Produit Beta-Gamma et régularité du signe
Résumé.
On étudie la positivité complète du noyau de convolution multiplicatif T associé au produit de deux variables aléatoires indépendantes et Ce noyau T est complètement positif d’ordre infini si ou si Dans les autres cas la régularité du signe de T a toujours un ordre fini, qui est ici calculé. Plus précisément, pour tout on montre que T est complètement positif d’ordre si et seulement si est situé au dessus d’un certain escalier dessiné dans le demi-plan supérieur. Cet escalier caractérise aussi la constance du signe de plusieurs déterminants associés à la fonction hypergéométrique confluente de seconde espèce.
Mots-clés:
Déterminant de Hankel - Fonction hypergéométrique confluente - Inégalité de Turán - Positivité complète - Produit Beta-Gamma - Régularité du signe - Transformation de Kummer - Wronskien.2000 Mathematics Subject Classification:
26D07, 33C15, 60E051. Introduction
Soit un intervalle de et un noyau à valeurs réelles défini sur On dit que est complètement positif d’ordre ( selon l’acronyme anglo-américain) si
pour tout et Quand la propriété est vraie pour tout on dit que est complètement positif d’ordre infini (). On dit que est régulier pour le signe à l’ordre () s’il existe dans tel que
pour tout et Quand la propriété est vraie pour tout on dit que est régulier pour le signe à l’ordre infini (). Ces quatre propriétés sont dites strictes lorsque les inégalités correspondantes sont toutes strictes, et on utilise alors la notation ou Introduites avant-guerre par Krein, Schoenberg et Gantmacher, ces notions ont ensuite connu un développement important qui a abouti à l’ouvrage classique [8]. On renvoie à la monographie [12] pour des avancées plus récentes ainsi qu’un historique du sujet.
Une fonction est dite fréquence de Pólya d’ordre () si le noyau est sur Les densités de probabilité dans la classe ont été caractérisées par Schoenberg - voir le théorème 7.3.2 (a) p. 345 dans [8] - par leur transformée de Laplace, dont l’inverse se factorise sous la forme
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où est la variable aléatoire associée, avec et L’exemple classique est la densité gaussienne. Le cas des densités sur la demi-droite a également été caractérisé par une factorisation analogue - voir le théorème 7.3.2 (b) dans [8] - qui s’écrit
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avec et Ceci montre que les densités sur sont toutes, modulo une dérive, des convolées de densités exponentielles de paramètres différents et forment donc une sous-classe des densités dites GGC - voir [3]. Les fonctions sont aisément caractérisées par la log-concavité sur leur support - voir le théorème 4.1.9 dans [8], ce qui a pour conséquence utile la stabilité de la propriété par multiplication ponctuelle. Une telle propriété n’est plus vraie pour les classes qui sont en général plus difficiles à étudier que les classes ou Toutes les propriétés sont cependant stables par produit de convolution - voir la proposition 7.1.5 dans [8], ce qui dans le cas est un cas particulier du théorème de Prékopa, et dans le cas des densités signifie que la somme indépendante de deux variables aléatoires dont les densités sont a encore une densité Cette stabilité par produit de convolution sera importante dans la suite de cet article.
La notion de fonction fréquence de Pólya est donc associée de façon naturelle à l’addition des variables aléatoires. Pourtant, les exemples les plus standard de noyaux complètement positifs sont liés à la convolution multiplicative. Ainsi, le caractère du noyau mentionné au paragraphe 1.2.(i) p. 15 dans [8] est équivalent à la même propriété pour le noyau où
est la densité de la variable Cette propriété qui est équivalente au caractère de peut aussi se voir par (1) en écrivant les moments fractionnaires de :
pour un certain où la deuxième égalité vient de la formule de Weierstrass - voir par exemple [6] p. 2. De même le caractère du noyau mentionné au paragraphe 1.2.(ii) de [8], est précisément celui du noyau de convolution multiplicatif de la variable uniforme sur Ceci signifie que Exp() a une densité et est bien sûr une conséquence évidente de (2) et de l’expression des moments fractionnaires de .
