Caractère d’isogénie et critères d’irréductibilité
Résumé
This article deals with the Galois representation attached to the torsion points of an elliptic curve defined over a number field. We first determine explicit uniform criteria for the irreducibility of this Galois representation for elliptic curves varying in some infinite families, characterised by their reduction type at some fixed places of the base field. Then, we deduce from these criteria an explicit form for a bound that appear in a theorem of Momose. Finally, we use these results to precise a previous theorem of the author about the homotheties contained in the image of the Galois representation.
Introduction
Cet article traite de la représentation galoisienne associée aux points de torsion d’une courbe elliptique définie sur un corps de nombres. Son objectif est triple : on détermine d’abord des critères uniformes d’irréductibilité de cette représentation galoisienne pour des familles infinies de courbes elliptiques, définies par un type de réduction prescrit en certaines places du corps de base (théorème I ci-dessous) ; on donne ensuite une forme explicite pour une borne annoncée dans un théorème de Momose sur les courbes elliptiques possédant sur un corps de nombres une isogénie de degré premier (théorème A de l’introduction de [10] ; théorème II ci-dessous) ; enfin, on déduit de ces travaux une borne uniforme pour les homothéties contenues dans l’image de la représentation galoisienne considérée, lorsqu’elle est réductible, qui précise des résultats précédents de l’auteur ([4] ; théorèmes III et III’ ci-dessous).
Le cadre précis est le suivant. On fixe un corps de nombres et un plongement de dans (dans tout le texte, on considérera ainsi comme un sous-corps de ). Soit la clôture algébrique de dans ; on note le groupe de Galois absolu de . À partir de la partie 2 et pour toute la fin du texte, on suppose que l’extension est galoisienne. On fixe une courbe elliptique définie sur et on note son invariant . Pour toute place finie du corps , on dit que le type de réduction semi-stable de en cette place est multiplicatif, bon ordinaire ou bon supersingulier selon si a potentiellement mauvaise réduction multiplicative, bonne réduction ordinaire ou bonne réduction supersingulière en cette place. On fixe un nombre premier supérieur ou égal à et non ramifié dans . On note l’ensemble des points de dans qui sont de -torsion ; c’est un espace vectoriel de dimension sur , sur lequel le groupe de Galois absolu de agit -linéairement. On désigne par la représentation de ainsi obtenue ; elle prend ses valeurs dans le groupe qui, après choix d’une base pour , est isomorphe à . On note enfin le caractère cyclotomique de dans ; il coïncide avec le déterminant de la représentation .
Les questions traitées dans cet article trouvent leur origine dans le théorème suivant de Serre selon lequel, lorsque la courbe n’a pas de multiplication complexe, la représentation est « asymptotiquement surjective ».
Théorème (Serre, [13]).
On suppose que la courbe n’a pas de multiplication complexe (sur ). Alors il existe une borne , ne dépendant que de et de et telle que pour tout nombre premier strictement supérieur à , la représentation est surjective.
La question, posée également dans [13], d’éliminer la dépendance en la courbe elliptique dans la borne , pour obtenir une version uniforme de ce théorème, s’est révélée ardue. Mazur a néanmoins démontré que lorsque le corps de base est , la représentation est « uniformément asymptotiquement irréductible » au sens suivant.
Théorème (Mazur, [8]).
On suppose que le corps est égal à et que le nombre premier n’appartient pas à l’ensemble . Alors la représentation est irréductible.
Momose a ensuite obtenu un résultat semblable (avec une borne non effective) lorsque le corps de base est un corps quadratique qui n’est pas imaginaire de nombre de classes (théorème B de l’introduction de [10]).
Dans la lignée du théorème de Mazur, il est naturel de considérer le problème suivant (qui figure par exemple dans l’introduction de [1]).
Question.
Trouver un ensemble infini de courbes elliptiques définies sur et une borne ne dépendant que de et de l’ensemble et vérifiant : si appartient à et est strictement supérieur à , alors la représentation est irréductible.
La généralisation du théorème de Mazur au corps de base consisterait à résoudre cette question pour l’ensemble des courbes elliptiques définies sur qui n’ont pas de multiplication complexe (sur ).
Le présent article apporte une réponse à la question ci-dessus, avec des bornes explicites, pour deux classes d’ensembles infinis de courbes elliptiques, définis par un type de réduction semi-stable des courbes prescrit en des places fixées du corps de base.
Notations.
On suppose que le corps est galoisien sur .
Théorème I (Deux critères d’irréductibilité).
On suppose que le corps est galoisien sur .
-
1.
Soit un entier naturel supérieur ou égal .
On note l’ensemble des courbes elliptiques définies sur pour lesquelles il existe
-
et des nombres premiers totalement décomposés dans et inférieurs ou égaux à ,
-
une place de au-dessus de et une place de au-dessus de tels que les types de réduction semi-stable de en et sont différents
(les premiers et et les places et peuvent dépendre de ).
Alors pour toute courbe elliptique dans et tout nombre premier strictement supérieur à , la représentation est irréductible.
-
-
2.
Soit un nombre premier rationnel totalement décomposé dans .
On note l’ensemble des courbes elliptiques définies sur vérifiant : il existe une place (pouvant dépendre de ) de au-dessus de en laquelle a potentiellement mauvaise réduction multiplicative.
On pose
Alors pour toute courbe elliptique dans et tout nombre premier strictement supérieur à , la représentation est irréductible.
En utilisant le théorème I, associé à une forme effective du théorème de Chebotarev ([6]), on donne ensuite une formule explicite pour une borne satisfaisant le théorème A de [10], dont on rappelle ici l’énoncé ( désigne une constante absolue qui apparaît dans le théorème de Chebotarev effectif de [6], voir partie 4.1 de ce texte ; voir aussi [3] pour un énoncé similaire).
Théorème II (Version effective du théorème A de [10]).
On suppose que le corps est galoisien sur . On pose
On suppose que est strictement supérieur à et que la courbe possède une isogénie de degré définie sur . On note le caractère de dans donnant l’action de sur le sous-groupe d’ordre de définissant l’isogénie. Alors on est dans l’un des deux cas suivants.
- Type supersingulier
-
-
1.
Le nombre premier est congru à modulo ;
-
2.
En toute place de au-dessus de , la courbe a mauvaise réduction additive et potentiellement bonne réduction supersingulière.
-
3.
La puissance sixième du caractère est égale à .
-
1.
- Type ordinaire
-
Il existe un corps quadratique imaginaire satisfaisant les conditions suivantes.
-
1.
