85mm \bbkannee59ème année, 2006-2007 \bbknumero980
La conjecture de Kashiwara–Vergne
INTRODUCTION
En 1978, M. Kashiwara et M. Vergne ont conjecturé dans [KV] une propriété remarquable et universelle sur la série de Campbell-Hausdorff d’une algèbre de Lie réelle de dimension finie. Cette propriété conjecturale admet comme corollaire l’isomorphisme de Duflo entre le centre de l’algèbre enveloppante de et les invariants de l’algèbre symétrique.
Cette conjecture a été démontrée en toute
généralité par A. Alekseev et E. Meinrenken en 2005 et publiée en 2006 à Inventiones [AM06].
Ce texte se décompose de la façon suivante; on rappelle dans un premier temps des résultats élémentaires sur la formule de Campbell-Hausdorff et la symétrisation. On introduit ensuite la conjecture de Kashiwara–Vergne, en expliquant ses origines et ses conséquences. La troisième section est consacrée à la preuve d’Alekseev et Meinrenken. On a résumé, dans l’appendice, la construction de Kontsevich pour la quantification des crochets de Lie qu’il nous a semblé nécessaire de rappeler pour une bonne compréhension du texte.
Je remercie A. Alekseev, B. Keller, D. Manchon, F. Rouvière et M. Vergne pour leurs commentaires, suggestions et améliorations lors de la relecture de ce texte.
1 Formule de Campbell-Hausdorff et symétrisation
1.1 La formule de Campbell-Hausdorff
Soit une algèbre de Lie de dimension finie sur . D’après le théorème de Lie, il existe un groupe de Lie réel , connexe et simplement connexe d’algèbre de Lie et une application exponentielle notée qui définit un difféomorphisme local en sur .
Il en résulte que l’on peut lire la loi de groupe de en coordonnées exponentielles. C’est la fameuse formule de Campbell-Hausdorff. En d’autre termes, pour proches de dans , il existe une série en des polynômes de Lie, convergente et à valeurs dans , notée telle que l’on ait
Les premiers termes de la série de Campbell-Hausdorff sont bien connus et s’écrivent
(1) |
Il existe de nombreuses expressions de en terme de crochets itérés (cf. § 5.1) ou écrites de manière récursive (cf. [Va] page 118). Une difficulté majeure concernant la formule de Campbell-Hausdorff est qu’il n’existe pas de base de l’algèbre de Lie libre qui soit particulièrement commode pour effectuer des calculs111Les bases de Hall, par exemple sont définies de manière récursive. Par ailleurs il existe une base qui permet d’écrire la formule de Campbell-Hausdorff en utilisant des combinaisons à coefficients complexes [Kly].. La quantification de Kontsevich donne une autre façon d’écrire la formule de Campbell-Hausdorff comme rappelé en § 4.2.
1.2 Symétrisation et application exponentielle
La symétrisation est un isomorphisme d’espaces vectoriels entre l’algèbre symétrique de notée et l’algèbre enveloppante de notée ; c’est une version du théorème de Poincaré-Birkhoff-Witt. La symétrisation commute à l’action adjointe (resp. aux dérivations ) et vérifie la condition pour ,
On en déduit la formule, pour ,
Il existe plusieurs façons de voir l’algèbre ; comme
algèbre symétrique, comme algèbre des fonctions polynomiales sur ,
comme algèbre des opérateurs différentiels invariants par translation sur (ie. à coefficients constants)
et enfin comme algèbre pour la convolution des distributions de
support . On peut voir comme l’algèbre
enveloppante universelle, l’algèbre des opérateurs
différentiels invariants à gauche sur et enfin l’algèbre
pour la convolution des distributions supportées par l’origine de .
La formule de Taylor énonce que l’on a l’égalité de distributions formelles , avec la masse de Dirac au point . On a donc dans une complétion adéquate de :
(2) |
où est la distribution ponctuelle au point dans .
La symétrisation envoie donc la distribution sur la distribution ; c’est donc l’application exponentielle au niveau des distributions, car on a .
