Variétés presque rationnelles, leurs points rationnels et leurs dégénérescences
Cours au CIME, Septembre 2007

J-L. Colliot-Thélène

1 Introduction

Voici une série de résultats classiques.

Toute forme quadratique en au moins trois variables sur le corps fini 𝔽psubscript𝔽𝑝{\mathbb{F}}_{p} (p𝑝p premier) possède un zéro non trivial (Euler). Toute forme de degré d𝑑d en n>d𝑛𝑑n>d variables sur 𝔽psubscript𝔽𝑝{\mathbb{F}}_{p} possède un zéro non trivial (Chevalley-Warning).

Toute forme quadratique en au moins trois variables sur le corps (t)𝑡{\mathbb{C}}(t) des fonctions rationnelles en une variable possède un zéro non trivial (Max Noether). Toute forme de degré d𝑑d en n+1>d𝑛1𝑑n+1>d variables sur une extension finie de (t)𝑡{\mathbb{C}}(t) possède un zéro non trivial (Tsen). Ceci vaut encore sur le corps ((t))𝑡{\mathbb{C}}((t)) des séries formelles en une variable (Lang).

Sur un corps fini, sur un corps de fonctions d’une variable sur {\mathbb{C}}, sur le corps ((t))𝑡{\mathbb{C}}((t)), tout espace homogène d’un groupe algébrique linéaire connexe a un point rationnel.

Toute forme de degré d𝑑d en n>d𝑛𝑑n>d variables sur le corps p𝑝p-adique psubscript𝑝{\mathbb{Q}}_{p} possède un zéro non trivial sur une extension non ramifiée de psubscript𝑝{\mathbb{Q}}_{p} (Lang).

Toute forme de degré d𝑑d en n>d2𝑛superscript𝑑2n>d^{2} variables sur un corps de fonctions de deux variables sur {\mathbb{C}} possède un zéro non trivial (Lang).

Toute forme quadratique en n>22𝑛superscript22n>2^{2} variables sur un corps p𝑝p-adique possède un zéro non trivial (Hensel, Hasse).

Toute forme cubique en n>32𝑛superscript32n>3^{2} variables sur un corps p𝑝p-adique possède un zéro non trivial (Demjanov, Lewis).

Pour d𝑑d donné, pour presque tout premier p𝑝p, toute forme possède un zéro non trivial (Ax-Kochen).

Sur un corps p𝑝p-adique, tout espace homogène principal d’un groupe semi-simple simplement connexe possède un point rationnel (Kneser, Bruhat-Tits).

Sur un type donné de corps, y a-t-il une classe naturelle de variétés algébriques qui sur un tel corps ont automatiquement un point rationnel ?

Sur les corps de fonctions d’une variable sur {\mathbb{C}} d’une part, sur les corps finis d’autre part, des progrès décisifs ont été accomplis dans les cinq dernières années, et on peut dans une certaine mesure dire que la situation est stabilisée. La similitude apparente des résultats est trompeuse. Les résultats cités sur les corps finis s’étendent à une classe beaucoup plus large de variétés que les résultats sur un corps de fonctions d’une variable. Les techniques utilisées sur un corps fini relèvent de la cohomologie étale (ou, de la cohomologie p𝑝p-adique). Les techniques utilisées sur un corps de fonctions sur les complexes relèvent de la cohomologie cohérente : théorie de la déformation, théorèmes d’annulation de Kodaira et généralisations, programme du modèle minimal.

Sur les corps de fonctions de deux variables, la recherche est extrêmement active.

Dans ce rapport, qui ne contient pratiquement pas de démonstrations, j’ai essayé de présenter un instantané de la situation.

Une partie importante du texte suit un fil unifiant les travaux sur les corps de fonctions d’une variable, ceux sur les corps de fonctions de deux variables, et l’étude des variétés sur les corps p𝑝p-adiques. C’est l’étude des modèles projectifs réguliers au-dessus d’un anneau de valuation discrète et de leur fibre spéciale.

Certains aspects de ce texte ont fait l’objet d’exposés depuis quelques années. Je remercie Esnault, Gabber, Hassett, de Jong, Kollár, Madore, Moret-Bailly, Starr et Wittenberg pour diverses discussions.

J’engage les lecteurs à consulter le rapport récent d’O. Wittenberg [69].

2 Notations, rappels et préliminaires

Soit k𝑘k un corps. On note kssubscript𝑘𝑠k_{s} une clôture séparable de k𝑘k et k¯¯𝑘{\overline{k}} une clôture algébrique de k𝑘k. Une k𝑘k-variété est par définition un k𝑘k-schéma séparé de type fini sur k𝑘k (non nécessairement irréductible, non nécessairement réduit). On note X(k)=missingHommissingSpeck(missingSpeck,X)𝑋𝑘missing𝐻𝑜subscript𝑚missing𝑆𝑝𝑒𝑐𝑘missing𝑆𝑝𝑒𝑐𝑘𝑋X(k)=\mathop{\mathrm{missing}}{Hom}\nolimits_{\mathop{\mathrm{missing}}{Spec}\nolimits k}(\mathop{\mathrm{missing}}{Spec}\nolimits k,X) l’ensemble des points k𝑘k-rationnels d’un k𝑘k-schéma X𝑋X. Une k𝑘k-variété est dite intègre si elle est irréductible et réduite. On note alors k(X)𝑘𝑋k(X) son corps des fonctions. Une k𝑘k-variété est dite géométriquement intègre si la k¯¯𝑘{\overline{k}}-variété X×kk¯subscript𝑘𝑋¯𝑘X\times_{k}{\overline{k}} est intègre. Une k𝑘k-variété géométriquement intègre possède un ouvert de Zariski non vide qui est lisse sur k𝑘k. Si k𝑘k est un corps de caractéristique zéro, une k𝑘k-variété intègre X𝑋X est géométriquement intègre si et seulement si le corps k𝑘k est algébriquement fermé dans le corps k(X)𝑘𝑋k(X).

Pour la cohomologie galoisienne, et en particulier le groupe de Brauer d’un corps, le lecteur consultera Serre ([65]). En plusieurs endroits on fera libre usage de la notion de dimension cohomologique d’un corps.

En quelques endroits on fera aussi usage de certaines propriétés du groupe de Brauer d’un schéma. Le lecteur se reportera aux exposés de Grothendieck ([36]).

Lemme 2.1.

(Nishimura, Lang) Soient k𝑘k un corps, Z𝑍Z une k𝑘k-variété régulière connexe et Y𝑌Y une k𝑘k-variété propre. Si l’on a Z(k)𝑍𝑘Z(k)\neq\emptyset et s’il existe une k𝑘k-application rationnelle de Z𝑍Z vers Y𝑌Y, alors Y(k)𝑌𝑘Y(k)\neq\emptyset.

Lemme 2.2.

Soient k𝑘k un corps, Z/k𝑍𝑘Z/k une k𝑘k-variété géométriquement intègre et Y/k𝑌𝑘Y/k une k𝑘k-variété lisse connexe. S’il existe un k𝑘k-morphisme ZY𝑍𝑌Z\to Y alors la k𝑘k-variété Y𝑌Y est géométriquement intègre.

Démonstration.

La k𝑘k-variété lisse Y𝑌Y est géométriquement intègre si et seulement si Ykssubscript𝑌subscript𝑘𝑠Y_{k_{s}} est irréductible. Supposons qu’elle ne le soit pas. On dispose alors du kssubscript𝑘𝑠k_{s}-morphisme ZksYkssubscript𝑍subscript𝑘𝑠subscript𝑌subscript𝑘𝑠Z_{k_{s}}\to Y_{k_{s}}. Le groupe de Galois de kssubscript𝑘𝑠k_{s} sur k𝑘k permute les composantes de Ykssubscript𝑌subscript𝑘𝑠Y_{k_{s}}. L’image de Zkssubscript𝑍subscript𝑘𝑠Z_{k_{s}} doit se trouver dans chaque composante de Ykssubscript𝑌subscript𝑘𝑠Y_{k_{s}}. Comme Ykssubscript𝑌subscript𝑘𝑠Y_{k_{s}} est lisse, ces composantes ne se rencontrent pas. Donc Ykssubscript𝑌subscript𝑘𝑠Y_{k_{s}} n’a qu’une seule composante. ∎


Remarque 2.3. Comme l’observe Moret-Bailly, cet énoncé est une conséquence de deux résultats généraux. Soit ZY𝑍𝑌Z\to Y un k𝑘k-morphisme de k𝑘k-variétés. Si Z𝑍Z est géométriquement connexe et Y𝑌Y connexe, alors Y𝑌Y est géométriquement connexe. Par ailleurs, si Y𝑌Y est normal et géométriquement connexe, alors Y𝑌Y est géométriquement irréductible.


Obstruction élémentaire

Soient k𝑘k un corps, kssubscript𝑘𝑠k_{s} une clôture séparable de k𝑘k, 𝒢=Gal(ks/k)𝒢Galsubscript𝑘𝑠𝑘\mathcal{G}={\rm Gal}(k_{s}/k) le groupe de Galois absolu. Soit X𝑋X une k𝑘k-variété lisse géométriquement intègre. L’inclusion naturelle de groupes multiplicatifs ks×ks(X)×superscriptsubscript𝑘𝑠subscript𝑘𝑠superscript𝑋k_{s}^{\times}\to k_{s}(X)^{\times} définit une suite exacte

1ks×ks(X)×ks(X)×/ks×1.1superscriptsubscript𝑘𝑠subscript𝑘𝑠superscript𝑋subscript𝑘𝑠superscript𝑋superscriptsubscript𝑘𝑠11\to k_{s}^{\times}\to k_{s}(X)^{\times}\to k_{s}(X)^{\times}/k_{s}^{\times}\to 1.

La classe e(X)𝑒𝑋e(X) de l’extension de modules galoisiens discrets obtenue est appelée l’obstruction élémentaire à l’existence d’un k𝑘k-point : si X𝑋X possède un k𝑘k-point, alors e(X)=0𝑒𝑋0e(X)=0 (CT-Sansuc, voir [4]). Si e(X)=0𝑒𝑋0e(X)=0, alors pour toute extension finie séparable K/k𝐾𝑘K/k, l’application naturelle de groupes de Brauer missingBrKmissingBrK(X)missing𝐵𝑟𝐾missing𝐵𝑟𝐾𝑋\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits K\to\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits K(X) est injective.


Construction de grands corps

Soit k𝑘k un corps de caractéristique zéro. Pour chaque corps K𝐾K contenant k𝑘k, donnons-nous une classe 𝒞Ksubscript𝒞𝐾{\mathcal{C}}_{K} de K𝐾K-variétés algébriques géométriquement intègres admettant un ensemble EKsubscript𝐸𝐾E_{K} de K𝐾K-variétés représentant toutes les classes de K𝐾K-isomorphie de la classe. Pour kKL𝑘𝐾𝐿k\subset K\subset L on suppose que le changement de corps de base KL𝐾𝐿K\to L envoie 𝒞Ksubscript𝒞𝐾{\mathcal{C}}_{K} dans 𝒞Lsubscript𝒞𝐿{\mathcal{C}}_{L}.

Pour tout corps K𝐾K avec kK𝑘𝐾k\subset K supposons satisfaite la condition suivante :

(Stab) Si f:XY:𝑓𝑋𝑌f:X\to Y est un K𝐾K-morphisme dominant de K𝐾K-variétés géométriquement intègres, si Y𝑌Y appartient à 𝒞Ksubscript𝒞𝐾{\mathcal{C}}_{K} et si la fibre générique de f𝑓f appartient à 𝒞K(Y)subscript𝒞𝐾𝑌{\mathcal{C}}_{K(Y)}, alors X𝑋X appartient à 𝒞Ksubscript𝒞𝐾{\mathcal{C}}_{K}.

Une construction bien connue, utilisée par Merkur’ev et Suslin (cf. [23]) permet alors de construire un plongement de corps kL𝑘𝐿k\subset L possédant les propriétés suivantes :

(i) Le corps k𝑘k est algébriquement fermé dans L𝐿L.

(ii) Le corps L𝐿L est union de corps de fonctions de k𝑘k-variétés dans 𝒞ksubscript𝒞𝑘{\mathcal{C}}_{k}.

(iii) Toute variété dans 𝒞Lsubscript𝒞𝐿{\mathcal{C}}_{L} possède un point L𝐿L-rationnel.

Le principe est le suivant : s’il existe un k𝑘k-variété X𝑋X dans 𝒞ksubscript𝒞𝑘{\mathcal{C}}_{k} qui ne possède pas de point rationnel, on remplace k𝑘k par le corps des fonctions de cette variété. Et on itère. Je renvoie à l’article de Ducros [23] pour la construction prècise, qui est reprise dans [14] et [10].

Prenons pour 𝒞Ksubscript𝒞𝐾{\mathcal{C}}_{K} la classe des K𝐾K-variétés géométriquement intègres. Rappelons qu’un corps L𝐿L est dit pseudo-algébriquement clos (PAC) si toute L𝐿L-variété géométriquement intègre sur L𝐿L possède un L𝐿L-point. La construction ci-dessus montre que tout corps k𝑘k de caractéristique zéro est algébriquement fermé dans un corps pseudo-algébriquement clos.

En prenant pour 𝒞Ksubscript𝒞𝐾{\mathcal{C}}_{K} la classe des K𝐾K-variétés birationnelles à des fibrations successives de restrictions à la Weil de variétés de Severi-Brauer, Ducros [23] montre que tout corps k𝑘k de caractéristique zéro est algébriquement fermé dans un corps L𝐿L de dimension cohomologique cd(L)1𝑐𝑑𝐿1cd(L)\leq 1.

3 Schémas au-dessus d’un anneau de valuation discrète

3.1 A𝐴A-schémas de type (R), croisements normaux, croisements normaux stricts

Soit A𝐴A un anneau de valuation discrète, K𝐾K son corps des fractions, F𝐹F son corps résiduel. Soit π𝜋\pi une uniformisante de A𝐴A.

Dans la suite de ce texte, on dira qu’un A𝐴A-schéma 𝒳𝒳{\mathcal{X}} est de type (R) s’il satisfait les conditions suivantes :

(i) Le A𝐴A-schéma 𝒳𝒳{\mathcal{X}} est propre et plat sur A𝐴A.

(ii) Le schéma 𝒳𝒳{\mathcal{X}} est connexe et régulier.

(iii) La fibre générique X=𝒳×AK=𝒳K𝑋subscript𝐴𝒳𝐾subscript𝒳𝐾X={\mathcal{X}}\times_{A}K={\mathcal{X}}_{K} est une K𝐾K-variété géométriquement intègre lisse sur F𝐹F.

On note K(X)𝐾𝑋K(X) le corps des fonctions de X𝑋X, qui est aussi celui du schéma 𝒳𝒳{{\mathcal{X}}}. On note Y=𝒳×AF=𝒳F𝑌subscript𝐴𝒳𝐹subscript𝒳𝐹Y={\mathcal{X}}\times_{A}F={\mathcal{X}}_{F} la fibre spéciale de 𝒳/A𝒳𝐴{\mathcal{X}}/A. La fibre spéciale Y𝑌Y est le F𝐹F-schéma associé au diviseur de Cartier de 𝒳𝒳{{\mathcal{X}}} défini par l’annulation de π𝜋\pi.

Comme 𝒳𝒳{\mathcal{X}} est régulier donc normal, on a une décomposition de diviseurs de Weil

Y=iniYi𝑌subscript𝑖subscript𝑛𝑖subscript𝑌𝑖Y=\sum_{i}n_{i}Y_{i}

où les Yisubscript𝑌𝑖Y_{i} sont les adhérences des points xisubscript𝑥𝑖x_{i} de codimension 1 de 𝒳𝒳{\mathcal{X}} situés sur la fibre spéciale. L’anneau local de tout tel point xisubscript𝑥𝑖x_{i} est un anneau de valuation discrète de corps des fractions K(X)𝐾𝑋K(X). Si l’on note visubscript𝑣𝑖v_{i} la valuation sur le corps K(X)𝐾𝑋K(X) associée à un tel xisubscript𝑥𝑖x_{i}, alors ni=vi(π)subscript𝑛𝑖subscript𝑣𝑖𝜋n_{i}=v_{i}(\pi).

Comme 𝒳𝒳{{\mathcal{X}}} est régulier, les Yisubscript𝑌𝑖Y_{i} sont des diviseurs de Cartier sur 𝒳𝒳{{\mathcal{X}}}. Ce sont les composantes réduites de la fibre spéciale. Ce sont des F𝐹F-variétés intègres mais non nécessairement géométriquement irréductibles ni (si le corps F𝐹F n’est pas parfait) nécessairement géométriquement réduites.

On dit que Y𝒳𝑌𝒳Y\subset{{\mathcal{X}}} est à croisements normaux si partout localement pour la topologie étale sur 𝒳𝒳{{\mathcal{X}}} l’inclusion Y𝒳𝑌𝒳Y\subset{{\mathcal{X}}} est donnée par une équation iIxinisubscriptproduct𝑖𝐼superscriptsubscript𝑥𝑖subscript𝑛𝑖\prod_{i\in I}x_{i}^{n_{i}}, où les xisubscript𝑥𝑖x_{i} font partie d’un système régulier de paramètres et les nisubscript𝑛𝑖n_{i} sont des entiers naturels.

On dit que Y𝒳𝑌𝒳Y\subset{{\mathcal{X}}} est à croisements normaux stricts si la fibre Y𝒳𝑌𝒳Y\subset{{\mathcal{X}}} est à croisements normaux et si de plus chaque composante réduite Yisubscript𝑌𝑖Y_{i} de Y𝑌Y est une F𝐹F-variété (intègre) lisse. Une telle composante n’est pas nécessairement géométriquement irréductible.

On note Ahsuperscript𝐴A^{h} le hensélisé de A𝐴A, et l’on note Ashsuperscript𝐴𝑠A^{sh} un hensélisé strict de A𝐴A. On note Khsuperscript𝐾K^{h} le corps des fractions de Ahsuperscript𝐴A^{h} et Kshsuperscript𝐾𝑠K^{sh} le corps des fractions de Ashsuperscript𝐴𝑠A^{sh}. Les inclusions AAhAsh𝐴superscript𝐴superscript𝐴𝑠A\subset A^{h}\subset A^{sh} induisent F=FFs𝐹𝐹subscript𝐹𝑠F=F\subset F_{s} sur les corps résiduels, où Fssubscript𝐹𝑠F_{s} est une clôture séparable de F𝐹F.

On note A^^𝐴\hat{A} le complété de A𝐴A. Si les corps K𝐾K et F𝐹F ont même caractéristique, alors il existe un corps de représentants de F𝐹F dans A^^𝐴\hat{A} : il existe un isomorphisme A^F[[t]]similar-to-or-equals^𝐴𝐹delimited-[]delimited-[]𝑡\hat{A}\simeq F[[t]].

3.2 Quand la fibre spéciale a une composante de multiplicité 1

Proposition 3.1.

Soit 𝒳𝒳{\mathcal{X}} un A𝐴A-schéma de type (R). Les propriétés suivantes sont équivalentes :

  • (1)

    Il existe une composante réduite Yisubscript𝑌𝑖Y_{i} dont l’ouvert de lissité est non vide et qui satisfait ni=1subscript𝑛𝑖1n_{i}=1.

  • (2)

    Il existe un ouvert U𝒳𝑈𝒳U\subset{\mathcal{X}} lisse et surjectif sur missingSpecAmissing𝑆𝑝𝑒𝑐𝐴\mathop{\mathrm{missing}}{Spec}\nolimits A.

  • (3)

    𝒳missingSpecA𝒳missing𝑆𝑝𝑒𝑐𝐴{\mathcal{X}}\to\mathop{\mathrm{missing}}{Spec}\nolimits A est localement scindé pour la topologie étale.

  • (4)

    𝒳(Ash)𝒳superscript𝐴𝑠{\mathcal{X}}(A^{sh})\neq\emptyset.

  • (5)

    X(Ksh)𝑋superscript𝐾𝑠X(K^{sh})\neq\emptyset.

  • (6)

    𝒳(Ash^)𝒳^superscript𝐴𝑠{\mathcal{X}}(\hat{A^{sh}})\neq\emptyset.

  • (7)

    X(Ksh^)𝑋^superscript𝐾𝑠X(\hat{K^{sh}})\neq\emptyset.

Démonstration.

Laissée au lecteur. ∎

Dans la situation ci-dessus, on dira que Y𝑌Y a une composante de multiplicité 1. 111La terminologie adoptée dans ce texte diffère de celle de [5].

Proposition 3.2.

(a) Soient 𝒳𝒳{\mathcal{X}} un A𝐴A-schéma lisse connexe fidèlement plat sur A𝐴A et 𝒳/Asuperscript𝒳𝐴{\mathcal{X}}^{\prime}/A un A𝐴A-schéma de type (R). S’il existe une K𝐾K-application rationnelle de X=𝒳K𝑋subscript𝒳𝐾X={\mathcal{X}}_{K} dans X=𝒳Ksuperscript𝑋subscriptsuperscript𝒳𝐾X^{\prime}={\mathcal{X}}^{\prime}_{K}, alors la fibre spéciale Ysuperscript𝑌Y^{\prime} de 𝒳/Asuperscript𝒳𝐴{\mathcal{X}}^{\prime}/A a une composante de multiplicité 1.

(b) Soient 𝒳𝒳{\mathcal{X}} et 𝒳superscript𝒳{\mathcal{X}}^{\prime} deux A𝐴A-schémas de type (R). Si les fibres génériques X=𝒳K𝑋subscript𝒳𝐾X={\mathcal{X}}_{K} et X=𝒳Ksuperscript𝑋subscriptsuperscript𝒳𝐾X^{\prime}={\mathcal{X}}^{\prime}_{K} sont K𝐾K-birationnellement équivalentes, alors la fibre spéciale Y𝑌Y de 𝒳𝒳{\mathcal{X}} a une composante de multiplicité 1 si et seulement si la fibre spéciale Ysuperscript𝑌Y^{\prime} de 𝒳superscript𝒳{\mathcal{X}}^{\prime} a une composante de multiplicité 1.

Démonstration.

Il suffit d’établir (a). L’hypothèse sur 𝒳/A𝒳𝐴{\mathcal{X}}/A et le lemme de Hensel assurent 𝒳(Ash)𝒳superscript𝐴𝑠{\mathcal{X}}(A^{sh})\neq\emptyset, donc X(Ksh)𝑋superscript𝐾𝑠X(K^{sh})\neq\emptyset. Comme la K𝐾K-variété X𝑋X est régulière et la K𝐾K-variété Xsuperscript𝑋X^{\prime} propre, d’après le lemme 2.1 l’existence d’un Kshsuperscript𝐾𝑠K^{sh}-point sur X𝑋X implique l’existence d’un Kshsuperscript𝐾𝑠K^{sh}-point sur Xsuperscript𝑋X^{\prime}. ∎


Remarque 3.3. (Wittenberg) Soient K=(u,v)𝐾𝑢𝑣K={\mathbb{C}}(u,v) le corps des fractions rationnelles à deux variables et XK2𝑋subscriptsuperscript2𝐾X\subset{\mathbb{P}}^{2}_{K} la conique lisse définie par l’équation homogène ux2+vy2=z2𝑢superscript𝑥2𝑣superscript𝑦2superscript𝑧2ux^{2}+vy^{2}=z^{2}. Pour tout anneau AK𝐴𝐾A\subset K de valuation discrète de rang 1, de corps des fractions K𝐾K, on a X(Ksh)𝑋superscript𝐾𝑠X(K^{sh})\neq\emptyset, où Kshsuperscript𝐾𝑠K^{sh} est le corps des fractions d’un hensélisé strict Ashsuperscript𝐴𝑠A^{sh} de A𝐴A. Mais si p:𝒳S:𝑝𝒳𝑆p:{\mathcal{X}}\to S est un morphisme propre et plat de variétés projectives lisses connexes de fibre générique X/K𝑋𝐾X/K, le morphisme p𝑝p n’est pas localement scindé pour la topologie étale.