Le livre [8] fournit plusieurs autres exemples de noyaux complètement positifs reliés à des variables aléatoires, souvent dans le cadre des familles exponentielles. Le cas du noyau multiplicatif associé à la variable de densité
est aussi implicitement traité par le théorème 10.1.1 p. 503, pour . En effet, en choisissant dans (1.4) p. 502, ce théorème montre le caractère du noyau et donc du noyau multiplicatif associé à Ce dernier fait, qui remonte à Schoenberg et Whitney en 1953, se voit aussi à l’aide de l’identité
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obtenue en comparant les moments fractionnaires. Le cas plus délicat est une conséquence du théorème 3.4(i) dans [4], où ce problème semble avoir été considéré pour la première fois.
Théorème (Dette-Munk).
Le noyau de convolution multiplicatif associé à est pour tous
Pour obtenir l’énoncé ci-dessus, on a fait la correction dans le résultat de Dette et Munk, ce qui se voit aisément en appliquant correctement le lemme 3.1 dans [4]. Ce même lemme, et des arguments classiques de [8] que nous ne détaillerons pas ici - voir la remarque (c) à la fin de la troisième partie du présent article, montrent que ce même noyau n’est en revanche pas ni d’ailleurs , sauf pour Quand la régularité du signe du noyau multiplicatif de est ainsi une fonction croissante de et ceci peut se deviner par l’identité
(4) |
puisque - et donc de manière équivalente - est associée à un noyau D’une manière générale, on s’attend à ce que le produit indépendant par des variables ayant une telle propriété régularise le signe.
Le but de cet article est d’étudier ce phénomène pour les variables produit
dont la densité sur s’écrit
avec la notation Ci-dessus, désigne la fonction hypergéométrique confluente de seconde espèce, encore appelée fonction de Tricomi, pour les détails de laquelle on renvoie au chapitre 6 de [6]. Par le théorème 1.2.1 dans [8], la régularité du signe du noyau de convolution multiplicatif associé à est la même que celle du noyau
sur et ne dépend donc que du couple On sait par le résultat précédent que cette régularité est croissante en et on s’attend à ce qu’elle le soit aussi en en vertu de l’identité
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Introduisons maintenant nos notations. Sur le demi-plan supérieur on considère le réseau et, pour tout l’escalier constitué des marches et contremarches
et des deux marches infinies et On considère sur la relation ou Pour tout et on note si on a Par abus d’écriture on note si tel que et Visuellement parlant, pour tout on a quand est sous l’escalier et quand est au dessus. Notre résultat principal s’énonce comme suit.
Théorème .
(i) On a
(ii) Si alors on a et
Ce résultat montre en particulier que la variable régularise le signe dans le produit seulement pour Dans le quadrant positif il met aussi en évidence une grille de croissance de la propriété pour dont l’allure n’est pas sans rappeler celle du nombre de racines positives de pour les valeurs négatives de ses paramètres - voir la figure p. 290 dans [6]. Malgré le rôle central de dans notre argument et les diverses manipulations dont cette fonction peut être l’objet, l’analogie entre les deux grilles est sans doute fortuite.
La caractérisation de la propriété qui découle sans difficulté du théorème de Schoenberg et d’identités en loi simples, est démontrée dans la deuxième partie de cet article où l’on donne aussi une nouvelle preuve de la transformation de Kummer pour , laquelle fait apparaître une symétrie dans le quadrant positif pour la caractérisation de la propriété . Dans la troisième partie on démontre le deuxième volet du théorème, qui est bien moins facile que le premier. On ramène d’abord le problème à la constance du signe d’un certain déterminant de Hankel avec poids. On montre ensuite le résultat par divers arguments mêlant algèbre linéaire, analyse asymptotique et l’identité (5). Cette dernière est cruciale pour réduire le domaine d’étude à deux séries de marches adjacentes situées de part et d’autre de
Des déterminants fonctionnels identiques aux nôtres ont été récemment étudiés dans [2, 7] afin d’établir de nouvelles inégalités de type Turán. Notre résultat principal permet de préciser certaines de ces inégalités, ce que nous faisons dans la quatrième partie. Comme dans l’article classique [9] nous nous intéressons aussi à des Wronskiens pour des familles de fonctions ayant des paramètres contigus, dont nous caractérisons la constance du signe par les frontières La forme en escalier de ces dernières est peut-être un peu surprenante, et je n’ai pas trouvé d’exemples de frontière de ce type dans la littérature ancienne ou moderne consacrée aux déterminants fonctionnels.
