Schémas en groupes et poids de Diamond-Serre
Cette note fait suite à un exposé que j’ai donné pour la deuxième partie du groupe de travail sur les généralisations de la conjecture de modularité de Serre organisé par Christophe Breuil, Guy Henniart, Ariane Mézard et Rachel Ollivier au printemps 2007. Le thème de l’exposé est la proposition 3.3.1 de [6] : il s’agit d’abord de présenter le matériel de théorie de Hodge -adique nécessaire pour comprendre l’énoncé de cette proposition, puis d’en donner une démonstration.
Nous avons jugé utile d’écrire ce texte car la rédaction de [6] est souvent lacunaire ou imprécise et, surtout, contient une erreur : telle qu’énoncée dans [6], la proposition 3.3.1 est fausse, comme l’auteur de cette note s’en est rendu compte lors de la préparation de l’exposé. Il est en fait assez délicat de comprendre ce qu’il faut modifier pour rendre l’énoncé juste, et c’est Gee lui-même qui a proposé la bonne correction qui consiste à changer la définition de classe (définition 3.2) en introduisant un décalage d’indice. Cela fait, il n’est pas non plus immédiat de saisir comment les arguments de [6] s’adaptent à ce nouvel énoncé. Cette partie du travail a été accomplie par l’auteur de cette note.
Nous présentons dans ce papier la version modifiée de la proposition 3.3.1 accompagnée de sa démonstration (correcte, nous l’espérons). Notons pour finir que Gee affirme que c’est bien cette version modifiée qu’il utilise par la suite dans son article ; ainsi, la discussion précédente ne remet a priori pas en cause les résultats de [6]. Nous espérons que ce texte pourra être utile à tous ceux qui veulent apprendre la théorie.
1 Rappel du contexte
La proposition 3.3.1 de [6] est un résultat de théorie de Hodge -adique pure, et peut tout à fait être énoncée (et prouvée) sans aucune référence à la conjecture de modularité pour les corps totalement réels énoncée par Buzzard, Diamond et Jarvis dans [4]. Toutefois, en procédant ainsi, il deviendrait difficile de comprendre l’intérêt de cet énoncé, et c’est pourquoi nous préférons consacrer ce premier chapitre à un bref rappel du contexte111Qui, lors du groupe de travail, a fait l’objet d’un exposé complet d’Ariane Mézard., ce qui permettra par là-même de fixer les notations222Certaines notations de [6] diffèrent de celles de [4]. Nous employons naturellement dans cette note celles de [6]..
1.1 La conjecture de Buzzard, Diamond et Jarvis
Fixons un nombre premier et un corps de nombres totalement réel dans lequel est non ramifié. Notons l’anneau des entiers de et son groupe de Galois absolu. Fixons également une clôture algébrique du corps fini à éléments . Soit une représentation que l’on supposera toujours continue, irréductible et totalement impaire. La généralisation naturelle de la conjecture de modularité de Serre est la suivante :
Conjecture 1.1.
Avec les notations précédentes, est modulaire, c’est-à-dire qu’elle est isomorphe à la réduction modulo d’une représentation associée à une forme modulaire de Hilbert.
Le travail de Buzzard, Diamond et Jarvis a consisté à produire une version raffinée de la conjecture précédente, dans laquelle on prédit en outre le poids de la forme modulaire. Pour énoncer cette forme plus précise, on commence par définir la notion de poids utilisée dans ce contexte :
Définition 1.2.
Un poids de Diamond-Serre est une (classe d’isomorphisme de) représentation(s) irréductible(s) de à coefficients dans .
Buzzard, Diamond et Jarvis définissent333On donnera dans la suite de l’exposé quelques morceaux de ces définitions. Pour une définition complète, on renvoie le lecteur aux sections 2 et 3 de [4]. d’une part la notion d’être modulaire de poids (pour une représentation vérifiant les mêmes hypothèses que ) et d’autre part un certain ensemble de poids (de Diamond-Serre) dépendant de et noté . Ils émettent alors la conjecture :
Conjecture 1.3.
