Minoration de la hauteur de Néron-Tate sur les surfaces abéliennes
Manuscripta Mathematica 229-0593
Résumé : On obtient dans le présent texte des résultats en direction d’une conjecture de Lang et Silverman de minoration de la hauteur canonique sur les variétés abéliennes de dimension 2 sur un corps de nombres. La méthode utilisée est une décomposition en hauteurs locales. On déduit en corollaire une borne uniforme sur la torsion de familles de surfaces abéliennes et une borne uniforme sur le nombre de points rationnels de familles de courbes de genre 2.
Abstract : This paper contains results concerning a conjecture made by Lang and Silverman, predicting a lower bound for the canonical height on abelian varieties of dimension 2 over number fields. The method used here is a local height decomposition. We derive as corollaries uniform bounds on the number of torsion points on families of abelian surfaces and on the number of rational points on families of genus 2 curves.
Keywords : Heights, Abelian varieties, Torsion points, Rational points.
Mathematics Subject Classification : 11G50, 14G40, 14G05, 11G30, 11G10.
1. La conjecture de Lang et Silverman
1.1. Présentation
Soit un corps de nombres de degré sur . On va s’intéresser à une question figurant dans le livre de S. Lang [19] page 92 et qui concerne la minoration de la hauteur de Néron-Tate d’un point rationnel d’ordre infini sur une courbe elliptique. Cette question a été la source d’un grand nombre de travaux et de généralisations en géométrie diophantienne. On peut la formuler de la manière suivante :
Conjecture 1.1.
(Lang) Pour tout corps de nombres , il existe une constante positive telle que pour toute courbe elliptique définie sur et tout point d’ordre infini de on ait :
où est la hauteur de Néron-Tate sur , la norme du disciminant minimal de la courbe et la hauteur de Weil logarithmique et absolue de l’invariant modulaire de la courbe .
On trouve des résultats en direction de cet énoncé dans les travaux de J. Silverman [33] et [34], M. Hindry et J. Silverman dans [15] et de S. David dans [4]. Citons aussi M. Krir [18] et C. Petsche [30]. M. Hindry et J. Silverman obtiennent dans [15], corollaire 4.2 (ii) de leur théorème 4.1 (page 430 et 431), le résultat suivant :
Théorème 1.2.
(Hindry, Silverman) Soit un corps de nombres de degré . Soit une courbe elliptique de disciminant minimal et de conducteur . On note le quotient de Szpiro défini par . Alors pour tout point d’ordre infini on a la minoration :
Une conjecture de Szpiro, équivalente à une forme de la conjecture ABC, affirme que est uniformément borné et entraîne donc la conjecture de Lang via ce théorème de Hindry et Silverman. La conjecture sur les courbes elliptiques a ensuite été généralisée aux variétés abéliennes de dimension supérieure par J. Silverman dans [34] page 396 :
Conjecture 1.3.
(Lang, Silverman) Soit . Pour tout corps de nombres , il existe une constante strictement positive telle que pour toute variété abélienne de dimension , pour tout diviseur ample et symétrique et tout point tel que est Zariski-dense on ait :
où est la hauteur de Néron-Tate sur associée au diviseur et est la hauteur de Faltings (relative) de la variété abélienne .
Remarque 1.4.
Il y a plusieurs notions de hauteur d’une variété abélienne . L’énoncé de cette conjecture est plus fin avec la hauteur de Faltings relative comme minorant qu’avec la hauteur de Faltings stable . Rappelons de plus que la hauteur de Faltings stable est comparable à une hauteur modulaire (voir [8], [6] ou [29]), comme par exemple la hauteur thêta , vérifiant , où la constante implicite dépend seulement de la dimension et d’un niveau de torsion fixé (on prendra en général ). Dans ce texte on utilisera aussi la hauteur de Faltings modifée relative (définie plus bas par la formule (3), voir aussi [29]) notée , et son avatar stable notée , qui vérifie (où la constante implicite dépend seulement de la dimension et d’un niveau de torsion fixé).
S. David a proposé dans [5] une preuve partielle de cette conjecture généralisée, preuve basée sur un raisonnement de type transcendance : il donne une borne inférieure pouvant tendre vers l’infini avec la hauteur thêta de la variété.
Théorème 1.5.
(David) Soient un entier, un corps de nombres, une place archimédienne, une variété abélienne principalement polarisée de dimension et une matrice du domaine de Siegel (voir paragraphe 1.3) telle que . On note . Posons :
Alors il existe une constante telle que, tout point vérifiant que est Zariski-dense, on a :
Cet énoncé implique donc l’inégalité cherchée (sur un corps où la réduction est semi-stable) pour les familles de variétés abéliennes vérifiant borné. D. Masser utilise d’ailleurs ces résultats dans [23] pour exhiber une famille de variétés abéliennes simples avec borné uniformément.
En application, on donnera des résultats en direction de deux conjectures classiques dont on rappelle les énoncés ici :
Conjecture 1.6.
(de torsion forte) Soient un corps de nombres de degré et un entier. Alors il existe une constante ne dépendant que de et telle que pour toute variété abélienne de dimension définie sur on a :
Conjecture 1.7.
(points rationnels) Soient un corps de nombres de degré et un entier. Alors il existe une constante ne dépendant que de et telle que pour toute courbe de genre définie sur on a :
où désigne la variété jacobienne de .
1.2. Résultats
Une variété abélienne principalement polarisée de dimension 2 est isomorphe ou bien à une jacobienne d’une courbe de genre 2 polarisée par le diviseur , ou bien à un produit de courbes elliptiques , polarisé par .
On obtient dans cet article un théorème de minoration de la hauteur de Néron-Tate associée au diviseur en utilisant une technique de décomposition en hauteurs locales légèrement modifiées. En effet ces hauteurs locales sont définies à une constante additive près, il y a donc plusieurs manières de normaliser ces fonctions. On met en place une étude des différences de hauteurs locales (c’est une manière détournée de fixer une normalisation) grâce à une propriété cruciale des points de -torsion en dimension 2.
