Relations de dispersion pour chaînes linéaires comportant des interactions harmoniques auto-similaires
1 Résumé
Dans de nombreux systèmes biologiques on trouve des structures arborescentes et bifurquantes comme les poumons, les arbres, les fougères, les coquilles des escargots, le système vasculaire, etc. Tous ces systèmes se distinguent par une invariance d’échelle et se comportent donc quasiment comme des systèmes auto-similaires. Est-ce par soucis d’optimisation qu’une telle symétrie a été retenue par la nature ? Quels sont les comportements dynamiques et acoustiques de tels systèmes auto-similaires ? Afin de donner une réponse il faut tout d’abord comprendre le rôle de l’auto-similarité dans les comportements dynamiques comme la propagation d’ondes. Faute d’approches définitives qui décrivent la physique de systèmes auto-similaires, on introduit ici le modèle simple d’une chaîne linéaire quasi-continue correspondant à une distribution auto-similaire de ressorts qui lient des masses ponctuelles entre-elles. Dans notre modèle la densité d’énergie élastique est une fonction exactement auto-similaire. L’équation du mouvement fournit une version auto-similaire de l’opérateur de Laplace dont le spectre de valeurs propres (la relation de dispersion) est une fonction de type Weierstrass-Mandelbrot. Cette fonction est exactement auto-similaire et est de plus une fonction fractale non-différentiable.
En outre, il s’avère que dans le cas limite d’un milieu continu notre Laplacien adopte la forme d’intégrales fractionnelles. Dans ce cas la densité de vibrations se révèle être une loi de puissance pour les basses fréquences avec un exposant strictement positif qui indique l’annulation de la densité de vibrations pour une fréquence nulle.
Pour de plus amples détails nous renvoyons
le lecteur à notre article récent [2].
Mots-clés: Auto-similarité, fonctions auto-similaires, transformations affines,
fonction de Weierstrass-Mandelbrot, fonctions fractales, loi de puissance, intégrales fractionnelles.
PACS: 05.50.+q 81.05.Zx 63.20.D-
2 Introduction
Ce fut dans les années soixante-dix du dernier siècle que Benoît Mandelbrot déclencha une révolution scientifique en développant sa Géométrie Fractale [1]. Toutefois, les orgigines de cette discipline remontent au moins jusqu’au 19ème siècle [3]. Depuis lors, les applications des structures fractales se développent de plus en plus, citons par exemple les antennes fractales [4, 5]. En outre, des réseaux de type Sierpinski révèlent des caractéristiques vibratoires intéresantes [6].
Tandis que des systèmes fractals et auto-similiares sont déjà un sujet d’études bien établi dans de nombreux domaines de la physique, ils attirent aussi de plus en plus d’interêt en mécanique analytique et dans les sciences de l’ingénieur. Il faut se rendre compte qu’il y a encore une large méconnaissance de l’impact de l’auto-similarité en tant que symétrie sur les comportements physiques. Cependant quelques pas initiaux ont d’ores et déjà été effectués [6, 7, 8, 9, 10, 11], alors que le developpement d’une mécanique fractale se fait attendre. Faute d’une théorie définitive, il est donc désirable d’établir des modèles de sytèmes auto-similaires qui soient à la fois pertinents et autant que possible simples à analyser. C’est donc l’objectif de cet article que de développer un tel modèle.
Nous explorons les comportements vibratoires d’une chaîne linéaire ayant des interactions inter-particulaires harmoniques réalisant une distribution spatiale auto-similaire. Quelques études ont été consacrées aux chaînes linéaires avec aussi bien des propriétés fractales [8, 14, 15, 16, 17] que des propriétés en dépendance exponentielle [12].
Au contraire de ces articles consacrés aux grilles discrètes, nous analysons ici les comportements oscillatoires dans une chaîne linéaire qui est non seulement fractale mais aussi exactement auto-similaire par rapport à ses interactions inter-particulaires. Il semble que notre approche pluridisciplinaire soit utile pour la modélisation de certains problèmes en mécanique des fluides, notamment en milieux turbulents [18, 19].
