Espaces de représentations complètement réductibles
Abstract.
We study some geometric properties of actions on nonpositively curved spaces related to complete reducibility and semisimplicity, focusing on representations of a finitely generated group in the group of rational points of a reductive group over a local field, acting on the associated space (symmetric space or affine building). We prove that the space of completely reducible classes is the maximal Hausdorff quotient space for the conjugacy action of on .
Key words and phrases:
nonpositive curvature, symmetric spaces, affine buildings, reductive groups over local fields, complete reducibility, moduli spaces2000 Mathematics Subject Classification:
22E46; 53C35, 20E42, 51F99, 20E45, 14L30Introduction
Soit un groupe infini, engendré par une partie finie . Soit un espace métrique propre, muni d’une action par isométries, propre et cocompacte, d’un groupe localement compact . Nous nous intéressons ici aux propriétés topologiques de l’action par conjugaison (au but) de sur l’espace des représentations de dans , en lien avec les propriétés géométriques des représentations de en tant qu’actions de sur . Notons que s’identifie naturellement à un fermé de l’espace des -uplets de muni de l’action de par conjugaison simultanée, via l’application .
L’espace topologique quotient est en général loin d’être séparé, ne serait-ce que parce que certaines classes ne sont pas fermées dans , comme par exemple, lorsque est le groupe linéaire sur un corps local , celle d’une matrice triangulaire supérieure non diagonale (qui adhère à sa partie diagonale). On peut même avoir que toutes les classes de conjugaison soient fermées sans pour autant que le quotient soit séparé, comme par exemple dans le cas où ( et) est le plan euclidien et (en effet une suite de rotations d’angles tendant vers zéro adhère modulo conjugaison à toutes les translations).
Le cas qui nous intéresse au premier chef est celui où , avec un groupe algébrique réductif connexe défini sur un corps local , agissant sur son espace associé (espace symétrique dans le cas archimédien, ou immeuble de Bruhat-Tits dans le cas non archimédien).
Dans ce cadre algébrique, pour , la théorie des actions des groupes algébriques réductifs réels permet de construire un bon quotient à partir des orbites fermées ([Luna], [RiSl]). Richardson a démontré que dans ce cas les orbites fermées sont celles des représentations semisimples ([Ric]). La notion de représentation semisimple peut se caractériser géométriquement par la notion suivante introduite par J. P. Serre ([Serre]), qui a un sens pour une action sur un espace métrique quelconque : est complètement réductible (cr) si, lorsque fixe un point dans le bord à l’infini de , alors il existe un point dans , opposé (i.e. joint par une géodésique dans ) à , également fixé par .
Dans cet article, dans un premier temps nous étudions diverses propriétés géométriques des actions sur un espace métrique reliées à la complète réductibilité.
Une action est dite non-parabolique si elle n’a pas de point fixe non trivial à l’infini de . Nous montrons (en section 2) que, dans un cadre très général, l’action de sur le sous-espace des représentations non-paraboliques est propre (où est le centre de ).
À une représentation nous associons une fonction convexe , définie par . Nous démontrons (section 3, prop. 18) que, dans le cas des espaces symétriques, il y a équivalence entre les propriétés naturelles suivantes pour une représentation .
(i) est complètement réductible.
(ii) est non-parabolique dans un sous-espace convexe fermé stable de .
(iii) La fonction atteint sa borne inférieure.
La propriété (ii) a déjà été considérée (voir par exemple [Lab]), en lien avec des questions d’existence d’applications harmoniques. On peut aussi noter que la condition (iii) est équivalente à l’existence d’une application harmonique équivariante du graphe de Cayley de vers .
L’implication (ii) (iii) est valable dans un espace propre quelconque . L’implication (i) (ii) est valable plus généralement pour réductif sur un corps local agissant son espace symétrique ou immeuble associé mais dans le cas non archimédien on n’a plus (ii)(i) (donc plus (iii)(i)) (voir 3.1.5).
Dans un second temps, dans le cas algébrique général ( groupe réductif sur un corps local quelconque), nous donnons (section 4) une démonstration du résultat suivant.
Théorème.
-
(1)
Toute orbite de dans contient dans son adhérence une unique orbite complètement réductible.
-
(2)
L’espace topologique quotient de l’espace des représentations cr est le plus gros quotient séparé de sous .
Dans le cas où , ce résultat découle de [Luna], [Ric], et [RiSl]. Pour de caractéristique , on peut déduire les résultats ci-dessus de [Bre], en utilisant que les orbites complètement réductibles sont les orbites fermées (ce qui découle de [Ric] et [Bre]).
La démonstration que nous donnons ici est nouvelle, indépendante et plus directe. Elle traite de manière unifiée tous les corps locaux sans distinction de caractéristique, dont le cas nouveau de la caractéristique non nulle. Les méthodes utilisées proviennent uniquement de la géométrie en courbure négative ou nulle et des propriétés de base des groupes algébriques réductifs sur les corps locaux.
On utilise ce résultat dans [Par3], où l’on construit une compactification naturelle de .
Remerciements. Je remercie Frédéric Paulin pour son soutien et ses commentaires, ainsi que Michel Brion et Philippe Eyssidieux pour des discussions instructives sur la théorie géométrique des invariants et sur l’application moment.
1. Notations et rappels
Dans tout cet article, on se fixe un groupe infini, de type fini, discret, une partie génératrice finie de , et un groupe topologique métrisable, localement compact, dénombrable à l’infini (union dénombrable de compacts), donc à base dénombrable (d’ouverts). Pour on note la conjugaison par . On note le centre de . On rappelle qu’une action continue de sur un espace topologique localement compact est propre si l’application est propre, ou, de manière équivalente, si pour tous compacts de , l’ensemble est compact.
On note ou l’espace des représentations de dans , muni de la topologie de la convergence simple. On s’intéresse à l’action de par conjugaison (au but) sur (notée ). On note ou l’espace topologique quotient. L’espace s’identifie à un fermé de , par l’application , qui est un homéomorphisme -équivariant sur son image. En particulier, est métrisable, à base dénombrable, localement compact, dénombrable à l’infini, car l’est. Si est une partie -stable de , l’ensemble quotient sera muni de la topologie quotient, dont on rappelle qu’elle coïncide avec la topologie induite par l’inclusion dans [Bou3, Ch. III, § 2, prop. 10].