3.3 Quand la fibre spéciale contient une sous-variété géométriquement intègre

Proposition 3.4.

(a) Soit 𝒳𝒳{\mathcal{X}} un A𝐴A-schéma régulier connexe fidèlement plat sur A𝐴A et soit 𝒳superscript𝒳{\mathcal{X}}^{\prime} un A𝐴A-schéma propre. Si la fibre spéciale Y/F𝑌𝐹Y/F de 𝒳/A𝒳𝐴{\mathcal{X}}/A contient une sous-F𝐹F-variété géométriquement intègre, et s’il existe une K𝐾K-application rationnelle de X=𝒳×AK𝑋subscript𝐴𝒳𝐾X={\mathcal{X}}\times_{A}K dans X=𝒳×AKsuperscript𝑋subscript𝐴superscript𝒳𝐾X^{\prime}={\mathcal{X}}^{\prime}\times_{A}K, alors la fibre spéciale Ysuperscript𝑌Y^{\prime} de 𝒳/Asuperscript𝒳𝐴{\mathcal{X}}^{\prime}/A contient une sous-F𝐹F-variété géométriquement intègre.

(b) Soient 𝒳𝒳{\mathcal{X}} et 𝒳superscript𝒳{\mathcal{X}}^{\prime} deux A𝐴A-schémas de type (R). Si les fibres génériques X=𝒳K𝑋subscript𝒳𝐾X={\mathcal{X}}_{K} et X=𝒳Ksuperscript𝑋subscriptsuperscript𝒳𝐾X^{\prime}={\mathcal{X}}^{\prime}_{K} sont K𝐾K-birationnellement équivalentes, alors la fibre spéciale Y𝑌Y contient une sous-F𝐹F-variété géométriquement intègre si et seulement si la fibre spéciale Ysuperscript𝑌Y^{\prime} contient une sous-F𝐹F-variété géométriquement intègre.

Démonstration.

Il suffit de démontrer le point (a). On peut supposer la sous-variété intègre ZY𝑍𝑌Z\subset Y fermée. Soit ZlisseZsubscript𝑍𝑙𝑖𝑠𝑠𝑒𝑍Z_{lisse}\subset Z l’ouvert de lissité de Z/F𝑍𝐹Z/F. Soit p:𝒳1𝒳:𝑝subscript𝒳1𝒳p:{\mathcal{X}}_{1}\to{\mathcal{X}} l’éclaté de 𝒳𝒳{\mathcal{X}} le long de Z𝑍Z. L’image réciproque de Zlissesubscript𝑍𝑙𝑖𝑠𝑠𝑒Z_{lisse} dans 𝒳1subscript𝒳1{\mathcal{X}}_{1} est un fibré projectif sur Zlissesubscript𝑍𝑙𝑖𝑠𝑠𝑒Z_{lisse}, qui est une F𝐹F-variété géométriquement intègre. Soit x𝑥x son point générique. C’est un point régulier de codimension 1 sur 𝒳1subscript𝒳1{\mathcal{X}}_{1}. L’application rationnelle 𝒳1𝒳subscript𝒳1superscript𝒳{\mathcal{X}}_{1}\to{\mathcal{X}}^{\prime} est donc définie au point x𝑥x. Soit x𝒳superscript𝑥superscript𝒳x^{\prime}\in{\mathcal{X}}^{\prime} son image. L’adhérence de xsuperscript𝑥x^{\prime} dans 𝒳superscript𝒳{\mathcal{X}}^{\prime} est une sous-F𝐹F-variété fermée de 𝒳superscript𝒳{\mathcal{X}}^{\prime}, munie d’une application F𝐹F-rationnelle dominante d’une F𝐹F-variété géométriquement intègre. C’est donc une F𝐹F-variété géométriquement intègre. ∎

Proposition 3.5.

Soit A𝐴A un anneau de valuation discrète de corps résiduel F𝐹F et soit 𝒳𝒳{\mathcal{X}} un A𝐴A-schéma de type (R). Supposons les composantes réduites Yisubscript𝑌𝑖Y_{i} lisses sur F𝐹F. Les propriétés suivantes sont équivalentes :

  • (1)

    La fibre spéciale Y𝑌Y contient une sous-F𝐹F-variété géométriquement intègre.

  • (2)

    Il existe une F𝐹F-variété géométriquement intègre Z𝑍Z et un F𝐹F-morphisme ZY𝑍𝑌Z\to Y.

  • (3)

    Il existe une composante réduite Yisubscript𝑌𝑖Y_{i} de Y𝑌Y qui est géométriquement intègre.

Si de plus car(F)=0𝑐𝑎𝑟𝐹0car(F)=0, ces propriétés sont équivalentes aux propriétés suivantes :

  • (4)

    Il existe une extension locale d’anneaux de valuation discrète AB𝐴𝐵A\subset B telle que le corps résiduel F=FA𝐹subscript𝐹𝐴F=F_{A} de A𝐴A soit algébriquement fermé dans le corps résiduel FBsubscript𝐹𝐵F_{B} de B𝐵B, et que l’on ait X(K(B))=𝒳(B)𝑋𝐾𝐵𝒳𝐵X(K(B))={\mathcal{X}}(B)\neq\emptyset.

  • (5)

    Si FE𝐹𝐸F\hookrightarrow E est un plongement de F𝐹F dans un corps pseudo-algébriquement clos E𝐸E dans lequel F𝐹F est algébriquement fermé, et si A^=F[[t]]^𝐴𝐹delimited-[]delimited-[]𝑡\hat{A}=F[[t]], il existe une extension finie totalement ramifiée L/E((t))𝐿𝐸𝑡L/E((t)) avec X(L)𝑋𝐿X(L)\neq\emptyset.

Démonstration.

Soit f:ZY:𝑓𝑍𝑌f:Z\to Y comme en (2). Une telle application se factorise par au moins un morphisme ZYi𝑍subscript𝑌𝑖Z\to Y_{i} pour i𝑖i convenable, et le lemme 2.2 montre que Yisubscript𝑌𝑖Y_{i} est alors géométriquement intègre, on a donc (3). Les autres implications entre (1), (2) et (3) sont évidentes. L’énoncé (5) implique trivialement (4), et (4) implique (5) comme l’on voit en passant aux complétés et en remplaçant B^FB[[u]]similar-to-or-equals^𝐵subscript𝐹𝐵delimited-[]delimited-[]𝑢\hat{B}\simeq F_{B}[[u]] dans E[[u]]𝐸delimited-[]delimited-[]𝑢E[[u]], où FBEsubscript𝐹𝐵𝐸F_{B}\hookrightarrow E est un plongement du corps résiduel FBsubscript𝐹𝐵F_{B} dans un corps pseudo-algébriquement clos E𝐸E dans lequel FBsubscript𝐹𝐵F_{B} et donc aussi FAsubscript𝐹𝐴F_{A} est algébriquement fermé. De (4) on déduit l’existence d’un F𝐹F-morphisme missingSpecFBYmissing𝑆𝑝𝑒𝑐subscript𝐹𝐵𝑌\mathop{\mathrm{missing}}{Spec}\nolimits F_{B}\to Y, ce qui implique l’énoncé (2). Soit YiYsubscript𝑌𝑖𝑌Y_{i}\subset Y une composante comme en (3). Soit B𝐵B l’anneau local du point générique de Yisubscript𝑌𝑖Y_{i} sur 𝒳𝒳{\mathcal{X}}. L’inclusion AB𝐴𝐵A\subset B satisfait (4). ∎

Dans la situation ci-dessus, on dira que la fibre spéciale Y/F𝑌𝐹Y/F a une composante (réduite) géométriquement intègre.


Des deux propositions précédentes il résulte :

Proposition 3.6.

Soient 𝒳𝒳{\mathcal{X}} et 𝒳superscript𝒳{\mathcal{X}}^{\prime} deux A𝐴A-schémas de type(R), de fibres spéciales respectives Y𝑌Y et Ysuperscript𝑌Y^{\prime}. Supposons les composantes réduites de Y𝑌Y et Ysuperscript𝑌Y^{\prime} lisses sur F𝐹F. S’il existe une application K𝐾K-rationnelle de X=𝒳K𝑋subscript𝒳𝐾X={\mathcal{X}}_{K} vers X=𝒳Ksuperscript𝑋subscriptsuperscript𝒳𝐾X^{\prime}={\mathcal{X}}^{\prime}_{K}, et si Y𝑌Y a une composante géométriquement intègre, alors Ysuperscript𝑌Y^{\prime} a une composante géométriquement intègre.


Remarque 3.7. On trouvera dans l’article [24] de Ducros de nombreux compléments et extensions des énoncés ci-dessus.

3.4 Quand la fibre spéciale a une composante géométriquement intègre de multiplicité 1

Proposition 3.8.

Soit A𝐴A un anneau de valuation discrète de corps résiduel F𝐹F et soit 𝒳𝒳{\mathcal{X}} un A𝐴A-schéma de type (R). Les propriétés suivantes sont équivalentes :

  • (1)

    Il existe une composante réduite Yisubscript𝑌𝑖Y_{i} qui est géométriquement intègre et pour laquelle ni=1subscript𝑛𝑖1n_{i}=1.

  • (2)

    Il existe un ouvert U𝒳𝑈𝒳U\subset{\mathcal{X}} non vide lisse, surjectif sur missingSpecAmissing𝑆𝑝𝑒𝑐𝐴\mathop{\mathrm{missing}}{Spec}\nolimits A et à fibres géométriquement intègres.

Pour F𝐹F de caractéristique zéro, ces propriétés sont équivalentes aux propriétés suivantes :

  • (3)

    Il existe une extension non ramifiée d’anneaux de valuation discrète AB𝐴𝐵A\subset B telle que F𝐹F soit algébriquement fermé dans le corps résiduel de B𝐵B et que X(K(B))=𝒳(B)𝑋𝐾𝐵𝒳𝐵X(K(B))={\mathcal{X}}(B)\neq\emptyset.

  • (4)

    Si FE𝐹𝐸F\hookrightarrow E est un plongement de F𝐹F dans un corps pseudo-algébriquement clos E𝐸E dans lequel F𝐹F est algébriquement fermé, et si A^=F[[t]]^𝐴𝐹delimited-[]delimited-[]𝑡\hat{A}=F[[t]], on a X(E((t)))𝑋𝐸𝑡X(E((t)))\neq\emptyset.

L’existence d’une composante comme en (1) est une condition nécessaire pour l’existence d’un K𝐾K-point sur X𝑋X.

Démonstration.

L’équivalence de (1) et (2) est claire. L’équivalence de (3) et (4) est aussi claire. Pour l’équivalence entre (1) et (2) d’une part et (3) et (4) d’autre part, et pour la démonstration de la dernière assertion, voir [13], fin de l’argument p. 745. ∎

Dans la situation ci-dessus, on dira que Y𝑌Y a une composante géométriquement intègre de multiplicité 1.

Proposition 3.9.

Supposons F𝐹F de caractéristique zéro.

(a) Soit 𝒳/A𝒳𝐴{\mathcal{X}}/A un A𝐴A-schéma connexe lisse et surjectif sur missingSpecAmissing𝑆𝑝𝑒𝑐𝐴\mathop{\mathrm{missing}}{Spec}\nolimits A, à fibres géométriquement intègres. Soit 𝒳/Asuperscript𝒳𝐴{\mathcal{X}}^{\prime}/A un A𝐴A-schéma de type (R). S’il existe une application K𝐾K-rationnelle de X=𝒳K𝑋subscript𝒳𝐾X={\mathcal{X}}_{K} vers X=𝒳Ksuperscript𝑋subscriptsuperscript𝒳𝐾X^{\prime}={\mathcal{X}}^{\prime}_{K}, alors il existe un ouvert U𝒳𝑈superscript𝒳U\subset{\mathcal{X}}^{\prime} tel que le morphisme induit UmissingSpecA𝑈missing𝑆𝑝𝑒𝑐𝐴U\to\mathop{\mathrm{missing}}{Spec}\nolimits A soit lisse et surjectif.

(b) Soient 𝒳𝒳{\mathcal{X}} et 𝒳superscript𝒳{\mathcal{X}}^{\prime} deux A𝐴A-schémas de type (R). Si les fibres génériques X=𝒳K𝑋subscript𝒳𝐾X={\mathcal{X}}_{K} et X=𝒳Ksuperscript𝑋subscriptsuperscript𝒳𝐾X^{\prime}={\mathcal{X}}^{\prime}_{K} sont K𝐾K-birationnellement équivalentes, alors la fibre spéciale Y𝑌Y a une composante géométriquement intègre de multiplicité 1 si et seulement si la fibre spéciale Ysuperscript𝑌Y^{\prime} a une composante géométriquement intègre de multiplicité 1.

Démonstration.

Cela résulte immédiatement du lemme 2.1 et de la caractérisation (3) dans la proposition 3.8. ∎

Question 3.10.

Soit k𝑘k un corps de caractéristique zéro, K𝐾K un corps de type fini sur k𝑘k, X𝑋X une K𝐾K-variété projective, lisse, géométriquement intègre. Supposons que pour tout anneau de valuation discrète de rang un A𝐴A contenant k𝑘k et de corps des fractions K𝐾K il existe un A𝐴A-modèle de type (R) de X/K𝑋𝐾X/K dont la fibre spéciale contient une composante géométriquement intègre de multiplicité 1. Existe-t-il un k𝑘k-morphisme 𝒳B𝒳𝐵{\mathcal{X}}\to B de k𝑘k-variétés projectives, lisses, géométriquement intègres satisfaisant les propriétés suivantes :

(a) le corps des fonctions k(B)𝑘𝐵k(B) de B𝐵B est K𝐾K;

(b) la fibre générique de 𝒳B𝒳𝐵{\mathcal{X}}\to B est K𝐾K-isomorphe à X𝑋X;

(c) il existe un ouvert U𝒳𝑈𝒳U\subset{\mathcal{X}} tel que le morphisme induit UB𝑈𝐵U\to B soit lisse surjectif (fidèlement plat) et à fibres géométriquement intègres.

On comparera cette question avec la remarque 3.2.


Remarque 3.11. On exhibe facilement un morphisme 𝒳Y=2𝒳𝑌subscriptsuperscript2{\mathcal{X}}\to Y={\mathbb{P}}^{2}_{{\mathbb{Q}}} de {\mathbb{Q}}-variétés projectives, lisses, géométriquement intègres, de fibre générique une quadrique de dimension 2, tel que la fibre en tout point de codimension 1 de Y𝑌Y soit géométriquement intègre sans que pour autant l’hypothèse dans la question ci-dessus soit satisfaite (désingulariser l’exemple de la remarque 13.1).

3.5 Un exemple : quadriques

Discutons le cas des modèles de quadriques de dimension au moins 1. Supposons 2A×2superscript𝐴2\in A^{\times}. Soit v𝑣v la valuation de A𝐴A. Une quadrique lisse dans Knsubscriptsuperscript𝑛𝐾{\mathbb{P}}^{n}_{K} (n2𝑛2n\geq 2) peut être définie par une forme quadratique diagonale sur K𝐾K.

Considérons le cas des coniques. En chassant les dénominateurs et en poussant les carrés dans les variables, on voit que l’équation définissant la quadrique dans K2subscriptsuperscript2𝐾{\mathbb{P}}^{2}_{K} peut s’écrire

a0T02+a1T12+a2T22=0subscript𝑎0superscriptsubscript𝑇02subscript𝑎1superscriptsubscript𝑇12subscript𝑎2superscriptsubscript𝑇220a_{0}T_{0}^{2}+a_{1}T_{1}^{2}+a_{2}T_{2}^{2}=0

avec a0,a1A×subscript𝑎0subscript𝑎1superscript𝐴a_{0},a_{1}\in A^{\times} et v(a2)=0𝑣subscript𝑎20v(a_{2})=0 ou v(a2)=1𝑣subscript𝑎21v(a_{2})=1. Cette équation définit un modèle régulier 𝒳A2𝒳subscriptsuperscript2𝐴{\mathcal{X}}\subset{\mathbb{P}}^{2}_{A}, et la fibre spéciale Y𝒳𝑌𝒳Y\subset{\mathcal{X}} est à croisements normaux.

Si v(a2)=0𝑣subscript𝑎20v(a_{2})=0, alors la fibre spéciale Y/F𝑌𝐹Y/F est une conique lisse, en particulier géométriquement intègre, et Y𝒳𝑌𝒳Y\subset{\mathcal{X}} est à croisements normaux stricts.

Si v(a2)=1𝑣subscript𝑎21v(a_{2})=1, la fibre spéciale Y𝑌Y possède un F𝐹F-point rationnel évident, PY(F)𝑃𝑌𝐹P\in Y(F), donné par T0=T1=0subscript𝑇0subscript𝑇10T_{0}=T_{1}=0.

Si v(a2)=1𝑣subscript𝑎21v(a_{2})=1 et si la classe de a0.a1formulae-sequencesubscript𝑎0subscript𝑎1-a_{0}.a_{1} dans F𝐹F est un carré, la fibre spéciale se décompose sous la forme

Y=Y1+Y2𝑌subscript𝑌1subscript𝑌2Y=Y_{1}+Y_{2}

avec chaque YiF1similar-to-or-equalssubscript𝑌𝑖subscriptsuperscript1𝐹Y_{i}\simeq{\mathbb{P}}^{1}_{F}. Dans ce cas Y𝒳𝑌𝒳Y\subset{\mathcal{X}} est à croisements normaux stricts.

Si v(a2)=1𝑣subscript𝑎21v(a_{2})=1 et si la classe de a0.a1formulae-sequencesubscript𝑎0subscript𝑎1-a_{0}.a_{1} dans F𝐹F n’est pas un carré, alors la fibre spéciale Y/F𝑌𝐹Y/F est intègre, mais se décompose sur une extension quadratique de F𝐹F en deux droites conjuguées se rencontrant en P𝑃P, donc Y𝑌Y n’est pas lisse, Y𝒳𝑌𝒳Y\subset{\mathcal{X}} n’est pas à croisements normaux stricts. Si l’on éclate le point rationnel singulier P𝑃P sur 𝒳𝒳{\mathcal{X}}, on obtient un modèle 𝒳/Asuperscript𝒳𝐴{\mathcal{X}}^{\prime}/A dont la fibre spéciale Ysuperscript𝑌Y^{\prime} se décompose sous la forme

Y=Y0+2E,superscript𝑌subscriptsuperscript𝑌02𝐸Y^{\prime}=Y^{\prime}_{0}+2E,

E𝒳𝐸𝒳E\subset{\mathcal{X}} est le diviseur exceptionnel introduit par l’éclatement. La F𝐹F-courbe Y0subscriptsuperscript𝑌0Y^{\prime}_{0} est intègre, elle se décompose sur une extension quadratique de F𝐹F en la somme de deux droites conjuguées ne se rencontrant pas, et rencontrant E𝐸E transversalement. Donc Y0subscriptsuperscript𝑌0Y^{\prime}_{0} est lisse, et Y𝒳superscript𝑌superscript𝒳Y^{\prime}\subset{\mathcal{X}}^{\prime} est à croisements normaux stricts.

En résumé, pour toute conique lisse sur K𝐾K, on a les propriétés suivantes.

(a) Il existe un modèle régulier 𝒳𝒳{\mathcal{X}} avec Y𝒳𝑌𝒳Y\subset{\mathcal{X}} à croisements normaux dont au moins une composante a multiplicité 1 et admet un ouvert non vide lisse sur F𝐹F, mais n’est pas nécessairement géométriquement intègre.

(b) Il existe un modèle régulier 𝒳𝒳{\mathcal{X}} avec Y𝒳𝑌𝒳Y\subset{\mathcal{X}} à croisements normaux dont la fibre spéciale contient une sous-F𝐹F-variété géométriquement intègre.

(c) Il existe un modèle régulier 𝒳𝒳{\mathcal{X}} avec Y𝒳𝑌𝒳Y\subset{\mathcal{X}} à croisements normaux stricts dont une composante est géométriquement intègre (mais pas nécessairement de multiplicité 1). D’après les paragraphes 3.2 et 3.3 les propriétés (a) et (b) valent pour tout A𝐴A-modèle de type (R) et la propriété (c) vaut pour tout A𝐴A-modèle dont la fibre spéciale est à croisements normaux stricts.


Considérons le cas des quadriques de dimension au moins 3. On peut définir une telle quadrique dans Knsubscriptsuperscript𝑛𝐾{\mathbb{P}}^{n}_{K} (n4)n\geq 4) par une équation

i=0naiTi2=0,superscriptsubscript𝑖0𝑛subscript𝑎𝑖superscriptsubscript𝑇𝑖20\sum_{i=0}^{n}a_{i}T_{i}^{2}=0,

avec aiA×subscript𝑎𝑖superscript𝐴a_{i}\in A^{\times}. Dans Ansubscriptsuperscript𝑛𝐴{\mathbb{P}}^{n}_{A}, cette équation définit un modèle intègre, normal et propre sur A𝐴A. La fibre spéciale Y/F𝑌𝐹Y/F est géométriquement intègre (et en particulier de multiplicité 1). D’après le paragraphe 3.4 cette propriété vaut alors pour tout A𝐴A-modèle de type (R).

4 Groupe de Brauer des schémas au-dessus d’un anneau de valuation discrète

Pour les démonstrations des résultats énoncés dans ce paragraphe, le lecteur se reportera aux exposés de Grothendieck [36].

Dans cette section, la cohomologie employée est la cohomologie étale, qui sur un corps est la cohomologie galoisienne du corps (c’estt-à-dire de son groupe de Galois absolu).

Soit A𝐴A un anneau de valuation discrète de corps des fractions K𝐾K et de corps résiduel F𝐹F parfait. On dispose alors d’une application résidu

A:missingBrKH1(F,/):subscript𝐴missing𝐵𝑟𝐾superscript𝐻1𝐹\partial_{A}:\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits K\to H^{1}(F,{\mathbb{Q}}/{\mathbb{Z}})

envoyant le groupe de Brauer de K𝐾K dans le groupe des caractères du groupe de Galois absolu de F𝐹F. Plus précisément, on a une suite exacte

0missingBrAmissingBrKH1(F,/).0missing𝐵𝑟𝐴missing𝐵𝑟𝐾superscript𝐻1𝐹0\to\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits A\to\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits K\to H^{1}(F,{\mathbb{Q}}/{\mathbb{Z}}).

La flèche de droite est surjective sur la torsion première à la caractéristique de F𝐹F.

Lorsque A𝐴A est hensélien, la flèche naturelle missingBrAmissingBrFmissing𝐵𝑟𝐴missing𝐵𝑟𝐹\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits A\to\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits F est un isomorphisme. Si de plus F𝐹F est de dimension cohomologique 1absent1\leq 1, alors missingBrA=0missing𝐵𝑟𝐴0\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits A=0 et missingBrKH1(F,/)similar-to-or-equalsmissing𝐵𝑟𝐾superscript𝐻1𝐹\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits K\simeq H^{1}(F,{\mathbb{Q}}/{\mathbb{Z}}).