La représentation est modulaire de poids si, et seulement si .
Ils démontrent de plus que la modularité de poids (pour un ) implique la modularité (tout court) et que l’ensemble n’est jamais vide. Ainsi la conjecture 1.3 implique-t-elle la conjecture 1.1. Le résultat principal de [6] en est une réciproque partielle : sous certaines hypothèses supplémentaires sur , la conjecture 1.1 implique l’équivalence de la conjecture 1.3 pour certains poids , dits réguliers (voir définition 1.4).
1.2 Énoncé (vague) de la proposition 3.3.1
Nous commençons par donner quelques indications (celles qui seront nécessaires pour l’exposé) sur la définition de . Par le lemme chinois, le groupe se décompose comme le produit des où parcourt l’ensemble des idéaux premiers au-dessus de et où désigne le corps résiduel associé. Tout poids se décompose comme un produit tensoriel de représentations irréductibles de . La définition de est locale en ce sens que l’on définit d’abord des ensembles de représentations irréductibles de et que l’on convient ensuite que si, et seulement si ses facteurs locaux appartiennent tous aux ensembles respectifs. De plus, ne dépend que de la restriction de au groupe de décomposition en .
Notations
À partir de maintenant, et jusqu’à la fin de cette note, nous fixons une place au-dessus de . Ainsi nous pourrons nous affranchir des indices . Par exemple, nous notons plus simplement à la place de : c’est une extension finie de dont nous désignons par la lettre le degré. Introduisons encore quelques notations. Soit le complété de en la place , c’est une extension finie non ramifiée de de corps résiduel . Soit où est une racine -ième de , c’est une extension galoisienne444En effet, contient les racines -ième de l’unité et donc aussi. totalement ramifiée de . On note le groupe de Galois de cette extension, et son degré, i.e. . Soit (resp ) l’anneau des entiers de (resp. de ). Soient (resp. ) le groupe de Galois absolu de (resp. de ) et (resp. ) son sous-groupe d’inertie. On remarque que induit par restriction une représentation de (qui peut être, elle, non irréductible). Dans la suite, on notera simplement pour et on ne considèrera plus la représentation globale.
Définissons le caractère galoisien555Il n’est pas paru clair à l’auteur de cette note, si dans [6], le caractère et les qui en découlent sont ceux définis ici ou leurs inverses : Gee semble dire qu’il s’agit des inverses, mais certaines utilisations qu’il en fait laisse croire le contraire. Nous choisissons cette définition ici, car elle est plus adaptée pour notre propos, et en plus en accord avec l’exposé précédent et les notations de [4]. , où le calcul est effectué dans puis réduit modulo . Nous considérerons souvent comme un caractère de (par restriction) ou de (par passage au quotient). Soit . Fixons un plongement et pour tout , notons où est le Frobenius arithmétique. Pour finir, posons pour tout . On a les relations et .
Définition de l’ensemble
On rappelle que les représentations irréductibles de s’écrivent comme suit :
où les et les sont des entiers avec . On peut également choisir les dans l’intervalle de telle sorte que tous ne soient pas égaux à . Avec cette condition supplémentaire, les représentations écrites précédemment sont deux à deux non isomorphes.
Définition 1.4.
Un poids de Diamond-Serre est dit régulier en si, sur la description précédente, on a pour tout .
Il est dit régulier s’il est régulier en toutes les places .
On suppose à partir de maintenant de est réductible de la forme pour des caractères et de .
Définition 1.5.