On peut ramener, via l’application , le produit de , en un produit associatif dans . C’est l’étoile produit de Gutt222C’est à dire que l’étoile produit s’exprime comme un série formelle d’opérateurs bi-différentiels sur à coefficients polynomiaux. [Gu], réalisant la quantification par déformation de l’algèbre de Poisson . On a donc pour dans
(3) |
Comme distribution de support on aura donc
Pour des éléments de , correspond à la distribution de support définie pour , fonction test sur , par la formule :
1.3 Le centre de l’algèbre enveloppante et l’isomorphisme de Duflo
Comme la symétrisation commute aux dérivations, c’est aussi un
isomorphisme d’espaces vectoriels de sur (les invariants pour l’action adjointe).
Dans [Du77] en utilisant les idéaux primitifs dans l’algèbre enveloppante, Duflo montre que pour toute algèbre de Lie de dimension finie sur un corps de caractéristique nulle, et sont isomorphes comme algèbres et exhibe un isomorphisme. Ce résultat généralise celui de Dixmier [Dix] dans le cas nilpotent, de Duflo dans le cas résoluble [Du70] et d’Harish-Chandra [HC] dans le cas semi-simple et s’inscrit dans l’esprit de la méthode des orbites initiée par Kirillov.
On notera par le déterminant jacobien de la fonction (cf. § 5.2), à savoir la fonction définie par
(4) |
Cette fonction va intervenir de manière cruciale dans la suite.
Notons l’algèbre des séries formelles en les éléments de . La série formelle est donc dans . C’est donc un opérateur différentiel sur d’ordre infini à coefficients constants que l’on note . La formule de Duflo s’écrit alors pour ,
(5) |
C’est clairement un isomorphisme d’espaces vectoriels de sur , qui commute aux dérivations .
[[Du77]]
L’application ci-dessus est un isomorphisme d’algèbres de
sur .
Ce
théorème est non trivial. Dans [Ko] Kontsevich montre par un argument d’homotopie que et sont isomorphes comme algèbres et en déduit qu’il s’agit de l’isomorphisme de Duflo333L’argument utilise la forme a priori de l’isomorphisme obtenu comparé à celui de Duflo.; ce résultat s’étend automatiquement aux super-algèbres de Lie et Kontsevich montre que les algèbres de cohomologie et sont isomorphes444En degré on retrouve les algèbres d’invariants et .. Dans [PT] on vérifie qu’il s’agit encore de la formule de Duflo étendue à la cohomologie555Ce résultat est aussi cité dans [Sh] comme un travail en commun avec Kontsevich, mais non publié.. On dispose donc d’une démonstration qui n’utilise pas la théorie des représentations.
Afin d’étendre l’isomorphisme de Duflo aux germes de distributions invariantes, Kashiwara et Vergne suggèrent dans [KV] une méthode basée sur une déformation de la formule de Campbell-Hausdorff. Ces techniques sont connues aujourd’hui sous le vocable “méthode de Kashiwara–Vergne”. En quelque sorte on cherche à lire l’isomorphisme de Duflo sur la formule de Campbell-Hausdorff.
2 La conjecture combinatoire de Kashiwara–Vergne
2.1 Notations
Soient une base de , la base duale et . Pour une fonction régulière de dans (c’est à dire un champ de vecteurs sur ) on désigne le champ adjoint associé par
(6) |
On note aussi la différentielle
de en ; c’est une application linéaire de dans .
2.2 Énoncé de la conjecture combinatoire
Soit une algèbre de Lie de dimension finie sur . Pour on note la série de Campbell-Hausdorff définie par
Dans tout ce qui suit nous travaillons au niveau des séries formelles mais des arguments élémentaires montrent que toutes les séries formelles que nous manipulons sont convergentes dans un voisinage de .
La conjecture combinatoire de Kashiwara–Vergne [KV] s’énonce de la manière suivante :
[Conjecture KV 78]Notons la série de Campbell-Hausdorff. Il existe des séries et sur sans terme constant et à valeurs dans telles que l’on ait
(7) |
et telle que l’identité de trace suivante soit vérifiée
(8) |
La conjecture porte sur l’existence d’un couple de solutions universelles666C’est à dire des éléments d’une complétion de l’algèbre de Lie libre universelle engendrée par . L’algèbre de Lie libre sur un espace vectoriel est naturellement graduée ainsi que son algèbre enveloppante, qui est l’algèbre associative libre sur ; par exemple, l’élément est de degré . La complétion consiste à considérer les séries de termes homogènes dont les degrés tendent vers l’infini [Se]. vérifiant les équations ci-dessus. Par ailleurs, si un tel couple convient alors le couple
est aussi une solution. On peut donc rechercher des solutions symétriques c’est à dire vérifiant . Pour de telles solutions on s’aperçoit facilement que les termes à l’ordre en sont uniquement déterminés [AP], ce qui peut faire espérer l’unicité d’une solution symétrique777Ce point est encore conjectural..