Le corps contient et son corps de classes de Hilbert (en particulier, la norme dans l’extension de tout idéal fractionnaire de est un idéal fractionnaire principal de ).
-
2.
Le nombre premier est décomposé dans .
-
3.
Il existe un idéal premier de au-dessus de tel que le caractère est non ramifié aux places finies de premières à .
-
4.
Soient un idéal premier de premier à , dans un générateur de l’idéal et dans un relèvement du frobenius du corps résiduel de en ; alors on a .
-
1.
Remarques.
- 1.
- 2.
- 3.
Le théorème II a pour conséquence un critère d’irréductibilité pour l’ensemble des courbes elliptiques semi-stables sur , lorsque les propriétés du corps empêchent le cas ordinaire de survenir. Par exemple (voir aussi l’appendice B de [5]) :
Corollaire.
On suppose que le corps est galoisien sur et ne contient le corps de classes de Hilbert d’aucun corps quadratique imaginaire. Alors pour toute courbe elliptique semi-stable sur et tout nombre premier strictement supérieur à , la représentation est irréductible.
Enfin, l’étude menée pour de la démonstration du théorème II donne le résultat uniforme suivant pour les homothéties contenues dans l’image de la représentation .
Théorème III (Homothéties dans le cas réductible).
On se place dans les hypothèses du théorème II.
-
1.
Dans le cas supersingulier, l’image de contient les carrés des homothéties.
-
2.
Dans le cas ordinaire, l’image de contient les puissances douzièmes des homothéties.
Avec les résultats de [4] lorsque la représentation est irréductible, on obtient l’énoncé général suivant.
Théorème III’ (Homothéties).
On suppose que le corps est galoisien sur . Alors pour toute courbe elliptique définie sur et tout nombre premier strictement supérieur à , on est dans l’un des deux cas suivants :
-
1.
l’image de contient les carrés des homothéties ;
-
2.
la représentation est réductible de type ordinaire ; dans ce cas l’image de contient les puissances douzièmes des homothéties.
Dans toute la suite du texte, à l’exception de la partie 3, on suppose que la représentation est réductible. La courbe possède alors un sous-groupe d’ordre défini sur . On fixe un tel sous-groupe ; il lui est associé une isogénie de de degré , définie sur . L’action de sur est donnée par un caractère continu de dans ; on le note et, suivant la terminologie introduite dans [8], on l’appelle le caractère d’isogénie associé au couple . On fixe également une base de dont le premier vecteur engendre ; dans cette base la matrice de la représentation est triangulaire supérieure, de caractères diagonaux .
Pour la détermination de la borne , on suit la méthode introduite dans [10].
Dans la partie 1, on établit les propriétés locales du caractère d’isogénie : à l’aide des résultats de [14], [13] et [12], on détermine sa restriction aux sous-groupes d’inertie de et l’image par d’un élément de Frobenius associé à une place hors de , en fonction du type de réduction semi-stable de la courbe en cette place.
Dans la partie 2, on utilise la théorie du corps de classes (appliquée à l’extension abélienne trivialisant une puissance du caractère d’isogénie) pour relier le type de réduction de la courbe en une place hors de à l’action sur le sous-groupe d’isogénie des sous-groupes d’inertie des places au-dessus de . La détermination de la borne au-delà de laquelle doit être pris pour qu’on puisse établir un tel lien fait intervenir des bornes de Bugeaud et Győry ([2]) sur la hauteur d’un représentant d’une classe d’entiers de modulo ses unités.
Dans la partie 3, on utilise les résultats de la partie 2 pour démontrer les deux critères d’irréductibilité qui constituent le théorème I ci-dessus ; la démonstration de ce théorème nécessite également les bornes uniformes pour l’ordre des points de torsion des courbes elliptiques qui figurent dans [9] et [11].
Dans la partie 4, on emploie les résultats de la partie 3, associés à une version effective du théorème de Chebotarev ([6]), pour établir la forme de la borne du théorème II ; on vérifie ensuite (partie 4.2) qu’elle permet d’aboutir aux conclusions du théorème II. Enfin, on fait le lien entre les deux types du théorème II et l’étude locale initiale du caractère d’isogénie (partie 1) pour obtenir le théorème III.
1 Étude locale du caractère d’isogénie
1.1 Défaut de semi-stabilité
Soient un nombre premier rationnel et un idéal premier de au-dessus de .
Notations 1.1.
On fixe un sous-groupe de décomposition pour dans ; on note son sous-groupe d’inertie (deux choix différents de sont conjugués par un élément de ; leur image par le caractère abélien coïncident donc). On note le complété de en , sa clôture algébrique associée au sous-groupe et l’extension non ramifiée maximale de dans . On note le corps résiduel de en , son cardinal et sa clôture algébrique associée à . On fixe dans un relèvement du frobenius de (le sous-groupe étant fixé, deux tels relèvements diffr̀ent par un élément de ; leurs images par un caractère non ramifié en coïncident donc).
Enfin, on note l’extension de trivialisant le caractère ; l’extension est galoisienne, cyclique, de degré divisant . La courbe possède un point d’ordre défini sur .
Lemme 1.
On suppose différent de ; alors en toute place de au-dessus de , n’a pas réduction additive.
1.1.1 Définition de lorsque n’est pas entier en
On suppose que l’invariant de n’est pas entier en la place , c’est-à-dire que a potentiellement réduction multiplicative en .
Alors il existe une unique extension de de degré inférieur ou égal à , sur laquelle est isomorphe à une courbe de Tate ; cette extension est de degré si et seulement si a réduction multiplicative déployée en , de degré sinon ; elle est ramifiée si et seulement si a réduction additive en (voir [15] appendice C théorème 14.1).
On note l’indice de ramification de cette extension ; on a donc égal à si et seulement si a réduction multiplicative (déployée ou non) en et égal à si et seulement si a réduction additive en .
1.1.2 Définition de lorsque est entier en
On suppose que l’invariant de est entier en la place , c’est-à-dire que a potentiellement bonne réduction en .
Alors il existe une plus petite extension de sur laquelle a bonne réduction et cette extension est galoisienne ([14], §2, corollaire 3, p. 498). On note cette extension et le groupe de Galois de sur .
Lorsque est différent de , on sait de plus ([14], loc. cit.) que est l’extension de engendrée par les coordonnées des points de -torsion de . En particulier, le corps contient l’extension de engendrée par les coordonnées des points du sous-groupe d’isogénie ; on note cette extension. D’après le lemme 1, a bonne réduction sur ; par minimalité de , le corps est donc inclus dans . Ainsi, les corps et coïncident et le groupe s’identifie au sous-groupe d’inertie en de l’extension abélienne . En particulier, le groupe est cyclique et son ordre divise .