La démonstration est développée comme suit : le § 3 est consacré à la construction de fonctions et opérateurs auto-similaires. Avec cette machinerie on déduit une sorte de Laplacien auto-similaire. Bien que la construction d’un tel opérateur ne soit pas unique, on démontre pourtant que cette manière de construction dispose d’une certaine justification physique. Dans une approximation continue notre Laplacien revêt la forme d’intégrales fractionnelles.
Dans le § 4 on établit un modèle physique simple de chaîne linéaire de longueur infinie comportant des interactions harmoniques (ressorts) auto-similaires. L’auto-similarité requiert une distribution continue et homogène des particules. L’équation de mouvement apparaît sous forme d’une équation d’ondes auto-similaire qui contient notre Laplacien auto-similaire. Les valeurs propres de ce Laplacien fournissent la rélation de dispersion qui est une fonction de type Weierstrass-Mandelbrot qui comporte aussi bien l’auto-similarité que des propriétés fractales.
3 Definition du problème affin
Tout d’abord nous définissons la notion d’“auto-similarité” en termes de fonctions et opérateurs. Nous dénommons une fonction scalaire exactemant auto-similaire par rapport à la variable si la condition
(1) |
est satisfaite pour toutes valeurs . Nous dénommons (1) le “problème affin”222nous nous restreignons aux transformations affines de la forme with .. est un paramètre fixe pour un problème donné et un ensemble continu de valeurs propres dont la bande admissible de l’exposant est à déterminer. Une fonction qui satisfait (1) pour un certain et une bande représente une solution du problème (1) dont le paramètre fixe est donné. Il va de soi que si une fonction satisfait (1) elle satisfait aussi où (zéro inclus). En choisissant , il est clair que nous récuperons le même problème en remplacant et par et dans (1). Il s’ensuit que nous pouvons restreindre notre analyse aux valeurs sans aucune perte de généralité. De plus, il est justifié pour des raisons physiques d’admettre comme nombres réels et positifs ().
Pour aborder le problème affin (1) comme problème de valeurs propres, il convient d’introduire l’opérateur affin comme suit
(2) |
On vérifie facilement que l’opérateur affin est linéaire, c’est à dire que
(3) |
et encore
(4) |
Avec cela on peut définir des fonctions d’opérateurs. Soit une fonction scalaire assez lisse pour être développée en série de McLaurin comme suit
(5) |
nous définissons une fonction de l’opérateur affin correspondant à par la série
(6) |
où représente un paramètre scalaire. Cette fonction de l’operérateur affin agit sur une fonction scalaire comme suit
(7) |
La convergence de cette série est à vérifier pour toute fonction donnée. Il est aussi utile d’exprimer l’opérateur affin en utilisation la notation explicite
(8) |
Par ce formalisme nous sommes à même de construire les fonctions et opérateurs auto-similaires nécessaires à l’analyse, dans la § 4, du problème physique d’une chaîne linéaire auto-similaire.
3.1 Construction de fonctions et opérateurs auto-similaires
Une solution du problème affin (1) s’écrit
(9) |
pour toute fonction dont la série (9) converge régulièrement pour tous . On introduit l’opérateur auto-similaire comme suit
(10) |
qui satisfait la condition d’auto-similarité . Nous soulignons le fait que nous pouvons nous restreindre aux cas () et exclure le cas pathologique .
Il est important de préciser pour quelles fonctions la série (9) est convergente. On trouve que pour qu’une fonction soit admissible, elle doit satisfaire les conditions ()[2]
(11) |
et
(12) |
où sont des constantes. Les deux exposants peuvent revêtir des valeurs réelles, positives ou négatives avec . Pour une telle fonction, la fonction de (9) est convergente et donc existe si l’exposant est constraint par
(13) |
Le cas comprend des fonctions bornées ci-inclus quelques fonctions périodiques.
