à , et que l’espace algébrique obtenu à partir de par le changement de base (ou, ce qui revient au même, ) est la droite affine complexe avec origine dédoublée.
4) Montrer que n’est pas un schéma (supposer le contraire, et regarder l’anneau local de l’unique point au-dessus de ).
5) Montrer que n’est pas séparé, mais qu’il est tout de même localement séparé et quasi-séparé (i.e. sa diagonale est une immersion quasi-compacte). Il est de plus étale.
Le célèbre exemple de Hironaka (voir [13]), dont nous avons déjà parlé en 2.3.2, d’une variété propre et lisse de dimension 3 sur qui n’est pas projective, a été utilisé à maintes reprises pour construire des exemples de données de descente non effectives. On obtient ainsi un espace algébrique lisse de dimension 3 sur qui n’est pas un schéma (cf. par exemple [15], [9, 4.4.2] ou [18]). Historiquement, c’est Nagata qui a donné dans [19] le premier exemple de surface algébrique propre et normale mais non projective (sur un corps assez gros). La surface est munie d’une involution qui échange deux points et qui ne sont simultanément contenus dans aucun ouvert affine. Ceci empêche le faisceau quotient d’être un schéma. C’est cependant un espace algébrique.
3.7 Quotients de groupes sur un corps (voire un anneau artinien)
Dans toute cette section, désignera un corps. Il convient de mentionner que la plupart des résultats ci-dessous sont encore valables si l’on remplace par un anneau artinien, modulo quelques hypothèses de platitude sur les objets en jeu. Pour simplifier un peu, nous avons préféré nous contenter de résultats sur un corps. Compte tenu de 3.4.11, cette restriction n’est pas très gênante, et nous renvoyons à SGA 3 [1] pour les variantes sur un anneau artinien.
Théorème 3.7.1 ([1] SGA 3 VIA 3.2)
Soient et des -schémas en groupes localement de type fini et soit un monomorphisme quasi-compact de -groupes. Alors le faisceau quotient (au sens fppf) est représentable par un -schéma.
Remarque 3.7.2
On rappelle que par 3.4.6 et les exercices qui suivent, le quotient dont ce théorème donne l’existence jouit d’un certain nombre de propriétés agréables. Ainsi le morphisme est fidèlement plat et localement de présentation finie, le morphisme canonique est un isomorphisme, est séparé et est une immersion fermée.111111Les deux dernières assertions demandent encore un peu de travail… Si est lisse, alors l’est aussi. Enfin, si est un sous-groupe invariant de , il existe sur une unique structure de -groupe telle que soit un morphisme de groupes.
Démonstration. Nous donnons seulement la preuve dans le cas où et sont de type fini sur . L’idée est de montrer que le théorème est valable après une extension finie de , puis de conclure par des arguments de descente.
Assertion 1 : Si est représentable, alors toute partie finie de est contenue dans un ouvert affine.
Notons et la projection de sur . Soit un ouvert affine dense dans (il en existe car est de type fini sur ). Soient des points de . Supposons dans un premier temps qu’il existe pour tout un point -rationnel au-dessus de , et que l’ouvert de (automatiquement dense car est ouvert) contienne un point -rationnel . Alors pour tout , donc et . Donc l’ouvert affine , image de par la translation à gauche par dans , convient.
Dans le cas général, on peut supposer les fermés dans . Pour tout soit un point fermé au-dessus de . Soit une extension finie de telle que tous les au-dessus des soient -rationnels (prendre par exemple pour une extension normale de qui contient les corps résiduels des ). Alors est un ouvert dense de , donc contient un point fermé . Quitte à agrandir on peut supposer que est -rationnel. Le cas traité précédemment montre alors qu’il existe un ouvert affine de contenant les images des . Comme les sont tous les points de au-dessus des , il forment une réunion d’orbites pour la relation d’équivalence finie et localement libre sur définie par la projection . En raisonnant comme dans 3.5.1 (construction d’un voisinage ouvert affine et saturé), on trouve un ouvert affine et saturé qui contient tous les . Son image dans contient tous les , et c’est un ouvert affine car quotient de l’affine par une relation d’équivalence finie et localement libre (voir le cas affine de 3.5.1).
Assertion 2 : Il existe une extension finie de telle que soit représentable.
Ici désigne le foncteur sur obtenu à partir de par le changement de base . Si est une extension finie de , on note la réunion des ouverts , stables sous l’action à droite de , et tels que le faisceau quotient soit un schéma. Si est un tel ouvert, ses translatés à gauche par les points de vérifient encore les mêmes propriétés, donc est stable par multiplication à gauche par les -points de . D’après 3.5.8, on voit que est dense dans et contient en particulier un point fermé. Quitte à remplacer par une extension finie, on peut supposer que contient un -point. Alors pour toute extension , contient tous les -points, et l’exercice 3.7.3 donne le résultat.