1.1. Espaces métriques
Dans tout cet article, l’espace est un espace métrique (on renvoie par exemple à [BrHa] pour la définition et les propriétés de ces espaces) propre (c’est-à-dire dont les boules fermées sont compactes; en particulier est complet et localement compact), muni d’une action de par isométries, continue et propre. Une action de sur désigne dorénavant une action par isométries dans , c’est-à-dire un élément de . On rappelle que la propriété fondamentale des espaces métriques est que la distance est convexe (en restriction aux géodésiques).
1.1.1. Bord à l’infini, sous-groupes paraboliques, faisceaux
On note le bord à l’infini de , dont on rappelle qu’il est formé des classes de rayons géodésiques asymptotes (i.e. à distance bornée). Le stabilisateur dans d’un point de sera noté et appelé sous-groupe parabolique de . Deux points et de sont dits opposés s’il existe une géodésique dans les joignant. On note le sous-groupe des éléments fixant simultanément et , et la réunion des géodésiques de à , qui est un sous-espace convexe fermé de (qu’on appelera faisceau). On notera l’ensemble des points fixes d’une action dans le bord à l’infini de .
1.1.2. Facteur translaté
Sauf indication contraire, le produit de deux espaces métriques et sera toujours muni de la distance produit . On dira que est un facteur de si est isométrique à un produit . Le bord à l’infini de est alors le joint sphérique [BrHa, 5.13] de et de (pour la distance de Tits). Le facteur translaté (maximal) du -espace est le facteur (dans une décomposition en produit préservée par ) euclidien maximal sur lequel le groupe agit par translations. On note alors . On a que (donc toute action) fixe point par point le bord du facteur translaté, et préserve .
Par exemple, si et sont deux points opposés de , l’action de sur possède un facteur translaté non trivial naturel. Un autre exemple d’action possédant un facteur translaté non trivial est fourni par l’action du groupe sur son espace symétrique associé (le facteur translaté maximal est ici la droite correspondant aux orbites du centre ).
1.2. Pour les groupes réductifs sur les corps locaux
À partir de la section 3.2, on se placera dans le cadre plus restreint des groupes réductifs sur les corps locaux, agissant sur leur espace symétrique ou immeuble affine associé, c’est-à-dire dans le cadre suivant.
1.2.1. Le corps local .
Voir par exemple [Mar, 0.31], [Bou1]. Soit un corps local, c’est-à-dire un corps (commutatif) localement compact non discret. On rappelle qu’un tel corps peut être muni d’une valeur absolue , essentiellement unique, et que, si est archimédien, on a ou , et sinon (cas non-archimédien) est ultramétrique (et la valuation associée est discrète), est totalement discontinu, et est ou bien (en caractéristique nulle) une extension finie du corps des nombres -adiques , où est un nombre premier quelconque, ou bien (en caractéristique positive ) le corps des séries formelles de Laurent à coefficients dans un corps fini .
1.2.2. Le groupe et l’espace métrique associé
On considère un groupe algébrique linéaire connexe, réductif, défini sur (par exemple ). Dans le cas où , on suppose que est un sous-groupe fermé de contenant sa composante neutre . Si , on suppose que . On renvoie à [Borel2] pour la définition et un résumé des propriétés des groupes algébriques réductifs sur un corps quelconque.
Le groupe est muni de la topologie induite par celle de . C’est un groupe topologique métrisable, localement compact, dénombrable à l’infini.
Dans le cas où le corps est archimédien, on note l’espace symétrique riemannien sans facteur compact associé à . On renvoie à [Hel] et à [Ebe] pour les propriétés utilisés ci-dessous des groupes de Lie réels réductifs et de leurs espaces symétriques associés ([Borel1, 24.6] permet de se ramener au cas des groupes connexes). Rappelons que , où est un sous-groupe compact maximal de , et que cette variété est munie de la métrique riemannienne induite par une métrique sur invariante à gauche par et à droite par .
Dans le cas non archimédien, on note l’immeuble de Bruhat-Tits de sur [Tits, Sec. 2], qui est un immeuble affine localement compact. Pour la définition et les propriétés des immeubles affines (aussi appelés euclidiens), d’un point de vue métrique, on renvoie par exemple à [Par2], où on pourra aussi trouver une construction simple de l’immeuble de Bruhat-Tits de , ou à [Rou] (voir aussi [Bro, Chap VI et Chap. V, Sec. 8]). Pour l’immeuble de Bruhat-Tits associé à un groupe réductif plus général et pour ses propriétés utilisées et non démontrées ci-dessous, on renvoie pour une bonne introduction à [Rou], et à [Tits], et pour référence complète à [BrTi].
Les espaces symétriques et les immeubles euclidiens ont de nombreuses propriétés en commun. Dans ce qui suit on a choisi de traiter autant que possible les deux cas simultanément (les quelques références données ponctuellement concernent le cas non archimédien, moins connu). Le vocabulaire et les notations sont choisis par analogie avec le cas archimédien (cas des espaces symétriques), et peut donc différer de ce qu’on trouve usuellement dans la littérature sur les immeubles.
Dans tous les cas, donc, est un espace métrique propre, et agit continûment, proprement (pas nécessairement fidèlement), isométriquement, cocompactement sur . Les hypothèses de la section 1.1 précédente sont donc satisfaites (et on en reprendra les notations).
Notons que, dans le cas où n’est pas semisimple (par exemple pour ), l’espace possède ici un facteur euclidien translaté par non trivial , correspondant au centre de .
1.2.3. Tore et plat standard
Un plat d’un espace métrique désigne un sous-espace convexe fermé de , isométrique à un espace euclidien . Les plats maximaux (i.e. de dimension maximale) d’un immeuble affine sont ses appartements.
On fixe une fois pour toute un plat maximal de . Il lui correspond un tore déployé sur maximal de , de telle manière que le tore de stabilise le plat , et agit dessus par translations (cocompactement). Par exemple, dans le cas où , on prend le plat associé au tore des matrices diagonales.