3.2 Une variante auto-similaire de l’opérateur de Laplace
Dans l’esprit de (9) et (10) on construit une fonction exactement auto-similaire telle que
(14) |
où signifie un champ continu arbitraire et suffissamment lisse, et la dépendence de en variable exprime que l’opérateur affin n’agit que sur , de manière que . En posant on a l’expression
(15) |
laquelle est auto-similaire par rapport à la variable , soit . Par contre elle est une fonction régulière par rapport à la variable . De plus, on exige que le champ soit Fourier transformable, ce qui impose comme condition que l’intégrale
(16) |
existe. Il est utile de noter que
(17) |
en utilisant avec . Ce qui est possible puisque est supposée suffissamment lisse. De (16) et (17) il suit que la série (15) converge si l’exposant se retrouve dans l’intervalle
(18) |
Alors on introduit une variante du Laplacien auto-similaire de sorte que (avec ) [2]
(19) |
où est la série (15). En utilisant (17), le Laplacien (19) se réécrit comme une série d’opérateurs
(20) |
Notamment on observe que la condition d’auto-similarité
(21) |
est en fait réspectée par notre Laplacien.
3.3 Approximation continue - lien avec les intégrales fractionnelles
Pour une évaluation numérique, il conviendrait d’employer une approximation continue pour le Laplacien (20). Pour cela on pose (avec de sorte que ) où est un paramètre supposé petit. On définit de plus avec et . Dans cette approche devient une variable quasiment continue dont parcourt tous les . (9) s’écrit donc
(22) |
en posant () et avec et , on trouve que
(23) |
L’application de cette relation au Laplacien (20) donne
(24) |
Cette intégrale existe pour avec du fait des conditions d’existence de l’intégrale (16) et de la relation (17). En effectuant deux intégrations partielles entre les limites et on réécrit (24), à condition que , sous la forme d’une convolution
(25) |
avec le Laplacien unidimensionnel et le noyau
(26) |
et avec dans le cas . De plus, il conviendrait d’exprimer (25) en termes d’intégrales fractionnelles soit
(27) |
où dénomme encore le Laplacien unidimensionnel et on a introduit qui est positif dans l’intervalle admissible . Nous verrons par la suite que peut être définie dans l’intervalle comme la dimension fractale estimée [20] de la courbe de la relation de dispersion correspondant à notre Laplacien.
Dans (27) on avait introduit l’intégrale fractionnelle de Riemann-Liouville laquelle est définie par (voir par exemple [21, 22])
(28) |
où indique la fonction qui représente une généralisation de la fonction factorielle aux nombres non-entiers positifs . La fonction est définie par
(29) |
Pour des entiers positifs , la fonction de reproduit
la fonction factorielle avec .
4 Le modèle physique
On considère une chaîne linéaire d’une distribution quasi-continue de particules. Chaque point spatial correspond à un “point matériel” c’est à dire une particule. La densité de masse supposée homogène est égale à un à chaque point de masse. Chaque particule est associée à un seul degré de liberté représenté par le champ où est la coordonnée Lagragienne et le temps. Chaque particule localisée à est non-localement connectée par des ressorts d’intensité () aux autres particules qui se trouvent aux positions (), avec . Le Hamiltonien d’une telle chaîne s’écrit
(30) |
Dans l’esprit de (9) l’énergie élastique est construite de manière auto-similaire, soit 333Le facteur supplémentaire évite un double comptage.
(31) |
où est l’opérateur auto-similaire de (10). On arrive donc avec à
(32) |
L’énergie élastique remplit donc la condition d’auto-similarité par rapport à , soit
(33) |
L’exigence que l’énergie élastique soit finie entraîne la nécessité de convergence de la série (32). Pour cela on trouve pour l’exposant la contrainte [2]
(34) |
Afin d’établir (34) on a utilisé également le fait que est Fourier-transformable. L’inéquation (34) détermine l’intervalle où l’énergie élastique (32) converge. L’équation de mouvement s’obtient par
(35) |
(où indique la dérivée fonctionnelle) soit
(36) | |||||
(37) |
avec le Laplacien auto-similaire de l’équation (20). Comme (32), l’équation du mouvement (36) existe si est dans l’intervalle (34). On peut réécrire (37) sous la forme compacte d’une équation d’ondes
(38) |
où est l’auto-similaire analogue de l’opérateur d’Alembertien d’ondes ayant la forme
(39) |
Le d’Alembertien (39) avec le Laplacien (20) décrit la propagation d’ondes dans la chaîne auto-similaire dont le Hamiltonien est donné par (30). Il semble que cette approche puisse constituer le point de départ pour une théorie générale de la propagation d’ondes dans des milieux auto-similaires.