Soit AB𝐴𝐵A\hookrightarrow B un homomorphisme local d’anneaux de valuation discrète à corps résiduels parfaits. Soit KL𝐾𝐿K\subset L l’inclusion de corps de fractions correspondante. Soit e𝑒e l’indice de ramification de B𝐵B sur A𝐴A, c’est-à-dire la valuation dans B𝐵B de l’image d’une uniformisante de A𝐴A. Soit FAFBsubscript𝐹𝐴subscript𝐹𝐵F_{A}\hookrightarrow F_{B} l’inclusion des corps résiduels. On a alors le diagramme commutatif suivant :

missingBrKAH1(FA,/)ResK,LeB/A.ResFA,FBmissingBrLBH1(FB,/).missing𝐵𝑟𝐾superscriptsubscript𝐴superscript𝐻1subscript𝐹𝐴missing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionabsentsubscriptRes𝐾𝐿missing-subexpressionformulae-sequenceabsentsubscript𝑒𝐵𝐴subscriptRessubscript𝐹𝐴subscript𝐹𝐵missing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing𝐵𝑟𝐿superscriptsubscript𝐵superscript𝐻1subscript𝐹𝐵missing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpression\begin{array}[]{cccccccccccccccccccccccccccccc}\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits K&\buildrel{\partial_{A}}\over{\longrightarrow}&H^{1}(F_{A},{{\mathbb{Q}}}/{{\mathbb{Z}}})\cr\hskip 22.76219pt\downarrow{}{{\rm Res}_{K,L}}&&\downarrow{}{e_{B/A}.{\rm Res}_{F_{A},F_{B}}}\cr\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits L&\buildrel{\partial_{B}}\over{\longrightarrow}&H^{1}(F_{B},{{\mathbb{Q}}}/{{\mathbb{Z}}}).\cr\end{array}

Soit FBFBsubscriptsuperscript𝐹𝐵subscript𝐹𝐵F^{\prime}_{B}\subset F_{B} la fermeture algébrique de FAsubscript𝐹𝐴F_{A} dans FBsubscript𝐹𝐵F_{B}. Le noyau de

eB/A.ResFA,FB:H1(FA,/)H1(FB,/)e_{B/A}.{\rm Res}_{F_{A},F_{B}}:H^{1}(F_{A},{\mathbb{Q}}/{\mathbb{Z}})\to H^{1}(F_{B},{\mathbb{Q}}/{\mathbb{Z}})

s’identifie au noyau de

eB/A.ResFA,FB:H1(FA,/)H1(FB,/)e_{B/A}.{\rm Res}_{F_{A},F_{B}}:H^{1}(F_{A},{\mathbb{Q}}/{\mathbb{Z}})\to H^{1}(F^{\prime}_{B},{\mathbb{Q}}/{\mathbb{Z}})

Soit A𝐴A un anneau de valuation discrète de corps des fractions K𝐾K de corps résiduel un corps F𝐹F de caractéristique zéro. Soit 𝒳𝒳{\mathcal{X}} un A𝐴A-schéma de type (R). Soit X/K𝑋𝐾X/K la fibre générique. Soit Y=ieiYi𝑌subscript𝑖subscript𝑒𝑖subscript𝑌𝑖Y=\sum_{i}e_{i}Y_{i} la décomposition de la fibre spéciale Y𝑌Y en diviseurs intègres. Soit Fisubscript𝐹𝑖F_{i} la fermeture algébrique de F𝐹F dans F(Yi)𝐹subscript𝑌𝑖F(Y_{i}).

Comme les schémas intègres 𝒳𝒳{\mathcal{X}} et X𝑋X sont réguliers, les applications de restriction missingBr𝒳missingBrXmissingBrK(X)missing𝐵𝑟𝒳missing𝐵𝑟𝑋missing𝐵𝑟𝐾𝑋\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits{\mathcal{X}}\to\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits X\to\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits K(X) sont injectives. On dispose alors du diagramme commutatif de suites exactes

0missingBrAmissingBrKAH1(F,/)ei.ResF,F(Yi)0missingBr𝒳missingBrXiiiH1(F(Yi),/).0missing𝐵𝑟𝐴missing𝐵𝑟𝐾superscriptsubscript𝐴superscript𝐻1𝐹missing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionformulae-sequenceabsentsubscript𝑒𝑖subscriptRes𝐹𝐹subscript𝑌𝑖missing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpression0missing𝐵𝑟𝒳missing𝐵𝑟𝑋superscriptsubscriptdirect-sum𝑖subscript𝑖subscriptdirect-sum𝑖superscript𝐻1𝐹subscript𝑌𝑖missing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpressionmissing-subexpression\begin{array}[]{ccccccccccccccccccccccccccccccccccccccccccccccccccc}0&\to&\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits A&\to&\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits K&\buildrel{\partial_{A}}\over{\longrightarrow}&H^{1}(F,{{\mathbb{Q}}}/{{\mathbb{Z}}})\cr&&\downarrow&&\downarrow{}{}&&\downarrow{}{e_{i}.{\rm Res}_{F,F(Y_{i})}}\cr 0&\to&\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits{\mathcal{X}}&\to&\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits X&\buildrel\oplus_{i}{\partial_{i}}\over{\longrightarrow}&\oplus_{i}H^{1}(F(Y_{i}),{\mathbb{Q}}/{\mathbb{Z}}).\cr\end{array}

et de la suite exacte qui s’en déduit

0missingKer[missingBrAmissingBrK(X)]missingKer[missingBrKmissingBrK(X)]0missing𝐾𝑒𝑟delimited-[]missing𝐵𝑟𝐴missing𝐵𝑟𝐾𝑋missing𝐾𝑒𝑟delimited-[]missing𝐵𝑟𝐾missing𝐵𝑟𝐾𝑋absent0\to\mathop{\mathrm{missing}}{Ker}\nolimits[\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits A\to\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits K(X)]\to\mathop{\mathrm{missing}}{Ker}\nolimits[\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits K\to\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits K(X)]\to\hfill
missingKer[H1(F,/)iei.ResF,FiiH1(Fi,/)]missing𝐾𝑒𝑟delimited-[]superscriptformulae-sequencesubscriptdirect-sum𝑖subscript𝑒𝑖subscriptRes𝐹subscript𝐹𝑖superscript𝐻1𝐹subscriptdirect-sum𝑖superscript𝐻1subscript𝐹𝑖\hskip 142.26378pt\mathop{\mathrm{missing}}{Ker}\nolimits[H^{1}(F,{{\mathbb{Q}}}/{{\mathbb{Z}}})\buildrel\oplus_{i}e_{i}.{\rm Res}_{F,F_{i}}\over{\longrightarrow}\oplus_{i}H^{1}(F_{i},{\mathbb{Q}}/{\mathbb{Z}})]
Proposition 4.1.

Soit A𝐴A un anneau de valuation discrète hensélien à corps résiduel F𝐹F de caractéristique zéro et de dimension cohomologique au plus 1. Soit 𝒳𝒳{\mathcal{X}} un A𝐴A-schéma de type (R), de fibre générique X𝑋X. Avec les notations ci-dessus, les deux propriétés suivantes sont équivalentes :

(i) L’application missingBrKmissingBrX/missingBr𝒳missing𝐵𝑟𝐾missing𝐵𝑟𝑋missing𝐵𝑟𝒳\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits K\to\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits X/\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits{\mathcal{X}} est injective.

(ii) L’application H1(F,/)iei.ResF,FiiH1(Fi,/)superscriptformulae-sequencesubscriptdirect-sum𝑖subscript𝑒𝑖subscriptRes𝐹subscript𝐹𝑖superscript𝐻1𝐹subscriptdirect-sum𝑖superscript𝐻1subscript𝐹𝑖H^{1}(F,{{\mathbb{Q}}}/{{\mathbb{Z}}})\buildrel\oplus_{i}e_{i}.{\rm Res}_{F,F_{i}}\over{\longrightarrow}\oplus_{i}H^{1}(F_{i},{\mathbb{Q}}/{\mathbb{Z}}) est injective.

En particulier, si la fibre spéciale Y𝑌Y possède une composante géométriquement intègre de multiplicité 1, ou plus généralement si le pgcd des entiers ei.[Fi:F]e_{i}.[F_{i}:F] est égal à 1, alors missingBrKmissingBrX/missingBr𝒳missing𝐵𝑟𝐾missing𝐵𝑟𝑋missing𝐵𝑟𝒳\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits K\to\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits X/\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits{\mathcal{X}} est injective, et il en est donc de même de missingBrKmissingBrXmissing𝐵𝑟𝐾missing𝐵𝑟𝑋\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits K\to\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits X et de missingBrKmissingBrK(X)missing𝐵𝑟𝐾missing𝐵𝑟𝐾𝑋\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits K\to\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits K(X).

Je renvoie à [15] pour une discussion du cas où le corps résiduel F𝐹F est fini.

5 Corps Cisubscript𝐶𝑖C_{i}

Théorème 5.1.

(Tsen, 1933) Soit F𝐹F un corps algébriquement clos et K=F(C)𝐾𝐹𝐶K=F(C) un corps de fonctions d’une variable sur F𝐹F. Soit XKn𝑋subscriptsuperscript𝑛𝐾X\subset{\mathbb{P}}^{n}_{K} une hypersurface de degré d𝑑d. Si l’on a nd𝑛𝑑n\geq d, alors X(K)𝑋𝐾X(K)\neq\emptyset.

On notera que l’on ne fait aucune hypothèse sur X𝑋X, qui peut être réductible.

Le cas des coniques (d=2,n=2formulae-sequence𝑑2𝑛2d=2,n=2) avait été établi par Max Noether par une méthode géométrique.

Soit i0𝑖0i\geq 0 un entier. On dit qu’un corps K𝐾K possède la propriété Cisubscript𝐶𝑖C_{i} si toute forme à coefficients dans K𝐾K, de degré d𝑑d en n+1>di𝑛1superscript𝑑𝑖n+1>d^{i} variables a un zéro non trivial sur K𝐾K. On dit qu’un corps K𝐾K possède la propriété Cisubscriptsuperscript𝐶𝑖C^{\prime}_{i} si pour toute famille finie de formes {Φj(X0,,Xn)}j=1,,rsubscriptsubscriptΦ𝑗subscript𝑋0subscript𝑋𝑛𝑗1𝑟\{\Phi_{j}(X_{0},\dots,X_{n})\}_{j=1,\dots,r} de degrés respectifs d1,,drsubscript𝑑1subscript𝑑𝑟d_{1},\dots,d_{r} avec n+1>j=1rdji𝑛1superscriptsubscript𝑗1𝑟superscriptsubscript𝑑𝑗𝑖n+1>\sum_{j=1}^{r}d_{j}^{i} il existe un zéro commun non trivial sur K𝐾K.

La propriété Cisubscript𝐶𝑖C_{i} implique la propriété ci-dessus pour un système de formes {Φj}subscriptΦ𝑗\{\Phi_{j}\} lorsque tous les degrés djsubscript𝑑𝑗d_{j} sont égaux (Artin, Lang, Nagata). On ne sait pas si en général Cisubscript𝐶𝑖C_{i} implique Cisubscriptsuperscript𝐶𝑖C^{\prime}_{i} (voir [63]).

Un corps est algébriquement clos si et seulement si il est C0subscript𝐶0C_{0}. Le théorème de Tsen dit qu’un corps de fonctions d’une variable sur un corps algébriquement clos est un corps C1subscript𝐶1C_{1}. Dans sa thèse, suivant des suggestions d’E. Artin, S. Lang généralisa le théorème de Tsen. Son résultat, pour lequel on trouve quelques antécédents dans les textes des géomètres algébristes italiens, fut complété par Nagata. Le résultat général est le suivant.

Théorème 5.2.

(Lang, Nagata) [54] Soit K𝐾K un corps Cisubscript𝐶𝑖C_{i}. Toute extension algébrique de K𝐾K est un corps Cisubscript𝐶𝑖C_{i}. Le corps des fractions rationnelles en une variable K(t)𝐾𝑡K(t) est Ci+1subscript𝐶𝑖1C_{i+1}. De façon générale, toute extension de degré de transcendance n𝑛n de K𝐾K est un corps Ci+nsubscript𝐶𝑖𝑛C_{i+n}.

Lang établit aussi le théorème suivant.

Théorème 5.3.

(Lang) [54] Soit A𝐴A un anneau de valuation discrète hensélien de corps des fractions K𝐾K et de corps résiduel F𝐹F. Soit K^^𝐾\hat{K} le complété de K𝐾K. Supposons K^^𝐾\hat{K} séparable sur K𝐾K. Si F𝐹F est algébriquement clos, alors K𝐾K est un corps C1subscript𝐶1C_{1}.

En particulier l’extension maximale non ramifiée pnrsuperscriptsubscript𝑝𝑛𝑟{\mathbb{Q}}_{p}^{nr} du corps p𝑝p-adique psubscript𝑝{\mathbb{Q}}_{p} est un corps C1subscript𝐶1C_{1}.

Dans la situation considérée au paragraphe 3 (voir la Proposition 3.1), si l’on suppose le corps résiduel F𝐹F de A𝐴A parfait, ce théorème assure que la fibre spéciale d’une hypersurface de degré d𝑑d dans Knsubscriptsuperscript𝑛𝐾{\mathbb{P}}^{n}_{K} avec nd𝑛𝑑n\geq d possède une composante de multiplicité 1.

Théorème 5.4.

(Greenberg)[35] Si F𝐹F est un corps Cisubscript𝐶𝑖C_{i} alors K=F((t))𝐾𝐹𝑡K=F((t)) est un corps Ci+1subscript𝐶𝑖1C_{i+1}.

Ce théorème ne s’étend pas dans une situation d’inégale caractéristique : les corps p𝑝p-adiques ne sont pas C2subscript𝐶2C_{2} (Terjanian). Ils ne sont en fait Cisubscript𝐶𝑖C_{i} pour aucun i𝑖i (Arkhipov et Karatsuba).

Le théorème de Tsen est souvent mis en parallèle avec l’énoncé suivant, qui implique que les corps finis sont des corps C1subscript𝐶1C_{1}.

Théorème 5.5.

(Chevalley, Warning, 1935) Soit 𝔽𝔽{\mathbb{F}} un corps fini de caractéristique p𝑝p. Soit X𝔽n𝑋subscriptsuperscript𝑛𝔽X\subset{\mathbb{P}}^{n}_{{\mathbb{F}}} une hypersurface de degré d𝑑d. Si l’on a nd𝑛𝑑n\geq d, alors X(𝔽)𝑋𝔽X({\mathbb{F}})\neq\emptyset. Plus précisément, le cardinal de X(𝔽)𝑋𝔽X({\mathbb{F}}) est congru à 1 modulo p𝑝p.

On montra plus tard (Ax (1964), Katz (1971)) que si le cardinal de 𝔽𝔽{\mathbb{F}} est q𝑞q alors le cardinal de X(𝔽)𝑋𝔽X({\mathbb{F}}) est congru à 1 modulo q𝑞q.

Le cas des coniques avait été établi par Euler [29], dans un article où il établit aussi la formule de multiplication pour les sommes de quatre carrés. La combinaison de ces deux résultats lui permit de montrer que tout rationnel positif est une somme de quatre carrés de rationnels.

Comme pour le théorème de Tsen, le théorème de Chevalley-Warning ne fait aucune hypothèse sur X𝑋X. On peut voir là l’origine de la conjecture suivante.

Conjecture 5.6.

(Ax) [2] Soient K𝐾K un corps et XKn𝑋subscriptsuperscript𝑛𝐾X\subset{\mathbb{P}}^{n}_{K} une hypersurface de degré d𝑑d. Si l’on a nd𝑛𝑑n\geq d, alors il existe une sous-K𝐾K-variété YX𝑌𝑋Y\subset X qui est géométriquement irréductible.

Si K𝐾K est parfait, dans la conclusion on peut remplacer «  géométriquement irréductible  » par «  géométriquement intègre   ». Mais comme l’exemple de la forme irréductible T02+xT12+yT22superscriptsubscript𝑇02𝑥superscriptsubscript𝑇12𝑦superscriptsubscript𝑇22T_{0}^{2}+xT_{1}^{2}+yT_{2}^{2} sur le corps K=𝔽2(x,y)𝐾subscript𝔽2𝑥𝑦K={\mathbb{F}}_{2}(x,y) le montre, ceci ne vaut pas sur K𝐾K corps non parfait.

Le cas d=2𝑑2d=2 a été discuté plus haut. Le cas d=3𝑑3d=3 est facile. Le cas d=4𝑑4d=4 fut établi par Denef, Jarden et Lewis dans [22]. Dans le même article, les auteurs établissent la conjecture lorsque K𝐾K contient un corps algébriquement clos. La démonstration de ce résultat utilise la théorie des corps hilbertiens.

En caractéristique nulle, la conjecture d’Ax est maintenant un théorème de Kollár (Théorème 7.10 ci-après).

Les corps finis, les corps de fonctions d’une variable, le corps ((t))𝑡{\mathbb{C}}((t)) sont des corps de dimension 1absent1\leq 1 au sens de Serre ([65], II.3.1) : le groupe de Brauer de toute extension finie de k𝑘k est trivial. De fait, tout corps C1subscript𝐶1C_{1} est de dimension 1absent1\leq 1. On sait (Ax) que la réciproque est fausse (pour des références et d’autres résultats dans cette direction, voir [14]).

Tout espace homogène d’un groupe algébrique linéaire connexe sur un corps parfait de dimension 1absent1\leq 1 a un point rationnel (Steinberg, Springer, voir [65]).

Les corps finis et le corps ((t))𝑡{\mathbb{C}}((t)) ont des groupes de Galois isomorphes au groupe ^^\hat{{\mathbb{Z}}}. Tout espace homogène d’une variété abélienne sur un corps fini possède un point rationnel (Lang) mais ceci n’est pas vrai sur ((t))𝑡{\mathbb{C}}((t)), comme le montre l’exemple de la courbe de genre 1 donnée dans ((t))2subscriptsuperscript2𝑡{\mathbb{P}}^{2}_{{\mathbb{C}}((t))} par l’équation homogène X3+tY3+t2Z3=0superscript𝑋3𝑡superscript𝑌3superscript𝑡2superscript𝑍30X^{3}+tY^{3}+t^{2}Z^{3}=0.

6 R𝑅R-équivalence et équivalence rationnelle sur les zéro-cycles

Soient k𝑘k un corps et X𝑋X une k𝑘k-variété. Deux k𝑘k-points de X𝑋X sont élémentairement R𝑅R-liés s’il existe un k𝑘k-morphisme UX𝑈𝑋U\to X d’un ouvert U𝑈U de k1subscriptsuperscript1𝑘{\mathbb{P}}^{1}_{k} tel que les deux points soient dans l’image de U(k)𝑈𝑘U(k). La relation d’équivalence sur X(k)𝑋𝑘X(k) engendrée par cette relation est appelée la R𝑅R-équivalence [59]. Pour k𝑘k de caractéristique zéro, l’ensemble X(k)/R𝑋𝑘𝑅X(k)/R est un invariant k𝑘k-birationnel des k𝑘k-variétés projectives, lisses, géométriquement intègres [16].

La R𝑅R-équivalence a été beaucoup étudiée lorsque X𝑋X est un k𝑘k-groupe linéaire [16, 31].

Soit X/k𝑋𝑘X/k une k𝑘k-variété algébrique. On note Z0(X)subscript𝑍0𝑋Z_{0}(X) le groupe abélien libre sur les points fermés de X𝑋X. C’est le groupe des zéro-cycles de X𝑋X. Le groupe de Chow (de degré zéro), noté CH0(X)𝐶subscript𝐻0𝑋CH_{0}(X), est le quotient du groupe Z0(X)subscript𝑍0𝑋Z_{0}(X) par le sous-groupe engendré par les zéro-cycles de la forme π(divC(g))subscript𝜋subscriptdiv𝐶𝑔\pi_{*}({\rm div}_{C}(g)), où π:CX:𝜋𝐶𝑋\pi:C\to X est un k𝑘k-morphisme propre d’une k𝑘k-courbe C𝐶C normale intègre, g𝑔g est une fonction rationnelle sur C𝐶C et divC(g)Z0(C)subscriptdiv𝐶𝑔subscript𝑍0𝐶{\rm div}_{C}(g)\in Z_{0}(C) est son diviseur.

Si X/k𝑋𝑘X/k est propre, l’application linéaire degk:Z0(X):subscriptdeg𝑘subscript𝑍0𝑋{\rm deg}_{k}:Z_{0}(X)\to{\mathbb{Z}} envoyant un point fermé P𝑃P sur son degré [k(P):k]delimited-[]:𝑘𝑃𝑘[k(P):k] passe au quotient par l’équivalence rationnelle ci-dessus définie. On note A0(X)subscript𝐴0𝑋A_{0}(X) le noyau de l’application deg:CH0(X):deg𝐶subscript𝐻0𝑋{\rm deg}:CH_{0}(X)\to{\mathbb{Z}}, et on l’appelle le groupe de Chow réduit de X𝑋X.

Le groupe de Chow réduit est un invariant k𝑘k-birationnel des k𝑘k-variétés projectives, lisses, géométriquement intègres.

Pour X/k𝑋𝑘X/k propre, l’application évidente X(k)Z0(X)𝑋𝑘subscript𝑍0𝑋X(k)\to Z_{0}(X) induit une application

X(k)/RCH0(X)𝑋𝑘𝑅𝐶subscript𝐻0𝑋X(k)/R\to CH_{0}(X)

dont l’image tombe dans l’ensemble des classes de cycles de degré 1.

7 Autour du théorème de Tsen : Variétés rationnellement connexes

Dans le programme de classification de Mori est apparue au début des années 1990 la notion de variété rationnellement connexe. Les travaux fondateurs résultent d’une collaboration entre Kollár, Miyaoka et Mori; certains des résultats sont dus à Campana. Un rôle-clé y est joué par la théorie des déformations, plus précisément par l’étude infinitésimale des schémas HomHom\rm{Hom}, cas particulier des schémas de Hilbert. On consultera les livres [46] et [21], ainsi que les articles [1] et le récent rapport [67].

Tout fibré vectoriel sur la droite projective est isomorphe à une somme directe de fibrés de rang 1, donc de la forme 𝒪(n),n𝒪𝑛𝑛{\mathcal{O}}(n),n\in{\mathbb{Z}}. Soit k𝑘k un corps algébriquement clos. Soit X𝑋X une k𝑘k-variété algébrique projective, lisse, connexe, de dimension d𝑑d. Soit TXsubscript𝑇𝑋T_{X} son fibré tangent. On dit que X𝑋X est séparablement rationnellement connexe (SRC) s’il existe un morphisme f:1X:𝑓superscript1𝑋f:{\mathbb{P}}^{1}\to X très libre, c’est-à-dire tel que dans une (donc dans toute) décomposition du fibré vectoriel

fTXi=1d𝒪(ai),similar-to-or-equalssuperscript𝑓subscript𝑇𝑋superscriptsubscriptdirect-sum𝑖1𝑑𝒪subscript𝑎𝑖f^{*}T_{X}\simeq\oplus_{i=1}^{d}{\mathcal{O}}(a_{i}),

on ait ai1subscript𝑎𝑖1a_{i}\geq 1 pour tout i𝑖i.

On dit qu’une variété projective lisse et connexe X𝑋X est rationnellement connexe (RC) si, pour tout corps algébriquement clos ΩΩ\Omega contenant k𝑘k, par un couple général de points de X(Ω)𝑋ΩX(\Omega) il passe une courbe de genre zéro, i.e. il existe un ΩΩ\Omega-morphisme Ω1XΩsubscriptsuperscript1Ωsubscript𝑋Ω{\mathbb{P}}^{1}_{\Omega}\to X_{\Omega} dont l’image contient les deux points.

On dit qu’une variété projective lisse et connexe X𝑋X est rationnellement connexe par chaînes (RCC) si, pour tout corps algébriquement clos ΩΩ\Omega contenant k𝑘k, tout couple général de points de X(Ω)𝑋ΩX(\Omega) est lié par une chaîne de courbes de genre zéro. Cette dernière propriété est équivalente à la condition que tout couple de points de X(Ω)𝑋ΩX(\Omega) est lié par une chaîne de courbes de genre zéro. En d’autres termes, l’ensemble X(Ω)/R𝑋Ω𝑅X(\Omega)/R est réduit à un élément.