Conclusion (descente)
Le morphisme est en particulier fidèlement plat et de présentation finie. Alors d’après 2.2.15, le schéma est muni d’une donnée de descente relativement à . D’après l’assertion 1, toute partie finie de est contenue dans un ouvert affine. Par SGA 1 [3] VIII 7.6, la donnée de descente sur est alors effective (ici on pourrait aussi utiliser 3.5.1), ce qui par 2.2.15 entraîne la représentabilité de .
Exercice 3.7.3
Soit un schéma de type fini sur un corps . Pour toute extension de , on suppose donné un ouvert de , avec les propriétés suivantes :
-
(i)
Si , alors contient .
-
(ii)
contient tous les points -rationnels de .
Montrer par récurrence sur la dimension du fermé qu’il existe une extension finie de telle que . [Indication : Notons . On choisit un point fermé dans chaque composante irréductible de . Soit une extension finie et normale de qui contient les corps résiduels de tous les . Alors tout point de au-dessus d’un est -rationnel. En déduire que et conclure grâce à l’hypothèse de récurrence.]
Nous signalons ci-dessous quelques conséquences de ce théorème. Nous renvoyons à SGA 3 [1] pour les preuves, pour d’autres énoncés, ou le cas échéant pour des énoncés analogues valables sur un anneau artinien.
Exercice 3.7.4 ([1] IV 5.2.7 et VIA 5.3.1)
Soient un corps, un -groupe localement de type fini et un sous-groupe invariant fermé121212Cette dernière hypothèse est en réalité superflue. En effet, si est un schéma en groupes sur un corps, ou plus généralement sur un anneau artinien, alors tout sous-groupe de est fermé, cf. [1] VIA 0.5.2. de . Alors les applications et définissent une correspondance bijective entre les -sous-groupes de et les -sous-groupes de contenant .
Exercice 3.7.5 ([1] IV 5.2.9 et VIA 5.3.2)
Soient un corps, un -groupe localement de type fini et des sous-groupes (fermés) de avec invariant dans . Alors :
-
(i)
opère librement à droite sur ;
-
(ii)
le quotient existe ;
-
(iii)
on a un isomorphisme canonique de -schémas (munis d’actions de ) :
Proposition 3.7.6 ([1] VIA 5.4.1)
Soient des -groupes localement de type fini et un morphisme quasi-compact. On note . Alors on a la factorisation :
où est fidèlement plat, localement de présentation finie, et est une immersion fermée.
Remarque 3.7.7
Cet énoncé se généralise aux -groupes quelconques (non nécessairement localement de type fini) de la manière suivante. Soit un morphisme quasi-compact de -groupes. On note . Alors le faisceau quotient fpqc est représentable par un -groupe, et se factorise comme ci-dessus avec fidèlement plat et une immersion fermée. (cf. [20] V 3.3 à 3.4) En particulier, si est schématiquement dominant, il est fidèlement plat.
Théorème 3.7.8 ([1] VIA 5.4.2, VIA 5.4.3 et [21] 4.2.6)
Les catégories suivantes sont abéliennes :
-
—
la catégorie des -groupes commutatifs et quasi-compacts ;
-
—
la catégorie des -groupes commutatifs et de type fini ;
-
—
la catégorie des -groupes commutatifs, de type fini et affines.
Remarque 3.7.9
Pour conclure, mentionnons rapidement deux cas particuliers de quotients. Soit un -groupe localement de type fini. Il est montré en [1] VIA 5.5.1 que est étale sur , et même constant lorsque est algébriquement clos. Par ailleurs, si est parfait, alors est le spectre d’une -algèbre finie et locale, de corps résiduel ([1] VIA 5.6.1).
3.8 Quotient par le normalisateur d’un sous-groupe lisse
Le théorème ci-dessous donne un exemple non trivial d’existence de schéma quotient. La preuve donnée repose en partie sur l’existence d’un espace algébrique quotient (donc sur les théorèmes d’Artin), qui remplace les techniques de Murre utilisées dans SGA 3.
Définition 3.8.1
Soient un schéma et un monomorphisme de -groupes. On définit le centralisateur de dans , noté , et le normalisateur de dans , noté , comme étant les sous-foncteurs de sur définis fonctoriellement par
Théorème 3.8.2 (SGA 3, tome II, exp. XVI, cor. 2.4)
Soient un schéma et un -schéma en groupes de présentation finie sur . Soit un sous-groupe de , c’est-à-dire un -schéma en groupes muni d’un morphisme de -groupes qui est un monomorphisme. On suppose lisse sur et à fibres connexes (il est alors automatiquement de présentation finie sur par SGA 3 VIB 5.3.3). On note le normalisateur de dans .