2. Quelques résultats préliminaires
2.1. Le cas
Dans ce paragraphe on considère la partie (i) du théorème, qui se montre facilement grâce à la caractérisation de Schoenberg. Les moments fractionnaires de sont donnés par
(6) |
pour tout tel que On en déduit les identités
pour tout entier (la première est un des nombreux exemples de formules définissant l’algèbre Beta-Gamma [5]). Ces identités montrent que est si En vertu de (3) on a d’autre part
pour tout entier et ceci montre que est si Si on voit enfin que la fonction
admet les nombres pour pôles simples et n’est donc pas holomorphe sur A fortiori elle n’est pas du type défini dans (1), et le théorème 3.2 (a) p. 345 dans [8] entraîne que la densité de n’est pas , autrement dit n’est pas On a donc bien démontré que
2.2. La transformation de Kummer et deux applications
Supposons maintenant autrement dit La formule (6) entraîne l’identité
et en comparant les densités de part et d’autre on trouve
(7) |
pour tout Cette égalité est connue sous le nom de transformation de Kummer pour la fonction de Tricomi et est obtenue dans le chapitre 6 de [6] pp. 256-257 en comparant différentes représentations de Mellin-Barnes de Cette dernière méthode est plus elaborée que l’argument précédent reposant sur une bête identification de moments fractionnaires, mais son avantage est de pouvoir étendre la transformation à des valeurs négatives de et - voir le haut de la page 257 dans le chapitre 6 de [6]. On renvoie à [5] pour d’autres relations entre représentations de Mellin-Barnes et identités en loi multiplicatives.
La formule (7) entraîne que
pour tout et Cette symétrie par rapport à la première bissettrice sur le quadrant positif est bien sûr compatible avec celle de la frontière . Combinée avec le résultat de Dette et Munk, elle montre que
On verra par la suite qu’on peut aussi obtenir ce résultat directement en considérant un certain déterminant de Hankel associé à la fonction
On donne maintenant, en passant, une deuxième application de la transformation de Kummer indépendante de tout le reste de cet article. Soit la variable aléatoire positive ayant pour densité
où et Cette variable apparaît en statistique bayésienne de réseaux de file d’attente où elle porte le nom de variable de Kummer de type 2. On suppose maintenant et on calcule la transformée de Laplace de :
où la deuxième égalité vient immédiatement de (7). On en déduit l’égalité en loi additive
pour tous récemment obtenue par Koudou et Vallois - voir (2.24) dans [10] - comme conséquence d’une certaine propriété d’indépendance caractérisant le couple Le calcul direct des transformées de Laplace, plus immédiat, avait déjà été fait par Letac - voir le théorème 4.1 de [11] - avec un argument un peu différent du nôtre utilisant sur la fonction hypergéométrique confluente de première espèce - voir la formule 6.6(7) dans [6].
2.3. Résultats d’algèbre linéaire
On énonce dans ce paragraphe quatre lemmes évaluant des déterminants, qui serviront dans la réciproque de la partie (ii) du théorème. On utilise la notation et pour tout tableau de nombres et tout On rappelle aussi l’écriture usuelle du symbole de Pochammer : et Enfin, le dernier lemme reprend les mêmes notations matricielles que celles du chapitre 0 de [8].
Lemme 1.
On a pour tout et
Preuve : Chaque ligne d’indice du déterminant est une fonction polynomiale en de degré , dont la dérivée est une combinaison linéaire à coefficients constants des lignes d’indice Ceci entraîne que est constante, et vaut donc comme souhaité.
Remarque .
(a) Par des opérations élémentaires sur les colonnes, on peut aussi voir directement la relation de récurrence et conclure avec la condition initiale
(b) Ce déterminant a quelque cousinage avec celui étudié dans [9] p. 31, qui s’écrit avec la notation et et qui est aussi un premier terme dans un développement asymptotique. Ce dernier est cependant un Vandermonde et dépend de
Lemme 2.