Au lieu de faire les hypothèses ci-dessus pour tout corps algébriquement clos ΩΩ\Omega contenant k𝑘k, il suffit de les faire pour un tel corps non dénombrable.

Toute variété RC est clairement RCC.

Théorème 7.1.

(Kollár-Miyaoka-Mori) Toute variété SRC est RC donc RCC. En caractéristique zéro, ces trois propriétés sont équivalentes, et elles impliquent :

Pour tout corps algébriquement clos ΩΩ\Omega contenant k𝑘k et tout ensemble fini de points x1,,xnX(Ω)subscript𝑥1subscript𝑥𝑛𝑋Ωx_{1},\dots,x_{n}\in X(\Omega) il existe un morphisme f:Ω1XΩ:𝑓subscriptsuperscript1Ωsubscript𝑋Ωf:{\mathbb{P}}^{1}_{\Omega}\to X_{\Omega} très libre tels que tous les xisubscript𝑥𝑖x_{i} soient dans l’image de f𝑓f.

En dimension 1, une variété est RC si et seulement si elle est une courbe lisse de genre zéro. En dimension 2, une variété est SRC si et seulement si elle est rationnelle, i.e. birationnelle à un espace projectif. Une variété projective et lisse unirationnelle est RC. Une variété projective et lisse séparablement unirationnelle est SRC. Sur k𝑘k algébriquement clos, le groupe de Chow réduit A0(X)subscript𝐴0𝑋A_{0}(X) d’une variété RCC est clairement trivial.

Si k𝑘k est un corps quelconque, une k𝑘k-variété est dite rationnellement connexe resp. rationnellement connexe par chaînes, respectivement séparablement rationnellement connexe si elle est géométriquement intègre et si elle est RC, resp. RCC, resp. SRC, après passage à un corps algébriquement clos contenant k𝑘k.

Les compactifications lisses d’espaces homogènes de groupes algébriques linéaires connexes sont des variétés RC.

En dimension 2, on dispose d’une classification k𝑘k-birationnelle des k𝑘k-surfaces SRC, c’est-à-dire des k𝑘k-surfaces projectives, lisses (géométriquement) rationnelles (Enriques, Manin, Iskovskikh, Mori) : toute telle surface est k𝑘k-birationnelle à une k𝑘k-surface de del Pezzo ou à une k𝑘k-surface fibrée en coniques au-dessus d’une conique lisse. Une surface de del Pezzo X𝑋X est une surface projective et lisse dont le fibré anticanonique ωX1superscriptsubscript𝜔𝑋1\omega_{X}^{-1} est ample. Le degré d’une telle surface est l’entier d=(ω.ω)d=(\omega.\omega). Il satisfait 1d91𝑑91\leq d\leq 9.

Le groupe de Chow réduit A0(X)subscript𝐴0𝑋A_{0}(X) d’une variété RCC sur un corps k𝑘k quelconque est clairement un groupe de torsion. On peut montrer (Prop. 11.1) qu’il est annulé par un entier N=N(X)>0𝑁𝑁𝑋0N=N(X)>0.

Une variété de Fano est une variété projective lisse dont fibré anticanonique est ample. Si Xn𝑋superscript𝑛X\subset{\mathbb{P}}^{n} est une intersection complète lisse connexe définie par des formes Φj,j=1,,rformulae-sequencesubscriptΦ𝑗𝑗1𝑟\Phi_{j},j=1,\dots,r de degrés respectifs dj,j=1,,rformulae-sequencesubscript𝑑𝑗𝑗1𝑟d_{j},j=1,\dots,r, alors X𝑋X est de Fano si et seulement si njdj𝑛subscript𝑗subscript𝑑𝑗n\geq\sum_{j}d_{j}. On reconnaît là la condition C1subscript𝐶1C_{1}.

Un théorème difficile est le suivant ([6], [51]; voir aussi [46], [21]) :

Théorème 7.2.

(Campana, Kollár-Miyaoka-Mori) Une variété de Fano est rationnellement connexe par chaînes.

Le théorème suivant peut donc être vu comme une généralisation du théorème de Tsen.

Théorème 7.3.

(Graber, Harris, Starr [34] ; de Jong, Starr [42]) Soit F𝐹F un corps algébriquement clos et K=F(C)𝐾𝐹𝐶K=F(C) un corps de fonctions d’une variable sur F𝐹F. Soit X𝑋X une K𝐾K-variété séparablement rationnellement connexe. Alors X(K)𝑋𝐾X(K)\neq\emptyset.

Ce théorème implique le résultat suivant.

Théorème 7.4.

Soit F𝐹F un corps algébriquement clos de caractéristique zéro. Soit f:XY:𝑓𝑋𝑌f:X\to Y un morphisme dominant de F𝐹F-variétés projectives et lisses, à fibre générique géométriquement intègre. Si Y𝑌Y est rationnellement connexe et si la fibre générique est une variété rationnellement connexe, alors X𝑋X est une variété rationnellement connexe.

Le théorème 7.3 a aussi le corollaire suivant, connu des experts.

Théorème 7.5.

Soit R𝑅R un anneau de valuation discrète hensélien équicaractéristique de corps résiduel F𝐹F algébriquement clos, de corps des fractions K𝐾K. Soit XKn𝑋subscriptsuperscript𝑛𝐾X\subset{\mathbb{P}}^{n}_{K} une K𝐾K-variété séparablement rationnellement connexe. Alors X(K)𝑋𝐾X(K)\neq\emptyset.

Démonstration.

Soit S𝑆S le complété de R𝑅R et L𝐿L le corps des fractions de S𝑆S. Comme X/K𝑋𝐾X/K est lisse, X(K)𝑋𝐾X(K) est dense dans X(L)𝑋𝐿X(L) pour la topologie définie par la valuation de K𝐾K ([5], Chap. 3.6, Cor. 10 p. 82). Il suffit donc d’établir le théorème en remplaçant R𝑅R par S𝑆S et K𝐾K par L𝐿L. L’anneau S𝑆S admet alors un corps de représentants isomorphe à F𝐹F, on peut donc identifier S=F[[t]]𝑆𝐹delimited-[]delimited-[]𝑡S=F[[t]] et L=F((t))𝐿𝐹𝑡L=F((t)).

Les lettres R𝑅R et K𝐾K étant désormais libres, notons maintenant R𝑅R le hensélisé de F[t]𝐹delimited-[]𝑡F[t] en t=0𝑡0t=0 et K𝐾K le corps des fractions de R𝑅R. Le corps L=F((t))𝐿𝐹𝑡L=F((t)) est le complété de K𝐾K.

Soit 𝒳Snsuperscript𝒳subscriptsuperscript𝑛𝑆{\mathcal{X}}^{\prime}\subset{\mathbb{P}}^{n}_{S} l’adhérence schématique de XLn𝑋subscriptsuperscript𝑛𝐿X\subset{\mathbb{P}}^{n}_{L}. C’est un schéma intègre projectif et plat sur S𝑆S. La F𝐹F-algèbre S𝑆S est la limite inductive filtrante de ses F𝐹F-sous-algèbres de type fini. Il existe donc une F𝐹F-algèbre de type fini intègre AS𝐴𝑆A\subset S et un A𝐴A-schéma 𝒳𝒳{\mathcal{X}} projectif et plat tel que 𝒳×AS𝒳similar-to-or-equalssubscript𝐴𝒳𝑆superscript𝒳{\mathcal{X}}\times_{A}S\simeq{\mathcal{X}}^{\prime}. En particulier la fibre générique de 𝒳/A𝒳𝐴{\mathcal{X}}/A est une variété séparablement rationnellement connexe. Il existe un ouvert non vide UY=missingSpecA𝑈𝑌missing𝑆𝑝𝑒𝑐𝐴U\subset Y=\mathop{\mathrm{missing}}{Spec}\nolimits A, qu’on peut prendre lisse sur F𝐹F, tel que toutes les fibres du morphisme 𝒳Y𝒳𝑌{\mathcal{X}}\to Y au-dessus de U𝑈U sont des variétés séparablement rationnellement connexes (Kollár, Miyaoka, Mori, voir [46] IV.3.11).

Notons ξY(S)Y(L)𝜉𝑌𝑆𝑌𝐿\xi\in Y(S)\subset Y(L) le point correspondant à AS𝐴𝑆A\subset S. Munissons U(L)𝑈𝐿U(L) de la topologie définie par la valuation de L𝐿L. L’ensemble U(K)𝑈𝐾U(K) est dense dans U(L)𝑈𝐿U(L) ([5], Chap. 3.6, Cor. 10 p. 82). Pour tout entier n1𝑛1n\geq 1 l’application naturelle Y(S)Y(S/tn)𝑌𝑆𝑌𝑆superscript𝑡𝑛Y(S)\to Y(S/t^{n}) a ses fibres ouvertes dans Y(S)Y(L)𝑌𝑆𝑌𝐿Y(S)\subset Y(L). On peut donc trouver dans U(K)Y(K)𝑈𝐾𝑌𝐾U(K)\subset Y(K) un point ξnsubscript𝜉𝑛\xi_{n} qui soit dans Y(S)𝑌𝑆Y(S) et donc dans Y(R)𝑌𝑅Y(R) et qui ait même image que ξ𝜉\xi dans Y(R/tn)=Y(S/tn)𝑌𝑅superscript𝑡𝑛𝑌𝑆superscript𝑡𝑛Y(R/t^{n})=Y(S/t^{n}). On peut donc pour tout n1𝑛1n\geq 1 trouver un R𝑅R-schéma projectif 𝒳nsubscript𝒳𝑛{\mathcal{X}}_{n} à fibre générique Xn/Ksubscript𝑋𝑛𝐾X_{n}/K séparablement rationnellement connexe, tel que 𝒳n×RR/tn𝒳×A×SS/tn{\mathcal{X}}_{n}\times_{R}R/t^{n}\simeq{\mathcal{X}}\times_{A}\times_{S}S/t^{n} (noter que l’on a R/tn=S/tn𝑅superscript𝑡𝑛𝑆superscript𝑡𝑛R/t^{n}=S/t^{n}.) Le corps des fractions du hensélisé R𝑅R de F[t]𝐹delimited-[]𝑡F[t] en t=0𝑡0t=0 est l’union de corps de fonctions de F𝐹F-courbes. Le théorème 7.3 assure donc Xn(K)subscript𝑋𝑛𝐾X_{n}(K)\neq\emptyset. Comme 𝒳n/Rsubscript𝒳𝑛𝑅{\mathcal{X}}_{n}/R est projectif, on a donc 𝒳n(R)=Xn(K)subscript𝒳𝑛𝑅subscript𝑋𝑛𝐾{\mathcal{X}}_{n}(R)=X_{n}(K)\neq\emptyset, donc 𝒳(S/tn)=𝒳n(R/tn)𝒳𝑆superscript𝑡𝑛subscript𝒳𝑛𝑅superscript𝑡𝑛{\mathcal{X}}(S/t^{n})={\mathcal{X}}_{n}(R/t^{n})\neq\emptyset. On a donc 𝒳(S/tn)𝒳𝑆superscript𝑡𝑛{\mathcal{X}}(S/t^{n})\neq\emptyset pour tout entier n𝑛n. Par un théorème de Greenberg ([35], Thm. 1) ceci implique 𝒳(S)𝒳𝑆{\mathcal{X}}(S)\neq\emptyset. On a donc X(L)𝑋𝐿X(L)\neq\emptyset. ∎

On ne connaît pas de démonstration de ce théorème qui ne passe pas par le cas global K=F(C)𝐾𝐹𝐶K=F(C).

Le théorème 7.3 admet un théorème «  réciproque   » :

Théorème 7.6.

(Graber-Harris-Mazur-Starr)[33] Soit k=𝑘k={\mathbb{C}}. Soit S𝑆S une variété lisse sur {\mathbb{C}} de dimension au moins 2. Soit XS𝑋𝑆X\to S un morphisme projectif et lisse à fibre générique géométriquement intègre. Si la restriction de XS𝑋𝑆X\to S à toute courbe CS𝐶𝑆C\subset S admet une section, alors il existe une (S)𝑆{\mathbb{C}}(S)-variété Z𝑍Z géométriquement intègre et rationnellement connexe et un (S)𝑆{\mathbb{C}}(S)-morphisme de Z𝑍Z dans la fibre générique de XS𝑋𝑆X\to S.

Les variétés rationnellement connexes sont donc en quelque sorte caractérisées par le fait d’avoir automatiquement un point sur le corps des fonctions d’une courbe sur les complexes.

La classe des variétés rationnellement connexes semble être la classe la plus large de variétés projectives lisses à laquelle on peut étendre le théorème de Tsen.

Un exemple explicite de surface d’Enriques sur K=((t))𝐾𝑡K={\mathbb{C}}((t)) sans K𝐾K-point a été construit par Lafon [53]. Un modèle affine, avec variables x,y,u,z,𝑥𝑦𝑢𝑧x,y,u,z, est défini par le système

x2tu2+t=(t2u2t)y2superscript𝑥2𝑡superscript𝑢2𝑡superscript𝑡2superscript𝑢2𝑡superscript𝑦2x^{2}-tu^{2}+t=(t^{2}u^{2}-t)y^{2}
x22tu2+(1/t)=t(t2u2t)z2.superscript𝑥22𝑡superscript𝑢21𝑡𝑡superscript𝑡2superscript𝑢2𝑡superscript𝑧2x^{2}-2tu^{2}+(1/t)=t(t^{2}u^{2}-t)z^{2}.

[Dans la classification des surfaces, les surfaces d’Enriques sont en quelque sorte les plus proches des surfaces rationnelles, une telle surface X𝑋X satisfait en particulier H1(X,OX)=0superscript𝐻1𝑋subscript𝑂𝑋0H^{1}(X,O_{X})=0 et H2(X,OX)=0superscript𝐻2𝑋subscript𝑂𝑋0H^{2}(X,O_{X})=0.]

En caractéristique zéro, le théorème 7.5 est équivalent à l’assertion suivante :

Théorème 7.7.

Soit A𝐴A un anneau de valuation discrète de corps résiduel de caractéristique zéro et soit 𝒳𝒳{\mathcal{X}} un A𝐴A-schéma intègre propre régulier. Si la fibre générique est une variété SRC, alors la fibre spéciale possède une composante de multiplicité 1.

Comme indiqué ci-dessus, le théorème ci-dessus ne vaut déjà plus si la fibre générique est une surface d’Enriques.


Remarque 7.8. On ne sait pas si l’analogue de ce théorème vaut dans le cas d’inégale caractéristique. Par exemple, si X𝑋X est une variété rationnellement connexe sur le corps p𝑝p-adique psubscript𝑝{\mathbb{Q}}_{p}, a-t-elle un point dans une extension non ramifiée de psubscript𝑝{\mathbb{Q}}_{p} ? C’est vrai en dimension 1 ou 2. En effet l’extension maximale non ramifiée de psubscript𝑝{\mathbb{Q}}_{p} est un corps C1subscript𝐶1C_{1} (théorème de Lang) et par inspection de la classification k𝑘k-birationnelle des k𝑘k-surfaces rationnelles, on montre (Manin, l’auteur) que toute k𝑘k-surface rationnelle (projective et lisse) sur un corps k𝑘k qui est C1subscript𝐶1C_{1} possède un point k𝑘k-rationnel.

Motivé par la conjecture 5.6 (Ax), par les énoncés des théorèmes de Tsen et de Chevalley-Warning, et par plusieurs résultats qui seront discutés plus bas, on peut, suivant Kollár [49], envisager les énoncés suivants :

Suggestions 7.9.

Soit A𝐴A un anneau de valuation discrète de corps résiduel F𝐹F. Soit 𝒳𝒳{\mathcal{X}} un A𝐴A-schéma régulier, propre et plat sur A𝐴A, à fibre générique X𝑋X lisse géométriquement connexe, à fibre spéciale un diviseur Y/F𝑌𝐹Y/F à croisements normaux stricts. Si X/K𝑋𝐾X/K est une variété séparablement rationnellement connexe, alors

(a) il existe une composante réduite Yisubscript𝑌𝑖Y_{i} de Y𝑌Y qui est géométriquement intègre sur F𝐹F;

(b) mieux, il existe une F𝐹F-variété rationnellement connexe Z𝑍Z et un F𝐹F-morphisme de Z𝑍Z dans Y𝑌Y;

(c) encore mieux, il existe une composante réduite Yisubscript𝑌𝑖Y_{i} de Y𝑌Y qui est une F𝐹F-variété rationnellement connexe.

Dans cette direction, on a les résultats suivants.

Théorème 7.10.

(Kollár)[49] Soit F𝐹F un corps de caractéristique zéro. Soit C𝐶C une courbe lisse sur F𝐹F, soit A𝐴A l’anneau local de C𝐶C en un point fermé de corps résiduel E𝐸E, soit 𝒳𝒳{\mathcal{X}} un A𝐴A-schéma régulier, propre et plat sur A𝐴A, à fibre générique X𝑋X lisse, à fibre spéciale un diviseur Y/E𝑌𝐸Y/E à croisements normaux stricts. Si X/K𝑋𝐾X/K est une variété de Fano, alors il existe une composante réduite Yisubscript𝑌𝑖Y_{i} de Y𝑌Y qui est géométriquement irréductible sur E𝐸E.

Toute hypersurface est une dégénérescence d’une hypersurface lisse de même degré. Le résultat de Kollár établit ainsi la conjecture 5.6 (Ax) en caractéristique zéro : toute F𝐹F-hypersurface de degré d𝑑d dans Fnsubscriptsuperscript𝑛𝐹{\mathbb{P}}^{n}_{F} avec nd𝑛𝑑n\geq d contient une sous-F𝐹F-variété géométriquement intègre.

Corollaire 7.11.

Soit k𝑘k un corps de caractéristique zéro. Il existe un corps L𝐿L contenant k𝑘k possédant les propriétés suivantes :

(i) Le corps k𝑘k est algébriquement fermé dans L𝐿L.

(ii) Le corps L𝐿L est union de corps de fonctions de k𝑘k-variétés géométriquement intègres.

(iii) Toute L𝐿L-variété géométriquement intègre possède un point L𝐿L-rationnel (le corps L𝐿L est «  pseudo-algébriquement clos   »).

(iv) Le corps L𝐿L est un corps C1subscript𝐶1C_{1}.

Démonstration.

La construction du paragraphe 2 donne un corps L𝐿L satisfaisant les propriétés (i) à (iii). Le point (iv) est alors une application de la conjecture d’Ax. ∎

Théorème 7.12.

(Starr)[66] Soit F𝐹F un corps parfait contenant un corps algébriquement clos. Soit C𝐶C une courbe lisse sur F𝐹F, soit A𝐴A l’anneau local de C𝐶C en un point fermé de corps résiduel E𝐸E, soit 𝒳𝒳{\mathcal{X}} un A𝐴A-schéma régulier, propre et plat sur A𝐴A, à fibre générique X/K𝑋𝐾X/K lisse, à fibre spéciale un diviseur Y/E𝑌𝐸Y/E à croisements normaux stricts. Si X𝑋X est une K𝐾K-variété séparablement rationnellement connexe, alors il existe une composante réduite Yisubscript𝑌𝑖Y_{i} de Y𝑌Y qui est géométriquement irréductible sur E𝐸E.

Le théorème suivant implique en particulier que le théorème 7.10 vaut plus généralement lorsque la fibre générique est une variété rationnellement connexe.

Théorème 7.13.

(Hogadi et Xu)[40] Soient F𝐹F un corps de caractéristique zéro, C𝐶C une F𝐹F-courbe lisse, A𝐴A l’anneau local de C𝐶C en un point fermé P𝑃P, et E𝐸E le corps résiduel en P𝑃P. Soit 𝒳𝒳{\mathcal{X}} un A𝐴A-schéma propre et plat sur A𝐴A, de fibre générique X𝑋X une K𝐾K-variété rationnellement connexe. Alors

(a) Il existe une E𝐸E-variété rationnellement connexe Z𝑍Z et un E𝐸E-morphisme de Z𝑍Z dans la fibre Y/E𝑌𝐸Y/E de 𝒳C𝒳𝐶{\mathcal{X}}\to C en P𝑃P.

(b) Si 𝒳𝒳{\mathcal{X}} est régulier, connexe, de dimension relative au plus 3, et si la fibre spéciale est un diviseur Y/E𝑌𝐸Y/E à croisements normaux stricts, alors il existe une composante réduite Yisubscript𝑌𝑖Y_{i} de Y𝑌Y qui est une E𝐸E-variété rationnellement connexe.

Sous l’hypothèse supplémentaire que F𝐹F contient un corps algébriquement clos, le résultat (a) avait été établi antérieurement par de Jong.

Corollaire 7.14.

Soit k𝑘k un corps de caractéristique zéro. Il existe un corps L𝐿L contenant k𝑘k possédant les propriétés suivantes :

(i) Le corps k𝑘k est algébriquement fermé dans L𝐿L.

(ii) Le corps L𝐿L est union de corps de fonctions de k𝑘k-variétés rationnellement connexes.

(iii) Toute L𝐿L-variété rationnellement connexe possède un point L𝐿L-rationnel.

(iv) Le corps L𝐿L est un corps C1subscript𝐶1C_{1}.

Démonstration.

On reprend la construction du paragraphe 2 mais à la place des F𝐹F-variétés géométriquement intègres on utilise les F𝐹F-variétés intègres F𝐹F-birationnelles à une F𝐹F-variété rationnellement connexe. La conditions (Stab) du paragraphe 2 est satisfaite grâce au théorème 7.4 (conséquence du théorème de Graber, Harris et Starr). Le corps L𝐿L ainsi construit satisfait les propriétés (i) à (iii). Toute hypersurface est une dégénérescence d’une hypersurface lisse de même degré. Le théorème 7.13 implique donc que le corps L𝐿L est un corps C1subscript𝐶1C_{1} (voir [40], Cor. 1.5). ∎

Une variante de la démonstration du théorème 7.5 permet de généraliser la partie (a) du théorème 7.13.

Théorème 7.15.

Soit A𝐴A un anneau de valuation discrète, de corps des fractions K𝐾K et de corps résiduel F𝐹F de caractéristique nulle. Soit 𝒳𝒳{\mathcal{X}} un A𝐴A-schéma projectif et plat sur A𝐴A, de fibre générique une K𝐾K-variété rationnellement connexe. Alors il existe une F𝐹F-variété rationnellement connexe Z𝑍Z et un F𝐹F-morphisme de Z𝑍Z dans la fibre spéciale Y=𝒳×AF𝑌subscript𝐴𝒳𝐹Y={\mathcal{X}}\times_{A}F.

Démonstration.