-
(i)
Alors est représentable par un sous-schéma en groupes fermé de , de présentation finie sur . (Voir aussi SGA 3 XI 6.11.)
-
(ii)
On suppose de plus plat sur . Alors est représentable par un -schéma, de présentation finie sur , et quasi-projectif sur .
Nous allons seulement donner la preuve de ce théorème dans le cas particulier où et sont affines et où est un sous-groupe fermé de . Par des arguments standard de passage à la limite, on peut supposer noethérien. On note , et . On peut aussi supposer connexe. Alors est de dimension relative constante sur . Notons (resp. ) le ième voisinage infinitésimal de la section unité dans (resp. dans ). Autrement dit, si désigne l’idéal de correspondant à la section unité, on a et . Comme est lisse, le module est libre sur de rang fini (déterminé par et par la dimension relative de sur ). Notons encore131313On rappelle que si est un module quasi-cohérent sur un schéma et si est un entier, la grassmannienne est définie fonctoriellement de la manière suivante. Pour tout -schéma , est l’ensemble des -modules quotients de qui sont localement libres de rang . Le foncteur est toujours représentable par un schéma séparé sur . Si de plus est cohérent, ce schéma est projectif sur (cf. EGA 1 [11] 9.7 et 9.8). où est le rang sur de . L’action de sur lui-même par automorphismes intérieurs induit une action naturelle de sur . Par ailleurs le quotient de définit un -point (qui est une immersion fermée) de
On note le normalisateur dans de . On vérifie alors que l’on a un carré cartésien
où le morphisme est l’orbite de . Ceci prouve en particulier que est représentable par un sous-schéma fermé de . Les ainsi construits forment une suite décroissante de sous-foncteurs de :
Soit l’intersection des sous-foncteurs . On a évidemment l’inclusion . Il se trouve que l’inclusion réciproque est vraie aussi141414En effet, soit et montrons que . Comme le raisonnement qui suit vaut après tout changement de base ceci prouvera que . Notons le sous-schéma en groupes fermé de intersection de et de . Il faut montrer que . Pour tout , on sait par hypothèse que donc contient les voisinages infinitésimaux de la section unité. Ceci implique que le morphisme est étale en tout point de la section unité de sur . Notons l’ouvert de formé des points où est étale. C’est un sous-groupe ouvert de par [1] SGA 3 VIB 2.2. Le morphisme est un monomorphisme étale, donc une immersion ouverte. Maintenant, pour tout , la fibre est un sous-groupe ouvert de , mais il est aussi fermé (comme tout sous-groupe d’un schéma en groupes sur un corps, [1] SGA 3 VIA 0.5.2). Comme est par hypothèse connexe on en déduit que l’immersion ouverte est surjective. A fortiori et le résultat est démontré. . De plus, la suite stationne puisque est noethérien. Il en résulte que est égal à pour assez grand. En particulier est un sous-schéma fermé de , ce qui prouve le point (i).
Supposons maintenant plat et montrons que le quotient est représentable. Commençons par remarquer que d’après les résultats d’Artin (3.6.6) est un espace algébrique de présentation finie sur . Il reste donc seulement à montrer qu’il est quasi-projectif. Fixons un entier tel que . Le morphisme d’orbite induit alors un monomorphisme
Comme et sont de présentation finie sur , est lui-même de présentation finie. D’après le théorème principal de Zariski (généralisé aux espaces algébriques, cf. par exemple [16] A.2.2), le morphisme est quasi-affine, ce qui achève la preuve.
Remarque 3.8.3 (représentabilité des centralisateurs)
Par le même genre d’arguments, on peut montrer que, sous les mêmes hypothèses, le centralisateur est lui aussi représentable par un sous-schéma en groupes fermé de , de présentation finie sur (voir [1] XI 6.11).
Le théorème 3.8.2 s’appliquera en particulier au cas du quotient d’un schéma en groupes réductif par un sous-groupe parabolique ou un sous-groupe de Lévi151515Rappelons quelques définitions. Soit un schéma en groupes affine, lisse et de présentation finie sur un schéma . Si est le spectre d’un corps algébriquement clos, un sous-groupe de Borel de est un sous-groupe algébrique lisse résoluble connexe, et maximal pour ces propriétés. Un sous-groupe parabolique est un sous-groupe qui contient un sous-groupe de Borel. Maintenant si est une base quelconque, un sous-groupe de Borel est un sous-schéma en groupes lisse et de présentation finie dont les fibres géométriques sont des sous-groupes de Borel des . De même un sous-groupe parabolique est un sous-schéma en groupes lisse et de présentation finie dont les fibres géométriques sont des sous-groupes paraboliques. d’icelui. En effet, nous verrons dans les cours de Conrad, Gross et Yu le résultat suivant.