Pour tout entier et tous réels tels que on a
Preuve : On commence par mettre en facteur puis, en ajoutant successivement la -ième ligne à la -ième pour on factorise par On répète l’opération pour et on factorise par Ainsi de suite jusqu’à trouver
et on conclut par le lemme 1.
Lemme 3.
Pour tous entiers et tous réels tels que on a
avec
Preuve : En utilisant on factorise
Enfin, la stricte positivité de découle par exemple du théorème 5 de [2] et de la représentation intégrale usuelle de la fonction sur que l’on peut utiliser ici puisque
Lemme 4.
Soit une matrice réelle dont tous les coefficients sont non nuls. Pour tout soit la fonction définie sur et soit Si les matrices
sont inversibles, alors
Preuve : Par hypothèse on a et on peut écrire par blocs
où est une matrice et une matrice Le choix de la taille des blocs entraîne que pour tout Comme est inversible, on peut appliquer la formule classique
On voit facilement que le coefficient de la matrice est un quand , quantité négligeable devant puisque et On en déduit que
par invertibilité de et où l’égalité résulte de la formule de Leibniz. Tout ceci donne le comportement souhaité.
3. Fin de la démonstration du théorème
Le cas ayant déjà été vu, on suppose dans toute cette partie que et on montre le point (ii) du théorème, qui est le point délicat. L’argument principal repose sur la notion de positivité complète étendue. On commence par transformer le noyau pour simplifier les calculs, en écrivant
pour tout avec
Les fonctions déterminantales
définies sur sont les quantités centrales de notre problème. En effet, on sait par le théorème 2.2.6 p. 56 dans [8] que pour tout on a - voir [8] p. 12 pour la notation RR - dès que
pour tout Mais comme pour tout on doit en fait considérer à chaque fois un seul déterminant. On voit en effet par récurrence immédiate qu’il suffit de montrer
pour tout afin d’avoir les inclusions désirées Réciproquement, on voit facilement par définition que si change au moins une fois strictement de signe, alors on aura
On peut exprimer à l’aide d’un certain déterminant de Hankel fonctionnel - un Turanien suivant la terminologie de [9] - avec poids. On voit d’abord par une suite d’opérations élémentaires sur les lignes utilisant les relations et que
On en déduit
pour tous où
est bien un Turanien lesté par les Signalons par ailleurs que sans ces poids, l’étude du signe serait immédiate comme conséquence du théorème 2.8 dans [7], lequel donne
pour tout et Les complications calculatoires induites par la présence de poids dans les Turaniens sont évoquées dans l’introduction de [9].
La suite de cette partie est donc consacrée à l’étude de la stricte positivité de la fonction sur Pour simplifier les écritures, on utilisera parfois la notation
(8) |
pour tout et
L’étude du signe de est facile quand En factorisant convenablement on voit en effet, avec la notation pour tout et que
La formule exacte donnée dans [2] p. 12 montre alors que est strictement positive (et même complètement monotone) sur puisque et il en est donc de même pour Ceci entraîne donc la propriété pour lorsque ce que nous avions déjà vu dans la partie précédente par un argument de symétrie.