L’ensemble est constitué des représentations irréductibles de (dont on note et les entiers associés), telles qu’il existe un sous-ensemble de pour lequel les deux conditions suivantes sont satisfaites :
-
Condition A
: et
-
Condition B
: « admet un relevé cristallin d’un certain type. »
Pour des raisons de commodité qui apparaitront plus clairement vers la fin de cette note, on introduit et les fonctions indicatrices respectives des ensembles et . Ainsi, par exemple, la condition A se réécrit sous la forme suivante :
But de l’exposé
L’objet de la proposition 3.3.1 de [6] est de donner, dans le cas des poids réguliers, une expression de la condition B en termes de schémas en groupes. Schématiquement, cette proposition prend la forme qui suit :
Proposition 1.6.
On considère un poids pour lequel et pour tout . On fixe un sous-ensemble et on suppose que la condition A est satisfaite. Alors la condition B est équivalente à la :
-
Condition B’
: « est la fibre générique d’un schéma en groupes sur muni d’une donnée de descente de à , d’un certain type. »
Évidemment, il reste à préciser le sens des deux occurrences de l’expression « un certain type ». Pour cela, on a besoin d’introduire certaines notions de théorie de Hodge -adique, et notamment la théorie de Breuil. C’est l’objet de la section suivante. Les sections 3 et 4 sont consacrées respectivement à l’explication des conditions B’ et B, et la proposition 1.6 est finalement prouvée dans la section 5.
2 La théorie de Breuil
2.1 Définitions
Objets d’algèbre linéaire
On fixe un entier compris666Dans la suite de l’exposé, on n’utilisera que les valeurs particulières et . entre et , ainsi que une extension finie de contenue dans . Posons (où, rappelons-le, ). Pour tout , on note l’unique endomorphisme de -algèbres qui envoie sur . Finalement, soit défini par l’élévation à la puissance sur et l’identité sur .
Définition 2.1.
On note la catégorie dont les objets sont la donnée :
-
i)
d’un -module libre ;
-
ii)
d’un sous-module de contenant ;
-
iii)
d’un opérateur -semi-linéaire dont l’image engendre ;
-
iv)
d’un opérateur -linéaire vérifiant pour tout (condition de Leibniz), et pour tout ;
-
v)
de morphismes -semi-linéaires ( parcourant ) vérifiant et pour tous et .
Les morphismes de cette catégorie sont les applications -linéaires commutant à toutes les structures supplémentaires.
Faisons tout de suite deux remarques importantes. Primo, lorsque , la donnée du est automatique : on entend par là que si est un -module libre muni d’un , d’un et de vérifiant les conditions de la définition, alors il existe un et un unique défini sur ce module qui en fait un objet de .
Secundo, si , on peut voir comme une sous-catégorie pleine de grâce au foncteur pleinement fidèle défini comme suit. À , on associe (en tant que -module) muni de , de défini par et des morphismes et qui restent inchangés. On remarque en particulier, que seules les structures qui ont changé de nom ont aussi changé de définition ; ceci légitime le léger abus qui consiste à noter simplement pour , ce que nous ferons par la suite. Signalons finalement que commute au foncteur , que nous définissons ci-après.
Foncteur vers Galois
La catégorie est munie d’un foncteur contravariant vers la catégorie des -représentations galoisiennes de notée . Il est construit à partir d’un certain anneau de périodes. Contrairement à l’usage, la définition de ce dernier n’est ici pas vraiment technique, puisqu’il s’agit simplement de où la notation fait référence à l’algèbre polynômiale à puissances divisées. Cet anneau est une -algèbre grâce au morphisme , où est une racine -ième de fixée. Il est muni d’un idéal défini comme celui engendré par une racine -ième de , notée , et les puissances divisées pour . On définit un opérateur semi-linéaire par rapport au Frobenius sur par :
où, bien entendu, la fraction est calculée dans avant d’être réduite dans . Pour , on note la -ième puissance de et on définit un morphisme additif en posant pour des éléments de . En outre, est muni d’un opérateur de monodromie qui est l’unique morphisme -linéaire qui envoie sur pour tout . Finalement, est muni d’une action de via la formule valable pour tout . Le foncteur s’obtient alors comme suit :
où la notation signifie que l’on considère les morphismes -linéaires compatibles à , à et à . Le groupe agit sur ce module par la formule :
(1) |
où et désigne son image dans . L’action de sur se fait, quant à elle, par l’intermédiaire de son action sur .