Proposition 3.8.4
Soit un -schéma en groupes réductif. Soit un sous-groupe parabolique de . Alors est identique à son propre normalisateur.
On en déduit161616La preuve de (ii) ci-dessous donnée dans SGA 3 XXVI 3 repose sur l’étude du schéma des sous-groupes critiques de . La preuve que nous esquissons est une alternative et s’appuie sur le théorème ci-dessus mais aussi sur des travaux de Seshadri pour obtenir le complément affine. :
Corollaire 3.8.5 (SGA 3 [1] XXVI 1.2 et 3.13)
Soient un -schéma en groupes réductif et un sous-groupe parabolique de .
-
(i)
Alors est un sous-schéma fermé de , et le quotient est représentable par un schéma projectif et lisse sur .
-
(ii)
Si est un sous-groupe de Lévi de , les quotients et sont représentables par des schémas affines et lisses sur .
Démonstration. (i) Vu que est lisse sur et à fibres connexes, on peut appliquer le théorème 3.8.2 et on voit que est un -schéma quasi-projectif et de présentation finie sur . Il est lisse par 3.4.9. Enfin le morphisme a une section, et ses fibres sont propres et géométriquement connexes, donc il est propre par [10] EGA IV3, 15.7.11.
(ii) Par [1] XXII 5.10.2, le normalisateur est lisse sur , et le groupe quotient est fini étale sur . Il résulte de 3.8.2 et 3.4.9 que est un -schéma quasi-projectif lisse et de présentation finie sur . De plus agit à droite sur , et comme on vient de voir que le quotient est représentable, on en déduit facilement que la projection est étale et finie (car l’est). Il reste à montrer que ces quotients sont affines. Par [10] EGA II 6.7.1 il suffit de le faire pour . On peut ici appliquer directement un raisonnement de Colliot-Thélène et Sansuc (voir [7, 6.12]) reposant sur un résultat de Seshadri. Voici l’idée. La question est locale sur pour la topologie étale donc on peut supposer affine et déployé ([1, XXII, 2.3]). Alors provient d’un -groupe réductif déployé ([1, XXV, 1.1]). Utilisant [24, I.1, proposition 3 p. 236 et lemme 1 p. 230], on en déduit l’existence d’une immersion fermée qui est un morphisme de groupes. L’action de sur lui-même par translations à droite est alors linéarisable (car il en est ainsi pour ). En particulier l’action de sur est linéarisable. On pose où est le morphisme structural de . D’après [24, théorème 3 p.268 et remarque 8 p.269], est un quotient catégorique de sous l’action de . Comme le faisceau quotient en est aussi un puisque c’est un schéma, ils sont isomorphes et est affine.
3.9 Quotient d’un schéma affine par un groupe diagonalisable opérant librement
Soient un schéma et un schéma affine sur . On note avec une -algèbre quasi-cohérente. Soit un groupe diagonalisable. Alors se donner une action de sur revient à se donner une -graduation de , i.e. une décomposition de en
avec pour tous . En notant l’algèbre de et , , ses générateurs canoniques comme -module, l’action associée à une telle décomposition de est donnée par le morphisme :
L’énoncé ci-dessous donne des conditions nécessaires et suffisantes pour qu’un tel muni d’une action de soit un -torseur sur .
Proposition 3.9.1 ([1] SGA 3 VIII 4.6)
Avec les notations ci-dessus, est un -torseur (au sens fpqc) si et seulement si les conditions suivantes sont vérifiées :
-
a)
Le morphisme est un isomorphisme.
-
b)
Pour tout , on a .
Théorème 3.9.2 (SGA 3 [1] VIII 5.1)
Soient un schéma, un groupe commutatif ordinaire, le groupe diagonalisable associé, et un schéma affine sur sur lequel opère librement à droite.
Alors le quotient existe et est un -torseur sur (où ). De plus, est affine sur . Plus précisément, si où est une -algèbre quasi-cohérente, alors est isomorphe à où est l’algèbre des invariants sous . (Remarque : est aussi le composant de degré 0 de avec les notations ci-dessus.)
Enfin, si est de type fini (resp. de présentation finie) sur , il en est de même de .
Démonstration. On note . Le morphisme est alors -invariant, donc l’action de sur (par -morphismes) induit une action de sur (par -morphismes). Comme l’action de départ est libre, on voit facilement que l’action de sur (au-dessus de ) est libre. D’après 3.4.6, il suffit pour conclure de montrer que cette action fait de un -torseur sur . On peut ainsi supposer . De plus, être un torseur étant une propriété locale sur , on peut supposer affine. On utilise la proposition 3.9.1 ci-dessus. La condition a) est évidente. Donc pour conclure la première partie il suffit de montrer que pour tout on a . C’est le point-clé de la preuve, et l’objet de l’exercice ci-dessous.
