Sur la classification de quelques -modules simples
Dans cet appendice, on détermine les -modules étales simples sur dans une situation légèrement plus générale que celle étudiée dans l’article ([1]). On fixe un nombre premier et on pose et pour tout , puissance de , on définit comme l’unique sous-corps de de cardinal . Soit un automorphisme de .et un entier. On note le sous-corps de fixe par et, plus généralement, pour tout entier , on note le sous-corps fixe par . On considère le corps que l’on munit de l’endomorphisme :
(Si et , on retrouve donc la situation de l’article.)
On considère la catégorie dont les objets sur les -espaces vectoriels de dimension finie muni d’un endomorphisme -semi-linéaire dont l’image contient une base de . Par la suite, lorsque cela ne prêtera pas à confusion, nous noterons simplement à la place de . Les morphismes de sont bien entendu les applications -linéaires qui commutent à . On vérifie aisément que la catégorie est abélienne et que chaque objet est de longueur finie. Le but de cette appendice est de déterminer les objets simples de .
Les objets et
Soient un entier strictement positif, un entier naturel et un élément non nul de . À ces données, on associe un objet de noté défini comme suit :
-
;
-
pour .
-
.
On définit également .
On commence par déterminer des familles d’isomorphismes entre les différents .
Lemme 1.
Si n’est pas l’identité, alors est isomorphe à pour tous , et comme précédemment.
Démonstration.
Considérons un élément tel que (l’existence résulte d’un théorème classique de théorie de Galois). L’isomorphisme est alors donné par . ∎
Lemme 2.
Soient et deux triplets comme précédemment avec le même . On suppose qu’il existe un entier naturel tel que et . Alors .
Démonstration.
Si , et si (resp. ) est la base fournie par la définition, alors un isomorphisme est où les pour sont définis par la relation de récurrence . ∎
Proposition 3.
Soient un triplet comme précédemment. On suppose qu’il existe et comme précédemment tels que soit un entier et que .
-
(i)
Si n’est pas l’identité, on a :
-
(ii)
Si est l’identité et si est premier avec , on a :
où les sont les racines -ièmes de .
-
(iii)
Si est l’identité, et , il existe une suite croissantes de sous-modules de stables par
pour laquelle tous les quotients () sont isomorphes à .
Démonstration.
Pour tout la preuve, posons .
On traite d’abord (i). D’après le lemme 1, on peut supposer . Étant donné que le groupe de Galois absolu de est un groupe procyclique sans torsion (il est isomorphe à ), est une extension cyclique de degré de . On définit pour tout et , les éléments suivants de :
(On remarquera que l’exposant qui apparaît sur est un entier étant donné en est un.) On vérifie à la main que pour , et que (la dernière égalité utilise , ce qui est vrai puisque est pris dans ). Comme par ailleurs, il est clair que à fixé, la famille des est libre, on en déduit que les sous-objets sont tous isomorphes à . Il suffit donc pour conclure de montrer que d’entre eux sont en somme directe. Ceci nous amène à chercher des éléments tels que chacune des matrices :
(pour variant entre et ) soit inversible. En réalité, il suffit pour cela de choisir les de façon à ce que soit une base de sur . En effet, on remarque d’abord que et donc qu’il suffit de démontrer l’inversibilité de . On invoque alors le théorème d’Artin d’indépendance linéaire des caractères qui montre que les vecteurs ligne forment une famille libre.
Passons maintenant au (ii) : on suppose donc . On pose cette fois-ci :
pour tout et tout . On a encore pour , et si est une racine -ième de , on vérifie directement que . Ainsi, comme il est clair par ailleurs que la famille des () est libre, on a (toujours sous l’hypothèse ). Si maintenant est premier à , admet racines -ièmes distinctes, et un calcul de déterminants de Vandermonde montre facilement que la famille des est une base de . La conclusion s’ensuit.