Pour établir le résultat, on peut remplacer A𝐴A par son complété. Comme la caractéristique de F𝐹F est nulle, ce complété est isomorphe à F[[t]]𝐹delimited-[]delimited-[]𝑡F[[t]]. On est donc réduit au cas A=F[[t]]𝐴𝐹delimited-[]delimited-[]𝑡A=F[[t]]. Soit R𝑅R le hensélisé de F[t]𝐹delimited-[]𝑡F[t] en t=0𝑡0t=0. Soit L𝐿L son corps des fractions. On a R^=A^𝑅𝐴\hat{R}=A et L^=K^𝐿𝐾\hat{L}=K. La démonstration du théorème 7.5 montre qu’il existe un R𝑅R-schéma projectif et plat 𝒳1subscript𝒳1{\mathcal{X}}_{1} (non nécessairement régulier) de fibre générique une L𝐿L-variété rationnellement connexe, tel que 𝒳1×RF𝒳×F[[t]]F=Ysimilar-to-or-equalssubscript𝑅subscript𝒳1𝐹subscript𝐹delimited-[]delimited-[]𝑡𝒳𝐹𝑌{\mathcal{X}}_{1}\times_{R}F\simeq{\mathcal{X}}\times_{F[[t]]}F=Y, en d’autres termes, la fibre spéciale Y𝑌Y de 𝒳1subscript𝒳1{\mathcal{X}}_{1} est F𝐹F-isomorphe à la fibre spéciale de 𝒳𝒳{\mathcal{X}}. D’après le théorème 7.13 (Hogadi et Xu), il existe une F𝐹F-variété rationnellement connexe Z𝑍Z et un F𝐹F-morphisme Z𝒳1×RF𝑍subscript𝑅subscript𝒳1𝐹Z\to{\mathcal{X}}_{1}\times_{R}F. ∎


Remarque 7.16. (Wittenberg) Soit A𝐴A un anneau de valuation discrète de corps des fractions K𝐾K et de corps résiduel F𝐹F de caractéristique zéro. Soit 𝒳𝒳{\mathcal{X}} un A𝐴A-schéma régulier, propre et plat sur A𝐴A, à fibre générique X𝑋X lisse, à fibre spéciale un diviseur Y/F𝑌𝐹Y/F à croisements normaux stricts. Lorsque la fibre générique X𝑋X est une K𝐾K-compactification lisse d’un espace homogène d’un K𝐾K-groupe algébrique linéaire connexe, on peut facilement établir le théorème 7.10 et l’énoncé (a) du théorème 7.13. On remplace A𝐴A par F[[t]]𝐹delimited-[]delimited-[]𝑡F[[t]]. Comme rappelé au paragraphe 2, le corps F𝐹F est algébriquement fermé dans un corps E𝐸E de dimension cohomologique cd(E)1𝑐𝑑𝐸1cd(E)\leq 1, corps qui est union de corps de fonctions de F𝐹F-variétés d’un type spécial, en particulier rationnellement connexes. Le corps L𝐿L limite inductive des corps E((t1/n))𝐸superscript𝑡1𝑛E((t^{1/n})) a le même groupe de Galois que E𝐸E. Il est donc de dimension cohomologique 1, et X𝑋X a un L𝐿L-point. Ceci implique l’existence d’une F𝐹F-application rationnelle d’une F𝐹F-variété rationnellement connexe Z𝑍Z dans une composante réduite de la fibre spéciale, composante qui étant lisse doit en particulier être géométriquement intègre.


Remarque 7.17. De même que l’on ne peut espérer étendre le théorème 7.7 à d’autres classes de variétés que celle des variétés rationnellement connexes, de même il semble déraisonnable d’espérer une réponse positive à la suggestion 7.9 (a) pour d’autres classes que celle des variétés rationnellement connexes, par exemple pour les variétés projectives et lisses X𝑋X telles que Hi(X,OX)=0superscript𝐻𝑖𝑋subscript𝑂𝑋0H^{i}(X,O_{X})=0 pour i1𝑖1i\geq 1, ou telles que le groupe de Chow de X𝑋X réduit des zéro-cycles sur tout corps algébriquement clos soit nul (voir le paragraphe suivant). Starr (communication privée) a donné un exemple de surface d’Enriques sur un corps K(t)𝐾𝑡K(t) telle que pour tout modèle de type (R) de cette surface sur l’anneau local de K[t]𝐾delimited-[]𝑡K[t] en t=0𝑡0t=0, à croisements normaux stricts, aucune composante réduite ne soit géométriquement intègre.

8 Autour du théorème de Chevalley-Warning : Variétés dont le groupe de Chow géométrique est trivial

Le théorème de Chevalley-Warning a fait l’objet de plusieurs généralisations (Ax, Katz, Esnault, voir [7]).

Théorème 8.1.

(Weil, 1954) Toute surface projective lisse géométriquement rationnelle sur un corps fini possède un point rationnel.

Théorème 8.2.

(formule de Woods Hole 1964, de Lefschetz-Verdier, voir Grothendieck/Illusie SGA 5 III, Katz SGA7 XXII) Soit 𝔽𝔽{\mathbb{F}} un corps fini de caractéristique p𝑝p. Soit X/𝔽𝑋𝔽X/{\mathbb{F}} une variété propre. Si H0(X,OX)=𝔽superscript𝐻0𝑋subscript𝑂𝑋𝔽H^{0}(X,O_{X})={\mathbb{F}} et si Hr(X,OX)=0superscript𝐻𝑟𝑋subscript𝑂𝑋0H^{r}(X,O_{X})=0 pour r1𝑟1r\geq 1, alors le nombre de points rationnels de X𝑋X est congru à 1 modulo p𝑝p.

En caractéristique nulle, les groupes Hr(X,OX)(r1)superscript𝐻𝑟𝑋subscript𝑂𝑋𝑟1H^{r}(X,O_{X})\hskip 2.84526pt(r\geq 1) s’annulent pour une variété de Fano, mais on ne sait pas le démontrer en caractéristique positive (sauf en dimension au plus 3, le cas de la dimension 3 étant dû à Shepherd-Barron).

H. Esnault a obtenu le résultat suivant.

Théorème 8.3.

(Esnault 2003) [25] Soit 𝔽𝔽{\mathbb{F}} un corps fini de cardinal q𝑞q. Pour X/𝔽𝑋𝔽X/{\mathbb{F}} lisse, projective, géométriquement intègre, et  ΩΩ\Omega un corps algébriquement clos contenant le corps 𝔽(X)𝔽𝑋{\mathbb{F}}(X), si l’on a A0(XΩ)=0subscript𝐴0subscript𝑋Ω0A_{0}(X_{\Omega})=0, alors le nombre de points 𝔽𝔽{\mathbb{F}}-rationnels de X𝑋X est congru à 1 modulo q𝑞q.

Soit l𝑙l un nombre premier, lcar(𝔽)𝑙car𝔽l\neq{\rm car}({\mathbb{F}}). Par un argument remontant à Spencer Bloch et développé par Bloch et Srinivas, l’hypothèse assure que la cohomologie l𝑙l-adique de X𝑋X est de coniveau 1, c’est-à-dire qu’elle satisfait He´ti(X¯,l)=N1He´ti(X¯,l)subscriptsuperscript𝐻𝑖´𝑒𝑡¯𝑋subscript𝑙superscript𝑁1subscriptsuperscript𝐻𝑖´𝑒𝑡¯𝑋subscript𝑙H^{i}_{{\acute{e}t}}({\overline{X}},{\mathbb{Q}}_{l})=N^{1}H^{i}_{{\acute{e}t}}({\overline{X}},{\mathbb{Q}}_{l}) pour tout i1𝑖1i\geq 1 (toute classe de cohomologie s’annule sur un ouvert de Zariski non vide). Sous cette condition, H. Esnault utilise des résultats de Deligne pour établir la congruence annoncée.

Ce théorème s’applique pour les variétés rationnellement connexes par chaînes, et en particulier pour les variétés de Fano, à la différence du théorème 8.2.

A noter que le théorème s’applique aussi pour des variétés qui ne sont pas rationnellement connexes, comme les surfaces d’Enriques et aussi certaines surfaces de type général.

Comme dans l’énoncé initial de Chevalley-Warning et dans l’énoncé du théorème de Tsen, on dispose de versions portant sur les fibres spéciales, singulières, de telles variétés.

Théorème 8.4.

(N. Fakhruddin et C.S. Rajan, 2004) [30] Soit f:XY:𝑓𝑋𝑌f:X\to Y un morphisme propre dominant de variétés lisses et géométriquement irréductibles sur un corps fini 𝔽𝔽{\mathbb{F}} de cardinal q𝑞q. Soit Z𝑍Z la fibre générique, supposée géométriquement intègre. Soit  𝔽(Y)¯¯𝔽𝑌\overline{{\mathbb{F}}(Y)} une clôture algébrique du corps des fonctions 𝔽(Y)𝔽𝑌{\mathbb{F}}(Y). Si l’on a A0(Z𝔽(Y)¯)=0subscript𝐴0subscript𝑍¯𝔽𝑌0A_{0}(Z_{\overline{{\mathbb{F}}(Y)}})=0, alors pour tout point yY(𝔽)𝑦𝑌𝔽y\in Y({\mathbb{F}}), le cardinal de Xy(𝔽)subscript𝑋𝑦𝔽X_{y}({\mathbb{F}}) est congru à 1 modulo q𝑞q. Si l’hypothèse X𝑋X lisse est omise mais si la fibre générique Z𝑍Z est lisse, on a Xy(𝔽)subscript𝑋𝑦𝔽X_{y}({\mathbb{F}})\neq\emptyset pour tout yY(𝔽)𝑦𝑌𝔽y\in Y({\mathbb{F}}).

Donc sur toute dégénérescence de variété RCC (lisse) il y a un 𝔽𝔽{\mathbb{F}}-point. Ceci vaut aussi sur une dégénérescence d’une surface d’Enriques ou de certaines surfaces de type général.

Théorème 8.5.

(Esnault [26] [27]; Esnault et Xu [28]) Soit A𝐴A un anneau de valuation discrète complet de corps des fractions K𝐾K et de corps résiduel 𝔽𝔽{\mathbb{F}} fini de cardinal q𝑞q. Soit 𝒳𝒳{{\mathcal{X}}} un A𝐴A-schéma intègre propre et plat. Soit l𝑙l un nombre premier, lcar(𝔽)𝑙car𝔽l\neq{\rm car}({\mathbb{F}}). Supposons la fibre générique géométriquement intègre, lisse et à cohomologie l𝑙l-adique de coniveau 1. Soit Y/𝔽𝑌𝔽Y/{\mathbb{F}} la fibre spéciale. Alors

(i) Y(𝔽)𝑌𝔽Y({\mathbb{F}})\neq\emptyset;

(ii) si de plus 𝒳𝒳{\mathcal{X}} est régulier, alors card(Y(𝔽))1modqcard𝑌𝔽1mod𝑞{\rm card}(Y({\mathbb{F}}))\equiv 1\hskip 2.84526pt{\rm mod}\hskip 2.84526ptq.

L’hypothèse sur la cohomologie est satisfaite si A0(X×KΩ)=0subscript𝐴0subscript𝐾𝑋Ω0A_{0}(X\times_{K}{\Omega})=0, où ΩΩ\Omega est un corps algébriquement clos contenant K(X)𝐾𝑋K(X), en particulier pour les variétés RCC mais aussi pour les surfaces d’Enriques et certaines surfaces de type général.

En particulier il y a un point rationnel sur la fibre spéciale. En particulier si toutes les composantes de la fibre spéciale sont lisses, alors l’une d’entre elles est géométriquement intègre sur 𝔽qsubscript𝔽𝑞{\mathbb{F}}_{q}.


Il y a des théorèmes de géométrie algébrique qui se démontrent par réduction au cas des corps finis. On part d’une variété sur un corps k𝑘k. Une telle variété est obtenue par changement de base Ak𝐴𝑘A\to k à partir d’un A𝐴A-schéma de type fini, pour une {\mathbb{Z}}-algèbre de type fini A𝐴A convenable. On réduit ensuite aux points fermés de A𝐴A (leurs corps résiduels sont finis) et on applique les résultats obtenus sur les corps finis.

Les théorèmes établis par H. Esnault sont de ce point de vue «  trop bons   » : la classe des K𝐾K-variétés auxquelles ses résultats s’appliquent est plus large que celle des K𝐾K-variétés rationnellement connexes. On ne peut donc espérer les utiliser pour établir des résultats comme le théorème 7.3 (Graber-Harris-Starr) ou le théorème 7.10 ci-dessus (Kollár) – pas plus d’ailleurs que l’on ne pouvait utiliser le théorème de Chevalley-Warning pour établir le théorème de Tsen ou la conjecture d’Ax. Un obstacle essentiel semble être le fait bien connu suivant : il existe des polynômes en une variable sur {\mathbb{Z}} qui n’ont pas de zéro sur {\mathbb{Q}} mais dont la réduction en tout premier p𝑝p sauf un nombre fini a un zéro, par exemple (x2a)(x2b)(x2ab)superscript𝑥2𝑎superscript𝑥2𝑏superscript𝑥2𝑎𝑏(x^{2}-a)(x^{2}-b)(x^{2}-ab), avec a,b𝑎𝑏a,b\in{\mathbb{Z}} non carrés.

Les résultats sur les corps finis peuvent néanmoins en suggérer d’autres sur les corps de fonctions d’une variable. On en trouvera un exemple récent dans [44], §9.8, Remarque 3.

9 Approximation faible pour les variétés rationnellement connexes

Suggestion 9.1.

Soit K𝐾K un corps de fonctions d’une variable sur un corps algébriquement clos. Pour toute variété rationnellement connexe X𝑋X sur K𝐾K, l’approximation faible vaut : pour tout ensemble fini I𝐼I de places v𝑣v de K𝐾K, l’application diagonale

X(K)vIX(Kv)𝑋𝐾subscriptproduct𝑣𝐼𝑋subscript𝐾𝑣X(K)\to\prod_{v\in I}X(K_{v})

a une image dense. Ici Kvsubscript𝐾𝑣K_{v} est le complété de K𝐾K en v𝑣v et X(Kv)𝑋subscript𝐾𝑣X(K_{v}) est muni de la topologie induite par la topologie de la valuation sur Kvsubscript𝐾𝑣K_{v}.

Des arguments élémentaires ([11]) permettent d’établir l’approximation faible en tout ensemble fini de places pour les compactifications lisses d’espaces homogènes de groupes linéaires connexes, puis pour les variétés obtenues par fibrations en de telles variétés. On traite ainsi les intersections complètes lisses de deux quadriques dans nsuperscript𝑛{\mathbb{P}}^{n} pour n4𝑛4n\geq 4.


Théorème 9.2.

(Hassett-Tschinkel)[37] Soit K𝐾K un corps de fonctions d’une variable sur un corps algébriquement clos de caractéristique zéro. Soit X/K𝑋𝐾X/K une K𝐾K-variété rationnellement connexe. Si I𝐼I est un ensemble fini de places de K𝐾K de bonne réduction pour X/K𝑋𝐾X/K, alors l’approximation faible vaut pour X𝑋X en ces places : l’application diagonale X(K)vIX(Kv)𝑋𝐾subscriptproduct𝑣𝐼𝑋subscript𝐾𝑣X(K)\to\prod_{v\in I}X(K_{v}) a une image dense.

Ceci généralise un résultat de Kollár, Miyaoka et Mori (cas on l’on demande une réduction fixée, sans obtenir d’approximations aux jets d’ordre supérieur).

Le cas particulier des surfaces cubiques lisses avait été traité par Madore [57].

Hassett et Tschinkel [38] ont aussi des résultats d’approximation en des places de mauvaise, mais pas trop mauvaise réduction. Mais comme ces auteurs le notent, le cas suivant est ouvert.

Question 9.3.

L’approximation faible en la place λ=0𝜆0\lambda=0 vaut-elle pour la surface cubique x3+y3+z3+λt3=0superscript𝑥3superscript𝑦3superscript𝑧3𝜆superscript𝑡30x^{3}+y^{3}+z^{3}+\lambda t^{3}=0 sur le corps K=(λ)𝐾𝜆K={\mathbb{C}}(\lambda) ?

Lorsque le nombre de variables est suffisamment grand par rapport au degré, on a pu établir l’approximation faible en toutes les places. Voir la section 12.5 ci-dessous.

10 R𝑅R-équivalence sur les variétés rationnellement connexes

Soient k𝑘k un corps non algébriquement clos et X𝑋X une k𝑘k-variété (séparablement) rationnellement connexe. Que sait-on sur l’ensemble X(k)/R𝑋𝑘𝑅X(k)/R ?

Théorème 10.1.

(Kollár)[47] Soit K𝐾K un corps local usuel (localement compact) et soit X𝑋X une K𝐾K-variété séparablement rationnellement connexe. Alors la R𝑅R-équivalence sur X(K)𝑋𝐾X(K) est une relation ouverte. L’ensemble X(K)/R𝑋𝐾𝑅X(K)/R est fini. Dans le cas K=𝐾K={\mathbb{R}} les classes de R𝑅R-équivalence coïncident avec les composantes connexes de X()𝑋X({\mathbb{R}}).

Ce résultat est une vaste généralisation de cas particuliers antérieurement connus (surfaces fibrées en coniques, compactifications de groupes algébriques linéaires connexes, hypersurfaces cubiques lisses, intersections lisses de deux quadriques dans nsuperscript𝑛{\mathbb{P}}^{n} pour n4𝑛4n\geq 4).

Suggestion 10.2.

(Kollár) Soient 𝔽𝔽{\mathbb{F}} un corps fini et X𝑋X une 𝔽𝔽{\mathbb{F}}-variété séparablement rationnellement connexe. Alors tous les points de X(𝔽)𝑋𝔽X({\mathbb{F}}) sont R𝑅R-équivalents : l’ensemble X(𝔽)/R𝑋𝔽𝑅X({\mathbb{F}})/R a un élément.

Swinnerton-Dyer montra qu’il en est ainsi pour les surfaces cubiques lisses. Ce résultat a été récemment étendu par J. Kollár [50] à toutes les hypersurfaces cubiques lisses sur un corps fini de cardinal au moins 8.

Théorème 10.3.

(Kollár-Szabó)[52] Soient 𝔽𝔽{\mathbb{F}} un corps fini et X𝑋X une 𝔽𝔽{\mathbb{F}}-variété séparablement rationnellement connexe. Si l’ordre de 𝔽𝔽{\mathbb{F}} est plus grand qu’une certaine constante qui dépend seulement de la géométrie de X𝑋X alors X(𝔽)/R𝑋𝔽𝑅X({\mathbb{F}})/R est réduit à un point.

Théorème 10.4.

(Kollár-Szabó)[52] Soit K𝐾K un corps local non archimédien de corps résiduel le corps fini 𝔽𝔽{\mathbb{F}}. Soit A𝐴A l’anneau de la valuation. Soit 𝒳𝒳{\mathcal{X}} un A𝐴A-schéma régulier, intègre, projectif et plat sur A𝐴A, de fibre spéciale Y/𝔽𝑌𝔽Y/{\mathbb{F}} une 𝔽𝔽{\mathbb{F}}-variété séparablement rationnellement connexe – ce qui implique que la fibre générique X=𝒳×AK𝑋subscript𝐴𝒳𝐾X={\mathcal{X}}\times_{A}K est SRC. Si l’ordre de 𝔽𝔽{\mathbb{F}} est plus grand qu’une certaine constante qui dépend seulement de la géométrie de X𝑋X alors X(K)/R𝑋𝐾𝑅X(K)/R est réduit à un point.

Ici encore on se demande si la condition sur l’ordre du corps résiduel est nécessaire. A tout le moins, le résultat ci-dessus implique :

Théorème 10.5.

[52] Soient K𝐾K un corps de nombres et X/K𝑋𝐾X/K une K𝐾K-variété rationnellement connexe. Alors pour presque toute place v𝑣v de K𝐾K, notant Kvsubscript𝐾𝑣K_{v} le complété de K𝐾K en v𝑣v, on a cardX(Kv)/R=1card𝑋subscript𝐾𝑣𝑅1{\rm card}\hskip 2.84526ptX(K_{v})/R=1.

Soit A𝐴A un anneau de valuation discrète de corps des fractions K𝐾K et de corps résiduel F𝐹F. Soit 𝒳𝒳{\mathcal{X}} un A𝐴A-schéma intègre, propre et lisse. Soit X=𝒳×AK𝑋subscript𝐴𝒳𝐾X={\mathcal{X}}\times_{A}K la fibre générique et Y=𝒳×AF𝑌subscript𝐴𝒳𝐹Y={\mathcal{X}}\times_{A}F la fibre spéciale.

La spécialisation X(K)=𝒳(A)Y(F)𝑋𝐾𝒳𝐴𝑌𝐹X(K)={\mathcal{X}}(A)\to Y(F) passe au quotient par la R𝑅R-équivalence (voir [55]). On a donc une application de spécialisation :

X(K)/RY(F)/R.𝑋𝐾𝑅𝑌𝐹𝑅X(K)/R\to Y(F)/R.
Théorème 10.6.

(Kollár) [48] Dans la situation ci-dessus, si Y/F𝑌𝐹Y/F est SRC, et si A𝐴A est hensélien, alors l’application de spécialisation X(K)/RY(F)/R𝑋𝐾𝑅𝑌𝐹𝑅X(K)/R\to Y(F)/R est une bijection.

On dit qu’un corps K𝐾K est fertile (les anglo-saxons disent «  large field   ») si sur toute K𝐾K-variété lisse intègre avec un K𝐾K-point les K𝐾K-points sont denses pour la topologie de Zariski.

Exemples :

(a) Une extension algébrique infinie d’un corps fini (estimations de Lang–Weil).

(b) Un corps local usuel (non archimédien, à corps résiduel fini), plus généralement le corps des fractions d’un anneau de valuation discrète hensélien de corps résiduel quelconque.

(c) Le corps {\mathbb{R}} des réels, plus généralement un corps réel clos, plus généralement un corps dont le groupe de Galois absolu est un pro-p𝑝p-groupe (p𝑝p étant un nombre premier).

(d) Un corps pseudo-algébriquement clos.

Théorème 10.7.

(Kollár) Soient K𝐾K un corps fertile et X𝑋X une K𝐾K-variété séparablement rationnellement connexe.

(1) [47] Pour tout point MX(K)𝑀𝑋𝐾M\in X(K), il existe un K𝐾K-morphisme très libre f:K1X:𝑓subscriptsuperscript1𝐾𝑋f:{\mathbb{P}}^{1}_{K}\to X tel que M𝑀M appartienne à f(1(K))𝑓superscript1𝐾f({\mathbb{P}}^{1}(K)).

(2) [48] Si deux K𝐾K-points sont R𝑅R-équivalents, alors il existe un K𝐾K-morphisme K1Xsubscriptsuperscript1𝐾𝑋{\mathbb{P}}^{1}_{K}\to X tel que ces deux points soient dans l’image de 1(K)superscript1𝐾{\mathbb{P}}^{1}(K).

Corollaire 10.8.

[48] Pour K𝐾K corps fertile et X/K𝑋𝐾X/K comme ci-dessus, pour tout ouvert de Zariski non vide UX𝑈𝑋U\subset X, l’application U(K)/RX(K)/R𝑈𝐾𝑅𝑋𝐾𝑅U(K)/R\to X(K)/R est bijective.

On ne sait pas si les deux énoncés précédents valent sur un corps K𝐾K infini quelconque.

Théorème 10.9.

(Kollár) [48] Soit K𝐾K un corps local usuel, soit f:XY:𝑓𝑋𝑌f:X\to Y un K𝐾K-morphisme projectif et lisse de K𝐾K-variétés lisses, dont les fibres géométriques sont des variétés SRC. L’application Y(K)𝑌𝐾Y(K)\to{\mathbb{N}} qui à un point yY(K)𝑦𝑌𝐾y\in Y(K) associe le cardinal de Xy(K)/Rsubscript𝑋𝑦𝐾𝑅X_{y}(K)/R est semi-continue supérieurement : tout point de Y(K)𝑌𝐾Y(K) admet un voisinage (pour la topologie sur Y(K)𝑌𝐾Y(K) définie par celle du corps local K𝐾K) tel que pour z𝑧z dans ce voisinage le cardinal de Xz(K)/Rsubscript𝑋𝑧𝐾𝑅X_{z}(K)/R soit au plus égal à celui de Xy(K)/Rsubscript𝑋𝑦𝐾𝑅X_{y}(K)/R.

Question 10.10.

[48] Le cardinal de Xy(K)/Rsubscript𝑋𝑦𝐾𝑅X_{y}(K)/R est-il localement constant quand y𝑦y varie dans Y(K)𝑌𝐾Y(K) ?

Question 10.11.