L’étude devient cependant plus ardue quand puisque certaines fonctions dans le déterminant ont alors des paramètres négatifs. On peut certes reprendre formellement les calculs du théorème 5 de [2] à l’aide de la transformation de Kummer et d’une représentation intégrale de le long d’un chemin de type Hankel - voir la formule 6.11.2 (9) p.273 dans [6], mais ceci exprime comme une intégrale curviligne multiple dont il paraît malaisé de déterminer le signe. D’une façon générale, il ne semble pas que l’on dispose de transformations déterminantales simples, telle celle donnée dans l’exercice II.1.68 de [13], qui fasse apparaître naturellement la barrière
3.1. Le cas
On traite ce cas à part pour simplifier l’exposition de la méthode, qui sera la même dans le cas général avec des arguments plus élaborés. Par le résultat de Dette et Munk, on sait que si et on est donc ramené à une étude sur la bande On réduit encore le domaine d’étude en considérant les carrés
Ces carrés sont ouverts sauf à son arête gauche L’identité en loi (5) et le caractère du noyau multiplicatif associé à montrent automatiquement que si est pour alors il le sera aussi sur et que si n’est pas pour alors il ne le sera pas non plus sur
Il y a deux façons de montrer que est sur La première, propre au cas , utilise la notion de complète monotonicité hyperbolique (HCM) faisant l’objet du livre [3] - voir en particulier le chapitre 4.3 et le chapitre 5. En utilisant la définition de , la caractérisation de par log-concavité et la log-concavité de sur il suffit en effet de démontrer que est log-concave sur ce qui est encore équivalent - voir le paragraphe 6.4 pp. 101-102 dans [3] - à la propriété HM pour la fonction sur On voit cependant par (8) et la propriété 5.1(vii) p. 68 dans [3] que cette dernière est HCM (et donc HM) pour puisque la fonction est alors HCM - voir la propriété 5.1(ii) p. 68 dans [3].
La deuxième manière montre la stricte positivité de pour tout et c’est cette argumentation qui sera reprise pour On remarque d’abord par l’inégalité de Hölder que la fonction est log-convexe sur pour tout On écrit ensuite
et cette fonction est bien strictement positive sur puisque et ne s’annule pas.
Remarque .
Dans chacune des deux preuves on n’a pas utilisé l’hypothèse mais seulement Dans la suite, on aura cependant besoin des domaines correspondant à
On montre maintenant que change strictement de signe sur pour Il est immédiat que quand pour tout ce qui entraîne
en et montre donc que pour assez grand. On établit que quand à l’aide du lemme suivant, élémentaire, et qui jouera également un rôle dans le cas général
Lemme 5.
Pour tout et on a
quand
On découpe en un triangle supérieur un triangle inférieur et une diagonale Pour on trouve à l’aide du lemme 5 et après simplification le comportement asymptotique
quand Quand et ces comportements deviennent respectivement
Tout ceci prouve que change strictement de signe sur et donc que n’est pas quand
3.2. Le cas général
On fixe et on introduit dans les deux escaliers adjacents suivants, constitués chacun de carrés ouverts disjoints :
On sait déjà que est si A nouveau, l’identité en loi (5) et le caractère du noyau multiplicatif associé à montrent que si est pour alors il le sera aussi pour et De même, si n’est pas pour alors il ne le sera pas non plus pour et
On montre d’abord par récurrence que pour on a sur Rappelons que le cas a déjà été vu.
Cas On isole ce cas à nouveau pour simplifier l’exposition. On a
et Par un argument de log-convexité semblable au cas , il est possible de montrer directement la stricte positivité de pour en développant par rapport à la troisième ligne, et pour en développant par rapport à la première ligne. Mais cet argument ne se généralise pas aux plus grandes valeurs de On utilise plutôt l’identité déterminantale de Sylvester - voir le chapitre 0 p. 3 dans [8] - avec pour bloc pivot la matrice scalaire . On obtient
ce qui entraîne
qui est bien strictement positive pour par l’hypothèse de récurrence, puisque l’on sait que et pour
Cas On développe de nouveau par l’identité de Sylvester, en choisissant cette fois pour bloc pivot la sous-matrice centrale de taille , qui est donc bordée par les lignes et les colonnes numéro 0 et Après simplifications, il vient
Ceci permet de conclure par récurrence, puisque l’on sait que et pour
Tout ceci montre l’inclusion recherchée pour tout
Remarque .