Il reste à montrer la dernière assertion. Supposons donc de type fini sur . Alors est de type fini sur . En particulier, après un changement de base qui trivialise le torseur sur , on voit par 3.1.5 que est de type fini171717On peut suppose non vide, ce qui est évidemment loisible.. Le groupe est donc de présentation finie sur . Comme est un -torseur sur , on en déduit par descente que lui-même est de présentation finie sur . On conclut par EGA IV [10] (11.3.16).
Exercice 3.9.3
On garde les notations de la preuve. On montre ici que pour tout on a . Le cas étant trivial, on peut supposer .
1. Montrer qu’il existe tel que . [Indication : Raisonner par l’absurde, et montrer que dans le cas contraire, la projection canonique est un morphisme d’anneaux, ce qui définit un point fixe sous et contredit la liberté de l’action.]
2. Montrer qu’il existe un sous-ensemble fini tel que
[Indication : Dans le cas contraire, considérer un idéal maximal de contenant l’idéal . On note le point fermé correspondant à . Montrer que la fibre est stable sous , et que l’action induite de sur est encore libre. Appliquer alors le point 1. et obtenir une contradiction.]
3. On note . Montrer que est un sous-groupe de .
4. Montrer le résultat escompté lorsque est un corps. [Indication : On raisonne par l’absurde. Si , alors . On regarde . C’est un sous-groupe fermé de . Il agit donc librement sur (via ). Appliquer le résultat de la question 2. à cette action et obtenir une contradiction.]
5. Pour , montrer que si et seulement si pour tout idéal maximal de , on a .
6. Pour un point fermé , correspondant à un idéal maximal de , montrer que l’on a pour tout . [Indication : Considérer comme dans la question 2. l’action induite de sur la fibre et utiliser la question 4.]
7. Conclure.
Exemple 3.9.4
Le théorème 3.9.2 montre que le groupe est affine sur . En effet, par définition, ce groupe est le quotient de (qui est affine) par l’action libre de par homothéties. Plus précisément, si , alors est le spectre du sous-anneau de formé des éléments homogènes de degré 0.
Exemple 3.9.5
Soit un corps. On fait agir sur par . Le quotient est représentable et s’identifie à , qui n’est pas affine. On retrouve donc grâce au théorème ci-dessus le fait que n’est pas affine. On peut aussi utiliser le théorème 3.9.2 pour vérifier que le quotient est bien . En effet, est la réunion de deux ouverts affines stables et . D’après le théorème, le quotient de par l’action donnée de est représentable par le sous-anneau de formé des éléments invariants sous , c’est-à-dire . De même le quotient de s’identifie au spectre de , si bien que le quotient de s’obtient en recollant deux copies de la droite affine par .
Remarque 3.9.6
Le cas particulier où est lui-même un groupe diagonalisable et de type fini sur dont est un sous-groupe mérite une digression. Dans ce cas, on peut écrire où est un groupe abélien de type fini (cf. 3.1.5). Les sorites de SGA 3 sur les groupes diagonalisables (voir [1] VIII 1.5, 3.1 et 3.2) montrent que le morphisme de -groupes provient d’un morphisme de groupes ordinaires , qui est même surjectif, et que est en fait automatiquement un sous-groupe fermé de . Alors, en notant le noyau de , le faisceau quotient est représentable par .
Exemple 3.9.7
Le quotient de par son sous-groupe est représentable par un schéma affine. On le savait déjà : le quotient n’est autre que lui-même d’après la suite exacte de Kummer. La suite exacte de Kummer correspond à la suite exacte de groupes abéliens
Remarque 3.9.8
Dire que pour tout , on a , est en fait équivalent à dire que le (mono)morphisme est une immersion fermée181818En effet, c’est équivalent à l’égalité pour tout dans , ce qui équivaut encore à la surjectivité du morphisme , .. En particulier, si l’on sait a priori que ce morphisme est une immersion fermée, le théorème 3.9.2 est plus ou moins trivial. Mais surtout, on a le
Corollaire 3.9.9
- a)
-
b)
Pour toute section de , le morphisme d’orbite donné fonctoriellement par , est une immersion fermée. (En particulier, dans un groupe affine, tout sous-groupe diagonalisable est automatiquement fermé.)
-
c)
Si est de type fini, le quotient est un « quotient géométrique universel » au sens de Mumford (cf. [18]).