La méthode de décomposition locale et l’étude des séries thêta associées fait apparaître une condition nécessaire dans l’espace de modules des variétés abéliennes principalement polarisées de dimension 2. Le phénomène de rupture d’une variété abélienne simple en produit de courbes elliptiques entraîne une explosion des composantes locales, tant au niveau de la minoration de la hauteur de Néron-Tate que de la majoration de la hauteur de Faltings. On va donc introduire une quantité appelée simplicité archimédienne chargée de mesurer la distance au produit de courbes elliptiques.
Dans tout le texte on note l’ensemble de ses places (deux à deux non équivalentes), l’ensemble de ses places archimédiennes et l’ensemble de ses places finies. Pour toute place de on note le complété de pour la valuation associée où on normalise pour toute place finie au-dessus d’un nombre premier . On pose et . Pour une surface abélienne principalement polarisée avec un corps de nombres et une place infinie, on peut uniformiser les points complexes avec dans le domaine de Siegel (voir paragraphe 1.3). Dans cette uniformisation les produits de courbes elliptiques correspondent exactement au lieu dans l’ensemble . On appelle alors simplicité archimédienne le produit :
(1) |
Il est donc aisé de voir que si et seulement si est un produit de courbes elliptiques. On appelle de plus trace archimédienne de la quantité :
(2) |
On note le discriminant de norme minimale d’un modèle hyperelliptique entier de la courbe sous-jacente. Notons de plus que les calculs explicites des hauteurs locales aux places finies sont basés sur l’étude poussée de la surface de Kummer effectuée par V. Flynn, N. Smart et M. Stoll dans les articles [9, 10, 37, 38]. Dans le cas des jacobiennes de dimension 2 simples, le théorème prend la forme suivante :
Théorème 1.8.
(Version A.) Soit un corps de nombres de degré . Soient une courbe de genre 2 admettant un point de Weierstrass rationnel sur et sa jacobienne. Alors si est géométriquement simple, il existe une constante telle que pour tout point l’une des deux propositions suivantes est vraie :
où on peut prendre .
(Version B.) Soit un corps de nombres de degré . Soient une courbe de genre 2 admettant un point de Weierstrass rationnel sur et sa jacobienne. Alors si est géométriquement simple, il existe une constante telle que pour tout point l’une des deux propositions suivantes est vraie :
où on peut prendre .
Remarque 1.9.
La version B du théorème fournit donc inconditionnellement une minoration non triviale de la hauteur des points rationnels sur une surface abélienne simple. Un modèle hyperelliptique entier d’une courbe de genre 2 ne vérifie pas nécessairement l’inégalité . On peut trouver des exemples parmi les courbes CM (i.e. admettant des multiplications complexes), quitte à prendre une extension de corps. On sait par densité des points CM dans qu’il en existe une infinité telle que les jacobiennes associées vérifient . On sait de plus que les variétés abéliennes CM ont potentiellement bonne réduction partout. On montre alors dans le courant de la preuve du corollaire 1.15 (qui se trouve juste après l’énoncé du corollaire 8.3) qu’après une extension du corps de degré uniformément borné, on peut choisir un modèle hyperelliptique avec discriminant minimal global trivial.
Exemple 1.10.
Prenons par exemple où est la courbe donnée par le modèle affine . On sait calculer la matrice de périodes en MAGMA, qui fournit en valeur approchée et , donc . De plus, est une courbe CM (on regarde le morphisme où est une racine primitive huitième de l’unité). Sa jacobienne hérite donc de la structure CM et est en particulier potentiellement à bonne réduction partout.
Remarque 1.11.
L’existence d’un point de Weierstrass rationnel sur est équivalente à l’existence d’un modèle avec sur plus une propriété de symétrie du diviseur .
On déduit immédiatement de ce théorème le corollaire suivant :
Corollaire 1.12.
Soit un corps de nombres de degré . Soient une courbe de genre de modèle entier avec et sa jacobienne, géométriquement simple. Soient sa trace archimédienne, sa simplicité archimédienne et . On suppose que :
Alors on a :
On complète le théorème 1.8 par l’étude de la situation du produit de courbes elliptiques, qui donne un théorème plus faible que celui de M. Hindry et J. Silverman dans [15], mais qui permet d’aboutir à un énoncé faisant intervenir les mêmes quantités que pour les jacobiennes simples. Introduisons de plus la quantité , la hauteur de Faltings modifiée d’une variété abélienne principalement polarisée :
(3) |
On donne alors la preuve du théorème de majoration suivant, basé sur l’expression de la hauteur de Faltings donnée dans [39] :
Théorème 1.13.
Soit un corps de nombres de degré . Soit une courbe de genre 2 avec bonne réduction en , prise dans un modèle hyperelliptique entier avec . On note . On suppose que la jacobienne est géométriquement simple. Alors il existe des constantes et telles que :
et on peut prendre : et .
Notons que ce théorème est un pas vers la conjecture 1.7 de S. David donnée dans [5] page 513. La conjonction des théorèmes 1.8 et 1.13 fournit alors le corollaire suivant, dans lequel on fixe : si est la jacobienne d’une courbe de genre 2, avec donnée par un modèle minimal entier avec , on note . Si est un produit de courbes elliptiques, on note le produit des discriminants minimaux de et .
Corollaire 1.14.
Soit un corps de nombres de degré et . Soit une variété abélienne principalement polarisée de dimension 2. Si est simple, on suppose que . Sinon on suppose . Alors il existe une constante telle que pour tout point vérifiant on a :
et on peut prendre .
Les théorèmes 1 et 2, ainsi que ce corollaire, permettent de vérifier la conjecture de Lang et Silverman pour des familles infinies de variétés abéliennes de dimension 2, par exemple les jacobiennes simples, de simplicité minorée, qui ont potentiellement bonne réduction partout :
Corollaire 1.15.
Soit un corps de nombres de degré . Soit une courbe de genre 2 donnée dans un modèle hyperelliptique entier avec et telle que a potentiellement bonne réduction partout. Soit la jacobienne de , géométriquement simple, de simplicité archimédienne supérieure à . Alors il existe une constante telle que pour tout point d’ordre infini on a :
et on peut prendre .
Cet énoncé n’est pas couvert par le théorème de S. David [5] en dimension 2. Par contre le théorème de S. David se passe de l’hypothèse archimédienne dont on a besoin pour mener à bien la stratégie locale.
On rajoute un dernier énoncé concernant les points rationnels sur les courbes de genre 2 :
Corollaire 1.16.