L’équation (7) peut se résoudre complètement dans l’algèbre tensorielle engendrée par . Puis en utilisant l’idempotent de Dynkin (cf. § 5.1) on peut exhiber toutes les solutions de (7) (cf. [B]). La difficulté majeure de cette conjecture est donc l’équation de trace (8).
Les équations (7) et (8) forment un système affine à coefficients rationnels. Si on dispose d’une solution à coefficients réels, alors il existera une solution à coefficients rationnels. Expliciter une solution rationnelle est un problème intéressant que l’on peut poser.
2.2.1 La solution conjecturale de Kashiwara–Vergne
Dans leur article, Kashiwara et Vergne proposent un couple symétrique de séries de Lie universelles et montrent, dans le cas résoluble, que ce couple vérifie la condition de trace (8). Nous suivons l’article [Rou86] qui propose une réécriture de ce couple conjectural.
Notons la fonction analytique au voisinage de définie par
Soit et posons
et . Posons alors
et .888Écrivons pour simplifier et . Des calculs fastidieux dans les années , mais que l’on peut maintenant effectuer sur ordinateur montrent que les premiers termes s’écrivent (jusqu’à l’ordre ) :
2.2.2 Historique des résultats
Dans [Rou81], Rouvière vérifient la conjecture dans le cas pour le couple ci-dessus.
En 1999 dans [Ve] Vergne démontre la conjecture
dans le cas quadratique, c’est à dire pour une algèbre de Lie munie d’une forme bilinéaire
invariante et non dégénérée; les algèbres réductives mais aussi avec quelconque, sont quadratiques. L’article [Ve] suit les idées de [AM00] concernant l’isomorphisme de Duflo pour les algèbres de Lie quadratiques. Dans [AM02] Alekseev et Meinrenken proposent, toujours dans le cas quadratique, une solution différente en utilisant la géométrie de Poisson et le “Moser trick”. Toutefois dans [AP] il est montré que ces solutions du cas quadratique ne sont pas universelles, c’est à dire qu’elles ne résolvent pas la conjecture pour toutes les algèbres de Lie.
2.3 Origine et conséquences de cette conjecture
Cette égalité sur les traces peut sembler étrange mais elle est une conséquence naturelle de l’intégration par partie. Expliquons un peu tout ceci ce qui motivera le lecteur.
2.3.1 Transport de la convolution
Un des buts de l’article de Kashiwara–Vergne est de démontrer, pour les distributions invariantes, le transport du produit de convolution par l’application exponentielle.
Plus précisément il s’agissait de montrer le résultat conjectural 999Conjecture aussi formulée par Raïs. suivant assurant que l’on peut transporter la convolution sur en la convolution sur . Ce point est important car les caractères des représentations irréductibles sont des solutions propres pour le centre de et exprimés en coordonnées exponentielles deviennent alors des solutions propres des opérateurs différentiels invariants à coefficients constants101010L’évaluation sur une orbite définit alors un caractère pour ..
Ce théorème fut démontré par la suite dans [ADS], [AST], [Mo] comme corollaire de la quantification de Kontsevich.
[[ADS], [AST], [Mo]] Soient et deux germes de distributions invariantes au voisinage de dans et vérifiant une certaine condition de support 111111On peut demander par exemple que les supports asymptotiques de en (resp. ), noté (resp. ), vérifient . afin d’assurer un sens à la convolution. On a
(9) |
avec une fonction dans un voisinage de et à support compact.
On appellera fonction de densité le quotient
2.3.2 Déformation par dilatation
L’idée de base de l’article [KV] est de considérer la
déformation naturelle de l’algèbre de Lie qui consiste à
remplacer le crochet par pour . La série de
Campbell-Hausdorff est changée en
. Remarquons que cette expression est bien définie pour et on obtient
.
On déduit de la différentielle de l’application exponentielle (cf. §5.3), que l’équation (7) est équivalente à l’équation différentielle suivante
(10) |
où on a noté 121212Comme cette expression est bien définie pour ..