Soient k𝑘k un corps et X𝑋X une k𝑘k-variété séparablement rationnellement connexe. Dans chacun des cas suivants :

(a) k=(C)𝑘𝐶k={\mathbb{C}}(C) est un corps de fonctions d’une variable sur les complexes,

(b) k=((t))𝑘𝑡k={\mathbb{C}}((t)) est un corps de séries formelles en une variable,

(c) k𝑘k est un corps C1subscript𝐶1C_{1},

(d) k𝑘k est un corps parfait de dimension cohomologique cd(k)1𝑐𝑑𝑘1cd(k)\leq 1,

l’ensemble X(k)/R𝑋𝑘𝑅X(k)/R a-t-il au plus un élément ?

On ne s’attend pas à une réponse positive. Cependant, pour k𝑘k de caractéristique nulle, sous la simple hypothèse cd(k)1𝑐𝑑𝑘1cd(k)\leq 1, c’est connu dans les cas suivants :

(i) X𝑋X est une compactification lisse d’un groupe linéaire connexe ([16]).

(ii) X𝑋X est une surface fibrée en coniques de degré 4 sur la droite projective ([18]).

(iii) X𝑋X est une intersection lisse de deux quadriques dans knsubscriptsuperscript𝑛𝑘{\mathbb{P}}^{n}_{k} et n5𝑛5n\geq 5 ([17], Thm. 3.27 (ii)).

(iv) Le corps k𝑘k est C1subscript𝐶1C_{1}, la variété X𝑋X est une hypersurface cubique lisse dans knsubscriptsuperscript𝑛𝑘{\mathbb{P}}^{n}_{k} avec n5𝑛5n\geq 5 ([58]).

On a aussi le résultat suivant, portant sur des variétés singulières :

(v) Soit k𝑘k un corps de caractéristique nulle tel que toute forme quadratique sur k𝑘k en 3 variables ait un zéro non trivial. Alors pour toute surface cubique singulière Xk3𝑋subscriptsuperscript3𝑘X\subset{\mathbb{P}}^{3}_{k} l’ensemble X(k)/R𝑋𝑘𝑅X(k)/R a au plus un élément.

Lorsque X𝑋X possède un point singulier k𝑘k-rationnel, ceci est établi dans [58], §1. Dans le cas général, on établit ce résultat en utilisant la classification des surfaces cubiques singulières. Le seul cas non couvert par les arguments donnés au §5 de [56] (voir aussi [58], Remarque 1) est le cas des surfaces de Châtelet (cas 7 p. 182 de [56]). Le résultat dans ce cas s’obtient en combinant le Théorème 8.6 (d) de [17] et les résultats de [20].

Une réponse positive à la question 10.11 pour les surfaces (projectives et lisses) géométriquement rationnelles définies sur (t)𝑡{\mathbb{C}}(t) impliquerait l’unirationalité des variétés de dimension 3 sur {\mathbb{C}} qui admettent une fibration en coniques sur le plan projectif. Il s’agit là d’une question largement ouverte.

Question 10.12.

Soient K𝐾K un corps de nombres et X𝑋X une K𝐾K-variété rationnellement connexe. Le quotient X(K)/R𝑋𝐾𝑅X(K)/R est-il fini ?

C’est connu dans les cas suivants :

(i) La variété X𝑋X est une compactification lisse d’un groupe linéaire connexe G𝐺G. L’immersion ouverte GX𝐺𝑋G\subset X induit une bijection G(k)/RX(k)/Rsimilar-to-or-equals𝐺𝑘𝑅𝑋𝑘𝑅G(k)/R\simeq X(k)/R ([32]). La finitude dans le cas général est due à Gille [31], elle s’appuie sur des résultats antérieurs de Margulis (groupes semi-simples simplement connexes) et CT-Sansuc ([16], cas des tores algébriques).

(ii) La variété X𝑋X est une surface fibrée en coniques de degré 4 sur la droite projective (CT-Sansuc, cf. [18]).

(iii) La variété X𝑋X est une intersection lisse de deux quadriques dans Knsubscriptsuperscript𝑛𝐾{\mathbb{P}}^{n}_{K} et n6𝑛6n\geq 6 ([17]).

La question de la finitude de X(K)/R𝑋𝐾𝑅X(K)/R sur K𝐾K un corps de nombres est ouverte pour les compactifications lisses d’espaces homogènes de groupes linéaires connexes, même en supposant les groupes d’isotropie géométrique connexes.

On pourrait se poser la question de la finitude de X(K)/R𝑋𝐾𝑅X(K)/R pour X/K𝑋𝐾X/K rationnellement connexe et K𝐾K de type fini sur l’un quelconque des corps suivants : un corps fini, {\mathbb{Q}}, {\mathbb{C}}, {\mathbb{R}}, psubscript𝑝{\mathbb{Q}}_{p}.

On a par exemple la finitude dans ce cadre dans le cas (ii) ci-dessus ([18]), et c’est une question ouverte lorsque X𝑋X est de dimension 2, i.e. est une surface géométriquement rationnelle. Dans le cas (i), on a la finitude lorsque G𝐺G est un tore [16]. C’est une question largement ouverte pour G𝐺G un groupe linéaire quelconque.

Mais, sur chacun des corps (t)𝑡{\mathbb{Q}}(t), (t)𝑡{\mathbb{R}}(t), ((t))𝑡{\mathbb{R}}((t)), la réunion pour tout n1𝑛1n\geq 1 des ((t1/n))superscript𝑡1𝑛{\mathbb{R}}((t^{1/n})) (qui est un corps réel clos non archimédien), Kollár [48] a construit des exemples d’hypersurfaces lisses X𝑋X de degré 4 dans Knsubscriptsuperscript𝑛𝐾{\mathbb{P}}^{n}_{K}, avec n𝑛n arbitrairement grand, telles que X(K)/R𝑋𝐾𝑅X(K)/R soit infini.

11 Équivalence rationnelle sur les zéro-cycles des variétés rationnellement connexes

Proposition 11.1.

[9] Soient k𝑘k un corps et X𝑋X une k𝑘k-variété RCC. Il existe un entier N=N(X)>0𝑁𝑁𝑋0N=N(X)>0 tel que pour toute extension de corps L/k𝐿𝑘L/k on ait NA0(X×kL)=0𝑁subscript𝐴0subscript𝑘𝑋𝐿0NA_{0}(X\times_{k}L)=0.

Soient 𝔽𝔽{\mathbb{F}} un corps fini et X𝑋X une 𝔽𝔽{\mathbb{F}}-variété séparablement rationnellement connexe. Du théorème de Kollár et Szabó [52] il résulte que l’on a A0(X)=0subscript𝐴0𝑋0A_{0}(X)=0. Mais ceci n’est qu’un cas particulier d’un théorème général en théorie du corps de classes supérieur :

Théorème 11.2.

(K. Kato et S. Saito, 1983) Soient 𝔽𝔽{\mathbb{F}} un corps fini et X𝑋X une 𝔽𝔽{\mathbb{F}}-variété projective et lisse géométriquement intègre. Soit AlbX𝐴𝑙subscript𝑏𝑋Alb_{X} la variété d’Albanese de X𝑋X (c’est une variété abélienne) et μ𝜇\mu le 𝔽𝔽{\mathbb{F}}-groupe fini commutatif dual de la torsion du groupe de Néron-Severi géométrique de X𝑋X. Le groupe A0(X)subscript𝐴0𝑋A_{0}(X) est fini, et l’on a une suite exacte

0H1(𝔽,μ)A0(X)AlbX(𝔽)0.0superscript𝐻1𝔽𝜇subscript𝐴0𝑋𝐴𝑙subscript𝑏𝑋𝔽00\to H^{1}({\mathbb{F}},\mu)\to A_{0}(X)\to Alb_{X}({\mathbb{F}})\to 0.
Question 11.3.

Soient k𝑘k un corps et X𝑋X une k𝑘k-variété séparablement rationnellement connexe. Dans chacun des cas suivants :

(a) k=(C)𝑘𝐶k={\mathbb{C}}(C) est un corps de fonctions d’une variable sur les complexes,

(b) k=((t))𝑘𝑡k={\mathbb{C}}((t)) est un corps de séries formelles en une variable,

(c) k𝑘k est un corps parfait de dimension cohomologique 1,

a-t-on A0(X)=0subscript𝐴0𝑋0A_{0}(X)=0 ?

On ne s’attend pas à une réponse positive. Cependant, pour k𝑘k de caractéristique nulle, sous la simple hypothèse cd(k)1𝑐𝑑𝑘1cd(k)\leq 1, il en est ainsi dans chacun des cas suivants :

(i) Compactification lisse d’espace homogène principal de groupe algébrique linéaire connexe ([16]).

(ii) Surface SRC, i.e. surface géométriquement rationnelle. La situation est ici bien meilleure que pour la R𝑅R-équivalence (voir la question 10.11). On établit A0(X)=0subscript𝐴0𝑋0A_{0}(X)=0 par des méthodes de K-théorie algébrique ([8]).

(iii) Hypersurface cubique lisse dans knsubscriptsuperscript𝑛𝑘{\mathbb{P}}^{n}_{k} (n3𝑛3n\geq 3) avec un k𝑘k-point, pour n3𝑛3n\geq 3. Soit PX(k)𝑃𝑋𝑘P\in X(k). Pour établir (iii), il suffit de montrer que tout k𝑘k-point M𝑀M est rationnellement équivalent au point P𝑃P (on applique ensuite cet énoncé sur toute extension finie de k𝑘k.) Soit Lkn𝐿subscriptsuperscript𝑛𝑘L\subset{\mathbb{P}}^{n}_{k} un espace linéaire de dimension 3 contenant P𝑃P et M𝑀M. Soit Y=XLLk3𝑌𝑋𝐿𝐿similar-to-or-equalssubscriptsuperscript3𝑘Y=X\cap L\subset L\simeq{\mathbb{P}}^{3}_{k} la surface cubique découpée par L𝐿L. Si Y𝑌Y est singulière, alors P𝑃P et M𝑀M sont R𝑅R-équivalents sur Y𝑌Y, donc sur X𝑋X : voir l’énoncé (v) après la question 10.11. Si Y𝑌Y est non singulière, on a A0(Y)=0subscript𝐴0𝑌0A_{0}(Y)=0 d’après le point (ii) ci-dessus. Dans tous les cas on voit que P𝑃P et M𝑀M sont rationnellement équivalents.

(iv) Intersection lisse de deux quadriques dans knsubscriptsuperscript𝑛𝑘{\mathbb{P}}^{n}_{k} avec un k𝑘k-point, pour n5𝑛5n\geq 5. Ceci résulte de l’énoncé (iii) suivant la question 10.11. Une adaptation de l’argument donné ci-dessus pour les hypersurfaces cubiques devrait donner le résultat pour n4𝑛4n\geq 4.

Théorème 11.4.

(CT-Ischebeck 1981) Soit X𝑋X une {\mathbb{R}}-variété projective et lisse géométriquement intègre avec X()𝑋X({\mathbb{R}})\neq\emptyset. Soit s𝑠s le nombre de composantes connexes de X()𝑋X({\mathbb{R}}).

Le sous-groupe 2A0(X)2subscript𝐴0𝑋2A_{0}(X) est le sous-groupe divisible maximal de A0(X)subscript𝐴0𝑋A_{0}(X) et le quotient A0(X)/2A0(X)=(/2)s1subscript𝐴0𝑋2subscript𝐴0𝑋superscript2𝑠1A_{0}(X)/2A_{0}(X)=({\mathbb{Z}}/2)^{s-1}.

En particulier si X𝑋X est rationnellement connexe et X()𝑋X({\mathbb{R}})\neq\emptyset, alors A0(X)subscript𝐴0𝑋A_{0}(X) est fini et A0(X)=(/2)s1subscript𝐴0𝑋superscript2𝑠1A_{0}(X)=({\mathbb{Z}}/2)^{s-1}.

Soit R𝑅R un corps réel clos. Knebusch et Delfs ont montré comment l’on peut, pour toute R𝑅R-variété algébrique X𝑋X, donner une définition adéquate des «  composantes connexes   » de X(R)𝑋𝑅X(R). Celles-ci sont en nombre fini. Le théorème ci-dessus vaut dans ce cadre plus large. On comparera ceci avec la remarque finale de la section 10.

Question 11.5.

Soient K𝐾K un corps p𝑝p-adique (extension finie de psubscript𝑝{\mathbb{Q}}_{p}) et X𝑋X une K𝐾K-variété rationnellement connexe. Le groupe A0(X)subscript𝐴0𝑋A_{0}(X) est-il fini ?

Soit A𝐴A l’anneau de la valuation du corps local K𝐾K, soit 𝔽𝔽{\mathbb{F}} le corps fini résiduel. Voici des résultats obtenus dans cette direction.

(i) Si dim(X)=2dim𝑋2{\rm dim}(X)=2, le groupe A0(X)subscript𝐴0𝑋A_{0}(X) est fini ([8]).

(ii) Si X𝑋X est une intersection lisse de deux quadriques dans Kn,n4subscriptsuperscript𝑛𝐾𝑛4{\mathbb{P}}^{n}_{K},n\geq 4 et X(K)𝑋𝐾X(K)\neq\emptyset, le groupe A0(X)subscript𝐴0𝑋A_{0}(X) est fini ([17], [19] et [62]).

(iii) Si X𝑋X est un fibré en quadriques de dimension relative au moins 1 sur la droite projective, le groupe A0(X)subscript𝐴0𝑋A_{0}(X) est fini ([19, 62]).

(iv) Si X𝑋X est une K𝐾K-compactification lisse d’un K𝐾K-groupe linéaire connexe, alors A0(X)subscript𝐴0𝑋A_{0}(X) est somme d’un groupe fini et d’un groupe de torsion p𝑝p-primaire (d’exposant fini) ([9]).

(v) (Kollár-Szabó) [52] Si X𝑋X a bonne réduction SRC, i.e. s’il existe un A𝐴A-schéma 𝒳𝒳{\mathcal{X}} régulier, intègre, propre et lisse de fibre spéciale Y/𝔽𝑌𝔽Y/{\mathbb{F}} SRC, alors A0(X)=0subscript𝐴0𝑋0A_{0}(X)=0.

(vi) (S. Saito et K. Sato) [64] Soit X𝑋X une K𝐾K-variété projective, lisse, géométriquement connexe. Supposons que X/K𝑋𝐾X/K possède un modèle 𝒳/A𝒳𝐴{\mathcal{X}}/A régulier intègre, propre et plat, de fibre spéciale réduite Yred/𝔽subscript𝑌𝑟𝑒𝑑𝔽Y_{{red}}/{\mathbb{F}} à croisements normaux stricts. Alors le groupe A0(X)subscript𝐴0𝑋A_{0}(X) est somme directe d’un groupe fini et d’un groupe divisible par tout entier premier à p𝑝p. Si en outre X𝑋X est une variété rationnellement connexe, alors A0(X)subscript𝐴0𝑋A_{0}(X) est somme d’un groupe fini et d’un groupe de torsion p𝑝p-primaire d’exposant fini.

On s’est longtemps posé la question de savoir si pour toute variété projective lisse X𝑋X sur un corps p𝑝p-adique le sous-groupe de torsion de A0(X)subscript𝐴0𝑋A_{0}(X) est fini. M. Asakura et S. Saito ont montré récemment qu’il n’en est rien (exemples : surfaces de degré d5𝑑5d\geq 5 suffisamment générales dans 3superscript3{\mathbb{P}}^{3}).

Question 11.6.

Soient K𝐾K un corps de type fini sur le corps premier et X𝑋X une K𝐾K-variété rationnellement connexe. Le groupe A0(X)subscript𝐴0𝑋A_{0}(X) est-il fini ?

C’est connu lorsque dim(X)=2dim𝑋2{\rm dim}(X)=2 et X(K)𝑋𝐾X(K)\neq\emptyset ([8]), et lorsque X𝑋X est une compactification lisse d’un K𝐾K-tore de dimension 3 (Merkur’ev, 2008).

Mais le cas général des compactifications lisses de tores sur un corps de nombres est ouvert.

De façon générale, on se demande si pour toute variété X𝑋X connexe, projective et lisse sur un corps K𝐾K de type fini sur le corps premier, le groupe A0(X)subscript𝐴0𝑋A_{0}(X) est un groupe de type fini.

12 Vers les variétés supérieurement rationnellement connexes

12.1 Deux exemples

12.1.1 Formes tordues d’hyperquadriques

D. Tao [68] a obtenu les résultats suivants. Soit K𝐾K un corps possédant une algèbre simple centrale A𝐴A de degré 2n62𝑛62n\geq 6 dont la classe [A]delimited-[]𝐴[A] dans le groupe de Brauer de K𝐾K est non nulle et d’exposant 2. La condition 2.[A]=0formulae-sequence2delimited-[]𝐴02.[A]=0 assure l’existence sur A𝐴A d’une involution de première espèce σ𝜎\sigma qu’on peut choisir orthogonale. A une telle situation est alors associée une K𝐾K-variété X𝑋X qui est une forme tordue d’une quadrique lisse dans 2n1superscript2𝑛1{\mathbb{P}}^{2n-1} et pour laquelle

Ker(missingBrKmissingBrK(X))=/2=.[A]missingBrK.formulae-sequenceKermissing𝐵𝑟𝐾missing𝐵𝑟𝐾𝑋2delimited-[]𝐴missing𝐵𝑟𝐾{\rm Ker}(\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits K\to\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits K(X))={\mathbb{Z}}/2={\mathbb{Z}}.[A]\subset\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits K.

Il y a donc une obstruction élémentaire à l’existence d’un K𝐾K-point, en particulier X(K)=𝑋𝐾X(K)=\emptyset.

On peut trouver des algèbres A𝐴A du type requis sur l’un quelconque des corps suivants : un corps p𝑝p-adique, le corps des séries formelles itérées ((u))((v))𝑢𝑣{\mathbb{C}}((u))((v)), un corps de fonctions de deux variables sur {\mathbb{C}}.

Sur K𝐾K l’un quelconque de ces corps, pour m4𝑚4m\geq 4, les quadriques dans Kmsubscriptsuperscript𝑚𝐾{\mathbb{P}}^{m}_{K} ont un point rationnel. Mais pour m𝑚m impair les formes tordues obtenues n’ont pas de point K𝐾K-rationnel.

Si l’on considère une telle forme tordue X𝑋X sur le corps K=((u))((v))𝐾𝑢𝑣K={\mathbb{C}}((u))((v)), pour laquelle l’application missingBrKmissingBrK(X)missing𝐵𝑟𝐾missing𝐵𝑟𝐾𝑋\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits K\to\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits K(X) n’est pas injective, il résulte de la proposition 4.1 que la fibre spéciale sur F=((u))𝐹𝑢F={\mathbb{C}}((u)) d’un modèle propre, plat, régulier de X𝑋X sur l’anneau de valuation discrète A=((u))[[v]]𝐴𝑢delimited-[]delimited-[]𝑣A={\mathbb{C}}((u))[[v]] n’a aucune composante géométriquement intègre de multiplicité 1.

12.1.2 Une hypersurface cubique

L’hypersurface cubique diagonale XK8𝑋subscriptsuperscript8𝐾X\subset{\mathbb{P}}^{8}_{K} de coefficients

(1,u,u2,v,vu,vu2,v2,v2u,v2u2)1𝑢superscript𝑢2𝑣𝑣𝑢𝑣superscript𝑢2superscript𝑣2superscript𝑣2𝑢superscript𝑣2superscript𝑢2(1,u,u^{2},v,vu,vu^{2},v^{2},v^{2}u,v^{2}u^{2})

sur le corps K=((u))((v))𝐾𝑢𝑣K={\mathbb{C}}((u))((v)) n’a pas de point rationnel.

La condition d’injectivité sur le groupe de Brauer missingBrKmissingBrK(X)missing𝐵𝑟𝐾missing𝐵𝑟𝐾𝑋\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits K\hookrightarrow\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits K(X) est ici satisfaite, plus généralement, l’obstruction élémentaire s’annule : il en est ainsi pour toute hypersurface lisse de dimension au moins 3 (cf. [4]).

L’anneau de valuation discrète A=((u))[[v]]𝐴𝑢delimited-[]delimited-[]𝑣A={\mathbb{C}}((u))[[v]] a pour corps des fractions K𝐾K. La K𝐾K-hypersurface cubique X𝑋X admet un modèle régulier 𝒳𝒳{\mathcal{X}} projectif sur A𝐴A dont une composante réduite de la fibre sur F=((u))𝐹𝑢F={\mathbb{C}}((u)) est géométriquement intègre et de multiplicité 1 : un ouvert est donné par un ouvert du cône de F8subscriptsuperscript8𝐹{\mathbb{P}}^{8}_{F} d’équation homogène x3+uy3+u2z3=0superscript𝑥3𝑢superscript𝑦3superscript𝑢2superscript𝑧30x^{3}+uy^{3}+u^{2}z^{3}=0. Mais cette composante n’est pas rationnellement connexe, elle ne possède même pas de ((u))𝑢{\mathbb{C}}((u))-point lisse. De fait, la fibre spéciale Y𝑌Y de 𝒳𝒳{\mathcal{X}} ne saurait posséder une composante géométriquement intègre rationnellement connexe de multiplicité 1  : d’après le théorème 7.5 toute telle composante posséderait des points lisses sur ((u))𝑢{\mathbb{C}}((u)), points qui seraient Zariski-denses car ((u))𝑢{\mathbb{C}}((u)) est fertile, et l’on pourrait relever un ((u))𝑢{\mathbb{C}}((u))-point non situé sur les autres composantes en un K𝐾K-point de X𝑋X. Le même argument montre qu’aucune composante de multiplicité 1 de la fibre spéciale d’un modèle 𝒳𝒳{\mathcal{X}} de type (R) de X𝑋X, à croisements normaux stricts, n’est le but d’une application rationnelle depuis une ((u))𝑢{\mathbb{C}}((u))-variété rationnellement connexe.

12.2 Fibres spéciales avec une composante géométriquement intègre de multiplicité 1

Soit A𝐴A un anneau de valuation discrète, K𝐾K son corps des fractions, F𝐹F son corps résiduel. Soit π𝜋\pi une uniformisante de A𝐴A. Soit 𝒳/A𝒳𝐴{\mathcal{X}}/A un A𝐴A-schéma de type (R) (voir le paragraphe 2), X/K𝑋𝐾X/K sa fibre générique, Y/F𝑌𝐹Y/F sa fibre spéciale. Si l’on a X(K)𝑋𝐾X(K)\neq\emptyset alors l’on a 𝒳(A)𝒳𝐴{\mathcal{X}}(A)\neq\emptyset. Comme 𝒳𝒳{\mathcal{X}} est régulier, une A𝐴A-section de X/A𝑋𝐴X/A rencontre Y𝑌Y en un F𝐹F-point M𝑀M possédant les propriétés suivantes : il est sur une unique composante réduite de Y𝑌Y, il est lisse sur cette composante, cette composante est de multiplicité 1 et géométriquement intègre. Inversement, si A𝐴A est hensélien, un tel point M𝑀M se relève en un K𝐾K-point de X𝑋X.

On voit donc qu’une condition nécessaire pour l’existence d’un K𝐾K-point sur X𝑋X est l’existence d’une composante géométriquement intègre de multiplicité 1 de la fibre spéciale Y𝑌Y. Au paragraphe 3.4 on a discuté cette propriété. Par analogie avec les suggestions 7.9 on est amené ici à s’intéresser aux propriétés suivantes d’un A𝐴A-schéma 𝒳𝒳{\mathcal{X}} de type (R).


(i) La fibre spéciale Y/F𝑌𝐹Y/F contient une composante géométriquement intègre de multiplicité 1.

(ii) La fibre spéciale Y/F𝑌𝐹Y/F contient une composante géométriquement intègre de multiplicité 1 qui admet un F𝐹F-morphisme depuis une F𝐹F-variété séparablement rationnellement connexe.