Soit un corps de nombres et . Soit une courbe de genre 2, avec bonne réduction en toute place divisant , donnée dans un modèle entier avec . On notera . Soit la jacobienne de . On suppose que . Alors il existe une constante ne dépendant que de et telle que :
et on peut choisir :
1.3. Domaine archimédien
Nous allons mettre en place une stratégie de minoration proche de celle adoptée par M. Hindry et J. Silverman dans le cas en utilisant la décomposition de la hauteur de Néron-Tate en hauteurs locales. Ce qui rend cette démarche possible en dimension 1 est l’existence de formules explicites et relativement manipulables pour ces hauteurs locales. Bien qu’on ne dispose pas de formule dans le cas général, on peut encore obtenir un énoncé en dimension 2.
Commençons par fixer le domaine de Siegel : soit une place archimédienne du corps . On notera l’espace de Siegel associé aux variétés abéliennes sur principalement polarisées de dimension et munies d’une base symplectique (on pourra consulter [20] page 213). C’est l’ensemble des matrices de taille symétriques à coefficients complexes et vérifiant la condition (i.e. définies positives). Cet espace est muni d’une action transitive du groupe symplectique donnée par :
On considère alors un domaine fondamental pour l’action du sous-groupe . On peut choisir de telle sorte qu’une matrice de ce domaine vérifie en particulier les conditions suivantes (voir [11] page 34) :
-
S1 : Pour tout on a : . On dira que est maximale pour l’action de .
-
S2 : Si alors .
-
S3 : Si alors pour tout et tout tel que on a . De plus pour tout on a . On a enfin et .
En dimension on aura en particulier les inégalités, utilisées constamment dans le texte (on note et ) :
(4) |
Dans tout le texte, les matrices seront toujours supposées appartenir au domaine fondamental . On imposera de plus qu’elles soient de trace maximale.
Dans la partie 2, suivant directement cette introduction, on décompose la hauteur de Néron-Tate en hauteurs locales explicites. On s’inspire pour cela l’article de E. V. Flynn et N. P. Smart [10]. On minore alors les hauteurs locales aux places finies en utilisant les résultats de M. Stoll de l’article [37]. La troisième partie donne une autre définition de hauteur locale aux places archimédiennes. On réunit les deux normalisations dans la quatrième. Après avoir effectué ces minorations place par place, on réunit ces informations dans une cinquième partie pour obtenir une minoration globale. On propose dans la sixième partie une majoration de la hauteur de Faltings de la jacobienne d’une courbe de genre 2. La septième partie regroupe des travaux parallèles sur les produits de courbes elliptiques. Enfin, on réunit les résultats des parties 5, 6 et 7 dans une huitième partie regroupant trois corollaires : une minoration de la hauteur de Néron-Tate par la hauteur de Faltings, une borne sur la torsion des variétés abéliennes de dimension 2 et une borne sur le nombre de points rationnels d’une courbe de genre 2.
Terminons cette introduction en redonnant brièvement l’argument permettant de déduire la structure des variétés abéliennes de dimension 2 principalement polarisées. Soit une telle variété. On a et (par Riemann-Roch, ou bien la formule de Poincaré [20] page 328). Si est une courbe et le plongement dans la jacobienne, on montre que est birationnellement équivalent à , ce qui n’est possible que si est de genre 2 et . Si avec des courbes, on a :
et chaque terme de la somme est un entier naturel. On déduit alors que est isomorphe à la somme de deux courbes, qui de plus sont des translatées de sous-variétés abéliennes de A.
Remerciements. Merci à M. Hindry, G. Rémond et J. Silverman pour leurs encouragements et leur intérêt pour ce travail. Merci à l’arbitre anonyme de la publication pour ses remarques.
2. Les hauteurs locales en dimension 2
L’existence de la décomposition en hauteurs locales fait l’objet du théorème suivant (voir par exemple [14] page 242) :
Théorème 2.1.
(Néron) Soit une variété abélienne définie sur un corps de nombres . Soit l’ensemble des places de . Pour tout diviseur sur on note . Alors pour toute place il existe une fonction hauteur locale, unique à une fonction additive constante près :
appelée hauteur locale canonique, dépendant du choix de et vérifiant les propriétés suivantes, avec des constantes dépendant de :
-
(i)
.
-
(ii)
Si , alors .
-
(iii)
Si est un morphisme de variétés abéliennes alors on a la relation : .
-
(iv)
Soit et soit la translation par . Alors on a la relation : .
-
(v)
Soit la hauteur globale canonique de associée à . Il existe une constante telle que, pour tout :
-
(vi)
Si vérifie pour une fonction rationnelle sur et si l’on fixe les constantes de telle sorte qu’on ait la relation , alors :
(Notons que est unique à multiplication par une constante près.)
Les deux premiers paragraphes sont directement issus de l’article de E.V. Flynn et N. Smart [10]. On en donne ici une reformulation un peu plus géométrique en omettant la plupart des preuves. Remarquons que l’article original [10] est écrit pour , mais on peut tout utiliser, mutatis mutandis, sur un corps de nombres . Ceci est en fait décrit dans les articles de M. Stoll [37] et [38].
2.1. Jacobienne et surface de Kummer
On se donne une courbe de genre 2 sur un corps de nombres . On sait que est hyperelliptique, elle possède donc six points de Weierstrass, les points fixes de l’involution hyperelliptique. On fait l’hypothèse que l’un de ces points, appelé , est rationnel sur . On note pour la classe rationnelle d’un diviseur. On définit alors le plongement jacobien de la courbe dans sa jacobienne :
On définit alors .
Remarque 2.2.
Ce choix de permet d’affirmer que :
E.V. Flynn et N. Smart explicitent dans l’article [10] un choix possible des fonctions hauteurs locales lorsque est la jacobienne d’une courbe de genre 2. Nous suivrons pour cela leur normalisation pour les hauteurs locales. Le diviseur qu’ils utilisent est lorsque le modèle hyperelliptique est de degré 5. Soulignons que ce choix de diviseur est unique à translation par un point de -torsion près.