L’argument précédent étant uniquement algébrique, il est tentant de chercher une preuve probabiliste du sens direct de la partie (ii) du théorème par le biais d’identités en loi multiplicatives. Si on divise en marches disjointes numérotées dans l’ordre descendant de à on a et on sait que pour D’autre part, la descente de à correspond à une factorisation multiplicative pour tout . En effet, on a
pour tout tel que et le quotient à droite est la transformée de Mellin d’une certaine variable aléatoire positive si autrement dit De façon plus précise, si on pose où et est une variable indépendante de Bernoulli de paramètre , on trouve la factorisation
pour tout tels que Cette identité permet bien pour tout de passer de à par convolution multiplicative, en choisissant convenablement les paramètres. Si le noyau multiplicatif associé à avait une positivité complète appropriée, on pourrait espérer déduire la propriété pour sur tout de celle déjà connue sur en faisant varier descendant l’escalier. Malheureusement, la densité de est la fonction
de sorte que le noyau multiplicatif associé n’est pas si et n’est pas si
On établit maintenant que change au moins une fois strictement de signe sur quand Par la discussion précédente, ceci montrera l’inclusion
Les arguments ressemblent à ceux du cas mais sont hélas plus techniques. Par le lemme 1, on voit que
(9) |
quand de sorte que pour tout on a si est assez grand. Il suffit donc de montrer
pour tout Dans le demi-plan l’ensemble est constitué des carrés ouverts disjoints
pour qu’on divise en un triangle supérieur un triangle inférieur et une diagonale
Pour , le lemme 5 entraîne avec la notation du lemme 4 que
lorsque où l’on a posé et où les coefficients de la matrice sous-jacente sont donnés par
Avec la notation du lemme 4, on voit que En posant et on a par définition de Par le lemme 2, le déterminant de la matrice sous-jacente vaut donc
où l’inégalité stricte vient de Si on a et la formule de Leibniz donne quand Si les coefficients de la matrice sous-jacente qui est de taille s’écrivent
pour En posant on a par définition de Le lemme 3 donne
où l’inégalité stricte vient de On a d’autre part et le lemme 4 entraîne finalement
quand
L’argumentation est la même sur sauf que l’on voit par le lemme 5 que la matrice sous-jacente est cette fois-ci toujours définie, et de taille . On calcule
où l’inégalité stricte vient de et
où l’inégalité stricte vient de et de On a toujours et on en déduit quand par le lemme 4.
Sur la diagonale la preuve est légèrement différente et repose sur une variante du lemme 4 que nous laissons au lecteur. Pour on trouve à l’aide des lemmes 2 et 5
quand où la stricte négativité du coefficient directeur vient de Pour on trouve à l’aide des lemmes 2, 3 et 5
quand où la stricte négativité du coefficient directeur est celle du premier facteur et vient de
Pour terminer la preuve de la partie (ii) du théorème, il reste à montrer l’inclusion
Par (4), (5) et le raisonnement précédent, ceci est une conséquence de
pour et Mais ce dernier point a en fait déjà été démontré dans le sous-cas de la discussion précédente.
Remarque .
(a) Par des arguments semblables, on montre que si alors quand
(b) Dans le cas le théorème fournit un exemple de noyaux n’appartenant pas à et qui sont obtenus par multiplication ponctuelle de deux noyaux En effet, le noyau est sur et par convolution multiplicative le noyau est aussi quand puisque la fonction est alors sur - voir pour cela le théorème 3.2 dans [4]. En revanche, on a démontré que le noyau
n’est pas sur si Dans cet exemple, la seule propriété qui reste stable par multiplication ponctuelle est la propriété
(c) Le théorème montre que le noyau multiplicatif de n’est pas si et Ceci entraîne que le noyau multiplicatif de n’est pas si puisque celui de est toujours Il est aussi possible de voir directement cette propriété à l’aide du noyau tâche que nous laissons au lecteur.
4. Autres déterminants associés à
Dans cette dernière partie on donne quelques remarques sur des Wronskiens et des Turaniens associés à la fonction de Tricomi, dans l’esprit de [9].
4.1. Wronskiens
On pose
sur On voit par la formule de Leibniz et les formules 6.5(6) et 6.6(12) pp.257-258 dans [6] que
(10) |
Ainsi, le théorème entraîne entre autres que
pour tout Il ne semble pas possible d’obtenir une telle caractérisation de la constance du signe du Wronskien à l’aide de l’équation hypergéométrique. La transformation
où et - voir 6.8(4) p. 264 dans [6] - et l’équation différentielle de type Sturm-Liouville vérifiée par la fonction de Whittaker ne semblent pas non plus pouvoir aider.