Démonstration. Le point a) a déjà été démontré et b) en est une conséquence immédiate puisque le morphisme d’orbite se déduit du morphisme de a) par le changement de base . Le cas particulier donné entre parenthèses s’obtient en appliquant b) à la section neutre du groupe affine considéré. Montrons c). Avec la terminologie de loc. cit. on sait déjà que est un « quotient catégorique universel » puisqu’il représente le faisceau quotient. Donc d’après la remarque (3) de [18] 0. §2, pour conclure il suffit de montrer que est universellement submersif191919Un morphisme est dit submersif si pour tout sous-ensemble , on a ouvert dans si et seulement si est ouvert dans . et que l’image du morphisme de a) est exactement . Or, il est évident que est universellement submersif puisqu’il est fidèlement plat et de présentation finie (donc surjectif et universellement ouvert). D’autre part, le morphisme se factorise en
où la première flèche est un isomorphisme puisque est un -torseur sur , ce qui prouve c). D’ailleurs, on retrouve aussi a) puisque la seconde flèche de cette factorisation est une immersion fermée (car est affine donc séparé sur ).
3.10 Passage au quotient par des actions non libres
Nous allons conclure avec quelques mots sur les actions non libres. Dans ce cas la situation est plus compliquée. Il y a tout de même quelques résultats positifs. Tout d’abord, les théorèmes de SGA 3 donnés plus haut pour l’existence d’un conoyau admettent une version « groupoïde », certes aux conclusions moins satisfaisantes. Ils donnent seulement l’existence d’un quotient catégorique. Par exemple on a
Théorème 3.10.1 (SGA 3, exposé V)
Soient un schéma localement noethérien et un -groupoïde (voir 3.3.5 pour les notations) tel que :
-
—
les flèches et soient propres et plates ;
-
—
soit quasi-projectif sur ;
-
—
le morphisme soit quasi-fini.
Alors le couple de flèches admet un conoyau dans la catégorie des schémas. De plus, ce conoyau est un conoyau dans la catégorie des espaces annelés. Le morphisme est surjectif, ouvert et propre, et les morphismes et sont de présentation finie. Enfin, le morphisme est surjectif.
Ce théorème ne donne pas la représentabilité du faisceau quotient. De fait, dès qu’il y a de l’inertie, le faisceau quotient a tendance à ne pas être représentable.
Exemple 3.10.2
Considérons par exemple la droite affine sur , sur laquelle agit le groupe par . Dans ce cas particulier, on peut aisément calculer le conoyau schématique dont le théorème précédent donne l’existence. Il s’agit du morphisme donné par . Soit le faisceau quotient fppf. C’est le faisceau associé au préfaisceau qui à un schéma associe . Le morphisme se factorise en où est le morphisme de passage au préfaisceau quotient et est défini fonctoriellement par . Supposons que soit représentable. C’est alors automatiquement un quotient dans la catégorie des schémas (par propriété universelle) donc il doit être égal à . On en déduit que vérifie la propriété universelle du faisceau associé. Soit le spectre de . Alors , donc il existe une famille couvrante fppf, que l’on peut supposer réduite à un élément avec affine, telle que soit nul dans , donc dans . C’est impossible car est fidèlement plat donc s’injecte dans , ce qui prouve que le faisceau quotient n’est pas représentable.
Exercice 3.10.3
Montrer que le quotient catégorique de l’exemple précédent est aussi un quotient dans la catégorie des espaces algébriques. En déduire que le faisceau quotient n’est pas représentable par un espace algébrique.
Exercice 3.10.4
On fait toujours agir sur la droite affine comme ci-dessus, mais au-dessus de la base . Montrer que l’action est triviale et que le conoyau donné par le théorème 3.10.1 n’est autre que l’identité de . En déduire que la formation du quotient catégorique ne commute pas au changement de base.
Dans le cas particulier d’une action de groupe, l’énoncé 3.10.1 devient le suivant. Soient un schéma localement noethérien, un -schéma quasi-projectif et un schéma en groupes agissant sur . On suppose que la projection est propre et plate, et que le morphisme est quasi-fini. Alors il existe un quotient catégorique dans la catégorie des schémas. Sous l’hypothèse que est fidèlement plat et quasi-compact sur (par exemple si est le spectre d’un corps), on voit que le théorème 3.10.1 ne s’applique que lorsque le groupe est propre et plat sur . Si l’hypothèse de platitude semble difficile à éviter202020Si la dimension des fibres de varie, le théorème de semi-continuité pour la dimension des fibres montre qu’en général il ne peut exister de quotient géométrique., il est fâcheux de devoir supposer propre. Il y a bien sûr dans SGA 3 un analogue de 3.5.8, où l’on suppose seulement plat et de type fini et où l’on obtient l’existence d’un quotient catégorique génériquement. Mais en pratique, on a souvent besoin de construire le quotient d’une variété sous l’action d’un groupe affine, et ceci globalement. Par exemple, lorsque l’on cherche à construire un espace de modules pour un certain type d’objets algébriques, disons certaines variétés, on procède souvent de la manière suivante. On commence par construire un espace de modules pour nos variétés munies d’un plongement dans un espace projectif fixé, puis on essaye de se débarrasser du plongement. Il faut alors généralement quotienter par le groupe d’automorphismes de .