Soient un corps de nombres et une courbe de genre 2. On peut identifier la jacobienne au carré symétrique de la courbe, , dans lequel il faut contracter un diviseur (qui correspond au diviseur exceptionnel d’un éclatement d’un point de ). Ce procédé est bien décrit dans [26] page 52. La surface de Kummer est définie comme le quotient . Elle se plonge dans . Voyons cela plus en détails : comme on a supposé que est un point de Weierstrass rationnel sur , on peut se donner un modèle hyperelliptique de la courbe entier sur de degré impair, avec et sans racine multiple :
Contrairement au modèle plus général de degré 6, il n’y a dans ce modèle qu’un point à l’infini : . L’étude de [10] est menée en degré 6, le cas quintique est plus simple et inclus dans leur travail (il suffit de spécialiser dans leur notation).
On note la jacobienne de . L’involution hyperelliptique donnée sur la courbe par induit la multiplication par sur . On considère le quotient de par . La surface est donnée par l’équation quartique homogène suivante (donnée dans [9] ou [2] page 19 et reprise dans l’annexe de [28]) :
On peut donner les points de par l’application :
où on a défini pour un point hors du support du diviseur :
Pour un point : Le diviseur sur associé à est donné par . Ce diviseur s’envoie donc via l’application sur le diviseur .
Choisissons alors un plongement . Les points complexes de forment un tore complexe qu’on normalise ainsi : , avec une matrice obtenue en calculant les périodes de la surface de Riemann compacte . Le diviseur est alors identifié à la courbe .
2.2. Hauteurs
On garde le cadre précédent et on définit suivant [10] les hauteurs naïve et canonique d’un point . On va normaliser le point projectif en fixant la première coordonnée non nulle comme étant égale à 1 (c’est la normalisation choisie dans [10]). On peut donc définir la hauteur naïve comme étant :
et la hauteur canonique associée :
où on note l’image sur la surface de Kummer de la multiplication par d’un point de la jacobienne ; la surface de Kummer n’a plus la structure de groupe de la jacobienne, mais on peut passer l’application au quotient :
=0.5cm
On a choisi de travailler avec la multiplication par . En effet il existe des formules explicites de duplication sur la surface de Kummer : prenons un point , alors la formule de duplication est donnée par des polynômes homogènes explicites (donnés sur le site internet de V. Flynn et reproduites en annexe de [28]) notés de degré total 4 en les . Avec la normalisation choisie ici, on aura donc (lorsque et sont hors du support du diviseur ):
La hauteur locale naïve en une place est définie par :
Remarque 2.3.
Cette construction doit être vue comme l’analogue de la hauteur locale sur une courbe elliptique , où est la coordonnée d’un point dans un modèle de Weierstrass.
Calculons alors :
Toujours en suivant [10] on définit la hauteur locale canonique d’un point comme suit, en posant tout d’abord :
et :
Remarque 2.4.
Cette quantité ne dépend pas de la normalisation du point projectif. Il est intéressant de remarquer que la preuve du lemme 3 de [10] utilise une normalisation différente du reste de l’article.
Alors on définit la hauteur locale canonique :
Lorsque est lui aussi hors du support du diviseur , cette hauteur locale canonique vérifie l’équation fonctionnelle :
avec et .
D’après le théorème 4 de l’article [10] (qui ne dépend pas de la normalisation projective choisie pour le point ) on a bien pour (i.e. hors du support du diviseur ) :
3. Une autre hauteur locale archimédienne
On donne dans cette partie une autre normalisation des hauteurs locales archimédiennes, grâce à l’utilisation des fonctions thêta. Ce lien est donné par A. Néron, voir par exemple l’article fondateur [27] page 329.
3.1. Définition
On commence ce paragraphe par rappeler la définition des fonctions thêta : soient et :
où forment le vecteur caractéristique de la fonction thêta.
Tout vecteur complexe peut se décomposer en avec .
Le théorème de Riemann (voir par exemple [20] page 330) montre que les points complexes du diviseur sont les zéros d’une fonction thêta avec caractéristique (la caractéristique fixant le point de torsion par lequel il faut éventuellement translater, voir par exemple [26] page 60 et page 69 et [24] page 164).
En se reportant à l’analyse menée dans [24] page 164 et [25] page 3.80-82, on peut identifier le vecteur caractéristique comme étant . C’est aussi le choix qui est fait dans [41]. Il est de plus équivalent de prendre la troisième coordonnée égale à zéro.
Fixons alors Cette caractéristique est impaire, la fonction thêta considérée vérifie en particulier . Son diviseur est et il contient dans son support.
Soit un corps de nombres. Soient une courbe de genre 2 et sa jacobienne, polarisée par . Soit une place archimédienne et soit l’élément de correspondant à . On peut alors donner la définition suivante :
Proposition-Définition 3.1.
À une constante près, la hauteur locale associée au diviseur pour la place archimédienne peut s’exprimer comme suit, pour tout point hors du support du diviseur et toute coordonnée complexe de notée :
On peut trouver cette idée d’écriture de la hauteur locale dans l’article [27], page 329. Cette fonction est bien une fonction sur le tore, on a corrigé la fonction thêta de telle sorte qu’elle soit -périodique. Elle vérifie de plus l’équation fonctionnelle :
avec et .
4. Différences de hauteurs locales
On montre dans cette partie comment tirer parti à la fois des informations aux places finies issues de la normalisation des hauteurs locales au sens de Flynn-Smart (donnée dans le paragraphe 2.2) et des calculs menés sur les fonctions thêta.
4.1. Discussion autour de la torsion
Rappelons la notation .
Proposition 4.1.
Démonstration.
C’est en fait un simple corollaire du théorème 2.1. ∎
Pour obtenir une minoration de la hauteur locale archimédienne normalisée comme dans la partie 2.2, il suffira donc de minorer la hauteur locale archimédienne et la constante . Nous allons estimer cette constante en particularisant l’équation donnée dans la proposition 4.1 en des points de torsion. Il faut cependant s’assurer que les points ne sont pas sur le support du diviseur .
Nous allons utiliser le fait suivant :
Proposition 4.2.
(Boxall, Grant) Soit une jacobienne de dimension 2 sur un corps quelconque, simple et polarisée par le diviseur . Alors aucun point d’ordre 3 n’est sur le diviseur .
Démonstration.
Remarque 4.3.
La situation est complètement différente sur un produit de courbes elliptiques polarisé par , où est un point de -torsion non nul. En effet les points de la forme , avec , sont des points de -torsion qui sont sur le diviseur. Quitte à étendre un peu le corps, il y a donc 9 points de -torsion sur les produits de courbes elliptiques ainsi polarisés.