On choisit un point de (dans le cas non archimédien, un point spécial). On identifiera et son espace vectoriel sous-jacent en prenant comme origine. On notera le morphisme qui à associe le vecteur de la translation correspondante. On peut relier relier ce vecteur de translation aux caractères sur le tore , de la manière suivante. On note le groupe des caractères du tore . On rappelle (cf [Tits, 0.2]) que tout caractère induit une forme linéaire sur , qu’on notera également , telle que pour tout de . Par exemple, pour , si pour on note le caractère , on peut identifier à (euclidien) de telle sorte que les , vus comme formes linéaires sur , soient les coordonnées canoniques. L’action de sur est alors la translation de vecteur .
1.2.4. Racines et chambre de Weyl
Soit le système de racines de relatives au tore [Borel2, 6.3]. Les murs de sont les noyaux des racines de . Le groupe de Weyl est le groupe (fini) d’isométries de engendré par les réflexions par rapport aux murs. Il fixe point par point l’intersection des murs de (qui est le facteur euclidien -translaté maximal de ). On choisit une chambre de Weyl de (dite standard) (i.e. une composante connexe du complémentaire de la réunion des murs) et on note l’ensemble des racines positives (i.e. positives sur ) et l’ensemble de racines simples (i.e. les racines positives qui ne se décompose pas en somme non triviale de racines positives) correspondants.
Par exemple, dans le cas où (avec les choix ci-dessus), l’ensemble des racines est . On prend comme chambre de Weyl standard . Alors l’ensemble des racines simples est .
1.2.5. Sous-tores , plats et facettes standards
Les facettes de la chambre standard sont paramétrées par les parties de , de la manière suivante. Pour une partie de , on note le sous-espace vectoriel de et la facette ouverte de associée (telle que est dans si et seulement si et ). On note le sous-tore de formé par la composante neutre de . Le groupe agit sur le plat standard par des translations de vecteurs formant un sous-groupe cocompact de (cela découle par exemple de [Mar][2.4.2]). On notera la décomposition d’un vecteur de suivant la somme directe orthogonale .
1.2.6. Suites -fondamentales
Une suite dans sera dite -fondamentale si pour tout et, pour toute racine , on a . Une suite dans est dite -fondamentale si la suite des vecteurs de translation des l’est (i.e. pour tout , et, pour tout , pour tout et ).
1.2.7. Immeuble sphérique et facettes à l’infini de
Le bord à l’infini de est une réalisation géométrique de l’immeuble sphérique combinatoire de Tits de (voir [Rou, 11.7], [Bro, VI, 9E], [Par2]). Les facettes de cet immeuble (qui sont les bords des facettes des chambres de Weyl de ) sont en bijection avec les -sous-groupes paraboliques de , et on a (noté ) [Serre, 3.1]. Le stabilisateur dans d’un point de fixe point par point (l’adhérence de) la facette ouverte de cet immeuble contenant , en particulier . On appelera régularité de la dimension de la facette . On dit qu’une facette domine une facette si l’adhérence de contient . L’étoile (ou link, ou immeuble résiduel) de , est la réunion des facettes dominant . Deux points et de sont opposés (cf no1.1.1) si et seulement si les facettes correspondantes de l’immeuble sphérique à l’infini sont opposées, si et seulement si les -sous-groupes paraboliques de correspondants sont opposés, c’est-à-dire que leur intersection est un groupe réductif, qui est alors un sous-groupe de Levi de chacun d’eux [Serre, 3.1.5]. On a . Le groupe agit transitivement sur l’ensemble des points opposés à .
1.2.8. Projection sur un facteur de Levi et groupe
On note le radical unipotent du -sous-groupe parabolique , et qu’on appelera le radical unipotent de . Si est un point opposé à , on a une projection naturelle de sur . C’est un morphisme de noyau , égal à l’identité sur , qui correspond la décomposition en produit semi-direct . Si est un autre point opposé à dans , alors il existe dans (qu’on peut supposer dans ) tel que , et les projections associées sont alors conjuguées (on a ).
1.2.9. Sous-groupes paraboliques standards
Soit un sous-ensemble de racines simples. On note ou (resp. ) la facette (ouverte) à l’infini de (resp. de ). On note ou le sous-groupe parabolique (standard) , et ou son radical unipotent. De même, on note et son radical unipotent, et . Le tore est central dans .
1.2.10. Structure des faisceaux
Si et sont deux points opposés de , il existe et un unique tel que et . Alors et (et , etc.). On note . On a alors une décomposition naturelle en produit (qui ne dépend pas du choix de ). Le groupe préserve cette décomposition et agit par translations sur . Le bord à l’infini de est la sphère de Levi (cf [Serre]) de associée au sous-groupe de Levi de , et est un simplexe maximal de . L’étoile de (union des facettes fermées contenant ) est incluse dans . Le bord à l’infini de s’identifie à (une réalisation géométrique de) .
1.2.11. Décomposition
Le résultat classique suivant signifie géométriquement que, pour deux points du bord opposés et , l’application est un homéomorphisme de sur l’ensemble des points du bord opposés à , qui forment un ouvert dans leur orbite.
Proposition 1.
1.2.12. Contraction par conjugaison
Le fait classique suivant est fondamental pour l’étude de la topologie des orbites de dans .
Proposition 2.
Soit un sous-ensemble de racines simples.
-
(1)
La projection est limite de conjugaisons : plus précisément, soit dans tel que le vecteur de translation de associé soit dans (i.e. tel que ), alors, pour tout dans , la suite tend vers quand l’entier tend vers l’infini.
-
(2)
Soit dans tel que est inclus dans . La représentation est dans l’adhérence de l’orbite .
Proof.
Un tel existe car est cocompact dans et est un cône convexe ouvert de . Alors centralise et contracte (voir par exemple la proposition 3 ci-dessous, en notant que est alors une suite -fondamentale, pour une preuve détaillée dans un cadre plus général ). Le second point découle immédiatement du premier. ∎
La propriété de contraction plus forte suivante permet de comprendre l’action (par conjugaison) des suites -fondamentales sur les ouverts de (voir proposition 22). On note l’action par conjugaison de sur lui-même.