Si l’action est libre, le théorème de représentabilité d’Artin vu plus haut donne une réponse tout à fait satisfaisante : le faisceau quotient est un espace algébrique. Dans le cas général, Keel et Mori ont démontré le théorème suivant.
Théorème 3.10.5 ([14])
Soit un -schéma en groupes plat, séparé et de présentation finie, qui agit sur un espace algébrique quasi-séparé et localement de présentation finie. On suppose que « les stabilisateurs sont finis », i.e. que le morphisme
est fini, où est le morphisme de vers défini fonctoriellement par . Alors il existe un -espace algébrique et un morphisme qui fait de un quotient catégorique de par (dans la catégorie des espaces algébriques). De plus :
-
a)
Pour tout point géométrique , induit un isomorphisme .
-
b)
Pour tout morphisme plat, est un conoyau du couple de flèches où et . (Ceci implique en particulier que le faisceau étale est formé des fonctions -invariantes sur .)
-
c)
est surjectif et universellement ouvert.
Enfin, si l’on suppose de plus que l’action est propre, i.e. que le morphisme ci-dessus est propre, alors est un espace algébrique séparé.
Exemple 3.10.6
Exemple 3.10.7
Mumford construit dans [18, chap. V] un espace de modules grossier pour les courbes de genre () comme quotient géométrique d’un certain schéma quasi-projectif par une action naturelle de . Voici une esquisse très rapide de la construction, nous renvoyons au texte original pour plus de détails. Un entier naturel étant fixé, Mumford définit un sous-schéma du schéma de Hilbert où
Heuristiquement est le sous-schéma des courbes avec plongement -canonique dans . Le groupe agit naturellement sur . Mumford montre alors dans le §2 du chapitre V que, s’il existe un quotient géométrique de par , c’est un espace de modules grossier pour les courbes de genre , cf. prop. 5.4 (i.e. il est universel pour les morphismes vers un schéma, et il a « les bons » points géométriques). Puis il prouve (§3 et §4) l’existence d’un quotient géométrique à l’aide des techniques “GIT” développées dans les chapitres précédents. Le théorème de Keel et Mori ci-dessus permet d’obtenir directement l’existence d’un quotient géométrique en tant qu’espace algébrique.
Enfin, il convient de signaler qu’il existe un autre objet quotient qui peut rendre de nombreux services. Il s’agit du champ quotient. Il a le mérite d’exister bien plus souvent (en tant que champ algébrique) que les quotients mentionnés ci-dessus. Le quotient de Keel et Mori, lorsqu’il existe, est alors un espace de modules grossier pour ce champ algébrique.
Définition 3.10.8
Soient un schéma, un -schéma, et un -schéma en groupes qui agit sur à droite. On note (resp. ) la catégorie fibrée en groupoïdes suivante sur . Pour tout , est la catégorie des couples où est un torseur étale (resp. fppf) sur et est un -morphisme qui est -équivariant.
Théorème 3.10.9
Soient un schéma, un schéma quasi-séparé et un -schéma en groupes séparé, plat et de présentation finie qui agit à droite sur . Alors le -champ est un -champ algébrique.
Remarque 3.10.10
Si est lisse alors et coïncident.
Références
- [1] Schémas en groupes. II: Groupes de type multiplicatif, et structure des schémas en groupes généraux. Séminaire de Géométrie Algébrique du Bois Marie 1962/64 (SGA 3). Dirigé par M. Demazure et A. Grothendieck. Lecture Notes in Mathematics, Vol. 152. Springer-Verlag, Berlin, 1962/1964.
- [2] Théorie des topos et cohomologie étale des schémas. Tomes 1, 2, 3. Springer-Verlag, Berlin, 1972-1973. Séminaire de Géométrie Algébrique du Bois-Marie 1963–1964 (SGA 4), Dirigé par M. Artin, A. Grothendieck, et J. L. Verdier. Avec la collaboration de N. Bourbaki, P. Deligne et B. Saint-Donat, Lecture Notes in Mathematics, Vol. 269, 270, 305.
- [3] Revêtements étales et groupe fondamental (SGA 1). Documents Mathématiques (Paris) , 3. Société Mathématique de France, Paris, 2003. Séminaire de géométrie algébrique du Bois Marie 1960–61. Dirigé par A. Grothendieck, augmenté de deux exposés de Mme M. Raynaud. Édition recomposée et annotée du volume 224 des Lectures Notes in Mathematics publiée en 1971 par Springer-Verlag.