Revenons aux variétés abéliennes simples en dimension 2. Nous pouvons nous baser sur la dernière proposition et utiliser les points de -torsion dans l’étude de la constante de normalisation des hauteurs locales. En particularisant l’égalité (5) pour un point de -torsion non nul nous obtenons :
ce qui implique donc que pour tout point et tout point d’ordre 3 la différence est constante (on n’utilise que le fait que pour l’instant) :
(6) |
Posons l’ensemble des points d’ordre 3. C’est un ensemble de cardinal 80, car il y a 81 points de -torsion mais le point n’est pas d’ordre exactement 3. Nous allons à présent effectuer le calcul clef de notre stratégie d’étude de la hauteur globale. Commençons par des lemmes concernant les points d’ordre 3.
Remarque 4.4.
Lemme 4.5.
Soit une variété abélienne de dimension 2, simple et principalement polarisée. Soit un point de -torsion non nul. Soit la hauteur locale normalisée comme dans la partie 2.2. Alors on a :
Démonstration.
On note . Il suffit de partir de l’équation fonctionnelle fixant la hauteur locale :
Comme est un point de -torsion non nul, on a . De plus le diviseur est symétrique et défini grâce à un point de Weierstrass donc la hauteur locale est paire, ce qui implique :
d’où le résultat, en notant que dans la normalisation 2.2, . ∎
Lemme 4.6.
Soient un corps de nombres et une courbe de genre 2, dont on se donne un modèle hyperelliptique entier . Soit la jacobienne de . On note . Alors on a l’égalité :
Démonstration.
On sait que si , la courbe est lisse et les points d’ordre exactement 3 de ne sont pas sur le support du diviseur . Ceci implique que n’est pas sur le support de , donc pour tout point d’ordre 3. En contraposant on obtient l’implication : . On sait de plus que et le degré total en les est 3. Le degré total en les est 4. Soit . Les étant les coordonnées des points d’ordre ce sont des éléments algébriques sur . On sait de plus que . Posons :
L’ensemble est stable sous l’action du groupe de Galois . On peut en déduire que . Or est une fraction rationnelle sans pôle : c’est donc un polynôme. On en déduit que .
D’autre part on a et est irréductible. Ceci permet de dire qu’il existe des constantes universelles et telles que :
(Notons que seules les puissances de ne s’annulent sur aucun point d’ordre 3, voir l’article [13]. On peut aussi raisonner ainsi : il suffit de montrer l’égalité sur , ce qui est faisable en étudiant le poids, les zéros et les pôles de la forme .)
Dans un deuxième temps on cherche à expliciter les constantes et . On sait que est de poids 40 et de poids 18. Comme il y a 80 termes , cela montre que . Il suffit ensuite de mener le calcul complet dans un cas particulier. Nous allons choisir l’équation . On pose . On a donc .
On va calculer les coordonnées des points d’ordre 3 exactement pour cet exemple particulier. On note la coordonnée normalisée. Ces coordonnées vérifient tout d’abord l’équation de la surface de Kummer (donnée dans [2] page 19 ou dans l’annexe de [28]), qu’on notera . Ces points vérifient de plus l’équation On doit donc résoudre le système suivant :
On utilise alors les formules de duplication sur la surface de Kummer données en annexe de [28], dans lequelles on spécialise ainsi : , , , et . A partir de là, on s’est ramené au problème de la recherche de racines communes à quatre polynômes fixés dépendant de trois variables , et .
On peut résoudre ce système en utilisant une technique de résultants : on prend le résultant des deux premiers polynômes par rapport à la première variable, puis le résultant du résultat avec le troisième polynôme par rapport à la deuxième variable et un dernier résultant en fonction de la dernière variable. On fait cela dans tous les ordres possibles. Ceci donne des valeurs possibles pour la dernière variable, on remonte ensuite les calculs et on vérifie a posteriori que les coordonnées candidates sont bien des solutions des quatre équations de départ. Une fois les coordonnées trouvées, le calcul de est direct.
Les calculs ont été menés complètement en utilisant le logiciel PARI. Le résultat est le suivant :
Ceci fournit, puisqu’on a , les valeurs et . ∎
Définition 4.7.
On note l’ensemble des 10 caractéristiques paires en dimension 2, et la constante thêta associée à la caractéristique et la matrice de périodes . On définit alors le discriminant modulaire comme étant :
Lemme 4.8.
Soit une surface abélienne simple sur un corps de nombres . Soit une place archimédienne et soit une uniformisation complexe. Pour tout point d’ordre 3, on note sa coordonnée complexe, avec . Posons . On a alors l’égalité suivante :
Démonstration.
Il suffit d’utiliser le théorème 2 page 234 de l’article [12] et les transformations classiques des fonctions thêta. ∎
Égalité Clef 4.9.
Soit et soit tel que :
Démonstration.
À ce stade, il suffit d’appliquer les lemmes 4.5 et 4.6 pour la somme sur les points d’ordre 3 aux places finies et le lemme 4.8 pour la somme sur les points d’ordre 3 aux places archimédiennes. On remarquera que les puissances de 3 disparaissent dans les constantes. ∎
Nous allons diviser le travail de minoration de la hauteur globale en quatre tâches :
-
(1)
Pour une place finie : minorer .
-
(2)
Pour une place archimédienne : minorer .
-
(3)
Pour une place archimédienne : minorer .
-
(4)
Redescendre sur le corps de base.
On traite du premier point dans le prochain paragraphe. Les études 2 et 3 aux places archimédiennes feront l’objet des parties suivantes. Le quatrième point sera traité à la fin de la preuve du théorème 1.8.
4.2. Estimation aux places finies
Proposition 4.10.
La hauteur locale en une place finie, normalisée comme dans 2.2, peut être minorée de la façon suivante (pour hors du support du diviseur ) :
Démonstration.