Terminons finalement par la démonstration de l’assertion (iii). Pour tous entiers et , on pose :
et on définit comme le sous--espace vectoriel de engendré par les avec et . À nouveau l’utilisation des déterminants de Vandermonde assure la liberté de la famille des , ce qui montre que la dimension de sur est . Par ailleurs, on a les relations pour et :
Elles montrent à la fois que est stable par pour tout et que les quotients sont tous isomorphes à . ∎
La proposition précédente nous conduist à considérer l’ensemble quotient de (le localisé de en la partie multiplicative des entiers premiers avec ) par la relation d’équivalence :
Via l’écriture en base , les éléments de s’interprètent aussi comme l’ensemble des suites périodiques (depuis le début) d’éléments de modulo décalage des indices, où l’on a en outre identifié les suites constantes égale à et à .
Soit . Par définition, il est représenté par une fraction (que l’on peut supposer — et que l’on supposera par la suite — irréductible) où est un nombre premier avec . On vérifie directement que l’ordre de modulo ne dépend pas du représentant (irréductible) choisi : on l’appelle la longueur de et on le note . On pourra remarquer qu’à travers le point de vue « suites périodiques », s’interprète simplement comme la plus petite période.
Notons l’ensemble des entiers relatifs pour lesquels est un représentant de . La définition de implique immédiatement la non-vacuité de . Le lemme 2 montre que les objets pour variant dans sont isomorphes entre eux. Notons l’un de ces objets. Si en outre , le même lemme 2 permet de définir pour tout comme l’un des -modules , .
Théorème 4.
Les (resp. si ) sont des objets simples de . De plus, ils sont deux à deux non isomorphes.
Démonstration.
Pour simplifier la preuve, on suppose dans la suite , laissant au lecteur l’exercice (facile) d’adapter les arguments au cas général.
Notons et considérons tel que représente . Soit un sous-objet non nul de , et soit un élément non nul de pour lequel le nombre de non nuls est minimal. Quitte à remplacer par et pour un certain entier , on peut supposer . Quitte à renormaliser , on peut en outre supposer . On a alors :
Supposons par l’absurde qu’il existe un indice tel que . Montrons dans un premier temps que . Encore par l’absurde : si ce n’était pas le cas, on déduirait et puis où est la valuation -adique de . Ainsi, on aurait , et on obtiendrait une contradiction avec la définition de . Au final, , et l’élément est un élément non nul de qui, sur la base des , a strictement moins de coefficients non nuls que n’en avait . Ceci contredit la minimalité supposée et montre que . On en déduit est élément de et, puisque ce dernier est par hypothèse stable par , il contient nécessairement tous les . En conclusion, et le théorème est démontré.
Pour prouver que n’est pas isomorphe à , il suffit de remarquer que et se retrouvent tous deux à partir de : le premier en est la dimension, alors que le second est l’ensemble des entiers pour lesquels il existe un non nul vérifiant . Finalement, il est clair qu’à partir de ces deux données, est entièrement déterminé dans le quotient . ∎
Classification des objets simples
Nous souhaitons désormais montrer la réciproque du théorème 4, c’est-à-dire que les objets simples de sont tous isomorphes à un certain (ou si ). Pour cela, nous considérons un objet simple de , une base de et la matrice de dans cette base, i.e. l’unique matrice vérifiant l’égalité :
On rappelle, à ce propos, la formule de changement de base qui interviendra plusieurs fois dans la suite : si est une autre base de et si est la matrice de passage de à , alors la matrice de dans la base est donnée par la formule . Il résulte de cette formule que, quitte à multiplier les par une certaine puissance de , on peut supposer que est à coefficients dans . En réalité on aura besoin d’un résultat un peu plus précis, conséquence du lemme suivant. Introduisons avant tout une dernière notation : soit la valuation -adique de .
Lemme 5.
Soit un entier strictement supérieur à et une matrice à coefficients dans congrue à modulo . Alors, il existe une matrice à coefficients dans et inversible dans cet anneau telle que .