Notons la fonction . En utilisant la formule131313Voir §5.2 pour les nombres de Bernoulli .
on trouve facilement [KV] :
(11) |
Compte tenu de la déformation en le paramètre , il suffit de démontrer qu’on a l’égalité pour tout ,
(12) |
L’idée est maintenant simple, il suffit de demander que la dépendance en
soit triviale, c’est à dire que la dérivée par rapport à soit
nulle.
2.3.3 Calcul de la dérivée en
Notons la fonction de densité
On peut remplacer par dans cette formule, la fonction de densité reste la même. On a facilement compte tenu des équations (10) et (11),
(13) |
Pour simplifier on va noter :
(14) |
Par conséquent le premier terme du second membre de (13) est . Ce calcul se justifie comme suit; le premier terme dans le membre de droite (13) résulte de la dérivée par rapport à dans les termes et le second terme résulte de la dérivée en dans . Plus précisément compte tenu de (10) il vient que pour toute fonction on a
(15) |
Le champ de vecteurs agit trivialement sur la fonction
car cette dernière est invariante
en chaque variable sous l’action adjointe,n par conséquent la dérivée
du terme
en s’écrit bien comme annoncée.
On peut maintenant terminer le calcul de la dérivée dans (12). Il vient
(16) |
On est donc amené à calculer l’action à droite141414En effet les distributions sont plutôt un module à droite sur les champs de vecteurs. Cette action à droite n’est utilisée qu’à cet endroit du texte. du champ de vecteurs sur la distribution . Compte tenu de l’invariance de cette distribution on a,
(17) |
Pour conclure au transport de la convolution dans (9) il suffit de demander que l’on ait pour tout :
(18) |
La conjecture combinatoire de Kashiwara–Vergne est
précisément cette égalité.
{rema} Si l’égalité (7) (ou bien (10)) est vérifiée, alors l’équation (8) est équivalente
à l’équation (19) suivante
(19) |
2.3.4 Isomorphisme de Duflo
On déduit comme cas particulier du transport de la convolution (9) le corollaire suivant : {coro} Le théorème 2.3.1 généralise l’isomorphisme de Duflo. Preuve — En effet pour considérées comme des distributions invariantes de support et pour toute fonction test , on a d’après le théorème 2.3.1 appliqué à ,
On a donc
Et d’après le lemme 1.2, le membre de gauche correspond à l’élément
tandis que le membre de droite correspond à . On en déduit que l’on a bien la formule de Duflo sur les éléments invariants,
3 Preuve de la conjecture combinatoire de Kashiwara–Vergne
On explique dans cette section les deux résultats principaux de [AM06], à savoir la preuve de la conjecture de Kashiwara–Vergne et l’extension de l’isomorphisme de Duflo à toute la cohomologie comme corollaire. Le texte suit essentiellement l’article [AM06].
On pose dans un premier temps des définitions utiles.
3.1 Notations
3.1.1 Application de Duflo sur les distributions
On fixe un voisinage symétrique de dans sur lequel est un difféomorphisme sur son image . On suppose sur . L’application de Duflo sur les distributions à support compact
est alors bien définie. On rappelle que l’on a noté la fonction de densité.
3.1.2 Produit
On fixe alors un voisinage de dans suffisamment petit, tel que et tel que la série de Campbell-Hausdorff définisse une fonction régulière de dans .
La convolution des distributions à support compact dans est alors bien définie et on peut remonter le produit de convolution de via l’application de Duflo en un produit sur ; c’est la formule du théorème 2.3.1. On note ce produit
(20) |
3.1.3 Déformation par dilatation
Utilisons la déformation du crochet de Lie : et notons cette nouvelle algèbre de Lie. Pour on trouve le crochet trivial, et pour c’est une algèbre isomorphe à .
La série de Campbell-Hausdorff pour s’écrit et la fonction de densité vaut . On en déduit comme précédemment un produit sur
3.1.4 Dérivée de Lie
La dérivée de Lie de l’action adjointe sur les fonctions est définie pour par
Si est une distribution et une fonction test, alors par définition151515Il n’y aurait pas de signe si on prenait l’action à droite. on a . Une distribution est dite invariante sur elle est annulée par les pour 161616On rappelle que est une base de ..
Soit est un champ de vecteurs sur . Alors la dérivée de Lie vaut sur les fonctions et sur les distributions.
3.1.5 Structure de Lie sur
On définit une structure de Lie sur les fonctions en demandant que
soit un morphisme lorsqu’on munit les champs de vecteurs sur du crochet standard.
