Algèbres de Hopf de graphes
Hopf Algebras of Graphs
Abstract
We define graded Hopf algebras with bases labeled by various types of graphs and hypergraphs, provided with natural embeddings into an algebra of polynomials in infinitely many variables. These algebras are graded by the number of edges and can be considered as generalizations of symmetric or quasi-symmetric functions.
Résumé
Nous définissons des algèbres de Hopf dont les bases sont étiquetées par divers types de graphes et hypergraphes et les réalisons comme sous-algèbres d’une algèbre de polynômes en une infinité de variables. Ces algèbres sont graduées par le nombre d’arêtes et peuvent être considérées comme des généralisations des fonctions symétriques ou quasi-symétriques.
1 Introduction
On connaît de nombreux exemples d’algèbres de Hopf graduées dont les bases sont indexées par des objets combinatoires [5, 14, 8, 12]. La notion d’algèbre de Hopf combinatoire est utilisée de manière informelle depuis quelques années, et certains auteurs ont proposé de lui donner un sens précis [1]. Si l’on adopte leur définition, ce sont les algèbres munies d’un homomorphisme vers l’algèbre des fonctions quasi-symétriques. Dans la plupart des exemples connus, l’existence de cet homomorphisme, qui peut paraître mystérieuse si l’on s’en tient à la définition abstraite de l’algèbre (dont le produit et le coproduit ne sont souvent définis que de manière récursive), s’explique simplement par une réalisation de l’algèbre en termes de polynômes (en variables commutatives ou non). Nous nous proposons ici de construire diverses algèbres de Hopf de graphes directement munies de telles réalisations.
Nous considérons des graphes étiquetés ou non, orientés ou non, avec ou sans boucles ou arêtes multiples, ce qui donne déjà 16 algèbres de Hopf commutatives, mais non cocommutatives. Par dualité, nous obtenons ensuite 16 algèbres non commutatives.
Il existe déjà de nombreux exemples d’algèbres de Hopf construites sur divers types de graphes (algèbres d’incidence [14] ou de renormalisation [7, 9]), mais celles considérées ici sont d’un type différent.
Nous employons les conventions suivantes pour désigner ces algèbres. Les acronymes des algèbres commutatives s’écrivent en italiques. Par exemple, et désignent respectivement les fonctions symétriques et les fonctions quasi-symétriques. Les acronymes des algèbres non commutatives sont en caractères gras. Ainsi, , , correspondent respectivement aux fonctions symétriques non commutatives, aux fonctions quasi-symétriques libres, et aux fonctions quasi-symétriques matricielles. Les noms des algèbres sont choisis en fonction du procédé de construction. Dans ce qui suit, les algèbres commutatives apparaissent comme des généralisations naturelles des fonctions quasi-symétriques (graphes étiquetés) ou des fonctions symétriques (graphes non étiquetés). Elles seront respectivement notées et , étant un vecteur booléen indiquant les options retenues (orientation, boucles, arêtes multiples). Nous renvoyons le lecteur à [2] pour les autres notations.
Ce travail a bénéficié du soutien du réseau européen ACE (HPRN-CT-2001-00272).
2 Graphes étiquetés, orientés, avec boucles et arêtes multiples
Les bases linéaires de l’algèbre sont indexées par les graphes étiquetés, orientés, avec boucles et arêtes multiples, sans sommet isolé (c’est-à-dire, n’appartenant à aucune arête), les sommets étant numérotés par des entiers successifs . Un tel graphe à sommets est donc décrit par une matrice d’adjacence telle qu’il n’existe pas d’indice vérifiant pour tout .
Soient , des indéterminées. Au graphe , nous associons la série formelle
(1) |
Soit le sous-espace vectoriel de engendré par les , où est un corps de caractéristique zéro.
Un entier est une coupure admissible de s’il n’y a aucune arête entre les sommets de et ceux de . Nous notons l’ensemble des coupures admissibles de .
Pour un sous-ensemble de sommets , nous désignons par la restriction du graphe à , avec les sommets renumérotés de à en conservant leur ordre initial. Posons
(2) |
Théorème 2.1
(i) est une sous-algèbre de . Plus précisément, il existe des entiers tels que
(3) |
(ii) Le coproduit est coassociatif et est un morphisme d’algèbres.
Ainsi, est une algèbre de Hopf graduée, le degré étant le nombre total d’arêtes. Les premières valeurs des dimensions sont . On peut les exprimer par une série infinie
(4) |
ou comme un produit scalaire de fonctions symétriques, , où est le terme de degré dans la série et où désigne le pléthysme de par (cf. [10]). Il existe des formules analogues pour les autres algèbres de graphes étiquetés.
Il est clair que n’est pas cocommutatif. De fait, le dual (gradué) , noté , est une algèbre libre. Soit la base duale de . Nous dirons qu’un graphe est irréductible s’il n’a pas de coupure admissible non triviale.
Théorème 2.2
L’algèbre duale est l’algèbre libre sur l’ensemble .
Il est possible de munir de plusieurs structures d’algèbre de Hopf combinatoire, au sens de [1]. Cela revient à se donner un morphisme de Hopf de vers le dual . Soit le graphe formé de boucles sur un seul sommet (de matrice d’adjacence ). Il est immédiat que est un morphisme d’algèbres de Hopf. On obtient d’autres morphismes de Hopf en remplaçant par les graphes de matrices ou . Si l’on note le graphe de matrice , l’application est encore un morphisme de Hopf.