Proposition 3.
Soit une suite -fondamentale dans . Pour toute suite de (resp. de ) bornée, on a (resp. ) quand .
Proof.
Notons l’algèbre de Lie de et . Notons l’algèbre de Lie de et . Il existe un homéomorphisme -équivariant (i.e. ) [Mar, 1.3.3] (pour c’est l’inverse de l’application exponentielle). On note l’ensemble des tels que pour tout de . Alors , où est l’ensemble des racines positives qui ne sont pas combinaison linéaire d’éléments de . Notons et la décomposition de suivant la décomposition . Alors . Or, pour tout , la suite est bornée, et (car est combinaison linéaire positive d’éléments de ). On a donc que dans , et donc que dans . ∎
2. Actions non-paraboliques en géométrie
Dans cette section, on se place dans le cadre général où est un groupe métrisable localement compact, dénombrable à l’infini, agissant sur un espace métrique propre (voir section 1.1 pour les notations et propriétés utilisées).
2.1. Déplacement d’une action
Définition 4.
Soit une action de sur . On appelle fonction de déplacement de (relativement à la partie génératrice ) et on note la fonction convexe continue de dans
On appelle minimum de déplacement de (relativement à la partie génératrice ) et on note la borne inférieure de sur , et ensemble de déplacement minimal de (relativement à la partie génératrice ) le convexe fermé , éventuellement vide, formé des points de où atteint son minimum.
Remarques.
On peut voir , et comme une généralisation des notions analogues classiques pour une isométrie individuelle [BrHa, II,6.1] (et ces notions coïncident si est réduite à un seul élément et ). Attention (si n’est pas réduite à un élément), n’est a priori pas stable par . Le centralisateur de dans préserve . On notera que la fonction est semicontinue (supérieurement) : si , alors .
La définition donnée ici diffère légèrement de celle de [Par1] (où est défini par ). Cela ne change pas les propriétés qu’on y utilisait, car les deux versions sont des fonctions convexes continues équivalentes. Celle-ci est meilleure, notamment car elle passe bien aux produits (voir ci-dessous), et permet de prouver, dans les espaces symétriques, que “ non vide” entraîne la complète réductibilité (proposition 18).
Dans le cas où l’espace est euclidien et le groupe agit par translations, la fonction de déplacement est constante (égale à ) et est l’espace tout entier. Dans le cas où préserve un convexe fermé , comme la projection sur diminue , on a et . Dans le cas où préserve une décomposition de en produit , on note , et on a , d’où et .
2.2. Actions non-paraboliques
Les actions (de sur ) ne possédant pas de point fixe global dans le bord à l’infini de ont des propriétés remarquables, que nous allons voir maintenant. Nous introduisons maintenant la notion de représentation non-parabolique, qui est juste une variante plus pratique de cette notion destinée à couvrir le cas où le -espace possède un facteur translaté non trivial (maximal) (cf 1.1.2). On note alors .
Définition 5.
On dit qu’une action de sur est non-parabolique si n’a pas de point fixe global dans (ou, de manière équivalente, dans ).
Remarquons qu’une représentation est non-parabolique si et seulement si les éléments de la partie génératrice n’ont pas de point fixe commun dans .
2.2.1. Liens avec l’irréductibilité et la stabilité pour les groupes réductifs.
Dans le cas où est agissant sur son espace symétrique associé, une représentation est non-parabolique si et seulement si l’action linéaire sur associée est irréductible. Dans le cas où est un groupe réductif sur un corps local , agissant sur son espace associé (espace symétrique ou immeuble de Bruhat-Tits) (cf. hypothèses et notations de la section 1.2), une représentation est non-parabolique si et seulement si elle est -irréductible au sens de [Serre, 3.2.1], c’est-à-dire que son image n’est incluse dans aucun -sous-groupe parabolique propre de (en particulier les représentations (d’images) Zariski-denses sont non-paraboliques). Cette notion est donc légèrement plus générale que la notion de représentation (ou -uplet) stable de la théorie géométrique des invariants (i.e. fermé de Zariski et fini), qui équivaut à la condition que n’est inclus dans aucun sous-groupe parabolique (pas nécessairement défini sur ) de [Ric, 4.1 et 16.7] (voir aussi par exemple [JoMi]).
2.2.2. Caractérisation via l’ensemble minimal
Si est un point fixe à l’infini de , alors la fonction de déplacement est décroissante sur tout rayon géodésique allant vers (par convexité). Cela donne la caractérisation fondamentale suivante.
Proposition 6.
Soit une action de sur . Alors sont équivalents :
-
(1)
L’action n’a pas de point fixe à l’infini.
-
(2)
La fonction de déplacement est propre.
-
(3)
L’ensemble minimal est compact non vide.
En particulier, si agit proprement sur , le centralisateur de dans est alors compact. ∎
Remarque 7.
On a que est non-parabolique si et seulement si l’action sur induite est sans points fixes à l’infini, si et seulement si est compact non vide. Alors en particulier est non vide, et, si agit proprement sur et agit cocompactement sur , on a que est compact.
2.3. Action de sur l’espace des actions non-paraboliques
On note maintenant ou le sous-espace de formé par les représentations de dans sans point fixe à l’infini, c’est-à-dire n’ayant pas de point fixe global dans . On note ou le sous-espace de formé par les représentations non-paraboliques de dans . La propriété de base suivante permet de relier la “non propreté” de l’action de au voisinage de avec les points fixes à l’infini de .
Lemme 8.
On considère une suite convergeant vers dans , et une suite dans telle que la suite des conjugués reste dans un compact de . Si pour un (tout) point de , la suite des points tend vers un point dans le bord à l’infini de , alors fixe .
Proof.
Pour dans fixé, le déplacement par du point vaut , donc est borné. Par conséquent tend vers . Comme tend aussi vers , on a que . ∎
Le résultat suivant s’en déduit directement.
Proposition 9.
-
(1)
L’espace est un ouvert de .
-
(2)
Si agit proprement sur , alors agit proprement sur .
Proof.