Par ailleurs, que soit égal ou différent de , le groupe s’identifie à un sous-groupe du groupe des automorphismes de la courbe elliptique définie sur qu’on obtient par réduction de ([14], §2, démonstration du théorème 2, p. 497). On note cette courbe elliptique réduite et son groupe d’automorphismes. Le groupe dépend de l’invariant de , qui est égal à la classe de modulo , de la manière suivante ([15] appendice A, proposition 1.2 et exercice A.1) :
-
si est différent de et modulo , est cyclique d’ordre ;
-
si est différent de et de et est congru à modulo , est cyclique d’ordre ;
-
si est différent de et de et est congru à modulo , est cyclique d’ordre ;
-
si est égal à et est congru à modulo , est un groupe d’ordre , produit semi-direct d’un groupe cyclique d’ordre par un groupe cyclique d’ordre (le deuxième agissant sur le premier de l’unique manière non triviale) ; on vérifie que les sous-groupes cycliques d’un tel groupe sont d’ordre , , , ou ;
-
si est égal à et est congru à modulo , est un groupe d’ordre , produit semi-direct du groupe des quaternions (d’ordre ) par un groupe cyclique d’ordre (le deuxième agissant sur le premier en permutant les générateurs) ; on vérifie que les sous-groupes cycliques d’un tel groupe sont également d’ordre , , , ou .
On déduit de ce qui précède que pour tout , le groupe est cyclique d’ordre , , , ou . On note l’ordre de ; il est donc dans l’ensemble et vérifie :
-
est égal à si et seulement si a bonne réduction en ;
-
si est égal à , alors est congru à modulo ;
-
si est égal à ou , alors est congru à modulo ;
-
si est différent de , alors est l’ordre de et divise .
1.2 Action des sous-groupes d’inertie des places au-dessus de
Soit un idéal premier de situé au-dessus de ; on reprend les notations 1.1. Cette partie précise la proposition 3.2 (§ 3.1) de [4] qui décrit la restriction de la puissance douzième du caractère d’isogénie à un sous-groupe d’inertie associé à .
Proposition 1.2.
On suppose que a potentiellement réduction multiplicative en . Alors
-
1.
le caractère restreint à est trivial ou égal à ;
-
2.
en particulier restreint à est trivial ou égal à .
Lorsque est supérieur ou égal à , il existe un unique entier valant ou tel que le caractère restreint à coïncide avec .
Démonstration.
Soit l’unique extension de de degré inférieur ou égal à sur laquelle est isomorphe à une courbe de Tate (voir partie 1.1.1) ; on note le sous-groupe d’inertie de associé à .
D’après [13] (proposition 13 de §1.12 et page 273 de §1.11), le caractère restreint au sous-groupe est soit trivial soit égal au caractère cyclotomique . Par définition de (partie 1.1.1), est un sous-groupe d’indice de ; on en déduit le premier point de la proposition ; le second découle du fait que est égal à ou . ∎
Proposition 1.3.
On suppose que a potentiellement bonne réduction en . Alors il existe un entier compris entre et tel que le caractère restreint au sous-groupe d’inertie coïncide avec (les couples possibles, ainsi que des informations supplémentaires pour certains cas, sont rassemblés dans le tableau suivant). En particulier, lorsque est supérieur ou égal à , il existe un unique entier dans l’ensemble tel que le caractère restreint à coïncide avec .
Démonstration.
Pour l’existence et les valeurs possibles de et et les trois premières colonnes du tableau, on renvoie à la démonstration de la proposition 3.2 (§ 3.1) de [4] (voir aussi la remarque 1 de la partie 2 de [10]).
Pour la quatrième colonne, la démonstration de la proposition 3.2 de [4] donne qu’il existe un entier satisfaisant la congruence . Alors :
-
si divise et (couples , , et ), alors divise , donc est congru à modulo ;
-
si divise et ne divise pas (couples , , et ), alors ne divise pas , donc est congru à modulo ;
-
si est égal à et divise (couples et ), alors divise donc est congru à modulo ;
-
si est égal à et ne divise pas (couple ), alors ne divise pas donc est congru à modulo .
Pour la cinquième colonne, la discussion de la partie 1.1.2 donne :
-
si est égal à , alors est congru à modulo ;
-
si divise , alors est congru à modulo .
Enfin, la dernière colonne résulte de la détermination de l’invariant de Hasse des courbes d’invariant égal ou sur un corps fini de caractéristique (supérieur ou égal à ; voir [15], §V.4, exemples 4.4 et 4.5). En effet, soit un corps fini de caractéristique ; alors :
-
la courbe elliptique définie sur par l’équation , d’invariant égal à , est ordinaire si et seulement si est congru à modulo ;
-
la courbe elliptique définie sur par l’équation , d’invariant égal à , est ordinaire si et seulement si est congru à modulo .
∎
1.3 Ramification et action du frobenius aux places hors de
Soient un nombre premier rationnel différent de et un idéal premier de au-dessus de .
1.3.1 Lorsque n’est pas entier en
Proposition 1.4.
On suppose que a potentiellement réduction multiplicative en . Alors :
-
1.
le groupe est d’ordre ; en particulier, le caractère est non ramifié en ;
-
2.
vaut ou modulo .
Démonstration.
La proposition 3.3 (§3.2.1) de [4] donne la deuxième assertion et que est d’ordre au plus . Comme est égal à ou (voir partie 1.1.1), il ne reste qu’à prouver qu’on ne peut avoir à la fois égal à et trivial.
Supposons par l’absurde que c’est le cas. Alors, avec les notations de la partie 1.1, a mauvaise réduction additive sur et l’extension est non ramifiée en . Ceci implique qu’en toute place de au-dessus de , a mauvaise réduction additive ([15] §VII.5 proposition 5.4). On obtient alors une contradiction avec le lemme 1. ∎
1.3.2 Lorsque est entier en
On suppose dans cette partie que l’invariant de est entier en , c’est-à-dire que a potentiellement bonne réduction en .
La proposition suivante résulte de la discussion de la partie 1.1.2.
Proposition 1.5.
On suppose que a potentiellement bonne réduction en . Alors le groupe est d’ordre ; en particulier, le caractère est non ramifié en .
La proposition suivante est le théorème 3 (§2) de [14].
Proposition 1.6.
On suppose que a potentiellement bonne réduction en . Alors le polynôme caractéristique de l’action de sur le module de Tate en de est à coefficients dans (et indépendant de ) ; ses racines ont pour valeur absolue complexe .
Notations 1.7.
-
1.