En étudiant des représentations du sous-groupe de -torsion de la jacobienne, M.Stoll ([37], théorème 6.1) a obtenu la minoration :
Ceci donne par un calcul direct la minoration annoncée. Remarquons qu’il est possible d’utiliser ce résultat de Stoll (écrit pour des sextiques) en prenant l’un des coefficients égal à dans son paragraphe 3. Cela induit les mêmes changements que pour les travaux de V. Flynn puisqu’il utilise le même plongement et les mêmes matrices agissant sur . ∎
4.3. Estimation aux places archimédiennes
4.3.1. Minoration de
On veut dans cette sous-partie minorer la hauteur locale archimédienne définie pour par :
où on a fixé . Pour tout vecteur , on définit la quantité . Nous montrons tout d’abord une batterie de lemmes analytiques utiles pour l’estimation des fonctions thêta :
Lemme 4.11.
Pour toute matrice on a la minoration pour tout vecteur réel :
Démonstration.
Il suffit de développer la forme quadratique et d’écrire :
On gardera en mémoire que et . Ces inégalités impliquent que le minorant est une fonction définie positive. ∎
Lemme 4.12.
Soit un réel. Alors on a l’inégalité :
Démonstration.
On se ramène au calcul en coordonnées polaires :
∎
Lemme 4.13.
Soient et . Alors si :
et si :
De plus si on a :
Enfin si on a :
Démonstration.
On démontre la première inégalité, , les autres s’en déduisent. On mène une comparaison série-intégrale pour la fonction donnée par . On note le plus grand entier inférieur à (on notera ) et on utilise la distance . On obtient alors la majoration :
Lemme 4.14.
Soient et . Alors :
où l’on peut prendre :
Démonstration.
On mène ici une comparaison série-intégrale pour la fonction donnée par . Il y a ici trois changements de sens de variation (car il y en a un en ). On notera les abscisses des trois maxima locaux. L’étude de la dérivée donne les expressions Posons et , où désigne la partie entière de . On a alors la majoration :
où :
Alors en posant on obtient par inégalité triangulaire :
donc par intégration directe et par l’inégalité du lemme 4.12 :
On obtient la même majoration pour le terme . Reste le terme médian :
donc :
donc en utilisant les inégalités et :
Or , donc :
Il suffit alors de réunir les majorations des termes pour obtenir le lemme. ∎
Lemme 4.15.
On pose . On suppose que . On a alors la majoration pour tout :
où l’on peut prendre :
Démonstration.
Nous pouvons donc à présent montrer la proposition suivante :
Proposition 4.16.
Soit une courbe de genre 2 et soit une place archimédienne. Soit un point de hors du support du diviseur . On note une coordonnée de , avec . On définit la norme de vecteur . Alors la hauteur locale archimédienne peut être minorée de la façon suivante, dès que :
où l’on peut prendre :
Remarque 4.17.
On a la majoration pour .
Démonstration.
On notera tout au long de la preuve : . Calculons, pour , avec et des vecteurs de :
Posons :
et :
On veut donc majorer la quantité : Tout d’abord par l’inégalité des accroissements finis, avec et la norme subordonnée :
donc comme :
On a alors en écrivant :
De plus :
On obtient alors pour tout vecteur non nul :
On obtient ainsi :
donc :
On utilise alors le lemme 4.15 dans la dernière majoration :
donc on obtient en notant :
En prenant l’opposé du logarithme de cette dernière inégalité il vient finalement :
De plus, en utilisant et pour et on obtient :
Ceci achève la preuve de la proposition 4.16. ∎
4.3.2. Minoration de
On va donner dans cette section une minoration de la norme des constantes thêta paires en dimension 2. Soit une place archimédienne. On note ici . Comme s’annule uniquement en (pour dans , voir par exemple [17], proposition 2 page 115), on s’attend à voir apparaître une condition sur l’espace de modules des surfaces abéliennes principalement polarisées.
Il y a dix constantes thêta non nulles en dimension 2 ; elles correspondent exactement aux caractéristiques paires :
On a donc .
On rappelle la relation :
Si on pose , on a de plus :
Lemme 4.18.
Soit . Soit . On a la propriété :
De plus :
Démonstration.
La propriété de l’énoncé se vérifie directement sur les dix couples . En effet remarquons tout d’abord que est un ensemble fini pour . Il est de cardinal 1 lorsque et de cardinal 2 sinon. La propriété de cet ensemble se vérifie alors directement en calculant pour . L’inégalité triangulaire donne ensuite :
Le choix de implique pour un quelconque choisi dans . On obtient alors directement l’inégalité annoncée en utilisant :
∎
Proposition 4.19.
Pour les caractéristiques (donc vérifiant ) on a la minoration, valable pour tout :
où on a posé
Une estimation directe donne .
Démonstration.
∎
Proposition 4.20.
Soit ou . On a la minoration, valable pour tout :
où on a posé
De plus on déduit le minorant pour les caractéristiques et en permutant les coordonnées dans cette dernière expression.
Une estimation directe donne .
Démonstration.
On fait le calcul pour la caractéristique , le deuxième calcul se déduit du premier en changeant en .
∎
Lemme 4.21.
Soit un nombre complexe vérifiant et . Alors on a les inégalités :
-
(1)
-
(2)
Démonstration.
Le première inégalité est immédiate. Pour la seconde, on peut commencer par supposer . Dans ce cas nous avons
À présent si , cela implique que . Si , on calcule alors
Si , on écrit
On peut donc minorer, dans le cas où :
∎
Proposition 4.22.
Soit , avec . On a la minoration :
où on a posé
Remarque 4.23.
Pour que le minorant soit strictement positif lorsque , on doit donc imposer , ce qui souligne le fait qu’un produit de deux courbes elliptiques est un cas dégénéré de variété abélienne principalement polarisée de dimension 2.
Démonstration.
On procède comme pour la proposition précédente. On a ici :
On obtient le résultat par l’application du lemme 4.18 et de [17] page 117.
∎
Il ne reste plus qu’à réunir les calculs précédents :
Proposition 4.24.
Soit . On a la minoration :
et on peut prendre .
5. Minoration globale de la hauteur de Néron-Tate
On montre dans cette partie comment à partir des informations locales on peut obtenir un théorème global de minoration de la hauteur de Néron-Tate sur une jacobienne de dimension 2.
5.1. Lemme de zéros et principe des tiroirs
Lemme 5.1.
Soit un corps de nombres. Soit une courbe de genre 2 plongée dans sa jacobienne. Soient et des points non nuls de tels que . Alors :
Démonstration.