On remarquera que la spécialisation définit un morphisme d’algèbres de vers , chaque étant envoyée sur une , mais ce n’est pas un morphisme de cogèbres.
3 Sous-bigèbres de
Soit le sous-module de engendré par les telles que la matrice d’adjacence de soit symétrique. Un tel graphe s’identifie naturellement à un graphe non orienté. On définit de même comme le sous-module engendré par les telles que la matrice d’adjacence de ait une diagonale nulle (graphes sans boucles), et comme l’intersection de et de .
Théorème 3.1
, et sont des sous-algèbres de Hopf de .
On peut aussi définir des algèbres basées sur des graphes sans arêtes multiples. On ne les obtient pas comme sous-algèbres, mais comme quotients de .
4 Quotients de
Soit une collection de graphes irréductibles. Soit l’ensemble des graphes dont une restriction contient toutes les arêtes d’au moins un élément de . Alors, les pour forment une base d’un idéal (gradué) de . C’est également un coïdéal, de sorte que le quotient est à son tour une algèbre de Hopf graduée. Ce quotient a pour base les classes des , pour .
On obtient les graphes sans arêtes multiples en prenant pour l’ensemble des trois graphes , et , respectivement formés d’une arête double de 1 vers 2, d’une arête double de 2 vers 1 et d’une boucle double de 1 vers lui-même. Il est facile de retrouver par ce procédé les algèbres associées aux graphes sans boucles. On peut aussi obtenir des algèbres associées aux partitions non croisées, aux forêts, aux multi-forêts et à de nombreux autres exemples.
5 Graphes non étiquetés
Les constructions précédentes s’adaptent au cas des graphes non étiquetés. Appelons support d’un graphe étiqueté , le graphe non étiqueté sous-jacent , et notons .
Théorème 5.1
Les sommes
(5) |
où parcourt l’une des classes de graphes non étiquetés orientés ou non, avec/sans boucles, avec/sans arêtes multiples, forment une base d’une sous-algèbre de Hopf de .
Les dimensions des composantes homogènes de peuvent se calculer au moyen des caractères du groupe symétrique. Par exemple, la dimension de est égale à la multiplicité de la représentation triviale de dans la puissance symétrique de la représentation de caractéristique pour tout . On obtient la suite de [15].
Les algèbres de graphes sur un nombre fini de sommets étudiées précédemment par le troisième auteur [13, 16] (cf. aussi [6]) sont des quotients naturels de , mais ne sont pas de Hopf.
Remarque 1
Les constructions précédentes s’étendent mutatis-mutandis à des algèbres associées aux hypergraphes -homogènes, en prenant cette fois des variables indexées par des -uplets d’entiers.
Références
- [1] M. Aguiar, N. Bergeron, F. Sottile, Combinatorial Hopf algebras and generalized Dehn-Sommerville relations, math.CO/0310016.
- [2] G. Duchamp, F. Hivert, J.-Y. Thibon, Noncommutative symmetric functions VI: free quasi-symmetric functions and related algebras, Internat. J. Alg. Comput. 12 (2002), 671–717.
- [3] I. M. Gessel, Multipartite P-partitions and inner product of skew Schur functions, Combinatorics and algebra (Greene (C.), ed.), Contemp. Math. 34 (1984) 289–301.
- [4] F. Hivert, J.-C. Novelli, J.-Y. Thibon, Un analogue du monoïde plaxique pour les arbres binaires de recherche, C. R. Acad. Sci. Paris Sér I Math. 335 (2002) 577–580.
- [5] S. A. Joni, G. C. Rota, Coalgebras and algebras in Combinatorics, Stud. Appl. Math., 61 (1979), 93–139.
- [6] W. L. Kocay. Some new methods in reconstruction theory. In Combinatorial mathematics, IX (Brisbane, 1981), pages 89–114. Springer, Berlin, 1982.
- [7] D. Kreimer, Combinatorics of (perturbative) quantum field theory, Physics Reports, 363 (2002), 387–424.
- [8] C. Lenart, N. Ray, Hopf algebras of set systems, Discrete Math. 180 (1998), 255–280.
- [9] J.-L. Loday, M. O. Ronco, Hopf algebra of the planar binary trees, Adv. Math. 139 (1998), no. 2, 293–309.
- [10] I. G. Macdonald, Symmetric functions and Hall polynomials, 2nd ed., Oxford University Press, 1995.
- [11] C. Malvenuto, C. Reutenauer, Duality between quasi-symmetric functions and the Solomon descent algebra, J. Algebra 177 (1995), 967–982.
- [12] J.-C. Novelli, J.-Y. Thibon, A Hopf algebra of parking functions, math.CO/0312126.
- [13] Maurice Pouzet and Nicolas M. Thiéry. Invariants algébriques de graphes et reconstruction. C. R. Acad. Sci. Paris Sér. I Math., 333(9):821–826, 2001.
- [14] W. R. Schmitt, Incidence Hopf algebras, Jour. Pure and App. Algebra 96 (1994), 299–330.
- [15] N. J. A. Sloane, The On-Line Encyclopedia of Integer Sequences, http://www.research.att.com/∼njas/sequences/
- [16] Nicolas M. Thiéry. Algebraic invariants of graphs: a study based on computer exploration. SIGSAM Bulletin (ACM Special Interest Group on Symbolic and Algebraic Manipulation), 34(3):9–20, September 2000.