Démonstration.
On définit une suite de matrices (a priori à coefficients dans ) par et la formule de récurrence . On a directement d’où on déduit, en utilisant l’hypothèse de l’énoncé, que , i.e. est divisible par . Par ailleurs, pour tout , on a , d’où il suit que si est divisible par , alors est divisible . Une récurrence immédiate montre alors que est divisible par où la suite est définie par et . De , on déduit que est une suite croissante qui tend vers l’infini. Ainsi converge vers pour la topologie -adique, et la suite des converge vers une matrice . Celle-ci vérifie et est congrue à l’identité modulo du fait que chacun des est strictement positif. Elle est donc inversible dans , comme demandé. ∎
Le lemme nous assure que, quitte à modifier la base , on peut remplacer par une matrice qui lui est congrue modulo . En particulier, on peut supposer que a tous ses coefficients dans pour un certain . C’est ce que nous ferons par la suite.
Soit le sous--module de engendré par les ; il est libre de rang . On définit deux suites récurrentes et comme suit. On pose en premier lieu . Maintenant, si est construit, on définit comme le plus petit entier tel que et . On remarque tout de suite que tous les sont des éléments de qui ne sont pas dans .
Lemme 6.
Pour tout , on a .
Démonstration.
Il suffit de montrer que si , alors . Or, le prémisse entraîne l’existence d’une -base de avec . Si est la matrice de passage de à la matrice du dans la base est donnée par la formule . Comme est inversible dans , son déterminant a une valuation -adique nulle, d’où on déduit que le déterminant de a pour valuation -adique . Ainsi, sa première colonne ne peut pas être multiple de ce qui correspond exactement à ce que l’on voulait. ∎
Soit un entier strictement supérieur à . Notons la réduction modulo de : c’est un élément de l’ensemble fini . D’après le principe des tiroirs, il existe deux indices tels que . Posons et . En déroulant les définitions, on obtient :
avec :
Nous souhaitons à présent relever la dernière congruence en une vraie égalité dans . Pour cela, on commence par écrire et on définit une nouvelle suite récurrente par et . On a et . Il s’ensuit que est un multiple de où est la suite récurrente définie par et . Maintenant, le lemme 6 donne :
à partir de quoi on déduit . Ainsi la suite converge vers un élément (car tous les sont positifs) vérifiant . Par ailleurs, on a , ce qui assure qu’il est non nul. On a donc montré le résultat intermédiaire important suivant :
Théorème 7.
Soit un objet simple de . Alors, il existe des entiers , et un élément non nul tels que .
Corollaire 8.
Soit un objet simple de .
-
—
Si n’est pas l’identité, il existe tel que .
-
—
Si est l’identité, il existe et tels que .
Démonstration.
D’après le théorème 7, il existe des entiers , et un morphisme (dans ) non nul . La simplicité de assure que est surjectif, et donc que se retrouve parmi les constituants de Jordan-Hölder de . Écrivons la fraction sous la forme . Le quotient est alors un nombre entier.
Si n’est pas l’identité, la proposition 3.(i) montre que s’écrit comme une somme directe de copies de . En particulier, puisque les sont simples d’après le théorème 4, tous les quotients de Jordan-Hölder de sont isomorphes à , et le théorème est démontré dans ce cas. Supposons maintenant qu’au contraire . On écrit où est un entier premier à . Plusieurs applications successibles de la proposition 3.(iii) montrent que admet une suite de composition dont les quotients successifs sont tous isomorphes à pour un certain entier . L’alinéa (ii) de la même proposition montre alors que les constituants de Jordan-Hölder sont dans ce cas tous isomorphes à des pour certains éléments de (qui peuvent varier d’un composant à l’autre). La conclusion en découle. ∎
Références
- [1] E. Hellmann, On the structure of some moduli spaces of finite flat group schemes, preprint