On note le polynôme caractéristique de l’action de sur le module de Tate en de . Comme le déterminant de la représentation de sur le module de Tate en de est le caractère cyclotomique (à valeurs dans ), est de la forme avec un entier de valeur absolue inférieure ou égale à . Son discriminant est donc un entier négatif et ses racines sont conjuguées complexes l’une de l’autre.
-
2.
On note le sous-corps engendré dans par les racines de ; le corps est soit soit un corps quadratique imaginaire.
Proposition 1.8.
On suppose que a potentiellement bonne réduction en . Soit un idéal premier de au-dessus de . Alors les images dans des racines de sont dans ; il existe une racine de vérifiant :
Démonstration.
Soit la réduction modulo de . Alors est le polynôme caractéristique de ; il est donc scindé dans et ses racines sont et . D’autre part, est aussi la réduction modulo de , dont les racines dans le corps sont les classes modulo des racines de dans . ∎
Remarques 1.9.
-
1.
Le corps est égal à si et seulement si le discriminant est nul ; lorsque c’est le cas, a une racine double, appartenant à , égale à et est le carré de ; ceci implique notamment que le degré résiduel de dans l’extension est pair et que a potentiellement bonne réduction supersingulière en .
-
2.
Plus généralement, la courbe a potentiellement bonne réduction supersingulière en si et seulement si divise . Lorsque est de degré dans , divise si et seulement si (( = 0) ou ( et (, ou )) ou ( et (, ou )).
-
3.
Le polynôme caractéristique de est scindé dans et égal à modulo ; l’entier est donc un carré modulo . On en déduit que soit divise , soit est un corps quadratique imaginaire dans lequel est décomposé (les deux cas ne s’excluant pas).
2 Compatibilité en et hors de
Notations 2.1.
Dans toute la suite du texte, on note la puissance douzième du caractère d’isogénie ; on rappelle (notations 1.1) que désigne l’extension abélienne de trivialisant le caractère et on note l’extension de trivialisant . Le corps est inclus dans le corps et l’extension est cyclique, de degré divisant le pgcd de et ; l’extension est cyclique et d’ordre divisant . On note le morphisme de groupes injectif du groupe de Galois dans induit par .
2.1 Théorie du corps de classes pour le caractère
La théorie du corps de classes globale appliquée à l’extension abélienne fournit un morphisme de groupes du groupe des idèles de dans le groupe de Galois qui est continu, surjectif et trivial sur les idèles diagonales. On note ce morphisme.
Notations 2.2.
On note le groupe des idèles de . Soit une place (finie ou infinie) de . On note le complété de en et la composée de l’injection de dans les idèles et de l’application de réciprocité introduite ci-dessus. Lorsque est une place finie, on note les unités du corps local ; dans ce cas, on utilise indifféremment en indice la place et l’idéal maximal de qui lui correspond.
2.1.1 En une place infinie
Soit une place infinie de ; alors l’application est triviale.
En effet, soit le morphisme de groupes de dans associé de manière analogue à l’extension abélienne . Alors est égale à la puissance douzième de la composée de et de la surjection naturelle de dans . Comme est une place infinie, l’application a pour image un groupe d’ordre divisant ; on en déduit que est triviale.
2.1.2 En une place hors de
Soit un idéal maximal de qui n’est pas au-dessus de .
2.1.3 En une place au-dessus de
Soit un idéal premier de au-dessus de ; alors le morphisme coïncide sur les unités avec la composée suivante :
2.2 Loi de réciprocité pour le caractère
Notations 2.3.
Pour toute place de , on note le plongement de dans le complété . Pour tout idéal maximal de , on note la valuation de associée à dont l’image est .
Proposition 2.4.
Soient un élément de non nul et premier à et la décomposition de l’idéal fractionnaire en produit d’idéaux premiers de . Alors on a :
Démonstration.
L’image par de l’idèle principale est triviale. On détermine l’image de par pour les différentes places de en utilisant la partie 2.1.
-
Si est une place infinie de , l’application est triviale, donc l’est également.
-
Si est un idéal maximal de premier à , alors est un élément de de valuation ; son image par est et son image par est .
-
Si est un idéal maximal de au-dessus de , alors, étant supposé premier à , est une unité de ; on a donc .
Finalement on a (tous les produits étant finis) :
Avec l’égalité pour tout idéal maximal de premier à , on obtient le résultat de la proposition. ∎
Notations 2.5.
-
1.
Dans tout la suite du texte, on suppose que l’extension est galoisienne ; on note son groupe de Galois.
-
2.
On fixe également pour toute la suite du texte un idéal de au-dessus de .
-
3.
Pour tout élément de , on note l’entier associé à l’idéal .
-
4.
On note l’application de dans lui-même qui envoie un élément sur la norme tordue par les entiers : . On note que l’application préserve , et les éléments de premiers à .
Avec ces notations, la proposition 2.4 admet la reformulation globale suivante (qui redonne le lemme 1 du §2 de [10]).
Proposition 2.6.
Soient un élément de non nul et premier à et la décomposition de l’idéal fractionnaire en produit d’idéaux premiers de . Alors on a :
Démonstration.
On vérifie que l’élément de est l’image par l’injection canonique de dans son complété de l’élément de . ∎
2.3 Une borne pour la hauteur des associés d’un entier
Notation 2.7.
Soit un élément non nul de . On note la hauteur absolue de définie par
avec les normalisations suivantes pour les valeurs absolues :
-
si est une place réelle, correspondant à un élément de , on pose ;
-
si est une place complexe, correspondant à un élément de , on pose ;
-
si est une place finie, correspondant à un idéal maximal de , on pose .
On remarque que lorsque est entier dans , les seules places apportant une contribution non triviale dans le produit définissant sont les places infinies.
Lemme 2.
Soit un élément non nul de ; alors, pour tout dans , on a :
Démonstration.
Soit dans fixé ; on a :
Pour tout dans , on a ( étant un entier compris entre et )) :
Comme le corps est supposé galoisien sur , ses places infinies sont soit toutes réelles, soit toutes complexes.
Lorsque toutes les places de sont réelles, il y en a exactement , qui correspondent bijectivement aux éléments de ; on a alors :
Lorsque toutes les places de sont complexes, le degré de sur est pair et la conjugaison complexe induit dans un élément d’ordre . Le corps a exactement places infinies ; deux éléments de définissent la même place infinie si et seulement s’ils sont égaux ou conjugués complexes l’un de l’autre. On fixe un système de représentants de modulo le sous-groupe d’ordre engendré par . On a alors :
∎
Notations 2.8.