(iii) La fibre spéciale Y/F𝑌𝐹Y/F contient une composante géométriquement intègre de multiplicité 1 qui est une F𝐹F-variété séparablement rationnellement connexe.

On laisse ici au lecteur le soin de vérifier que la propriété (ii) satisfait la même propriété d’invariance K𝐾K-birationnelle que la propriété (i) (cf. §3.4).

Théorème 12.1.

(CT-Kunyavskiǐ 2006) [13] Soit A𝐴A un anneau de valuation discrète, de corps des fractions K𝐾K, de corps résiduel F𝐹F de caractéristique zéro. Soit 𝒳𝒳{\mathcal{X}} un A𝐴A-schéma régulier propre intègre de fibre générique 𝒳Ksubscript𝒳𝐾{\mathcal{X}}_{K} une compactification lisse d’un espace homogène principal d’un groupe semi-simple simplement connexe, à fibre spéciale un diviseur à croisements normaux stricts. Il existe alors une composante de la fibre spéciale qui est géométriquement intègre et de multiplicité 1, et qui de plus admet un F𝐹F-morphisme depuis une F𝐹F-variété rationnellement connexe.

Démonstration.

Comme rappelé au paragraphe 2, on peut suivant Ducros [23] plonger F𝐹F dans un corps L𝐿L satisfaisant :

(i) Le corps F𝐹F est algébriquement fermé dans L𝐿L.

(ii) Le corps L𝐿L est un corps de dimension cohomologique 1.

(iii) Le corps L𝐿L est limite inductive de corps de fonctions de F𝐹F-variétés admettant des fibrations successives (par applications rationnelles) en variétés qui sont des restrictions à la Weil de variétés de Severi-Brauer. On voit aisément que de telles variétés sont birationnelles à des variétés rationnellement connexes (on n’a pas ici besoin d’invoquer le théorème 7.4).

D’après Bruhat et Tits, tout espace homogène principal sous un groupe semi-simple simplement connexe sur le corps local L((t))𝐿𝑡L((t)), dont le corps résiduel est parfait et de dimension cohomologique 1, est trivial, i.e. possède un point L((t))𝐿𝑡L((t))-rationnel. Je renvoie ici le lecteur à [13] pour l’algèbre commutative utilisée pour terminer la démonstration. ∎


Remarque 12.2. L’assertion sur l’existence d’un F𝐹F-morphisme depuis une F𝐹F-variété rationnellement connexe ne figurait pas dans [13].

Théorème 12.3.

[10] Soit A𝐴A un anneau de valuation discrète de corps des fractions K𝐾K, de corps résiduel F𝐹F de caractéristique zéro. Soit   ΦA[x0,,xn]Φ𝐴subscript𝑥0subscript𝑥𝑛\Phi\in A[x_{0},\dots,x_{n}] une forme homogène de degré d𝑑d en n+1>d2𝑛1superscript𝑑2n+1>d^{2} variables. Supposons que l’hypersurface X/K𝑋𝐾X/K définie par Φ=0Φ0\Phi=0 dans Knsubscriptsuperscript𝑛𝐾{\mathbb{P}}^{n}_{K} est lisse. Soit 𝒳/A𝒳𝐴{\mathcal{X}}/A un modèle régulier de cette hypersurface, propre et plat sur A𝐴A, à fibre spéciale à croisements normaux stricts. Il existe alors une composante de la fibre spéciale qui est géométriquement intègre et de multiplicité 1, et qui de plus admet un F𝐹F-morphisme depuis une F𝐹F-variété rationnellement connexe.

Démonstration.

Pour établir le résultat on peut supposer A=F[[t]]𝐴𝐹delimited-[]delimited-[]𝑡A=F[[t]]. D’après le théorème 7.14, on peut plonger F𝐹F dans un corps L𝐿L qui est union de corps de fonctions de F𝐹F-variétés rationnellement connexes, et qui est un corps C1subscript𝐶1C_{1}. On remplace F[[t]]𝐹delimited-[]delimited-[]𝑡F[[t]] par L[[t]]𝐿delimited-[]delimited-[]𝑡L[[t]] et on utilise le fait que L((t))𝐿𝑡L((t)) est un corps C2subscript𝐶2C_{2} puisque L𝐿L est un corps C1subscript𝐶1C_{1} (théorème 5.4). On a donc X(L((t))X(L((t))\neq\emptyset et donc 𝒳(L[[t]])𝒳𝐿delimited-[]delimited-[]𝑡{\mathcal{X}}(L[[t]])\neq\emptyset. De ceci on déduit que la fibre spéciale contient une composante géométriquement intègre de multiplicité 1. On termine alors la démonstration comme dans le théorème 12.1 ci-dessus. ∎


Remarque 12.4. L’assertion sur l’existence d’un F𝐹F-morphisme depuis une F𝐹F-variété rationnellement connexe ne figurait pas dans [10]. C’est l’utilisation du théorème 7.13 (Hogadi et Xu) au lieu du théorème 7.10 (Kollár) qui permet ici de l’obtenir.


Remarque 12.5. Soit A𝐴A l’anneau des entiers d’un corps p𝑝p-adique, 𝔽𝔽{\mathbb{F}} son corps résiduel. Soit Φ,n,dΦ𝑛𝑑\Phi,n,d et 𝒳/A𝒳𝐴{\mathcal{X}}/A comme dans l’énoncé du théorème 12.3, en particulier on suppose donné un modèle à fibre spéciale à croisements normaux stricts. Supposons que le théorème 12.3 vaille encore dans ce cas d’inégale caractéristique.

On dispose alors d’une composante de Y𝑌Y qui est de multiplicité 1 et est géométriquement intègre sur le corps fini 𝔽𝔽{\mathbb{F}}. Par les estimations de Lang-Weil, il existe un zéro-cycle de degré 1 (par rapport au corps 𝔽𝔽{\mathbb{F}}) de support dans le lieu lisse de cette composante et non situé sur les autres composantes. Par le lemme de Hensel, on peut relever ce zéro-cycle sur K𝐾K et l’on obtient que X/K𝑋𝐾X/K possède un zéro-cycle de degré 1. Pour K𝐾K un corps p𝑝p-adique, l’existence d’un zéro-cycle de degré 1 sur toute hypersurface lisse de degré d𝑑d dans Knsubscriptsuperscript𝑛𝐾{\mathbb{P}}^{n}_{K}, avec nd2𝑛superscript𝑑2n\geq d^{2}, est une conjecture de Kato et Kuzumaki [45], établie par ces auteurs lorsque d𝑑d est un nombre premier.

On dispose plus précisément d’une 𝔽𝔽{\mathbb{F}}-application rationnelle d’une 𝔽𝔽{\mathbb{F}}-variété séparablement rationnellement connexe sur un corps fini vers une composante lisse de multiplicité 1 de la fibre spéciale. Le théorème 8.3 (Esnault) assure l’existence d’un 𝔽𝔽{\mathbb{F}}-point sur toute 𝔽𝔽{\mathbb{F}}-variété séparablement rationnellement connexe, donc par le lemme 2.1 sur la composante lisse. Mais tout tel 𝔽𝔽{\mathbb{F}}-point peut se trouver aussi sur une autre composante, donc ne pas être lisse sur Y𝑌Y, ce qui empêche de le relever en un K𝐾K-point de X𝑋X. C’est heureux. Sinon (modulo l’existence de bons modèles) psubscript𝑝{\mathbb{Q}}_{p} serait un corps C2subscript𝐶2C_{2} (ex-conjecture d’E. Artin). Mais les exemples fameux de Terjanian et de ses successeurs montrent que psubscript𝑝{\mathbb{Q}}_{p} n’est pas C2subscript𝐶2C_{2}.

Il vaudrait d’ailleurs la peine de regarder les nombreux contre-exemples à la conjecture d’Artin qui ont été construits et de vérifier qu’il existe toujours dans ces cas un zéro-cycle de degré 1. Il en est ainsi pour l’exemple initial de Terjanian sur 2subscript2{\mathbb{Q}}_{2}.

12.3 Variétés rationnellement simplement connexes

Les variétés rationnellement connexes sont un analogue algébrique des espaces topologiques connexes par arcs. B. Mazur a demandé s’il y a un analogue en géométrie algébrique des espaces simplement connexes. En topologie, on demande que l’espace des lacets pointés soit connexe par arcs. A la suite d’une suggestion de Mazur, de Jong et Starr [43] proposent les définitions suivantes. Dans l’état actuel des recherches, il faut considérer ces définitions comme provisoires.

Soit X𝑋X une variété projective et lisse sur {\mathbb{C}}, équipée d’un fibré ample H𝐻H. Soit M¯0,2(X,e)subscript¯𝑀0.2𝑋𝑒{\overline{M}}_{0,2}(X,e) l’espace de Kontsevich paramétrisant les données suivantes : une courbe C𝐶C propre, réduite, connexe, à croisements normaux, de genre arithmétique 0, un couple ordonné (p,q)𝑝𝑞(p,q) de points lisses de C𝐶C, un morphisme h:CX:𝐶𝑋h:C\to X de cycle image de degré e𝑒e, tels que de plus la situation n’ait qu’un nombre fini d’automorphismes.

On dispose alors d’un morphisme d’évaluation

M¯0,2(X,e)X×X.subscript¯𝑀0.2𝑋𝑒𝑋𝑋{\overline{M}}_{0,2}(X,e)\to X\times X.

La fibre générale de ce morphisme est un analogue de l’espace des chemins à points base en topologie.

La variété (projective et lisse) X𝑋X est dite rationnellement simplement connexe si pour e1𝑒1e\geq 1 suffisamment grand il existe une composante M𝑀M de M¯0,2(X,e)subscript¯𝑀0.2𝑋𝑒{\overline{M}}_{0,2}(X,e) dominant X×X𝑋𝑋X\times X telle que la fibre générique de MX×X𝑀𝑋𝑋M\to X\times X soit une variété rationnellement connexe.

De Jong et Starr [43] considèrent aussi l’espace

M¯0,m(X,e)subscript¯𝑀0𝑚𝑋𝑒{\overline{M}}_{0,m}(X,e)

où cette fois-ci l’on fixe m2𝑚2m\geq 2 points lisses ordonnés sur la courbe de genre arithmétique zéro, et l’évaluation

M¯0,m(X,e)Xm.subscript¯𝑀0𝑚𝑋𝑒superscript𝑋𝑚{\overline{M}}_{0,m}(X,e)\to X^{m}.

Ils appellent X𝑋X fortement rationnellement simplement connexe si pour tout m2𝑚2m\geq 2 et tout entier e𝑒e suffisamment grand (fonction de m𝑚m) il existe une composante M𝑀M de M¯0,m(X,e)subscript¯𝑀0𝑚𝑋𝑒{\overline{M}}_{0,m}(X,e) dominant Xmsuperscript𝑋𝑚X^{m} telle que la fibre générique de MXm𝑀superscript𝑋𝑚M\to X^{m} soit une variété rationnellement connexe.


De Jong et Starr (travaux en cours) ont obtenu une série de résultats sur les intersections complètes lisses dans l’espace projectif. Pour simplifier, je cite leurs résultats pour les hypersurfaces.

Théorème 12.6.

(de Jong-Starr) [43] Une hypersurface lisse de degré d2𝑑2d\geq 2 dans nsubscriptsuperscript𝑛{\mathbb{P}}^{n}_{{\mathbb{C}}} avec

nd21𝑛superscript𝑑21n\geq d^{2}-1

est rationnellement simplement connexe, à l’exception des quadriques dans 3subscriptsuperscript3{\mathbb{P}}^{3}_{{\mathbb{C}}}.

Théorème 12.7.

(de Jong-Starr) [43] Une hypersurface lisse de degré d2𝑑2d\geq 2 dans nsubscriptsuperscript𝑛{\mathbb{P}}^{n}_{{\mathbb{C}}} avec

n2d2d1𝑛2superscript𝑑2𝑑1n\geq 2d^{2}-d-1

est fortement rationnellement simplement connexe.

Dans la définition ci-dessus on peut prendre e4m6𝑒4𝑚6e\geq 4m-6.

Théorème 12.8.

(de Jong-Starr) [43] Pour nd2𝑛superscript𝑑2n\geq d^{2}, il existe un ouvert de Zariski non vide de l’espace des hypersurfaces de degré d𝑑d dans nsubscriptsuperscript𝑛{\mathbb{P}}^{n}_{{\mathbb{C}}} tel que toute hypersurface paramétrée par un point de cet espace est fortement rationnellement simplement connexe.

La suggestion suivante est une version locale d’une suggestion globale de de Jong (12.11 ci-après).

Suggestion 12.9.

Soit A𝐴A un anneau de valuation discrète de corps des fractions K𝐾K\subset{\mathbb{C}} et soit F𝐹F son corps résiduel, supposé de caractéristique zéro. Soit 𝒳𝒳{\mathcal{X}} un A𝐴A-schéma de type (R), X/K𝑋𝐾X/K sa fibre générique, Y/F𝑌𝐹Y/F sa fibre spéciale. Si les conditions suivantes sont satisfaites :

(i) la {\mathbb{C}}-variété X×Ksubscript𝐾𝑋X\times_{K}{\mathbb{C}} est fortement rationnellement simplement connexe,

(ii) l’obstruction élémentaire pour X/K𝑋𝐾X/K s’annule,

alors la fibre spéciale Y/F𝑌𝐹Y/F contient une composante géométriquement intègre de multiplicité 1 qui admet un F𝐹F-morphisme depuis une F𝐹F-variété rationnellement connexe.


Remarque 12.10. Dans (i), l’exemple 12.1.2 et le théorème 12.6 justifient la restriction aux variétés fortement rationnellement simplement connexes, plutôt qu’aux variétés rationnellement simplement connexes. L’exemple 12.1.1 justifie la condition (ii).

12.4 Existence d’un point rationnel sur un corps de fonctions de deux variables

Sur K𝐾K un corps de fonctions d’une variable sur {\mathbb{C}}, le théorème de Graber-Harris-Starr dit que les K𝐾K-variétés rationnellement connexes ont automatiquement un point K𝐾K-rationnel (et le théorème de Graber-Harris-Starr-Mazur dit que ce sont essentiellement les seules).

On peut se demander s’il existe une classe de variétés qui ont la propriété que lorsqu’elles sont définies sur un corps K𝐾K de fonctions de deux variables sur {\mathbb{C}}, elles ont automatiquement un K𝐾K-point.

Voici deux familles de variétés pour lesquelles ceci est connu.

Le théorème de Tsen-Lang implique que toute hypersurface de degré d𝑑d dans Knsubscriptsuperscript𝑛𝐾{\mathbb{P}}^{n}_{K} avec nd2𝑛superscript𝑑2n\geq d^{2} possède un K𝐾K-point.

Soit G𝐺G un K𝐾K-groupe semi-simple simplement connexe, E𝐸E un espace homogène principal de G𝐺G et X𝑋X une K𝐾K-compactification lisse de E𝐸E. La conjecture II de Serre pour le corps K𝐾K affirme que E𝐸E et donc aussi X𝑋X ont un K𝐾K-point. Ceci est connu lorsque G𝐺G n’a pas de facteur de type E8subscript𝐸8E_{8} (Merkur’ev-Suslin, Suslin, Bayer-Parimala, P. Gille). Pour avoir l’énoncé dans tous les cas il reste à traiter le cas E8subscript𝐸8E_{8} déployé. La résolution de ce dernier cas a été récemment annoncée par de Jong et Starr, leur démonstration utilise les techniques de variétés rationnellement simplement connexes.

Suggestion 12.11.

(de Jong) Soit K=(S)𝐾𝑆K={\mathbb{C}}(S) le corps de fonctions d’une surface sur le corps des complexes. Soit X𝑋X une K𝐾K-variété fortement rationnellement simplement connexe. Supposons l’application de restriction missingBrKmissingBrK(X)missing𝐵𝑟𝐾missing𝐵𝑟𝐾𝑋\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits K\to\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits K(X) injective. Alors X𝑋X possède un point K𝐾K-rationnel.


Remarque 12.12. L’exemple 12.1.1 montre la nécessité de la condition non géométrique portant sur le groupe de Brauer. Des conditions supplémentaires de même nature pourraient être nécessaires. Par exemple on peut demander que pour toute extension finie (ou non) de corps L/K𝐿𝐾L/K l’application missingBrLmissingBrL(X)missing𝐵𝑟𝐿missing𝐵𝑟𝐿𝑋\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits L\to\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits L(X) soit injective. De façon encore plus générale, on peut demander que pour toute extension finie (ou non) de corps L/K𝐿𝐾L/K il n’y ait pas d’obstruction élémentaire à l’existence d’un L𝐿L-point sur X×KLsubscript𝐾𝑋𝐿X\times_{K}L (voir [4]).

Pour une K𝐾K-variété X𝑋X intersection complète lisse de dimension au moins 3 dans un espace projectif Knsubscriptsuperscript𝑛𝐾{\mathbb{P}}^{n}_{K}, l’obstruction élémentaire s’annule. Il en est de même pour une K𝐾K-variété projective et lisse géométriquement connexe qui contient un ouvert U𝑈U qui est un espace homogène principal d’un groupe semi-simple simplement connexe. Pour ces résultats, voir [4].


Remarque 12.13. Dans [4] on s’intéresse aux compactifications lisses d’espaces homogènes de groupes linéaires connexes sur K=(S)𝐾𝑆K={\mathbb{C}}(S) un corps de fonctions de deux variables, lorsque les stabilisateurs géométriques sont connexes (et qu’il n’y a pas de facteur E8subscript𝐸8E_{8}). On montre que dans ce cas l’obstruction élémentaire à l’existence d’un point rationnel est la seule obstruction.

Pour une hypersurface cubique lisse de dimension au moins 3 sur un corps K𝐾K, l’obstruction élémentaire s’annule. Sur l’exemple 12.1.2 on voit donc que l’obstruction élémentaire est loin de contrôler l’existence d’un point rationnel pour les variétés rationnellement connexes sur un corps de fonctions de deux variables sur les complexes.


Remarque 12.14. De Jong et Starr ont un travail en préparation sur les variétés rationnellement simplement connexes où ils montrent que certains espaces homogènes projectifs sur un corps de fonctions de deux variables sur {\mathbb{C}} ont automatiquement un point rationnel. Cela leur permet de donner une nouvelle démonstration (la troisième !) du théorème de de Jong [41] qu’indice et exposant coïncident pour les algèbres simples centrales sur un tel corps.

12.5 Approximation faible en toutes les places d’un corps de fonctions d’une variable

Rappelons que c’est une question ouverte (9.1) de savoir si toute variété rationnellement connexe sur un corps de fonctions d’une variable satisfait l’approximation faible en toute place.

Théorème 12.15.

(Hassett-Tschinkel)[39] Soit K𝐾K un corps de fonctions d’une variable sur un corps algébriquement clos de caractéristique zéro. Il existe une fonction φ::𝜑\varphi:{\mathbb{N}}\to{\mathbb{N}} satisfaisant la propriété suivante. Pour toute hypersurface lisse de degré d𝑑d dans nsuperscript𝑛{\mathbb{P}}^{n} avec nφ(d)𝑛𝜑𝑑n\geq\varphi(d), l’approximation faible vaut en tout ensemble fini de places de K𝐾K.

Pour d=3𝑑3d=3, φ(3)=6𝜑36\varphi(3)=6 convient.

Un travail en cours sur les variétés rationnellement simplement connexes (de Jong-Starr [43], appendice de Hassett) donne φ(d)2d2d1𝜑𝑑2superscript𝑑2𝑑1\varphi(d)\leq 2d^{2}-d-1 et, si l’hypersurface est «  générale   », φ(d)d2𝜑𝑑superscript𝑑2\varphi(d)\leq d^{2}.

Théorème 12.16.

(Hassett) Soit K=(C)𝐾𝐶K={\mathbb{C}}(C) le corps des fonctions d’une courbe. Si X/K𝑋𝐾X/K est une variété fortement rationnellement simplement connexe, alors elle satisfait l’approximation faible par rapport à tout ensemble fini de places de K𝐾K.

12.6 R𝑅R-équivalence et équivalence rationnelle

Dans la recherche de la bonne définition de variétés «  supérieurement   » rationnellement connexes, on peut aussi penser à des conditions de trivialité de X(k)/R𝑋𝑘𝑅X(k)/R et de A0(X)subscript𝐴0𝑋A_{0}(X) sur les corps «  de dimension 2   », comme les corps p𝑝p-adiques, les corps de fonctions de deux variables sur les complexes, les corps de séries formelles itérées ((a))((b))𝑎𝑏{\mathbb{C}}((a))((b)).

12.6.1 Groupes semi-simples simplement connexes

Si K𝐾K est un corps p𝑝p-adique, ou si K𝐾K est un corps de fonctions de deux variables sur les complexes, ou si K=((a))((b))𝐾𝑎𝑏K={\mathbb{C}}((a))((b)), et si G/K𝐺𝐾G/K est un groupe semi-simple simplement connexe sans facteur de type E8subscript𝐸8E_{8}, on sait établir G(K)/R=1𝐺𝐾𝑅1G(K)/R=1 et X(K)/R=1𝑋𝐾𝑅1X(K)/R=1 (voir [12]). Pour X𝑋X une compactification lisse d’un tel G𝐺G, ceci implique A0(X)=0subscript𝐴0𝑋0A_{0}(X)=0.

12.6.2 Hypersurfaces cubiques lisses

Proposition 12.17.

(Madore) [58] Soit K𝐾K un corps p𝑝p-adique ou un corps C2subscript𝐶2C_{2}. Soit XKn𝑋subscriptsuperscript𝑛𝐾X\subset{\mathbb{P}}^{n}_{K} une hypersurface cubique lisse. Pour n11𝑛11n\geq 11, on a cardX(K)/R=1card𝑋𝐾𝑅1{\rm card}\hskip 2.84526ptX(K)/R=1 et A0(X)=0subscript𝐴0𝑋0A_{0}(X)=0.

Soit K𝐾K un corps p𝑝p-adique. Pour n=3𝑛3n=3, on sait donner des exemples avec X(K)/R𝑋𝐾𝑅X(K)/R et A0(X)subscript𝐴0𝑋A_{0}(X) d’ordre plus grand que 1. On ignore ce qui se passe pour 4n104𝑛104\leq n\leq 10.

Par exemple, qu’en est-il pour l’hypersurface cubique d’équation :

x3+y3+z3+pu3+p2v3=0superscript𝑥3superscript𝑦3superscript𝑧3𝑝superscript𝑢3superscript𝑝2superscript𝑣30x^{3}+y^{3}+z^{3}+pu^{3}+p^{2}v^{3}=0

dans p4subscriptsuperscript4subscript𝑝{\mathbb{P}}^{4}_{{\mathbb{Q}}_{p}} ?

Supposons p1𝑝1p\equiv 1 mod 333, et soit ap×𝑎superscriptsubscript𝑝a\in{\mathbb{Z}}_{p}^{\times} non cube. Qu’en est-il pour l’hypersurface

x3+y3+z3+p(u13+au23)+p2(v13+av23)=0superscript𝑥3superscript𝑦3superscript𝑧3𝑝superscriptsubscript𝑢13𝑎superscriptsubscript𝑢23superscript𝑝2superscriptsubscript𝑣13𝑎superscriptsubscript𝑣230x^{3}+y^{3}+z^{3}+p(u_{1}^{3}+au_{2}^{3})+p^{2}(v_{1}^{3}+av_{2}^{3})=0

dans p6subscriptsuperscript6subscript𝑝{\mathbb{P}}^{6}_{{\mathbb{Q}}_{p}} ?