Le foncteur ainsi défini est fidèle. Il est aussi exact dans le sens où il transforme les suites exactes courtes dans la catégorie (c’est-à-dire les suites exactes courtes sur les -modules sous-jacents qui induisent des suites encore exactes sur les ) en suites exactes courtes de représentations galoisiennes. De plus, on a l’égalité de dimension suivante :
valable pour tout objet .
2.2 Description en rang
On suppose désormais que contient un sous-corps isomorphe (non canoniquement) à . Il en résulte un isomorphisme d’anneaux donné par . En considérant les idempotents associés à cette décomposition, on déduit que tout module sur se décompose de façon canonique comme une somme directe de espaces vectoriels sur , agissant sur cette écriture diagonalement via ses divers plongements dans .
En particulier, si un objet de , on peut écrire :
où les sont des -modules libres. De même :
avec . L’action de Frobenius sur correspond au décalage vers la droite sur ; on en déduit que l’opérateur induit pour tout des applications dont l’image engendre tout . Du fait que les opérateurs et commutent à l’action de , il suit qu’ils stabilisent chacun des .
Soit maintenant un objet de qui est de rang comme -module. Dans la décomposition , chacun des est libre de rang sur . Ainsi, pour tout , il existe un unique entier tel que .
Notons une base de . Posons . Comme engendre son image, forme nécessairement une base de . Définissons plus généralement par récurrence . Chacun des est une base de et par conséquent, on a une égalité de la forme pour un certain inversible dans .
Par ailleurs, si est un élément inversible de , on constate que modifier en modifie en et donc en (où, rappelons-le, agit sur en laissant fixe et en envoyant sur ). En ajustant correctement , on peut donc s’arranger pour avoir .
Examinons maintenant l’action de la donnée de descente. Fixons . Pour tout , induit un automorphisme de . Ainsi, on peut écrire pour une certaine fonction . La compatibilité au produit assure que est un caractère. Il prend ainsi ses valeurs parmi les racines -ièmes de l’unité dans , dont on vérifie facilement qu’elle sont toutes dans . Ainsi est un caractère de à valeurs dans et, en tant que tel, il s’écrit comme une puissance de , disons où est défini modulo .
En écrivant à présent la commutation de à , on obtient la relation . Une combinaison linéaire judicieuse de ces relations permet d’éliminer les et conduit à la congruence :
(2) |
Déterminons finalement l’opérateur de monodromie. La relation de Leibniz montre que divise . Comme ce dernier est élément de , il appartient nécessairement à . Ainsi , et donc . En résumé, on vient de prouver la proposition suivante :
Proposition 2.2.
Soit un objet de de rang . Alors il existe des éléments , des entiers compris entre et , des entiers définis modulo et un élément tels que :
-
i)
l’élément forme une base de ;
-
ii)
l’élément engendre ;
-
iii)
pour et ;
-
iv)
;
-
v)
pour tout , ;
-
vi)
.
Dans ces conditions, les entiers vérifient automatiquement la congruence (2) et nous notons :
Réciproquement, l’objet défini précédemment est dans la catégorie .
Remarque. Dans la proposition précédente, les entiers , les classes de congruence des et l’élément sont uniquement determinés. Ce n’est par contre pas le cas des qui peuvent être changés en pour n’importe quel (le même pour chaque ). On peut vérifier de surcroît qu’il s’agit là du seul degré de liberté autorisé.
Proposition 2.3.
Avec les notations de la proposition 2.2, l’action de sur se fait par l’intermédiaire du caractère :
pour tout . Ici, est le caractère non ramifié qui envoie un Frobenius géométique sur .
Remarque. En particulier, ne dépend pas du choix de , ce qui signifie que l’on a la congruence pour tout . Ceci peut se vérifier aisément par ailleurs.