Suivant [2], on note :
-
le régulateur de ;
-
le rang du groupe des unités de ( vaut si est totalement réel et sinon) ;
-
un réel strictement positif minorant pour tout élément non nul de qui n’est pas une racine de l’unité ; si vaut ou , on peut prendre égal à ; si est supérieur ou égal à , on peut prendre égal à ou .
Définition 2.9 (Borne ).
On pose :
On remarque que peut s’exprimer en n’utilisant que le degré de sur . Avec ces notations, le lemme (partie ) de [2] s’écrit de la manière suivante.
Lemme 3.
Pour tout élément non nul de , il existe une unité de vérifiant :
2.4 Type de réduction en une place hors de et action de l’inertie en
Dans cette partie, on suit le raisonnement de la partie 2 de [10] pour établir un lien entre les actions sur le groupe d’isogénie du frobenius en une place hors de d’une part et des sous-groupes d’inertie aux places au-dessus de d’autre part ; ce lien est valide lorsque est pris strictement plus grand qu’une borne dont on détermine une forme explicite.
Définition 2.10 (Borne ).
On définit :
On remarque que le nombre réel ne dépend que du degré et du régulateur de . On rappelle (notations de l’introduction) que désigne le nombre de classes d’idéaux de .
Proposition 2.11.
Soit un idéal maximal de . Il existe un générateur de satisfaisant pour tout dans :
Démonstration.
Notations 2.12.
Soit un idéal maximal de premier à en lequel a potentiellement bonne réduction.
- 1.
-
2.
On note l’unique idéal de situé au-dessous de .
-
3.
D’après la proposition 1.8, il existe une racine du polynôme dont la classe modulo (qui est dans ) vaut ; on note une telle racine.
Définition 2.13 (Borne ).
Pour tout entier , on pose :
Proposition 2.14.
Démonstration.
Comme engendre dans l’idéal , la proposition 2.6 appliquée à donne :
On raisonne ensuite selon le type de réduction semi-stable de en et les valeurs possibles de déterminées dans la partie 1.3.
On suppose d’abord que a potentiellement mauvaise réduction multiplicative en et que est égal à modulo . Alors est aussi égal à modulo et l’élément de est congru à modulo . Comme est au-dessus de , ceci implique que divise l’entier relatif . Par choix de , on a pour tout dans :
d’où
Comme est supposé strictement plus grand que , on en déduit que l’entier est nul, ce qui implique que est égal à .
On suppose ensuite que a potentiellement mauvaise réduction multiplicative en et que est égal à modulo . Alors est égal à modulo et l’élément de est congru à modulo . Ainsi, divise l’entier relatif . Or on a :
Comme est supposé strictement plus grand que , on en déduit que l’entier est nul, ce qui implique que est égal à .
On suppose enfin que a potentiellement bonne réduction en . Alors est égal à la classe de modulo (notations 2.12) et et sont congrus modulo l’idéal de . Ceci implique que divise l’entier relatif .
Comme est soit soit un corps quadratique imaginaire, le corps est galoisien sur , de degré égal à ou . Tout élément de induit sur un élément de et sur un élément de , qui est donc soit l’identité soit la conjugaison complexe. On a ainsi pour tout dans :
D’où finalement :
Comme est supposé strictement plus grand que , on en déduit que l’entier est nul, ce qui implique que est égal à . ∎
La proposition suivante donne une forme effective du lemme 2 de la partie 2 de [10].
Proposition 2.15.
Soient un nombre premier rationnel totalement décomposé dans et un idéal premier de au-dessus de . On suppose que est strictement plus grand que . Alors on est dans l’un des cinq cas suivants (avec les notations 2.12) :
Type de réduction | Corps | Famille | Cas | ||
semi-stable de en | |||||
multiplicatif | M0 | ||||
M1 | |||||
bon | supersingulier | BS | |||
ordinaire | quadratique, | BO | |||
inclus dans , | et sinon | ||||
décomposé | BO’ | ||||
dans | et sinon |
Démonstration.
Comme le nombre premier est supposé totalement décomposé dans l’extension galoisienne , les idéaux sont deux à deux distincts lorsque décrit , leur produit est l’idéal et la norme de dans est égale à . En particulier, en supposant que est strictement supérieur à , on se place dans les hypothèses de la proposition 2.14. On raisonne donc selon les trois cas de cette proposition.
On remarque que l’élément engendre dans l’idéal
Lorsque est de type M0, est égal à donc engendre dans l’idéal lui-même. L’égalité
avec dans implique alors que pour tout dans , est nul.
Lorsque est de type M1, est égal à et on a :
On en déduit que pour tout dans , est égal à .
Lorsque est de type B, est égal à (dans le corps ). En particulier, l’élément de est contenu dans et deux sous-cas sont possibles : soit est rationnel, soit engendre qui est alors contenu dans .
On suppose d’abord que est rationnel. Alors est également rationnel, donc est égal à . Ceci implique qu’il existe une racine -ième de l’unité dans telle que est égal à . Comme est soit soit un corps quadratique imaginaire, est en fait une racine deuxième, quatrième ou sixième de l’unité. Ceci implique que est déjà rationnel ; comme est un entier algébrique, est un entier relatif ; sa valeur absolue étant , on a . On en déduit qu’on a dans :
Ceci implique que pour tout dans , est égal à . D’après la proposition 1.3, le nombre premier est donc congru à modulo .
On va maintenant montrer que a potentiellement réduction supersingulière en , que le corps est et qu’on a .
La relation
implique dans
Ainsi, est ramifié dans et l’unique idéal premier de au-dessus de est (ceci force notamment à être différent de ).
On traite d’abord le cas . La trace (voir notations 1.7) est alors un entier relatif de valeur absolue inférieure à ; il vaut donc , , , ou . Les valeurs correspondantes du discriminant du polynôme sont , , , , . Les entiers relatifs sans facteurs carrés dont une racine carrée engendre sont alors respectivement , , , , . Or, est ramifié dans si et seulement si ce dernier entier est congru à ou modulo . Les valeurs de qui réalisent cette condition sont , et . Or d’après la remarque 1.9, l’entier est un carré modulo . Si est égal à ou , le discriminant est égal à . Or, étant congru à modulo , n’est pas un carré modulo . On en déduit que est nul.
Lorsque est différent de , le fait qu’il soit ramifié dans implique qu’il divise le discriminant . Comme divise (et lui est même ici égal), on en déduit que divise . Alors est un carré, multiple de , compris entre et . Ceci implique que soit est nul, soit est égal à et est égal à .
On a ainsi montré :
-
si est différent de , alors est nul ;
-
si est égal à , alors est soit nul, soit égal à .