- [4] The Stacks Project Authors : Stacks Project.
- [5] Kai Behrend, Brian Conrad, Dan Edidin, William Fulton, Barbara Fantechi, Lothar Göttsche et Andrew Kresch : Algebraic stacks. Livre en préparation.
- [6] Siegfried Bosch, Werner Lütkebohmert et Michel Raynaud : Néron models, volume 21 de Ergebnisse der Mathematik und ihrer Grenzgebiete (3) [Results in Mathematics and Related Areas (3)]. Springer-Verlag, Berlin, 1990.
- [7] J.-L. Colliot-Thélène et J.-J. Sansuc : Fibrés quadratiques et composantes connexes réelles. Math. Ann., 244(2):105–134, 1979.
- [8] Michel Demazure et Pierre Gabriel : Groupes algébriques. Tome I: Géométrie algébrique, généralités, groupes commutatifs. Masson & Cie, Éditeur, Paris, 1970. Avec un appendice ıt Corps de classes local par Michiel Hazewinkel.
- [9] Barbara Fantechi, Lothar Göttsche, Luc Illusie, Steven L. Kleiman, Nitin Nitsure et Angelo Vistoli : Fundamental algebraic geometry, volume 123 de Mathematical Surveys and Monographs. American Mathematical Society, Providence, RI, 2005. Grothendieck’s FGA explained.
- [10] Alexander Grothendieck : Éléments de géométrie algébrique. Inst. Hautes Études Sci. Publ. Math., (4, 8, 11, 17, 20, 24, 28, 32), 1960-1967.
- [11] Alexander Grothendieck : Éléments de géométrie algébrique. I. Le langage des schémas, volume 166 de Grundlehren Math. Wiss. Springer-Verlag, 1971.
- [12] Robin Hartshorne : Algebraic geometry. Springer-Verlag, New York, 1977. Graduate Texts in Mathematics, No. 52.
- [13] Heisuke Hironaka : An example of a non-Kählerian complex-analytic deformation of Kählerian complex structures. Ann. of Math. (2), 75:190–208, 1962.
- [14] Seán Keel et Shigefumi Mori : Quotients by groupoids. Ann. of Math. (2), 145(1):193–213, 1997.
- [15] Donald Knutson : Algebraic spaces. Springer-Verlag, Berlin, 1971. Lecture Notes in Mathematics, Vol. 203.
- [16] Gérard Laumon et Laurent Moret-Bailly : Champs algébriques, volume 39 de Ergebnisse der Mathematik und ihrer Grenzgebiete. 3. Folge. A Series of Modern Surveys in Mathematics [Results in Mathematics and Related Areas. 3rd Series. A Series of Modern Surveys in Mathematics]. Springer-Verlag, Berlin, 2000.
- [17] James S. Milne : Étale cohomology, volume 33 de Princeton Mathematical Series. Princeton University Press, Princeton, N.J., 1980.
- [18] D. Mumford, J. Fogarty et F. Kirwan : Geometric invariant theory, volume 34 de Ergebnisse der Mathematik und ihrer Grenzgebiete (2) [Results in Mathematics and Related Areas (2)]. Springer-Verlag, Berlin, third édition, 1994.
- [19] Masayoshi Nagata : Existence theorems for nonprojective complete algebraic varieties. Illinois J. Math., 2:490–498, 1958.
- [20] Daniel Perrin : Schémas en groupes quasi-compacts sur un corps. In Schémas en groupes quasi-compacts sur un corps et groupes henséliens, pages 1–75. U. E. R. Math., Univ. Paris XI, Orsay, 1975.
- [21] Daniel Perrin : Approximation des schémas en groupes quasi compacts sur un corps. Bull. Soc. Math. France, 104(3):323–335, 1976.
- [22] Michel Raynaud : Anneaux locaux henséliens. Lecture Notes in Mathematics, Vol. 169. Springer-Verlag, Berlin, 1970.
- [23] Michel Raynaud : Faisceaux amples sur les schémas en groupes et les espaces homogènes. Lecture Notes in Mathematics, Vol. 119. Springer-Verlag, Berlin, 1970.
- [24] C. S. Seshadri : Geometric reductivity over arbitrary base. Advances in Math., 26(3):225–274, 1977.
- [25] Günter Tamme : Introduction to étale cohomology. Universitext. Springer-Verlag, Berlin, 1994. Translated from the German by Manfred Kolster.
- [26] William C. Waterhouse : Basically bounded functors and flat sheaves. Pacific J. Math., 57(2):597–610, 1975.