La preuve proposée ici montre un résultat un peu plus général. Soient et deux ensembles de points de à exactement éléments. On suppose que .
Posons alors . C’est une sous-variété non vide et stricte de , sa dimension vaut donc ou . Or si , l’ensemble est fini (cela vient du fait que est associé à une polarisation principale) ; donc la dimension de est zéro car . Comme de plus par construction, il vient :
la dernière inégalité étant justifiée par le fait que (comme auto-intersection de diviseur).
On obtient alors le lemme en prenant et : on sait que dans ce cas grâce aux hypothèses sur et , il vient donc par contraposée :
Il suffit de remarquer que pour conclure. ∎
Remarque 5.2.
On peut déduire de ce lemme une nouvelle preuve de la propriété 4.2. Soit un point d’ordre 3 exactement. On pose dans le lemme précédent . Alors le lemme permet d’affirmer :
ce qui permet de conclure : .
Proposition 5.3.
Soit un corps de nombres, on pose . Soit une courbe de genre , on note sa jacobienne. Soit un réel. Soit un point tel que ses multiples soient tous distincts. Il vient alors :
Démonstration.
On a les applications :
Soit alors l’application définie par :
On divise alors en boîtes de taille . On considère alors l’ensemble : il contient points à répartir dans boîtes. Par le principe des tiroirs il existe donc trois entiers , et tels que, avec :
Posons et . Alors . En appliquant le lemme 5.1, on sait que dans l’ensemble de points il y en a au moins un qui n’est pas sur le diviseur . C’est ce point qu’on choisit : on le note (ou peut-être , le fait de prendre éventuellement l’opposé n’est pas gênant car la hauteur locale est paire).
5.2. Minoration globale : preuve du théorème 1.8
Démonstration.
Soit . Posons et . Prenons un paramètre réel à fixer ultérieurement. Écrivons l’égalité-clef 4.9 sur en choisissant pour l’entier donné par le principe des tiroirs de 5.3 :
Il suffit alors d’appliquer les minorations locales des propositions 4.10, 4.24 et 5.3 pour obtenir :
donc en utilisant on obtient :
donc comme :
Prenons à présent pour la partie entière supérieure de , ce qui numériquement donne .
Un calcul de variation fournit alors
On tient alors compte de . On conclut cette preuve en redescendant sur le corps de base. On sait que la variété est définie sur . De plus les quantités , et sont invariantes par extension de corps : pour la trace archimédienne et la simplicité archimédienne c’est montré dans le corollaire 1.15, pour le discriminant c’est une conséquence directe de la multiplicativité des normes et de la multiplicativité des degrés. On a donc :
Enfin par multiplicativité des degrés à nouveau : . Pour la version B du théorème, il suffit de prendre . ∎
6. La hauteur de Faltings
6.1. Expression dans le modèle d’Igusa
Soit un corps de nombres. Soient une coube lisse de genre et sa jacobienne. Notons la hauteur de Faltings de la variété abélienne . On suppose de plus que la courbe localisée est lisse de genre 2 en toute place divisant . On note le discriminant minimal associé aux modèles d’Igusa de la courbe , lequel est utilisé dans [39] et défini dans le paragraphe suivant. On notera l’ensemble des caractéristiques paires de dimension 2. En se référant aux travaux de K. Ueno de l’article [39] page 765 on a :
La formule obtenue pour la hauteur de Faltings modifiée est donc :
6.2. Comparaison entre discriminants
Lemme 6.1.
Démonstration.
Le modèle d’Igusa est donné par une équation du type :
Son discriminant est défini dans [39] comme étant le discriminant de l’équation hyperelliptique :
corrigé par une puissance de , afin de tenir compte du comportement aux places de divisant . Le discriminant minimal donné dans [39] est donc de norme inférieure ou égale au discriminant minimal de la courbe hyperelliptique (car il est plus petit pour la valuation en ). Ce discriminant sera en particulier de norme inférieure ou égale à celle du discriminant du modèle hyperelliptique de Flynn-Smart (qui n’est pas forcément le produit des discriminants minimaux locaux), on consultera par exemple [21] page 4581 et suivantes. ∎
6.3. Majoration de : preuve du théorème 1.13
On montre dans ce paragraphe une majoration de la hauteur de Faltings des surfaces abéliennes simples. La présence de la quantité aux places archimédiennes, quantité qui s’annule en , impose la condition .
7. Produit de courbes elliptiques
On donne dans ce paragraphe un théorème équivalent pour le cas des produits de courbes elliptiques. Ce résultat est directement construit à partir des références [36] et [15] et est écrit en détails dans [28]. Ce théorème est plus faible que le résultat de M. Hindry et J. Silverman de [15] mais permet d’obtenir un énoncé plus homogène pour les variétés abéliennes de dimension 2. Dans toute cette partie, les matrices de périodes sont dans le domaine fondamental usuel.
Théorème 7.1.
Soit un corps de nombres de degré . On note . Alors il existe une constante telle que pour toute courbe elliptique de discriminant minimal et de trace archimédienne , et pour tout point d’ordre infini :
où on peut prendre .
Remarque 7.2.
On va être amené dans la suite du texte à imposer . Étudions cette condition sur . Fixons une courbe elliptique et supposons . Alors :
Donc si est grand, une hypothèse du type équivaut à . Or on a la relation , où est un polynôme en les coefficients de la courbe elliptique (voir [35] page 46). On a donc :
La conjecture de Hall (voir [35] page 268) donne l’inégalité :
Comme , ces inégalités sont compatibles, mais il est important de garder à l’esprit que la constante de comparaison entre la trace archimédienne et le logarithme du discriminant ne saurait être trop grande dans le cas de la dimension 1.
Si on s’autorise des extensions de corps, on peut bien entendu raisonner comme dans la remarque 1.9 pour obtenir des familles de courbes elliptiques avec grand.
7.1. Majoration de la hauteur de Faltings
Nous allons montrer dans cette partie la majoration suivante :
Théorème 7.3.
Soit une courbe elliptique donnée dans un modèle entier de Weierstrass de discriminant et de trace archimédienne . Alors on a :
où on peut prendre et .
Démonstration.