La première assertion est claire par compacité du bord à l’infini de et continuité de l’action de (une limite de points fixes est un point fixe pour l’action limite). Montrons que agit proprement sur . Commme et sont métrisables, il suffit de voir que, si on a une suite qui tend vers dans et une suite dans telle que tend vers dans , alors la suite possède une valeur d’adhérence dans . Or, dans le cas contraire, pour , la suite n’est pas bornée dans (car agit proprement sur ), donc, quitte à extraire, tend vers dans le bord de , qui est fixé par par le lemme 8. C’est impossible car n’a pas de point fixe à l’infini. ∎
Le résultat analogue suivant permet de couvrir le cas où le -espace possède un facteur translaté non trivial (l’espace est alors vide), en particulier il s’applique au cas des groupes réductifs non semisimples (cf. section 1.2).
Corollaire 10.
On suppose que le centre de agit trivialement sur le facteur . On note , qui agit sur . On suppose que l’action de sur est propre.
-
(1)
L’espace est un ouvert de .
-
(2)
Le groupe agit proprement sur .
En particulier est séparé et localement compact.
Remarques.
1. Si l’action de sur est cocompacte, minimale (sans sous-espace convexe strict stable) (ce qui est automatique si les géodésiques de sont extensibles [BrHa, II,6.20]), alors agit trivialement sur (car agit par translations de Clifford sur [BrHa, II,6.16], de directions fixées par , i.e. dans ). Si de plus l’action de sur est propre, et agit cocompactement sur , alors agit proprement sur . Les hypothèses sont donc vérifiées dans le cas des groupes réductifs agissant sur leur espace associé (cf. section 1.2).
2. Ce résultat généralise donc le résultat suivant de [Ric, proposition 11.11] : lorsque est un groupe de Lie réductif réel, l’action de sur le sous-espace des -uplets stables est propre.
3. En particulier, sous les hypothèses ci-dessus, on a donc que si est non-parabolique, alors est fermé dans et est compact. Dans les groupes réductifs on peut montrer que cette propriété caractérise en fait les représentations non-paraboliques (en utilisant le théorème 23 et le corollaire 17) (à comparer avec la notion de représentation stable, où compact est remplacé par fini, cf 2.2.1).
Proof.
L’action de sur est triviale, donc l’action de passe au quotient en une action continue de sur . On note la projection canonique de sur , et l’application continue de dans induite, qui est -équivariante. Par la proposition 9, on a que est un ouvert, donc est aussi un ouvert. De plus agit proprement sur , donc aussi sur [Bou3, III.29, prop. 5]. ∎
3. Représentations complètement réductibles
Dans cette section, on introduit la notion de représentation complètement réductible et on étudie des propriétés géométriques (i.e. de l’action sur l’espace métrique ), naturellement reliées, dont on montre qu’elles sont en fait équivalentes dans le cas des espaces symétriques (prop. 18).
3.1. Dans le cadre général des espaces métriques
Définition 11.
On dira qu’une représentation (de dans ) est complètement réductible (en abrégé, cr) (dans ) si elle satisfait la condition suivante : Si un point dans le bord à l’infini de est fixé par , alors il existe un point dans , opposé à , également fixé par .
En particulier, une représentation non-parabolique est complètement réductible. Cette notion a été introduite et étudiée par J. P. Serre ([Serre]) dans le cadre des groupes agissant sur des immeubles sphériques (par exemple les sous-groupes des groupes algébriques réductifs sur un corps quelconque).
3.1.1. Liens avec la semisimplicité dans les groupes réductifs
Dans le cas où est un groupe réductif sur un corps local agissant sur son espace associé (notations et hypothèses de la section 1.2), une représentation est complètement réductible si et seulement si est -cr au sens de [Serre, 3.2.1]. Dans le cas où , une représentation est complètement réductible si et seulement si l’action linéaire sur associée est semi-simple.
Si la caractéristique du corps est nulle, alors est complètement réductible si et seulement si la composante neutre de l’adhérence de Zariski de est un groupe réductif ([Serre, Proposition 4.2]). Cela correspond donc à semisimple (comme -uplet de ) au sens de [Ric]. Pour , Richardson a introduit une notion naturelle (dépendant seulement de la structure de groupe de Lie réel de ) de semisimplicité pour les -uplets dans (l’algèbre de Lie de est un module semisimple sous le groupe engendré), qui est équivalente à la précédente ([Ric, section 11]), donc à la complète réductibilité. En caractéristique quelconque, dans un corps algébriquement clos, Bate, Martin et Röhrle ont démontré [BMR] que la notion de complète réductibilité est équivalente à la notion de “forte réductivité” de Richardson [Ric].
3.1.2. Sous-espace stable et ensemble minimal
Une propriété d’une action naturellement reliée à la “réductibilité” est la suivante (correspondant à la définition “ réductif” de [Lab] dans le cadre où une variété riemannienne simplement connexe à courbure négative ou nulle) : stabilise un sous-espace convexe fermé de et est non-parabolique dans . On a alors la propriété suivante.
Proposition 12 (Ensemble minimal non vide).
On suppose que la représentation est non-parabolique dans un sous-espace (convexe fermé, stable) de . Alors la fonction de déplacement atteint sa borne inférieure, autrement dit est non vide.
Proof.
En effet, on a par projection orthogonale sur le convexe fermé . Cet ensemble est non vide car est non-parabolique dans (voir la remarque 7). ∎
3.1.3. Ensemble minimal non vide et topologie des orbites
Voici quelques “bonnes” propriétés élémentaires des actions telles que est non vide, relativement à la topologie des orbites sous conjugaison.
Proposition 13.
Supposons que est quasi-homogène sous , i. e. que l’action de sur est cocompacte.
-
(1)
Pour toute représentation de , il existe une représentation dans l’adhérence de telle que est non vide, et . En particulier, si l’orbite de est fermée, alors est non vide.
-
(2)
Soit telle que est borné. Alors il existe une sous-suite de conjugués convergeant vers telle que n’est pas vide, et .
Proof.