Sur le corps K=((a))((b))𝐾𝑎𝑏K={\mathbb{C}}((a))((b)), en utilisant la théorie de l’intersection sur un modèle au-dessus de ((a))[[b]]𝑎delimited-[]delimited-[]𝑏{\mathbb{C}}((a))[[b]], Madore [58] a montré que pour l’hypersurface cubique lisse XK4𝑋subscriptsuperscript4𝐾X\subset{\mathbb{P}}^{4}_{K} d’équation

x3+y3+az3+bu3+abv3=0,superscript𝑥3superscript𝑦3𝑎superscript𝑧3𝑏superscript𝑢3𝑎𝑏superscript𝑣30x^{3}+y^{3}+az^{3}+bu^{3}+abv^{3}=0,

on a A0(X)0.subscript𝐴0𝑋0A_{0}(X)\neq 0.

12.6.3 Intersections lisses de deux quadriques

Soit K𝐾K un corps p𝑝p-adique, et soit XKn𝑋subscriptsuperscript𝑛𝐾X\subset{\mathbb{P}}^{n}_{K}, avec n4𝑛4n\geq 4, une intersection complète lisse de deux quadriques possédant un K𝐾K-point. Si n7𝑛7n\geq 7, alors cardX(K)/R=1card𝑋𝐾𝑅1{\rm card}\hskip 2.84526ptX(K)/R=1 ([17]) et donc A0(X)=0subscript𝐴0𝑋0A_{0}(X)=0 (ceci vaut aussi pour un corps C2subscript𝐶2C_{2}). L’ensemble fini X(K)/R𝑋𝐾𝑅X(K)/R peut être non trivial pour n=4𝑛4n=4. Les cas n=5𝑛5n=5 et n=6𝑛6n=6 sont ouverts. Le groupe A0(X)subscript𝐴0𝑋A_{0}(X) est nul si n=6𝑛6n=6 et k𝑘k est non dyadique ([62]). Le groupe fini A0(X)subscript𝐴0𝑋A_{0}(X) peut être non trivial pour n=4𝑛4n=4. Les cas n=5𝑛5n=5 et n=6𝑛6n=6 (k𝑘k dyadique) sont ouverts.

Soient ai,i=1,,3formulae-sequencesubscript𝑎𝑖𝑖1.3a_{i},i=1,\dots,3, bi,i=1,,3formulae-sequencesubscript𝑏𝑖𝑖1.3b_{i},i=1,\dots,3 dans psubscript𝑝{\mathbb{Z}}_{p} satisfaisant aibisubscript𝑎𝑖subscript𝑏𝑖a_{i}\neq b_{i} et aibjajbip×subscript𝑎𝑖subscript𝑏𝑗subscript𝑎𝑗subscript𝑏𝑖superscriptsubscript𝑝a_{i}b_{j}-a_{j}b_{i}\in{\mathbb{Z}}_{p}^{\times} pour ij𝑖𝑗i\neq j. Soit Xp5𝑋subscriptsuperscript5subscript𝑝X\subset{\mathbb{P}}^{5}_{{\mathbb{Q}}_{p}} l’intersection complète lisse de deux quadriques donnée par le système

i=03aiXi2+pX42=0,i=03biXi2+pX52=0.formulae-sequencesuperscriptsubscript𝑖03subscript𝑎𝑖superscriptsubscript𝑋𝑖2𝑝superscriptsubscript𝑋420superscriptsubscript𝑖03subscript𝑏𝑖superscriptsubscript𝑋𝑖2𝑝superscriptsubscript𝑋520\sum_{i=0}^{3}a_{i}X_{i}^{2}+pX_{4}^{2}=0,\hskip 5.69054pt\sum_{i=0}^{3}b_{i}X_{i}^{2}+pX_{5}^{2}=0.

Que valent X(p)/R𝑋subscript𝑝𝑅X({\mathbb{Q}}_{p})/R et A0(X)subscript𝐴0𝑋A_{0}(X) ?

12.6.4 Fibrés en quadriques sur la droite projective

Soit K𝐾K un corps p𝑝p-adique, et soit X𝑋X une K𝐾K-variété géométriquement intègre, projective et lisse sur K𝐾K, fibrée en quadriques de dimension d1𝑑1d\geq 1 sur la droite projective K1subscriptsuperscript1𝐾{\mathbb{P}}^{1}_{K}. Si p2𝑝2p\neq 2 et d3𝑑3d\geq 3, alors A0(X)=0subscript𝐴0𝑋0A_{0}(X)=0 ([62]). Dans le cas d=2𝑑2d=2, Parimala et Suresh [62] ont un exemple intéressant avec A0(X)0subscript𝐴0𝑋0A_{0}(X)\neq 0. Dans cet exemple, un élément non nul de A0(X)subscript𝐴0𝑋A_{0}(X) est détecté par la mauvaise réduction de X𝑋X de façon subtile, le groupe de Brauer de X𝑋X ne permet pas de détecter cet élément.

13 Surjectivité arithmétique et surjectivité
géométrique

Mis à part bien sûr le théorème d’Ax et Kochen, les énoncés de ce paragraphe sont établis dans des notes non publiées de l’auteur. Le lecteur ne devrait pas avoir de difficulté à reconstituer les démonstrations.

13.1 Morphismes définis sur un corps de nombres et applications induites sur les points locaux

On s’intéresse dans la suite à la situation suivante.

(*) On est sur un corps de nombres k𝑘k, X𝑋X et Y𝑌Y sont deux k𝑘k-variétés lisses géométriquement intègres, la k𝑘k-variété Y𝑌Y est projective, on a un k𝑘k-morphisme projectif f:XY:𝑓𝑋𝑌f:X\to Y de fibre générique géométriquement intègre. On note UX𝑈𝑋U\subset X l’ouvert de lissité du morphisme f𝑓f.

On demande quels sont les liens entre la géométrie du morphisme f𝑓f et les propriétés de surjectivité des applications induites X(kv)Y(kv)𝑋subscript𝑘𝑣𝑌subscript𝑘𝑣X(k_{v})\to Y(k_{v}) pour presque toute place v𝑣v, ou déjà pour une infinité de places v𝑣v du corps de nombres k𝑘k.

Les théorèmes 13.1 et 13.3 ci-après jouent un rôle central dans l’étude du principe de Hasse pour les variétés algébriques sur un corps de nombres.

Théorème 13.1.

Sous les hypothèses (*), si Y𝑌Y est une courbe et si l’application induite UY𝑈𝑌U\to Y est surjective (ce qui équivaut à : f:XY:𝑓𝑋𝑌f:X\to Y est localement scindé pour la topologie étale sur Y𝑌Y), alors il existe une infinité de places v𝑣v de k𝑘k pour lesquelles l’application induite X(kv)Y(kv)𝑋subscript𝑘𝑣𝑌subscript𝑘𝑣X(k_{v})\to Y(k_{v}) est surjective.

Démonstration.

Pour chaque point fermé P𝑃P de Y𝑌Y à fibre XP=f1(P)subscript𝑋𝑃superscript𝑓1𝑃X_{P}=f^{-1}(P) non lisse on choisit une composante ZPsubscript𝑍𝑃Z_{P} de multiplicité 1 de XPsubscript𝑋𝑃X_{P}. L’existence d’une telle composante est garantie par l’hypothèse que la fibration est localement scindée pour la topologie étale sur Y𝑌Y. Soit kPsubscript𝑘𝑃k_{P} le corps résiduel de Y𝑌Y en P𝑃P. Soit KPsubscript𝐾𝑃K_{P} la clôture intégrale de kPsubscript𝑘𝑃k_{P} dans le corps des fonctions de ZPsubscript𝑍𝑃Z_{P}. Soit K/k𝐾𝑘K/k une extension finie galoisienne de k𝑘k dans laquelle se plongent toutes les extensions KP/ksubscript𝐾𝑃𝑘K_{P}/k. La fibration fK:XKYK:subscript𝑓𝐾subscript𝑋𝐾subscript𝑌𝐾f_{K}:X_{K}\to Y_{K} satisfait alors les hypothèses du théorème 13.3 ci-après. En combinant ce théorème et le théorème de Tchebotarev, qui garantit l’existence d’une infinité de places v𝑣v de k𝑘k décomposées dans K𝐾K, on conclut. Cette démonstration montre que l’ensemble infini de places cherché contient un ensemble de places de k𝑘k de densité positive. ∎


Remarques 13.2.

(1) L’hypothèse que l’application f:XY:𝑓𝑋𝑌f:X\to Y est localement scindée pour la topologie étale sur Y𝑌Y est en particulier satisfaite si après extension finie convenable de k𝑘k la fibration f𝑓f admet une section. D’après le théorème 7.3 (Graber, Harris et Starr), c’est le cas si la fibre générique est une variété rationnellement connexe.

(2) Le théorème ne s’étend pas à Y𝑌Y de dimension supérieure, comme l’on voit en considérant une fibration en coniques sur 2subscriptsuperscript2{\mathbb{P}}^{2}_{{\mathbb{Q}}} dont le lieu de ramification est une courbe C𝐶C lisse et dont le revêtement double DC𝐷𝐶D\to C associé est donné par une courbe D/𝐷D/{\mathbb{Q}} géométriquement intègre. On peut par exemple prendre pour C2𝐶subscriptsuperscript2C\subset{\mathbb{P}}^{2}_{{\mathbb{Q}}} une courbe elliptique d’équation affine v2=u(ua)(ub)superscript𝑣2𝑢𝑢𝑎𝑢𝑏v^{2}=u(u-a)(u-b) et une famille de coniques d’équation générique

X2uY2(v2u(ua)(ub))T2=0.superscript𝑋2𝑢superscript𝑌2superscript𝑣2𝑢𝑢𝑎𝑢𝑏superscript𝑇20X^{2}-uY^{2}-(v^{2}-u(u-a)(u-b))T^{2}=0.

En utilisant le théorème de Lang-Weil, on établit le théorème suivant.

Théorème 13.3.

Sous les hypothèses (*), s’il existe un ouvert VX𝑉𝑋V\subset X tel que le morphisme induit VY𝑉𝑌V\to Y soit lisse, surjectif, à fibres géométriquement intègres, alors pour presque toute place v𝑣v de k𝑘k, l’application induite X(kv)Y(kv)𝑋subscript𝑘𝑣𝑌subscript𝑘𝑣X(k_{v})\to Y(k_{v}) est surjective.


Remarque 13.4. Il ne suffit pas d’avoir la propriété en codimension 1 sur Y𝑌Y, comme le montre l’exemple suivant. Prendre a𝑎a\in{\mathbb{Q}} non carré et X3×2𝑋subscriptsuperscript3superscript2X\subset{\mathbb{P}}^{3}\times_{{\mathbb{Q}}}{\mathbb{P}}^{2} donnée par

uX02avX12+wX22a(u+v+w)X32=0.𝑢superscriptsubscript𝑋02𝑎𝑣superscriptsubscript𝑋12𝑤superscriptsubscript𝑋22𝑎𝑢𝑣𝑤superscriptsubscript𝑋320uX_{0}^{2}-avX_{1}^{2}+wX_{2}^{2}-a(u+v+w)X_{3}^{2}=0.

Pour une infinité de p𝑝p, la flèche X(p)2(p)𝑋subscript𝑝superscript2subscript𝑝X({\mathbb{Q}}_{p})\to{\mathbb{P}}^{2}({\mathbb{Q}}_{p}) n’est pas surjective : pour ap𝑎subscript𝑝a\in{\mathbb{Z}}_{p}, a𝑎a non carré dans psubscript𝑝{\mathbb{Z}}_{p}, et M𝑀M un point (p2n+1α,p2m+1β,1)superscript𝑝2𝑛1𝛼superscript𝑝2𝑚1𝛽.1(p^{2n+1}\alpha,p^{2m+1}\beta,1) avec n,m0𝑛𝑚0n,m\geq 0, α𝛼\alpha et β𝛽\beta in psuperscriptsubscript𝑝{\mathbb{Z}}_{p}^{*} et α.βformulae-sequence𝛼𝛽\alpha.\beta carré dans psubscript𝑝{\mathbb{Z}}_{p}, la fibre en M𝑀M n’a pas de psubscript𝑝{\mathbb{Q}}_{p}-point.


Le célèbre théorème d’Ax et Kochen [3] peut se formuler de la façon suivante.

Théorème 13.5.

(Ax et Kochen) Fixons des entiers d𝑑d et nd2𝑛superscript𝑑2n\geq d^{2}. Soit N+1𝑁1N+1 la dimension de l’espace des formes homogènes de degré d𝑑d en n+1𝑛1n+1 variables. Soit F(x0,,xN;y0,,yn)𝐹subscript𝑥0subscript𝑥𝑁subscript𝑦0subscript𝑦𝑛F(x_{0},\dots,x_{N};y_{0},\dots,y_{n}) la forme universelle de degré d𝑑d en n+1𝑛1n+1-variables. Soit ZN×n𝑍subscriptsuperscript𝑁superscript𝑛Z\subset{\mathbb{P}}^{N}\times_{{\mathbb{Q}}}{\mathbb{P}}^{n} le fermé défini par l’annulation de cette forme. Soit π:ZN:𝜋𝑍superscript𝑁\pi:Z\to{\mathbb{P}}^{N} la projection sur le premier facteur. Sur tout corps de nombres k𝑘k, pour presque toute place v𝑣v de k𝑘k, la projection induite Z(kv)N(kv)𝑍subscript𝑘𝑣superscript𝑁subscript𝑘𝑣Z(k_{v})\to{\mathbb{P}}^{N}(k_{v}) est surjective.


Remarque 13.6. En combinant le théorème 13.3 et le théorème 12.3, on établit un énoncé du type Ax-Kochen pour la restriction de ZN𝑍superscript𝑁Z\to{\mathbb{P}}^{N} au-dessus d’une droite de Nsuperscript𝑁{\mathbb{P}}^{N} (passant par un point à fibre lisse).

Si l’on pouvait répondre par l’affirmative à la question 3.10, la combinaison du théorème 12.3 et du théorème 13.3 donnerait une nouvelle démonstration du théorème d’Ax et Kochen.

Sans répondre à la question 3.10, Jan Denef a tout récemment (juin 2008) obtenu une nouvelle démonstration du théorème d’Ax et Kochen, en établissant une conjecture générale de [10].

On s’intéresse aux réciproques des énoncés ci-dessus.

Théorème 13.7.

Plaçons-nous sous les hypothèses (*), avec Y𝑌Y une courbe.

(i) Si pour une infinité de places v𝑣v l’application X(kv)Y(kv)𝑋subscript𝑘𝑣𝑌subscript𝑘𝑣X(k_{v})\to Y(k_{v}) est surjective, alors pour tout point PY(k)𝑃𝑌𝑘P\in Y(k) il existe une composante de multiplicité 1 de f1(P)superscript𝑓1𝑃f^{-1}(P).

(ii) Si pour toute extension finie K/k𝐾𝑘K/k, pour une infinité de places w𝑤w de K𝐾K, l’application X(Kw)Y(Kw)𝑋subscript𝐾𝑤𝑌subscript𝐾𝑤X(K_{w})\to Y(K_{w}) est surjective, alors l’application induite UY𝑈𝑌U\to Y est surjective : le morphisme XY𝑋𝑌X\to Y est localement scindé pour la topologie étale sur Y𝑌Y.

Théorème 13.8.

Plaçons-nous sous les hypothèses (*), avec Y𝑌Y une courbe. Supposons que pour presque toute place v𝑣v de k𝑘k l’application X(kv)Y(kv)𝑋subscript𝑘𝑣𝑌subscript𝑘𝑣X(k_{v})\to Y(k_{v}) est surjective.

Alors :

(a) L’application induite UY𝑈𝑌U\to Y est surjective : le morphisme XY𝑋𝑌X\to Y est localement scindé pour la topologie étale sur Y𝑌Y.

(b) Toute fibre connexe de UY𝑈𝑌U\to Y est géométriquement connexe.

(c) Si P𝑃P est un point fermé de Y𝑌Y, de corps résiduel κ𝜅\kappa et la fibre f1(P)superscript𝑓1𝑃f^{-1}(P) s’écrit ieiDisubscript𝑖subscript𝑒𝑖subscript𝐷𝑖\sum_{i}e_{i}D_{i} avec chaque Disubscript𝐷𝑖D_{i} diviseur intègre, de corps des fonctions κisubscript𝜅𝑖\kappa_{i}, la flèche

H1(κ,/)iH1(κi,/)superscript𝐻1𝜅subscriptdirect-sum𝑖superscript𝐻1subscript𝜅𝑖H^{1}(\kappa,{\mathbb{Q}}/{\mathbb{Z}})\to\oplus_{i}H^{1}(\kappa_{i},{\mathbb{Q}}/{\mathbb{Z}})

obtenue par somme des applications ei.Resκi/κformulae-sequencesubscript𝑒𝑖subscriptRessubscript𝜅𝑖𝜅e_{i}.{\rm Res}_{\kappa_{i}/\kappa} est injective.


Remarque 13.9.

Le théorème 13.8 est le meilleur possible, comme le montre l’exemple suivant. Soit k𝑘k un corps de nombres, a,bk𝑎𝑏superscript𝑘a,b\in k^{*} avec a,b,abk2𝑎𝑏𝑎𝑏superscript𝑘absent2a,b,ab\notin k^{*2}. Soit f:Xk1:𝑓𝑋subscriptsuperscript1𝑘f:X\to{\mathbb{P}}^{1}_{k} un modèle projectif de la situation affine suivante :

(x2ay2)(u2bv2)(z2abw2)=t,superscript𝑥2𝑎superscript𝑦2superscript𝑢2𝑏superscript𝑣2superscript𝑧2𝑎𝑏superscript𝑤2𝑡(x^{2}-ay^{2})(u^{2}-bv^{2})(z^{2}-abw^{2})=t,

la flèche de projection sur 𝔸k1subscriptsuperscript𝔸1𝑘{\mathbb{A}}^{1}_{k} étant donnée par la coordonnée t𝑡t. Alors

a) La fibre de f𝑓f en 00 ne contient aucune composante géométriquement intègre de multiplicité 1.

b) Pour toute extension finie K/k𝐾𝑘K/k, pour presque toute place w𝑤w de K𝐾K, l’application X(Kw)Y(Kw)𝑋subscript𝐾𝑤𝑌subscript𝐾𝑤X(K_{w})\to Y(K_{w}) est surjective.

Tout le problème est qu’un polynôme en une variable sur un corps de nombres peut avoir une solution partout localement sans en avoir sur le corps de nombres, dès qu’il est réductible. Ainsi on ne peut pas partir du théorème d’Ax et Kochen pour en déduire le théorème 12.3 sur la réduction des formes lisses de degré d𝑑d en n>d2𝑛superscript𝑑2n>d^{2} variables.

13.2 Quelques autres questions

Diverses questions connexes ont été discutées dans la littérature.

Soient k𝑘k un corps de nombres et f:XY:𝑓𝑋𝑌f:X\to Y un k𝑘k-morphisme propre de k𝑘k-variétés lisses géométriquement intègres, Y𝑌Y étant une courbe.

Question 1. Si sur toute extension finie K/k𝐾𝑘K/k l’application X(K)Y(K)𝑋𝐾𝑌𝐾X(K)\to Y(K) est surjective (à un nombre fini de points près), le morphisme admet-il une section ?

Question 2. Si sur tout complété kvsubscript𝑘𝑣k_{v} le kvsubscript𝑘𝑣k_{v}-morphisme XkvYkvsubscript𝑋subscript𝑘𝑣subscript𝑌subscript𝑘𝑣X_{k_{v}}\to Y_{k_{v}} a une section, le morphisme f𝑓f admet-il une section ?

En dimension relative 1, pour les courbes relatives de genre zéro, la réponse à ces deux questions est oui pour Y=1𝑌superscript1Y={\mathbb{P}}^{1} (Schinzel, Salberger, Serre). Ceci utilise l’injection missingBrk(t)vmissingBrk(t)missing𝐵𝑟𝑘𝑡subscriptproduct𝑣missing𝐵𝑟𝑘𝑡\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits k(t)\hookrightarrow\prod_{v}\mathop{\mathrm{missing}}{Br}\nolimits k(t) qui s’établit en considérant la suite exacte de localisation pour le groupe de Brauer sur la droite projective. La réponse est non pour Y𝑌Y une courbe de genre 1 : on utilise une courbe elliptique Y𝑌Y avec un élément de 2-torsion dans son groupe de Tate-Shafarevich représenté par une algèbre de quaternions sur le corps de fonctions k(Y)𝑘𝑌k(Y) (voir [61]).

En dimension relative 1, pour les courbes relatives de genre 1 et Y=1𝑌superscript1Y={\mathbb{P}}^{1}, la question 1 est ouverte. La question 2 a une réponse négative (prendre X=C×k1𝑋subscript𝑘𝐶superscript1X=C\times_{k}{\mathbb{P}}^{1} avec C𝐶C une courbe de genre 1 qui est un contre-exemple au principe de Hasse).

Pour les familles de quadriques de dimension relative d2𝑑2d\geq 2 au-dessus de Y=1𝑌subscriptsuperscript1Y={\mathbb{P}}^{1}_{{\mathbb{Q}}} la réponse aux deux questions ci-dessus est négative, et ce pour tout tel d𝑑d.

Soit k𝑘k un corps de nombres totalement imaginaire. Pour les familles de quadriques de dimension relative d2𝑑2d\geq 2 au-dessus de Y=k1𝑌subscriptsuperscript1𝑘Y={\mathbb{P}}^{1}_{k}, la réponse aux deux questions est négative pour 2d62𝑑62\leq d\leq 6. (Pour d7𝑑7d\geq 7, on conjecture qu’il y a toujours une section.)

Pour justifier ces réponses négatives, partons d’un couple de formes quadratiques f(x1,,xn),g(y1,,ym)𝑓subscript𝑥1subscript𝑥𝑛𝑔subscript𝑦1subscript𝑦𝑚f(x_{1},\dots,x_{n}),g(y_{1},\dots,y_{m}) sur le corps de nombres k𝑘k tel que sur tout complété de k𝑘k l’une des deux formes ait un zéro non trivial (donc n𝑛n et m𝑚m sont au moins égaux à 2) mais que pour chacune de ces formes il existe un complété kvsubscript𝑘𝑣k_{v} sur lequel la forme n’a pas de zéro non trivial.

Un théorème d’Amer et de Brumer (see the references in [17]) garantit que sur toute extension F𝐹F de k𝑘k, la forme quadratique f(x1,,xn)+tg(y1,,ym)𝑓subscript𝑥1subscript𝑥𝑛𝑡𝑔subscript𝑦1subscript𝑦𝑚f(x_{1},\dots,x_{n})+tg(y_{1},\dots,y_{m}) sur le corps F(t)𝐹𝑡F(t) admet un zéro non trivial sur F(t)𝐹𝑡F(t) si et seulement si le système

f(x1,,xn)=0,g(y1,,ym)=0formulae-sequence𝑓subscript𝑥1subscript𝑥𝑛0𝑔subscript𝑦1subscript𝑦𝑚0f(x_{1},\dots,x_{n})=0,\hskip 2.84526ptg(y_{1},\dots,y_{m})=0

admet un zéro non trivial dans Fn+msuperscript𝐹𝑛𝑚F^{n+m}.

La forme f(x1,,xn)+tg(y1,,ym)𝑓subscript𝑥1subscript𝑥𝑛𝑡𝑔subscript𝑦1subscript𝑦𝑚f(x_{1},\dots,x_{n})+tg(y_{1},\dots,y_{m}) sur le corps k(t)𝑘𝑡k(t) a alors un zéro sur chaque kv(t)subscript𝑘𝑣𝑡k_{v}(t) mais n’en a pas sur k(t)𝑘𝑡k(t). Ceci donne les réponses négatives à la question 2, et les réponses négatives à la question 1 résultent du principe de Hasse pour les formes quadratiques sur un corps de nombres.

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Jean-Louis Colliot-Thélène

Mathématiques, Bâtiment 425

Université Paris-Sud

F-91405 Orsay FRANCE

jlct à math.u-psud.fr