On connaît une expression explicite de la hauteur de Faltings d’une courbe elliptique définie sur un corps de nombres (voir par exemple [3] page 254) :
Ceci donne :
Partant de cette expression il suffit donc de relier la fonction à la quantité . On note ; on a la formule :
donc :
avec :
où on a utilisé, pour l’inégalité . Donc :
Il suffit d’injecter cette majoration dans l’expression de la hauteur de Faltings et d’utiliser pour conclure. ∎
8. Corollaires
On présente dans cette partie plusieurs énoncés. Les premiers corollaires constituent une avancée en direction de la conjecture de Lang et Silverman en dimension 2. Par la suite on présente une borne uniforme explicite pour la torsion d’une famille de variétés abéliennes de dimension 2. Enfin on obtient une borne explicite sur le nombre de points rationnels pour des familles de courbes de genre 2.
8.1. Conjecture de Lang et Silverman en dimension 2
Soit une variété abélienne principalement polarisée de dimension 2. Comme expliqué dans l’introduction, il y a alors deux possibilités (on pourra aussi consulter [40]) :
où est une courbe algébrique de genre 2. Dans le premier cas, en notant , on a les relations :
Remarque 8.1.
On peut éventuellement translater le diviseur par un point de -torsion, ce qui ne change pas le calcul en vertu du fait que pour tout point de .
Ceci permet donc d’utiliser les théorèmes 7.1 et 7.3 pour obtenir un énoncé dans la direction de la conjecture de Lang et Silverman :
Corollaire 8.2.
Soient et deux courbes elliptiques. On considère la variété abélienne munie de la polarisation . On pose pour :
On suppose que . Alors pour tout et points d’ordre infini :
où on peut prendre .
Démonstration.
En utilisant les théorèmes 7.1 et 7.3 on a les estimations pour chacune des courbes avec :
où on peut prendre :
En utilisant de plus l’hypothèse il vient :
où on a noté :
∎
Il reste donc à étudier le cas des jacobiennes de courbes de genre 2. Or nous sommes à présent en mesure de construire un énoncé de théorème répondant partiellement à la conjecture de Lang et Silverman pour ces variétés abéliennes particulières.
En réunissant les résultats des théorèmes 1.8 et 1.13 on obtient une preuve du corollaire 1.14, en considérant toujours si avec et la trace archimédienne de :
Démonstration.
En notant :
et en supposant : , on obtient alors :
∎
On déduit de ces énoncés le corollaire suivant :
Corollaire 8.3.
Soit un corps de nombres de degré . Alors il existe une constante ne dépendant que du degré de telle que pour toute variété abélienne sur , principalement polarisée de dimension 2, vérifiant les hypothèses des énoncés 8.2 ou 1.14 et pour tout point tel que est Zariski-dense on a :
et on peut prendre , avec et les constantes données respectivement dans les énoncés 8.2 et 1.14.
Remarque 8.4.
On obtient la conjecture de Lang et Silverman (sous les hypothèses des énoncés utilisés) en remarquant que est valable lorsque est suffisament grand.
Démonstration.
On sait que si le modèle de la courbe est à bonne réduction partout et est globalement minimal on obtient . Or il existe une extension de telle que est à bonne réduction partout. On va voir qu’en faisant une autre extension bien choisie on peut de plus obtenir l’existence d’un modèle globalement minimal : donnons-nous tout d’abord un modèle hyperelliptique entier sur de , dont le discriminant sera noté . En se reportant par exemple à [22] page 736, on sait que pour toute place finie , il existe un entier tel que , où est le discriminant minimal local. L’exposant vient du fait qu’on est ici en dimension , et dans ce cas.
On pose alors . On obtient facilement les faits suivants (voir [22]) : , où est le discriminant minimal de la courbe hyperelliptique . De plus la classe d’idéaux de ne dépend pas du modèle hyperelliptique de . Enfin il existe un modèle minimal global si et seulement si est principal.
Or sur , on a bonne réduction partout, ce qui impose . En particulier on obtient que l’idéal est principal sur . Il existe donc tel que . Considérons alors , avec . Alors est principal sur , et le degré de l’extension est inférieur ou égal à .
La variété abélienne étant définie sur , elle l’est aussi sur et . De plus on a les relations :
On peut donc appliquer les théorèmes 1.8 et 1.13 à puisque les vérifient les mêmes conditions que les , donc en utilisant de plus :
Or et on peut déduire de [33] page 400, en choisissant que . Remarquons qu’il suffit de redescendre sur le corps de base à la fin, d’où la présence du terme et non de . ∎
Remarque 8.5.
On aurait pu essayer de se placer sur l’extension de sur laquelle la variété admet bonne réduction partout, puis monter jusqu’à le corps de classes de Hilbert de sur lequel le modèle est globalement minimal (par principalité) et a toujours bonne réduction partout. Cependant la constante obtenue dépendra alors du corps aussi.
8.2. Borne pour la torsion d’une jacobienne de dimension 2.
Le principe des tiroirs utilisé dans la preuve du théorème 5.3 montre le fait suivant : si on peut obtenir suffisamment de multiples distincts d’un point , alors la hauteur de Néron-Tate de ce point est minorée par une quantité non nulle, donc ce point n’est pas un point de torsion. Inversement on va donc obtenir une borne sur la torsion des jacobiennes sur lesquelles on a travaillé dans le théorème 1.8. Il suffit d’élever la borne sur l’exposant du groupe à la puissance pour obtenir la preuve du corollaire 1.12.
8.3. Borne pour les points rationnels d’une courbe de genre 2.
L’obtention d’un résultat de minoration du type Lang-Silverman sur une famille de jacobiennes donne systématiquement un majorant du nombre de points rationnels des courbes sous-jacentes. Le calcul de ce majorant en fonction de la constante de l’inégalité de Lang-Silverman est montré dans [29], Proposition 1.10. Ainsi, pour obtenir une preuve du corollaire 1.16, il suffit d’appliquer la Proposition 1.10 de [29], avec ici . Ces questions ont été abordées par G. Rémond, voir la proposition 3.7 page 527 de l’article [32] ainsi que les estimations de [6] (page 652, page 662 et page 665) et T. de Diego, voir par exemple [7] page 109.
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Fabien Pazuki
Théorie des nombres, IMB Université Bordeaux 1
351, cours de la Libération, 33405 Talence cedex, France
e-mail : fabien.pazuki@math.u-bordeaux1.fr