Le premier point est un cas particulier du deuxième point, prouvons ce dernier. Soit . Quitte à extraire on peut supposer que . Pour tout entier , soit un point de tel que . Quitte à remplacer chaque par un conjugué, on peut supposer que la suite est bornée (car l’action de sur est cocompacte). Quitte à extraire, on a alors que tend vers et tend vers . Pour tout , on a que pour tout , donc que . Or . On en conclut que et que est dans . ∎
3.1.4. Symétrie en un point intérieur
Dans le cas des espaces symétriques, on verra que la propriété “ non vide” suffit en fait à caractériser les représentations complètement réductibles (proposition 18) (ce qui n’est pas le cas dans les arbres par exemple, voir le contre-exemple ci-dessous). Nous allons maintenant en voir l’idée principale.
Dans le cas où est à géodésiques uniquement extensibles (i.e. tout rayon géodésique se prolonge de manière unique en une géodésique complète) (par exemple une variété de Hadamard), on peut définir l’opposé en de . On dit qu’une partie de est symétrique par rapport à , si, pour tout point de , l’opposé de en est aussi dans . On dira que est sans demi-bande plate, si les rayons parallèles se prolongent en géodésiques parallèles (c’est le cas des espaces symétriques ou plus largement des variétés de Hadamard analytiques) (notons qu’un analogue de cette condition est utilisé dans [Lab]). On a alors la propriété suivante.
Proposition 14 ( non vide implique cr).
On suppose que est à géodésiques uniquement extensibles et sans demi-bande plate. On suppose que est non vide. Alors, pour tout point dans , l’ensemble des points fixes de dans est symétrique par rapport à . En particulier, est cr.
Proof.
Supposons non vide. Soit un point de . Montrons que est symétrique par rapport à . Soit un point fixe à l’infini de et la géodésique issue de vers . Pour tout de , la fonction est décroissante sur . De plus la somme atteint son minimum en . Par conséquent, pour tout de , la fonction est constante sur , donc sur , c’est-à-dire que fixe le symétrique en de . ∎
Remarque.
On a au passage démontré que, pour quelconque, si est dans alors le cône en sur est inclus dans . Il en découle que, si est non vide alors .
3.1.5. Un contre-exemple
Dans le cas général, “non-parabolique dans un sous-espace convexe fermé stable” n’entraîne pas que soit cr (ou que l’orbite soit fermée), comme le montre le contre-exemple simple suivant.
On considère le groupe , pour un corps local non archimédien, agissant sur son immeuble de Bruhat-Tits associé (produit de deux arbres et ). Soit tel que et dans , avec et . Alors translate une géodésique de et fixe un rayon géodésique de donc translate une géodésique de . En particulier est non-parabolique dans le sous-espace convexe fermé . Néanmoins, n’est pas complètement réductible dans , car le point à l’infini n’a pas de point opposé fixé par . Et n’est pas fermée dans , car son adhérence contient .
3.2. Dans les groupes réductifs
On suppose désormais que est un groupe réductif sur un corps local , agissant sur son espace associé (espace symétrique ou immeuble affine) (hypothèses et notations de la section 1.2). Les résultats de cette section découlent pour la plupart, par une simple traduction dans , de [Serre], sauf le point 2 de la proposition 16.
Proposition 15.
([Serre, Prop 2.7]) Si une représentation fixe deux points opposés à l’infini de , alors les deux conditions suivantes sont équivalentes
(i) L’action de sur est complètement réductible.
(ii) L’action de sur le sous-espace stable est complètement réductible. ∎
On s’intéresse maintenant au dévissage des représentations paraboliques via leurs projections sur des sous-groupes de Levi (voir 1.2.8) (qu’on appelera réductions de ), qui permet de “semisimplifier” , comme le montre la proposition suivante.
Proposition 16.
Soit dans . Soit un point fixe de dans et un point de opposé à . Soit .
-
(1)
Si est complètement réductible, alors elle est conjuguée à (par un élément de ).
-
(2)
On a sur et .
-
(3)
(voir aussi [Serre, prop. 3.3]) Si fixe un point dans , alors fixe une facette de dominant strictement la facette .
-
(4)
(voir aussi [Serre, prop. 3.3]) Si est un point de régularité maximale dans , alors est non-parabolique dans le faisceau .
Proof.
Le point 1 découle du fait que, en prenant opposé à fixé par , les projections correspondantes et (qui fixe ) sont conjuguées (cf. section (1.2.8)).
Pour le point 2, quitte à conjuguer on peut se ramener au cas standard où et pour un certain (cf section 1.2.10). La projection est la limite de conjugaisons par avec tel que (cf prop. 2). Soit , et . Soit la géodésique translatée par passant par . Comme fixe la facette ouverte contenant , qui est , on a que fixe aussi (car ), donc que la distance entre les géodésiques et est décroissante. Donc , et par passage à la limite en . Donc .
Pour la seconde partie, comme est limite de conjugués de , on a que par semicontinuité de . Montrons que . Soit et tel que . Soit opposé à tel que . Par ce qui précède on a . Or car et , donc et , sont conjuguées. On conclut en faisant tendre vers .
Pour le point 3, comme le groupe fixe point par point l’étoile de , la représentation coincïde avec sur . Or fixe le segment de à (pour la distance de Tits), donc la facette de l’étoile de qui contient dans son intérieur un germe de ce segment. Le dernier point est une conséquence directe du précédent. ∎
On en déduit immédiatement la caractérisation suivante.
Corollaire 17.
Pour dans , les conditions suivantes sont équivalentes.
-
(1)
est complètement réductible.
-
(2)
Ou bien est non-parabolique dans , ou bien il existe et dans opposés, fixés par , tels que est non-parabolique dans le faisceau . ∎
En particulier est alors non vide.
3.3. Cas des espaces symétriques
On a maintenant obtenu l’équivalence des différentes caractérisations géométriques remarquables suivantes, dans les espaces symétriques (i.e. dans le cas des groupes réductifs réels, cf section 1.2).
Proposition 18.
On suppose que est un groupe réductif réel, agissant sur son espace symétrique sans facteur compact associé. Soit une représentation. les conditions suivantes sont équivalentes.
-
(1)
est complètement réductible dans .
-
(2)
Ou bien est non-parabolique dans , ou bien fixe deux points à l’infini opposés et , et est non-parabolique dans le faisceau .
-
(3)
stabilise un sous-espace convexe fermé de , et est non-parabolique dans .