Le but suivant est de déterminer la relation de dispersion, laquelle se constitue par les valeurs propres (négatives) du Laplacien semi-négatif défini (20). On utilise le fait que le champ est Fourier-transformable et que la fonction exponentielle est fonction propre du Laplacien (20). En écrivant
(40) |
on se rend compte que les amplitudes de Fourier satisfont
(41) |
On obtient donc
(42) |
La série (42) décrit une fonction de type Weierstrass-Mandelbrot qui est continue et qui est pour non-différentiable [1, 20]. La fonction de Weierstrass-Mandelbrot satisfait toujours la condition d’auto-similarité (42), soit
(43) |
sur la totalité de son intervalle de convergence (34).
On souligne le fait que seuls les exposants dans l’intervalle (34) sont admissible pour l’Hamiltonien (30) pour définir un problème bien posé. Il fut démontré par Hardi [20] que pour avec , c’est à dire
(44) |
la fonction de Weierstrass-Mandelbrot (42) est aussi une courbe fractale ayant une dimension fractale (dimension de Hausdorff) . Les figures 2-4 montrent des courbes de dispersion pour des valeurs décroissantes de dans l’intervalle . Il est bien visible que la décroissance de produit une croissance de la dimension fractale . La hausse de la dimension fractale de la figure 2 à la figure 4 est bien visible par leur comportement de plus en plus turbulent. Dans la figure 4, la dimension fractale est déjà près de la dimension 2 du plan. Par contre, la figure 1 correspond avec à un cas non-fractal. Afin d’évaluer (42) approximativement il convient de remplacer la série par une intégrale en utilisant la même approximation qu’au paragraphe 3.3 (). Dans le cadre de cette approximation on trouve pour suffisamment “petit” (), c’est à dire dans le cas limite d’ondes longues
(45) |
où doit être de l’ordre de grandeur de ou plus petit. La relation de dispersion est donc caractérisée dans le cas limite d’ondes longues, par une loi de puissance de la forme de . La constante qui est introduite dans (45) est donnée par l’intégrale
(46) |
laquelle existe uniquement si est dans l’intervalle (34). Dans ce cas limite, on obtient la densité d’oscillateurs par [2]
(47) |
qui est normalisé de sorte que compte le nombre d’oscillateurs, c’est à dire le nombre d’ondes qui se propagagent avec une certaine fréquence, laquelle se trouve dans l’intervalle . On obtient également pour la densité d’oscillateurs une loi de puissance sous la forme de
(48) |
avec toujours dans l’intervalle (34). On observe donc que la puissance est restreinte à l’intervalle pour . En particulier, on trouve l’annulation de la densité d’oscillateurs pour une fréquence nulle .
5 Conclusions
Nous avons construit des fonctions et opérateurs de manière auto-similaire en utilisant une certaine catégorie de fonctions traditionnelles admissibles. Avec cette approche il est possible de construire une sorte de Laplacien auto-similaire et par conséquent de l’opérateur d’Alembertien d’ondes. A l’aide de cette machinerie on déduit une equation de mouvement qui décrit la propagation d’ondes dans une chaîne auto-similaire. Nous croyons que ce-modèle est l’un des plus simple pour prendre en compte l’aspect d’auto-similarité d’un milieux. Nous démontrons également la correspondance entre notre approche et le calcul fractionnel qui fut employé plus tôt [9] afin d’aborder des problèmes physiques dans des milieux fractals.
Nous espèrons que notre approche pourra servir de point de départ pour développer une théorie de la propagation d’ondes dans des milieux auto-similaires et fractals dans des contextes pluridisciplinaires.
6 Acknowledgements
Les auteurs sont reconnaissants à J.-M. Conoir et à D. Queiros-Conde pour des discussions profondes.
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