Dans les deux cas, divise , donc la courbe elliptique obtenue sur par réduction de est supersingulière.
Si la trace est nulle, alors le polynôme dont est racine est égal à . On a alors égal à , donc est égal à et le corps est .
Si est égal à et est égal à , alors vaut et il existe valant ou vérifiant :
On a alors encore égal à et on vérifie par le calcul que est égal à .
On suppose enfin que l’élément de engendre qui est un corps quadratique imaginaire. Alors est inclus dans , le degré de sur est pair et le groupe de Galois de sur contient comme sous-groupe d’indice le groupe ; on note ce sous-groupe.
Comme est contenu dans , on a pour tout élément de :
On en déduit :
On a donc pour tout dans et tout dans l’égalité . Ainsi la valeur de est constante sur les classes à gauche (qui sont aussi les classes à droite) de modulo .
Le groupe possède deux classes modulo : celle, égale à , de l’identité et celle, égale à , d’un élément de qui induit la conjugaison complexe sur . On a alors :
Comme engendre dans l’idéal
alors engendre dans l’idéal et on obtient :
Comme on a supposé totalement décomposé dans l’extension , est également totalement décomposé dans les extensions et . La norme est donc un idéal premier de au-dessus de . Or l’égalité indique que les deux idéaux premiers (distincts) de au-dessus de sont et . Ainsi est égal soit à soit à .
Si est égal à , alors la relation
implique et . On en déduit que vaut si est dans et sinon.
Si est égal à , alors la relation
implique et . On en déduit que vaut si est dans et sinon.
D’après la remarque 1.9, soit est décomposé dans , soit divise . Supposons par l’absurde que divise ; on remarque que la valeur absolue de est , elle donc inférieure ou égale à . Comme est supposé strictement supérieur à , est strictement supérieur à . On obtient alors que est nul, ce qui est impossible. On en déduit que est décomposé dans le corps quadratique .
Enfin, on suppose par l’absurde que a potentiellement réduction supersingulière en ; alors d’après la remarque 1.9, on est dans l’un des cas suivants : est nul ; est égal à et est égal à , ou ; est égal à et est égal à , ou . Si est nul ou est égal à et vaut , alors est égal à , dans lequel est ramifié ; si est égal à et vaut , alors est égal à , dans lequel est ramifié. Or, on a montré que est décomposé dans le corps . On en déduit que a potentiellement réduction ordinaire en . ∎
3 Deux critères d’irréductibilité
3.1 Types de réduction semi-stable différents
Soit un entier naturel supérieur ou égal .
Définition 3.1 (Ensemble ).
On note l’ensemble des courbes elliptiques définies sur pour lesquelles il existe
-
et des nombres premiers totalement décomposés dans et inférieurs ou égaux à ,
-
une place de au-dessus de et une place de au-dessus de tels que les types de réduction semi-stable de en et (de la proposition 2.15) sont différents
(les premiers et et les places et peuvent dépendre de ; les premiers et peuvent être égaux).
Proposition 3.2.
Soit un entier naturel supérieur ou égal . Alors pour toute courbe elliptique dans et tout nombre premier strictement supérieur à , la représentation est irréductible.
Démonstration.
On suppose par l’absurde que la représentation est réductible. Alors pour les places et , on est dans les hypothèses de la proposition 2.15. Le type de réduction semi-stable de en ou détermine donc la famille , qui décrit l’action sur le sous-groupe d’isogénie des sous-groupes d’inertie de aux places de au-dessus de . Comme deux types de réduction semi-stable pour ou donnent des familles différentes (on distingue les cas BO et BO’ par le fait que dans le cas BO, l’ensemble des éléments de pour lesquels est égal à est un sous-groupe de alors que dans le cas BO’, c’est le complémentaire d’un sous-groupe), ces types doivent être les mêmes : on obtient une contradiction. ∎
3.2 Réduction semi-stable multiplicative
Soit un nombre premier rationnel totalement décomposé dans .
Définition 3.3 (Ensemble et borne ).
Soit un nombre premier rationnel totalement décomposé dans .
-
1.
On note l’ensemble des courbes elliptiques définies sur vérifiant : il existe une place (qui peut dépendre de ) de au-dessus de en laquelle a potentiellement mauvaise réduction multiplicative.
-
2.
On pose
Proposition 3.4.
Soit un nombre premier rationnel totalement décomposé dans . Alors pour toute courbe elliptique dans et tout nombre premier strictement supérieur à , la représentation est irréductible.
Démonstration.
On suppose par l’absurde que la représentation est réductible. Alors on est dans les hypothèses de la proposition 2.15 et comme appartient à , on est dans le cas M0 ou dans le cas M1. On remarque que d’après les propositions 1.4 et 1.5, le caractère est non ramifié en toute place finie de première à .
Dans le cas M0, pour tout idéal premier de au-dessus de , est nul. Par définition de (partie 1.2), cela implique que caractère est non ramifié en toute place de au-dessus de . Ainsi, l’extension de trivialisant , qui est abélienne, est non ramifiée en toute place finie de ; le corps est donc inclus dans le corps de classes de Hilbert de et son degré (sur ) est inférieur ou égal à . Le corps qui trivialise le caractère est une extension de degré divisant de ; son degré (sur ) est donc inférieur ou égal à .
Or, la courbe possède un point d’ordre défini sur . D’après des travaux de Merel et Oesterlé mentionnés dans les introductions de [11] et [9], on a alors
ce qui contredit le choix de strictement supérieur à .
Dans le cas M1, pour tout idéal premier de au-dessus de , est égal à . Ainsi, le caractère est non ramifié en toute place de au-dessus de , et par suite en toute place finie de . On considère alors le quotient de par le sous-groupe d’isogénie . On obtient une courbe elliptique définie sur , isogène à sur ; le sous-groupe de est défini sur et d’ordre et le caractère d’isogénie associé à ce sous-groupe est . La puissance douzième de étant non ramifiée en toute place finie de , on applique le même raisonnement que précédemment. ∎
4 Forme du caractère d’isogénie et homothéties
À partir de maintenant et jusqu’à la fin du texte, on suppose à nouveau la représentation réductible.
4.1 Une version effective du théorème de Chebotarev
Théorème (Chebotarev effectif, [6]).
Il existe une constante absolue et effectivement calculable ayant la propriété suivante : soient un corps de nombres, une extension finie galoisienne de , le discriminant de , une classe de conjugaison du groupe de Galois ; alors il existe un idéal premier de , non ramifié dans , dont la classe de conjugaison des frobenius dans l’extension est la classe de conjugaison et dont la norme dans l’extension est un nombre premier rationnel inférieur ou égal à .