-
(4)
La fonction de déplacement atteint sa borne inférieure, autrement dit est non vide.
-
(5)
Il existe un point de tel que est symétrique par rapport à .
Proof.
On vient de voir que (1) équivaut à (2) dans le cadre des groupes réductifs ([Serre], cf. Corollaire 17). On a clairement que (2) implique (3), et que (5) implique (1). L’implication (3) (4) est vraie dans tout espace métrique propre (proposition 12). L’implication (4) (5) est vraie, pour tout de , dans le cadre plus général où est à géodésiques uniquement extensibles et sans demi-bande plate (proposition 14). ∎
Remarque.
On peut démontrer que l’ensemble minimal est ici un sous-espace totalement géodésique (car si est constante sur un segment géodésique , alors on montre aisément que aussi pour tout de ) sur lequel le centralisateur de agit transitivement (car le transport parallèle le long de - prolongée à - est dans ). On peut alors en déduire les propriétés suivantes, analogues aux résultats de base de la théorie de l’application moment (voir par exemple [RiSl]) : si on note le sous-ensemble des telles que atteint sa borne inférieure en , alors est cr si et seulement si rencontre , et on a alors , où est le sous-groupe compact .
4. Séparation et espace quotient
On se place dorénavant dans le cadre où est un groupe réductif sur un corps local agissant sur son espace (espace symétrique ou immeuble affine) associé (notations et hypothèses de la section 1.2). Dans cette section on montre (théorème 23) que l’espace des classes de représentations cr est le plus gros quotient séparé de sous l’action (par conjugaison) de .
On note le sous-espace formé des représentations complètement réductibles, et l’espace topologique quotient. Notons que l’espace est à base dénombrable (car l’est).
On dira que deux points et d’un espace topologique sont séparés par une action continue de dans s’il existe deux voisinages et de et dont les orbites et ne se rencontrent pas. Sinon, on dira que et sont -voisins dans (on notera que ce n’est pas a priori une relation d’équivalence).
4.1. Séparation des orbites cr
Nous allons ici démontrer le résultat de séparation des orbites cr suivant, qui est une variante (contenant l’essentiel) du théorème 23 (et donc connu en caractéristique nulle, voir les remarques suivant le théorème 23). On rappelle (cf. section 3.2) qu’une réduction d’une représentation désigne une représentation de la forme où est la projection canonique associée à deux points à l’infini opposés et avec fixé par .
Théorème 19.
Soient et deux points -voisins dans . Alors
-
(1)
et possèdent deux réductions conjuguées dans .
-
(2)
Les adhérences de leurs orbites se rencontrent ().
-
(3)
Si de plus et sont cr, alors elles sont conjuguées ().
En particulier, l’espace topologique quotient est séparé.
Pour démontrer ce théorème, on commence par le petit lemme suivant, qui montre que, comme “les parties compactes ne comptent pas”, on peut se ramener, grâce à un analogue de la décomposition de Cartan, à l’action d’une suite -fondamentale de .
Lemme 20.
On considère une action continue de sur un espace topologique à base dénombrable. Soient dans . Les assertions suivantes sont équivalentes.
-
(1)
Les points et sont -voisins dans .
-
(2)
il existe dans , une partie de , une suite -fondamentale de , et une suite dans , tels que et avec et quand .
Proof.
Si et sont -voisins, il existe une suite dans et une suite dans telles que et quand . Comme est un domaine fondamental pour l’action du sous-groupe compact sur , il existe tel que avec dans . Soit l’ensemble des racines simples de non bornées sur la suite . La suite des projections de sur est alors bornée. La suite des projections de sur est à distance bornée d’une suite , avec (car agit cocompactement sur ). On note . La suite est bornée dans car la suite du plat a ses composantes dans bornées. On a donc, quitte à extraire, que tend vers et tend vers dans , et la suite convient. L’autre sens est clair. ∎
On décrit maintenant les limites de conjugués par une suite -fondamentale de . La preuve repose sur la décomposition (cf prop. 1).
Proposition 21 (Action d’une suite -fondamentale dans .).
Soit une partie de et une suite -fondamentale dans . Soient deux représentations et de , et une suite convergeant vers dans , telles que la suite des conjugués tend vers . Alors
-
(1)
La représentation est (d’image) incluse dans le sous-groupe parabolique , et est (d’image) incluse dans le sous-groupe parabolique opposé .
-
(2)
Les projections et de et sur le sous-groupe de Levi commun sont égales.
-
(3)
Soit la décomposition de suivant la décomposition et la décomposition de suivant la décomposition . Alors, à partir d’un certain rang, on a , pour des suites dans , et dans , et enfin où dans .
Remarquons que le point 3 décrit complètement la situation. En effet, les propriétés de contraction de la conjugaison par la suite sur et (proposition 3) permettent de voir qu’on a la réciproque suivante (attention, ici n’a pas de raisons a priori d’être un morphisme).
Proposition 22.
Soient une représentation à valeurs dans et une représentation à valeurs dans , de même projection sur . Pour toute suite -fondamentale de , si avec dans et dans quelconques, et avec dans quelconque, alors on a et . En particulier, et sont -voisines. ∎
Preuve de la proposition 21.
Il suffit de prouver ces points “terme à terme”, c’est-à-dire pour un élément fixé de . On note alors et .
On commence par projeter, en utilisant une décomposition , dans un , a priori plus gros que , tel que contient et contient . Puis on montre qu’en fait par un argument de minimalité, d’où le résultat pour le bon .
Existence d’une facette à l’infini fixée “commune”. On note (vecteur de la translation de réalisée par ). Quitte à extraire, on peut supposer que tend vers un point dans le bord à l’infini de la facette . Soit la facette ouverte de contenant . Alors fixe la facette à l’infini (d’après le lemme 8). De même, en remplaçant par qui tend vers , on voit que fixe le bord à l’infini de la facette opposée .
Choix de minimal. On suppose désormais que est une facette maximale (pour l’inclusion) parmi les facettes de telle que fixe (c’est-à-dire ) et fixe (c’est-à-dire ).
Soit la décomposition de suivant la décomposition et la décomposition de suivant la décomposition .