Explicitement on a pour en utilisant la dérivée de Lie du champ de vecteurs sur 171717La dérivée de Lie est pour l’action adjointe de sur les fonctions. ,
3.2 Reformulation de la conjecture
Dans leur article Alekseev et Meinrenken utilisent une reformulation plus géométrique de la conjecture de Kashiwara–Vergne.
Pour cela il est commode d’utiliser la base de et les dérivées de Lie de l’action adjointe de . On notera une base de (on prend deux copies de la base ) et la dérivée de Lie de l’action de sur
3.2.1 Deux reformulations équivalentes de la conjecture de Kashiwara–Vergne
Soit , tel que . On suppose que est un couple vérifiant la conjecture de Kashiwara–Vergne. Utilisons la base ci-dessus et écrivons
et .
Première reformulation: Les équations (7) et (8) sont équivalentes aux équations (10) et (19) ( cf. § 5.3 et la remarque 2.3.3 ) que l’on peut écrire de manière plus condensée en utilisant les dérivées de Lie sur les fonctions :
(21) |
et
(22) |
Deuxième reformulation: L’idée astucieuse de [AM06] est de constater que ces équations peuvent se condenser en une seule. La preuve est élémentaire et consiste à vérifier l’assertion sur les distributions de dirac au point .
Proposition 1.
Notation : On notera l’opérateur agissant sur les distributions .
La conjecture de Kashiwara–Vergne s’écrit donc plus simplement
Comme on le constate ce n’est pas la dérivée de Lie sur les distributions qui intervient mais l’opérateur sur les distributions . Toutefois on vérifie (cf. [AM06]) que l’on a la relation importante suivante pour ,
c’est à dire est un homomorphisme de Lie.
3.3 Equation de courbure nulle
Dans [To] on définit, grace à la quantification de Kontsevich (cf. Appendice A § 4.3), une déformation (resp. ) de la série de Campbell-Hausdorff (resp. de la fonction de densité).
On écrit maintenant ces équations de déformation en termes analogues à la proposition 1. D’après § 4.3 théorème 4.3, il existe une fonction analytique en , vérifiant et donnée par des séries de Lie universelles convergentes et il existe une déformation (définie comme en (20) avec et ) du produit sur les distributions telles que l’on ait
Pour on retrouve le produit standard dans et pour on retrouve le produit . Il est important de remarquer que la déformation n’est pas un produit associatif, contrairement à .
En considérant le paramètre de déformation par dilatation on en déduit que l’on a aussi par dilatation
(24) |
avec et définie comme en (20) avec et . On a et .
L’idée de Alekseev et Meinrenken est de construire à partir de la solution une solution de la proposition 1. Pour cela il faut résoudre une équation de courbure.
Proposition 2.
Il existe une série de Lie universelle à valeurs dans convergente dans un voisinage de , telle que et vérifiant l’équation
On a .
Preuve — C’est une équation différentielle en linéaire avec second membre. Il y a donc unicité et l’assertion sur la dilatation résulte de l’égalité . On peut résoudre formellement cette équation en utilisant les résolvantes181818On pourrait utiliser aussi les séries de Magnus.. On trouve facilement
A partir de cette expression on montre la convergence et d’après la définition du crochet § 3.1.5 il est clair que l’on ne manipule que des séries de Lie.
Une autre façon de voir l’équation de courbure est la suivante. On résout formellement dans le groupe de Lie associé à la structure de Lie , l’équation avec condition initiale . On a alors facilement
3.4 Solution d’Alekseev et Meinrenken à la conjecture de Kashiwara–Vergne
On conclut maintenant par le théorème suivant qui résout la conjecture de Kashiwara–Vergne. {theo}[[AM06]] La série de Lie universelle résout la conjecture de Kashiwara–Vergne.
Preuve — Le formalisme de la remarque précédente est très pratique pour comprendre la preuve. Le point clef est que l’on a la formule suivante,
En effet les deux membres coincident pour et vérifient la même équation différentielle (24). On a en effet
(25) |
car est un homomorphisme d’algèbres de Lie pour .
Comme on a , on en déduit
Or on a il vient donc l’équation avec . Ceci résout la conjecture de Kashiwara–Vergne d’après la reformulation de la proposition 1.