Démonstration.
Nous donnons simplement quelques idées de la preuve. On utilise bien entendu la formule .
Notons le degré de sur et supposons pour simplifier engendre cette extension. Alors la famille des (, ) est une -base de et un élément de est entièrement déterminé par les images de ces vecteurs, images qui sont soumises à certaines relations. La première de celle-ci est (puisque doit être compatible à l’action de ), c’est-à-dire . Les autres relations s’obtiennent en écrivant la compatibilité à et .
Par ailleurs, on sait que est un -espace vectoriel de dimension et donc qu’il a même cardinal que , c’est-à-dire . Il suffit donc, pour déterminer , de trouver solutions distinctes pour les qui s’intuitent en fait assez facilement une fois que les équations sur les ont été écrites.
Il ne reste alors plus qu’à comprendre l’action de Galois. ∎
3 La condition B’ : schémas en groupes
3.1 L’équivalence de Breuil
Appelons -groupe sur un schéma en -vectoriels fini et plat sur . Une donnée de descente (de à ) sur un -groupe sur est la donnée, pour tout élément , d’un morphisme rendant le diagramme suivant commutatif :
et tel que le morphisme déduit (où est déduit de par le changement de base ) soit un morphisme de -groupes, le tout étant soumis aux relations et pour et dans .
Notons la catégorie des -groupes sur munis d’une donnée de descente. Le théorème fondamental suivant (voir [2], [3] et éventuellement [7]) permet de comprendre comment les catégories introduites dans la section 2 interviennent dans notre propos.
Theorème 3.1 (Breuil).
Supposons . Il existe une anti-équivalence777Dans [6], Gee travaille plutôt avec le foncteur covariant Gr défini par où « » désigne le dual de Cartier. Cependant, dans (la preuve de) la proposition 3.3.1, il est contraint d’utiliser la version contravariante, et c’est pourquoi nous présentons celle-ci dans cette note. de catégories qui rend le diagramme suivant commutatif :
où le foncteur est celui donné par les -points.
Remarque. Dans le théorème précédent, la catégorie de modules considérée correspond à . En particulier, on est dans la situation où l’opérateur est défini de façon automatique.
3.2 Schémas en groupes de classe
Soit un -groupe sur avec donnée de descente et son module associé. On suppose que est de rang , et donc qu’il a la forme donnée par la proposition 2.2. Appelons , et les invariants numériques qui interviennent. La donnée des permet de caractériser les groupes étales et ceux de type multiplication : exactement est étale (resp. de type multiplicatif) si, et seulement si tous les sont égaux à (resp. sont nuls). Pour un sous-ensemble de , nous introduisons suivant Gee, une notion intermédiaire entre ces deux extrêmes.
Définition 3.2.
Soit . Avec les notations précédentes, on dit que est de classe si888La formule que nous donnons diffère en deux endroits de celle que l’on peut lire dans [6]. Tout d’abord, nous écrivons à la place , mais cela est simplement dû au fait que nous utilisons le foncteur (et pas Gr). Le second écart est que nous appliquons cette fonction non pas à , mais à : cela fait par contre une différence considérable et c’est ici que réside l’erreur dans [6] que nous mentionnions au début de cette note. .
Remarque. Comme , les donnés par la définition vérifient toujours la congruence (2).
Proposition 3.3.
Fixons un sous-ensemble de ainsi qu’un caractère trivial sur . Alors, il existe un unique -groupe de classe sur (avec donnée de descente) dont la représentation galoisienne associée correspond à .
Démonstration.
Remarque. D’après la théorie du corps de classe, l’hypothèse de trivialité sur est en fait automatique.