Projection sur via la décomposition . On considère maintenant la décomposition de la proposition 1. Comme est un ouvert qui contient et , donc et , les suites et sont dans à partir d’un certain rang. On a donc les décompositions et , où et sont dans , et sont dans , et et sont dans . La décomposition étant unique, continue, et conservée par la conjugaison par , on a que et que . De même, on a que et que .
Montrons enfin que . Notons la décomposition de suivant la somme orthogonale . Si , alors n’est pas borné : en effet il existe , et tend vers , car la suite est -fondamentale. Quitte à extraire, on a donc que tend vers un point dans le bord à l’infini de . Comme agit cocompactement sur , il existe tel que reste borné. Notons , alors tend encore vers . Comme est central dans , on a que , qui converge vers . On en déduit que fixe (par le lemme 8). Comme pour toutes les racines de et qu’on a pour au moins une racine de (car ), on a que le cône rencontre une facette ouverte dominant strictement la facette . Comme fixe tous les points du bord à l’infini de , il fixe la facette à l’infini . Donc fixe également (car fixe ). On voit de même, en remplaçant par que fixe le bord à l’infini de la facette opposée (car ). Ce qui contredit l’hypothèse “ maximale” faite ci-dessus, car domine strictement la facette . On a donc en fait pour tout (car central dans ), d’où . ∎
Preuve du théorème 19.
Comme les réductions d’une représentation sont dans l’adhérence de son orbite (cf proposition 2) et qu’une représentation complètement réductible est conjuguée à toutes ses réductions (cf proposition 16, point 1), il suffit de voir le premier point. Quitte à conjuguer et , on peut supposer qu’il existe une suite -fondamentale dans et une suite dans convergeant vers telles que converge vers (lemme 20). Les points (1) et (2) de la proposition 21 permettent alors de conclure. ∎
4.2. Semisimplification et plus gros quotient séparé
Soient et dans . D’après le théorème 19, et sont -voisines si et seulement si . On note dans ce cas , et il est facile de voir que est alors une relation d’équivalence. On note l’espace topologique quotient, et la projection correspondante (qui passe au quotient en une application continue surjective ).
Théorème 23.
-
(1)
Pour tout de , l’adhérence de contient une unique orbite complètement réductible.
On note la projection -invariante associée (semisimplification).
-
(2)
L’application est continue et induit un homéomorphisme de sur . En particulier, (resp. ) est le plus gros quotient séparé de sous (toute application continue -invariante de vers un espace séparé factorise à travers (resp. )).
Remarques.
Le point 1 est prouvé dans [Ric] pour . Par ailleurs, un résultat analogue, mais en remplaçant les orbites cr par les orbites fermées, et pour des actions plus générales de groupes réductifs, est prouvé, pour , dans [Luna] et [RiSl], et plus généralement, pour de caractéristique nulle; dans [Bre, 5.4 et 5.11]. Il implique alors le résultat ci-dessus quand en utilisant que les orbites fermées sont exactement les orbites complètement réductibles ([Ric] pour , et, plus généralement pour de caractéristique nulle, on peut le déduire de [Ric] et [Bre]).
Proof.
Pour le point 1 : En projetant sur un sous-groupe de Levi correspondant à un point fixe de dans de régularité maximale, on obtient bien une représentation complètement réductible adhérente à l’orbite de par la proposition 16 et le corollaire 17. L’unicité à conjugaison près découle de la séparation des orbites cr (théorème 19).
Pour le point 2, il s’agit essentiellement de montrer la continuité de . Les arguments suivants sont inspirées par des idées de Maxime Wolff [Wolff, 2.2.6]. Comme et sont à base dénombrable et séparés (théorème 19), il suffit de montrer que, si tend vers dans , alors, quitte à extraire, tend vers . On peut tout d’abord supposer complètement réductible (quitte à remplacer par cr dans , et par une suite extraite et conjuguée qui converge vers ). Si n’a pas de point fixe à l’infini, et est donc complètement réductible, à partir d’un certain rang, on a que tend vers dans , ce qui conclut. Sinon, quitte à extraire, il existe pour tout un point fixe à l’infini de , qu’on peut choisir de régularité maximale et de type constant (c’est-à-dire dans une orbite de fixée). Quitte à extraire, on peut supposer que tend vers un point de , qui est alors fixé par . Quitte à remplacer par un conjugué avec une suite dans le sous-groupe compact convergeant vers , on peut supposer que est toujours égal à (en prenant tel que ). Comme est complètement réductible, elle fixe un point de opposé à . La composée de par la projection est alors une semisimplification de (proposition 16 et corollaire 17), et tend vers . On a donc que tend vers dans , ce qui conclut pour la continuité de .
L’application passe alors au quotient en continue, et on vérifie aisément que la restriction de à en est un inverse. ∎
On inclut pour finir quelques propriétés de ayant un intérêt propre.
Proposition 24.
L’espace est localement compact et dénombrable à l’infini.
Proof.
En effet l’image par de la trace sur d’une base dénombrable d’ouverts relativement compacts de fournit une base dénombrable d’ouverts (car la restriction de à est ouverte et surjective) relativement compacts (car est continue sur ) de . ∎
Proposition 25.
L’application “minimum de déplacement” est continue, et passe au quotient en une fonction continue et propre sur .
Remarque 26.
Dans un espace quelconque, est semicontinue, mais elle n’est pas continue en général (par exemple, dans le cas du plan euclidien).
Proof.
Montrons tout d’abord que passe au quotient. On a par la proposition 16 (2)(car est une réduction de ). Donc passe au quotient en une fonction qu’on notera aussi .
Montrons maintenant la continuité de sur : soit une suite dans telle que . Alors est borné. Supposons (quitte à extraire) que . On peut alors choisir une suite de conjugués de telle que avec (prop. 13, (2)). On a que et par continuité de (thm 23), or pour tout , donc (car séparé). On a vu qu’alors , ce qui conclut.
L’application quotient est donc continue. Montrons qu’elle est propre. Soit . Comme agit cocompactement sur , il existe tel que si alors il existe tel que . En particulier est alors dans l’image par continue du compact de , qui est un compact de , ce qui conclut. ∎
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