Cette écriture wronskienne permet de préciser le comportement de pour et On voit en dérivant colonne par colonne et en utilisant à nouveau la formule de Leibniz et les formules 6.5(6) et 6.6(12) pp. 257-258 dans [6] que
où est obtenu à partir de en remplaçant par dans toute la dernière colonne. Un argument en tous points semblable à celui du sens direct de la partie (ii) du théorème montre alors que pour On en déduit que est strictement décroissante pour et et strictement croissante pour et Ces propriétés qui s’accordent avec (9) et (10), sont bien sûr un peu attendues pour un Wronskien. On en déduit aussi est strictement décroissante pour et en accord avec la dernière remarque (a) ci-dessus.
Il est plausible que est strictement décroissante pour et Rappelons que si la transformation de Kummer et le théorème 5 dans [2] entraînent que cette fonction est complètement monotone.
4.2. Turaniens.
Comme leur nom l’indique, les Turaniens servent à montrer des inégalités de type Turán. Introduites après-guerre pour les polynômes de Legendre, ces dernières peuvent être vues comme des variations sur la log-convexité ou la log-concavité de fonctions spéciales en le paramètre. Une étude systématique pour de nombreuses classes de polynômes orthogonaux a été menée dans [9]. L’intérêt porté à ces inégalités pour des fonctions non polynomiales est en revanche plus récent et nous renvoyons entre autres aux articles [1, 2, 7] ainsi qu’à leur bibliographie.
Certaines inégalités de Turán sont très faciles. Ainsi, il est immédiat par l’inégalité de Hölder et déjà mentionné plus haut que
sur pour tout et Cependant, on sait que en , et on peut donc se poser la question de la taille de l’écart dans l’inégalité. A cet effet, le théorème 4 dans [2] montre que
sur pour tout et que
sur pour tout L’argument repose essentiellement sur une représentation intégrale pour le quotient de fonctions de Tricomi ayant des paramètres contigus, dûe à Ismail et Kelker - voir (3.6) dans [2]. Il est possible de compléter ces deux inégalités à l’aide de notre résultat principal.
Corollaire 1 .
Supposons ou bien et On a
(11) |
sur
Preuve : En posant on a Par le théorème, on sait que la fonction où est alors sur autrement dit
sur On obtient alors aisément (11) en utilisant et
Remarque .
(a) Le domaine de validité de (11) contient strictement celui du théorème 4 de [2], et autorise par exemple des valeurs de dans D’autre part l’inégalité (11) est meilleure que les deux précédentes sur leurs domaines respectifs, pour peu que soit suffisamment éloigné de zéro. En effet, il est évident par définition de que pour tout et et que pour tout et Signalons enfin, toujours par notre résultat principal, que (11) est fausse si et
(b) Dans la preuve de ce corollaire on a utilisé de manière non travaillée le caractère du noyau sans la simplification par qui permet d’enlever la variable dans le déterminant et de démontrer la partie (ii) du théorème. Il est possible de faire la même chose pour des déterminants d’ordre supérieur. On obtient par exemple par des inégalités hélas pas très parlantes, avec produits triples et paramètres contigus jusqu’à l’ordre 2.
Si on suppose maintenant et la transformation de Kummer et l’inégalité entraînent
(12) |
autre inégalité de type Turán. On a encore en et on peut donc se poser la question de la taille de l’écart dans l’inégalité. Le théorème 2 dans [2] montre à cet égard que
(13) |
pour tout en utilisant à nouveau par la représentation intégrale d’Ismail et Kelker. Une conséquence immédiate du corollaire 1 et de la transformation de Kummer est l’inégalité suivante, dont le domaine de validité est en partie plus large que celui de (13) et qui donne aussi une estimation plus précise sur
Corollaire 2 .
On a
(14) |
sur pour tout et
Il est envisageable que d’autres inégalités de type Turán pour d’autres fonctions spéciales découlent d’arguments simples mêlant produits de variables aléatoires et positivité complète. Ceci pourrait faire l’objet de recherches plus poussées.
Remerciements. Je remercie Gérard Letac pour ses commentaires. Ce travail a bénéficié d’une aide de l’Agence Nationale de la Recherche portant la référence ANR-09-BLAN-0084-01.
Bibliographie
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