Définition 4.1 (Ensemble d’idéaux ).
On note l’ensemble des idéaux maximaux de dont la norme dans l’extension est un nombre premier rationnel totalement décomposé dans et inférieur ou égal à .
Proposition 4.2.
Toute classe d’idéaux de contient un idéal de .
Démonstration.
On note le corps de classes de Hilbert de . Démontrer la proposition est équivalent à montrer que pour tout élément du groupe de Galois de l’extension , il existe un idéal premier non nul de appartenant à tel que l’élément de Frobenius associé à dans par l’application de réciprocité d’Artin est égal à .
Comme on a supposé le corps galoisien sur , le corps est également une extension galoisienne de . On va utiliser la version effective du théorème de Chebotarev pour les corps et . On remarque que le discriminant de est égal à et que le groupe est un sous-groupe (distingué) du groupe .
Soit un élément de et la classe de conjugaison de dans . D’après le théorème de Chebotarev effectif, il existe un nombre premier rationnel , non ramifié dans et inférieur ou égal à , tel que la classe de conjugaison formée par les frobenius de dans l’extension est égale à . Il existe donc un idéal de au-dessus de tel que le frobenius de dans l’extension est égal à .
Soit l’idéal de situé au-dessous de . Alors la caractéristique de est le nombre premier rationnel . Par choix, est inférieur ou égal à et non ramifié dans , donc dans . Le frobenius de dans l’extension est égal à la restriction à du frobenius de dans . Or, est égal à , qui est un élément de . Ceci implique que est l’identité de , donc que le degré résiduel de dans est et finalement que la norme de dans est . Comme est supposé galoisien sur , on obtient que est totalement décomposé dans et ainsi que est dans l’ensemble .
Enfin, comme est de degré dans , l’élément de Frobenius associé à dans l’extension vérifie
∎
4.2 Les deux formes possibles du caractère d’isogénie
Dans cette partie, on s’inspire de la démonstration du théorème 1 (§2) de [10] pour obtenir le théorème II de l’introduction.
Définition 4.3 (Borne ).
On pose
Le nombre ne dépend que du corps de nombres .
Proposition 4.4.
On suppose que est strictement supérieur à . Alors, en tout idéal de , la courbe a potentiellement bonne réduction et tous les idéaux de appartiennent au même cas (BS, BO ou BO’) de la proposition 2.15.
Démonstration.
Par construction, la borne est supérieure ou égale à et à pour tout idéal de de caractéristique . Comme la représentation est supposé réductible, les propositions 3.2 et 3.4 donnent que la courbe n’appartient pas à la famille ni à la famille pour tout premier rationnel totalement décomposé dans et inférieur ou égal à .
Ceci implique que a même type de réduction semi-stable (parmi les cinq types possibles de la proposition 2.15) en tout idéal de et que ce type n’est pas multiplicatif. ∎
4.2.1 Type supersingulier
Proposition 4.5.
On suppose que est strictement supérieur à et que tous les idéaux de sont de type supersingulier (BS dans la proposition 2.15). Alors :
-
1.
le nombre premier est congru à modulo ;
-
2.
en toute place de au-dessus de , la courbe a mauvaise réduction additive et potentiellement bonne réduction supersingulière ;
-
3.
on a .
Démonstration.
Soit un idéal premier de au-dessus de . Comme tous les idéaux de sont de type BS, la proposition 2.15 donne que est égal à . D’après les parties 1.1.2 et 1.2 (notamment la proposition 1.3), ceci implique que est congru à modulo , a potentiellement bonne réduction supersingulière en et, comme est égal à , a réduction additive en .
D’après les propositions 1.4, 1.5 et 2.15, le caractère est ainsi non ramifié en toute place finie de . Il définit donc une extension abélienne de contenue dans son corps de classes de Hilbert . Comme les classes des éléments de forment tout le groupe des classes d’idéaux de , le caractère est entièrement déterminé par sa valeur sur les éléments , lorsque décrit .
Soit un idéal dans ; alors d’après la proposition 2.15 (et avec les notations 2.12), on a :
On en déduit que est égal à sur , ce qui implique :
Soit le caractère de dans . On a donc l’ordre de divise . On peut ainsi écrire comme produit d’un caractère d’ordre divisant et d’un caractère d’ordre divisant . Comme est congru à modulo et que l’image de est formée de carrés de , on a :
On en déduit finalement :
∎
4.2.2 Type ordinaire
Proposition 4.6.
On suppose que est strictement supérieur à et que tous les idéaux de sont de type BO ou que tous les idéaux de sont de type BO’ (proposition 2.15). Alors il existe un unique corps quadratique imaginaire inclus dans vérifiant : pour tout idéal dans , est égal à .
Démonstration.
Lorsque tous les idéaux dans sont de type BO, l’ensemble des éléments de tels que est égal à est un sous-groupe d’indice de , égal à pour tout idéal de , étant quadratique imaginaire et inclus dans . (proposition 2.15). Ainsi, le groupe , et par suite le corps , est indépendant de l’idéal dans . Ce corps quadratique commun fournit le corps de la proposition.
Lorsque tous les idéaux dans sont de type BO’, on applique le même raisonnement à l’ensemble des éléments de tels que est nul. ∎
Proposition 4.7.
La norme dans l’extension de tout idéal fractionnaire de est un idéal fractionnaire principal de . Le corps de classes de Hilbert de est contenu dans .
Démonstration.
Comme toute classe d’idéaux de contient un idéal de (proposition 4.2), la première assertion est vraie si et seulement si elle l’est pour tous les idéaux de . Or pour tout idéal de , la norme de dans l’extension est la norme de dans l’extension , qui est un idéal principal engendré par (type BO) ou (type BO’).
On montre ensuite que la première assertion implique la deuxième. Soit le corps de classes de Hilbert de . L’extension est galoisienne, abélienne et la théorie du corps de classes fournit le diagramme commutatif suivant :
D’après la première assertion, la flèche verticale de droite est d’image triviale. Comme la flèche verticale de gauche est injective, les corps et coïncident, ce qui implique que est inclus dans . ∎
Proposition 4.8.
Le nombre premier est décomposé dans . Il existe un unique idéal premier de au-dessus de vérifiant : pour tout idéal premier de au-dessus de , est égal à et pour tout idéal premier de au-dessus de , est égal à .
Démonstration.
D’après la proposition 2.15, est décomposé dans le corps , égal à , pour tout dans .
On rappelle que les entiers ont été définis par pour un idéal de au-dessus de fixé (notations 2.5).