3.5 Prolongement de l’isomorphisme de Duflo en cohomologie
Considérons le morphisme d’algèbres de Lie, donné par l’injection diagonale. L’application duale s’étend aux algèbres extérieures;
C’est le produit dans l’algèbre extérieure .
Si est un -module, on notera la différentielle de Chevalley-Eilenberg sur et le complexe des cochaînes. Comme d’habitude on notera par l’algèbre de cohomologie.
Considérons comme un -module et comme un -module. Notons . C’est une application de complexes de dans . On a
Dans [AM06] on montre que , qui est une application de complexes de dans , est homotopiquement triviale. Plus précisément on a191919Ici intervient le fait que est une application -équivariante.
avec et la dérivation de l’algèbre extérieure donnée par la contraction. Comme on a il vient alors
L’égalité
peut se comprendre comme une troisième reformulation de la conjecture de Kashiwara–Vergne dans le complexe des cochaînes.
4 Appendice A
La formule de Kontsevich pour la quantification formelle des variétés de Poisson, montre que l’on peut donner une expression pour la série de Campbell-Hausdorff en utilisant tous les crochets possibles à la différence de la formule de Dynkin (cf. § 5.1).
4.1 Quantification de Kontsevich
Dans cette section, afin de faciliter la compréhension de la déformation utilisée dans [AM06], on va rappeler brièvement la construction de Kontsevich pour la quantification formelle des variétés de Poisson dans le cas du dual des algèbres de Lie.
4.1.1 Variétés de configurations
On note l’espace des configurations de points distincts dans le demi-plan de Poincaré (points de première espèce ou points aériens ) et points distincts sur la droite réelle (ce sont les points de seconde espèce ou points terrestres ), modulo l’action du groupe (pour ). Dans son article [Ko] Kontsevich construit des compactifications de ces variétés notées . Ce sont des variétés à coins de dimension . Ces variétés ne sont pas connexes pour . On notera par la composante qui contient les configurations où les points terrestres sont ordonnés dans l’ordre croissant (ie. on a ).
4.1.2 Graphes et graphes géométriques
On note par l’ensemble des graphes étiquetés202020Par graphe étiqueté on entend un graphe muni d’un ordre total sur l’ensemble de ses arêtes, compatible avec l’ordre des sommets. et orientés (les arêtes sont orientées) ayant sommets de première espèce numérotés et deux sommets de deuxième espèce , tels que :
i- Les arêtes partent des sommets de première espèce. De chaque sommet de première espèce partent exactement deux arêtes.
ii- Le but d’une arête est différent de sa source (il n’y a pas de boucle).
iii- Il n’y a pas d’arête multiple.
Dans le cas linéaire qui nous intéresse, les graphes qui interviennent de manière non triviale (on dira essentiels), sont tels que les sommets de première espèce ne peuvent recevoir qu’au plus une arête. Il en résulte que tout graphe essentiel est superposition de graphes simples de type Lie (graphe ayant une seule racine comme dans Fig. 2 ) ou de type roue (cf. Fig. 3 pour un exemple).
Les graphes simples essentiels de type Lie n’ont pas de symétries. Par conséquent les graphes de étiquetés associés à un graphe géométrique de type Lie (graphe orienté associé pour lequel on oublie l’étiquetage) sont au nombre de .
Les graphes simples de type roue peuvent admettre des symétries. On notera le cardinal du groupe de symétries de .
4.1.3 Fonction d’angle et coefficients
Soient deux points distincts dans le demi-plan de Poincaré muni de la métrique de Lobachevsky. On note
(26) |
la fonction d’angle de dans . Cette fonction d’angle s’étend en une fonction régulière à la compactification .
Si est un graphe dans , alors toute arête définit par restriction une fonction d’angle notée sur la variété . On note l’ensemble des arêtes du graphe . Le produit ordonné
(27) |
est donc une -forme sur variété compacte de dimension . {defi} Le poids associé à un graphe est par définition
(28) |
4.2 Nouvelle formule de Campbell-Hausdorff
4.3 Déformation de Kontsevich
On construit une déformation -dimensionnelle de la série de Campbell-Hausdorff en déformant les coefficients via un paramètre . Pour notons la pré-image de dans l’espace de configurations et
On définit les déformations et en remplaçant dans les formules du théorème 4.2 le coefficient par sa déformation . Ces déformations sont régulières et admettent comme conditions aux limites pour 212121Cette position sur l’axe réel correspond à un coin de .