Lorsque tous les idéaux de sont de type BO, on note l’idéal de situé au-dessous de (pour tout idéal dans , est donc l’idéal des notations 2.12). Soit un idéal premier de au-dessus de . Il existe un élément dans vérifiant . Alors est égal à , lui-même égal à car est dans qui coïncide avec . Réciproquement, soit un idéal premier de au-dessus de tel que est égal à . Soit dans vérifiant . On a alors donc est dans , qui est égal à . Cela implique :
Ainsi on a égal à si et seulement si est au-dessus de et égal à sinon ; dans ce deuxième cas, est au-dessus de , qui est l’autre idéal de au-dessus de .
Lorsque tous les idéaux de sont de type BO’, on note le conjugué complexe de l’idéal de situé au-dessous de (pour tout idéal dans , est donc le conjugué complexe de l’idéal des notations 2.12). Soit un idéal premier de au-dessus de . Il existe un élément dans privé de vérifiant . Alors est égal à , donc à . Réciproquement, soit un idéal premier de au-dessus de tel que est égal à . Soit dans vérifiant . On a alors égal à qui vaut , donc est dans privé de . Alors et induisent sur la conjugaison complexe et on obtient :
On a donc encore égal à si et seulement si est au-dessus de et égal à sinon. ∎
Proposition 4.9.
Soient un élément non nul de premier à et la décomposition de l’idéal fractionnaire principal en produit d’idéaux maximaux de . Alors on a :
Démonstration.
Proposition 4.10.
Soient un idéal maximal de premier à et dans un générateur de . Alors on a :
Démonstration.
Il existe un idéal dans et un élément non nul de vérifiant :
D’après la démonstration de la proposition 4.8 :
-
si tous les idéaux de sont de type BO’ alors est le conjugué complexe de l’idéal , la norme de dans est et on a
Dans les deux cas, il existe un élément de qui engendre l’idéal et vérifie :
Soit dans un générateur de l’idéal . On a :
ce qui implique que les éléments et de diffèrent d’une unité de . Comme est un corps quadratique imaginaire, cette unité est une racine douzième de l’unité ; on a donc
Enfin, on a d’après la proposition 4.9
d’où
∎
4.3 Homothéties dans l’image de la représentation
On remarque qu’on a, pour tout couple dans , l’égalité suivante dans :
Pour montrer que l’image de contient une homothétie de rapport ( appartenant à ), il suffit donc de montrer que l’image de contient un élément dont la diagonale est .
4.3.1 Homothéties pour le type supersingulier
Proposition 4.11.
On suppose que est strictement supérieur à et qu’on est dans le cas supersingulier (partie 4.2.1). Alors l’image de contient les carrés des homothéties.
Démonstration.
Soit un idéal premier de au-dessus de . Comme est égal à (proposition 2.15), la proposition 1.3 donne que le caractère restreint au sous-groupe d’inertie est égal au carré du caractère cyclotomique. Le deuxième caractère diagonal de est et vérifie alors également en restriction à :
Comme on a supposé non ramifié dans , le caractère cyclotomique restreint à est surjectif dans . Ainsi, pour tout dans , l’image de contient un élément de diagonale et la puissance -ième de cet élément qui est une homothétie de rapport . ∎
4.3.2 Homothéties pour le type ordinaire
Proposition 4.12.
On suppose que est strictement supérieur à et qu’on est dans le cas ordinaire (partie 4.2.2). Alors l’image de contient les puissances douzièmes des homothéties.
Démonstration.
Soit un élément de .
Soit un idéal premier de au-dessus de . D’après la proposition 4.8, est égal à donc la restriction à de la diagonale de , élevée à la puissance , vaut . Comme est surjectif de dans , il existe dans un élément tel que la diagonale de est .
Soit un idéal premier de au-dessus de . D’après la proposition 4.8, est nul donc la restriction à de la diagonale de , élevée à la puissance , vaut . Comme est surjectif de dans , il existe dans un élément tel que la diagonale de est .
Alors l’image par du produit de a pour diagonale ; sa puissance -ième est donc une homothétie de rapport contenue dans l’image de . ∎
Références
- [1] Nicolas Billerey. Critères d’irréductibilité pour les représentations des courbes elliptiques. Int. J. Number Theory, 7(4):1001–1032, 2011.
- [2] Yann Bugeaud and Kálmán Győry. Bounds for the solutions of unit equations. Acta Arith., 74(1):67–80, 1996.
- [3] Agnès David. Caractère d’isogénie et borne uniforme pour les homothéties. PhD thesis, IRMA, Strasbourg, 2008.
- [4] Agnès David. Borne uniforme pour les homothéties dans l’image de Galois associée aux courbes elliptiques. J. Number Theory, 131(11):2175–2191, 2011. Disponible en ligne arXiv:1007.4725v1.
- [5] Alain Kraus. Courbes elliptiques semi-stables sur les corps de nombres. Int. J. Number Theory, 3(4):611–633, 2007.
- [6] J. C. Lagarias, H. L. Montgomery, and A. M. Odlyzko. A bound for the least prime ideal in the Chebotarev density theorem. Invent. Math., 54(3):271–296, 1979.
- [7] Eric Larson and Dmitry Vaintrob. Determinants of subquotients of Galois representations associated to abelian varieties. preprint, 2011. Disponible en ligne arXiv:1110.0255v2.
- [8] B. Mazur. Rational isogenies of prime degree (with an appendix by D. Goldfeld). Invent. Math., 44(2):129–162, 1978.
- [9] Loïc Merel. Bornes pour la torsion des courbes elliptiques sur les corps de nombres. Invent. Math., 124(1-3):437–449, 1996.
- [10] Fumiyuki Momose. Isogenies of prime degree over number fields. Compositio Math., 97(3):329–348, 1995.
- [11] Pierre Parent. Bornes effectives pour la torsion des courbes elliptiques sur les corps de nombres. J. Reine Angew. Math., 506:85–116, 1999.
- [12] Michel Raynaud. Schémas en groupes de type . Bull. Soc. Math. France, 102:241–280, 1974.
- [13] Jean-Pierre Serre. Propriétés galoisiennes des points d’ordre fini des courbes elliptiques. Invent. Math., 15(4):259–331, 1972.
- [14] Jean-Pierre Serre and John Tate. Good reduction of abelian varieties. Ann. of Math. (2), 88:492–517, 1968.
- [15] Joseph H. Silverman. The arithmetic of elliptic curves, volume 106 of Graduate Texts in Mathematics. Springer-Verlag, New York, 1992. Corrected reprint of the 1986 original.