et pour une position sur l’iris222222Cela correspond à une concentration des deux points selon un angle . (cf. Fig 1)
Cette déformation est contrôlée par des équations différentielles provenant de l’action tangente du groupe c’est à dire les champs adjoints qui interviennent dans le conjecture de Kashiwara–Vergne. Ce contrôle provient essentiellement de la formule de Stokes comme utilisée dans [Ko]. {theo}[[To]] Il existe des séries de Lie universelles et explicites construites en termes de diagrammes, convergentes dans un voisinage de et qui sont des -formes régulières sur telles que l’on ait :
(31) |
et
(32) |
Pour générique la déformation ne définit pas une loi associative. Par exemple, la déformation le long de la paupière de fait intervenir des polynômes de Bernoulli (cf. [To]).
On peut montrer [AT] que la connexion est plate, c’est à dire que l’on a pour le crochet défini §3.1.5.
Grâce à la quantification de Kontsevich on construit les déformations vérifiant les équations (10) et (19). En suivant un chemin comme dans Fig. 4 de l’iris jusqu’au coin, on définit donc des déformations pour et une fonction définie dans un voisinage de à valeurs dans .
On peut étendre toutes ces constructions au cas de la série de Campbell-Hausdorff avec arguments en considérant un paramètre de déformation dans . On a encore un contrôle par des équations différentielles comme dans le théorème 4.3. La méthode de Alekseev-Meinrenken s’étend sans problème et résout le problème de Kashiwara–Vergne avec arguments posé dans [B].
5 Appendice B
On regroupe dans cet appendice quelques résultats complémentaires sur la formule de Dynkin et on précise certains calculs utiles pour la compréhension de ce texte.
5.1 La formule de Dynkin
Il existe de nombreuses façons d’écrire la série de Campbell-Hausdorff. On
peut
notamment écrire les développements que l’on obtient en calculant la
dérivée de l’application exponentielle puis en intégrant à nouveau.
Nous allons ici rappeler une autre formule due à Dynkin.
Pour simplifier, on note comme ci-dessous les crochets successifs normalisés :
et
On obtient alors la célèbre formule de Dynkin.
Proposition 3.
On a la formule
(33) |
Rappelons comment on obtient cette formule: notons l’algèbre de Lie libre engendrée par 232323On appellera aussi polynôme de Lie en ou élément de type Lie, tout élément de . et l’algèbre associative libre engendrée par . Plaçons nous dans l’algèbre enveloppante qui rappelons-le s’identifie à (cf. [Se]). On calcule formellement
puis en utilisant le développement de
on trouve formellement
On utilise alors une caractérisation des éléments de l’algèbre de Lie libre dans l’algèbre associative libre due à Dynkin ([Se] §4.4): un élément
d’ordre est dans si et seulement si
La formule de Dynkin n’utilise que des crochets itérés.
5.2 La différentielle de l’application exponentielle
A partir de la formule de Dynkin on peut mener un calcul explicite sur les termes à l’ordre en (voir [Po], page 103) ce qui permet de retrouver les nombres de Bernoulli . Ce calcul n’est pas évident, mais il est faisable. Rappelons que la série de Bernoulli est donnée par
(34) |
Les pour impair sont nuls.
En calculant la série à l’ordre en , on déduit la formule bien connue suivante:
On en tire la formule
et on conclut que la différentielle de l’application exponentielle s’identifie à l’endomorphisme
(35) |
si on utilise la multiplication à gauche242424Si on utilisait la multiplication à droite on trouverait . pour identifier avec l’espace tangent en .
5.3 Equivalence entre les équations (7) et (10) pour
Dans cette sous-section nous expliquons comment on passe de
l’équation (7) à l’équation (10). On suit les références [KV] et [Rou86].
On fait un calcul à l’ordre en , comme dans une dérivée pour
D’après la formule de la différentielle (proposition 35) pour l’application exponentielle on a :
(36) |
De même on a
On en déduit alors
(37) |
L’équation (10) dit que l’on a
Dans ce cas, en utilisant la formule
le membre de gauche de (37) s’écrit
(38) |
En comparant avec le membre de droite de (37) on se trouve que l’on a à l’ordre en :
qui est
exactement l’équation (7).
Réciproquement si l’équation (7) est vérifiée alors on aura
Références
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