3.3 Explication de la condition B’
Prenons pour un corps suffisamment grand pour que se factorise par . On suppose qu’il existe un sous-ensemble de pour lequel la condition A est satisfaite avec et pour tout . D’après la proposition 3.3, il existe un unique -groupe (resp. ) avec donnée de descente de classe (resp. de classe ) dont la représentation galoisienne associée s’identifie à (resp. ) via un isomorphisme (resp. ). La condition B’ s’exprime alors comme suit :
-
Condition B’
: Il existe un -groupe avec donnée de descente qui s’insère dans une suite exacte courte et un isomorphisme -équivariant (où est la représentation de dimension donnée par ) s’insérant dans un diagramme commutatif :
4 La condition B : relevés cristallins
4.1 Représentations cristallines
Posons et . Considérons le produit tensoriel et munissons-le d’un endomorphisme agissant comme le Frobenius sur et comme l’identité sur . Comme précédemment, on a un isomorphisme d’anneaux et l’opérateur correspond par cet isomorphisme au décalage vers la droite.
Définition 4.1.
Un -module filtré est un -module libre muni d’un opérateur -semi-linéaire et d’une filtration par des -sous-modules (pas nécessairement libres) exhaustive et séparée.
Soit un -module filtré. Il lui est associé deux invariants numériques. Le premier est son nombre de Newton, noté , et est défini comme la pente de sur la puissance extérieure maximale de considéré comme -espace vectoriel. Le second est son nombre de Hodge, noté , et est défini comme l’unique saut de la filtration sur la même puissance extérieure maximale. On dit que est faiblement admissible si et si pour tout stable par et muni de la filtration « intersection », on a . Fontaine construit un foncteur pleinement fidèle :
défini par où est un anneau de périodes dont la définition est par exemple donnée dans [5]. Le foncteur est de plus exact dans le sens où il transforme suites exactes courtes en suites exactes courtes, une suite de -modules filtrés étant dite exacte si elle induit pour tout une suite exacte sur les . Finalement, l’image essentielle de constitue par définition ce que l’on appelle les représentations cristallines.
4.2 Description en rang
De l’isomorphisme , il résulte que tout module sur cet anneau s’écrit canoniquement comme une somme directe de espaces vectoriels sur . En particulier, si est un -module filtré, on peut écrire :
(3) |
pour tout . Les forment alors une filtration décroissante exhaustive et séparée de . De plus le Frobenius induit par restriction des applications .
Supposons à présent que est de rang . Les qui interviennent dans la décomposition précédente sont des -espaces vectoriels de dimension . Soient une base de , , , etc. Comme et sont tous les deux des bases de , on a pour un certain . Par ailleurs comme étant de dimension , il existe un unique entier tel que si et sinon. La condition de faible admissibilité se traduit ici simplement par l’égalité :
où est la valuation sur normalisée par . Ainsi, on peut écrire où est un élément inversible de . On a ainsi obtenu une description complète de . On peut la rendre un peu plus symétrique comme le résume la proposition suivante :
Proposition 4.2.
Soit un -module filtré faiblement admissible de rang sur . Alors, il existe des entiers , un élément inversible dans et des tels que :
-
i)
pour tout , forme une base de ;
-
ii)
pour tout , si et sinon ;
-
iii)
pour , et .
Démonstration.
Il suffit de poser . ∎
Remarque. Les entiers et l’élément sont uniquement déterminés. De plus, les sont reliés à des invariants plus usuels, puisque ce sont les opposés des poids de Hodge-Tate de la -représentation associée à par le foncteur .
4.3 Théorie de Fontaine-Laffaille
L’un des buts de la théorie de Fontaine-Laffaille est de décrire les réseaux stables par l’action de Galois dans les représentations cristallines en terme de modules filtrés. Pour y parvenir, la méthode consiste à définir des équivalents de ces réseaux dans les modules filtrés faiblement admissibles discutés précédemment. On aura cependant besoin d’une hypothèse supplémentaire sur la filtration : on demande qu’elle soit concentrée en bas degré. Plus précisément, Fontaine et Laffaille posent la définition suivante :
Définition 4.3.
Soit un -module filtré. On suppose et . Un -réseau de est la donnée d’un sous--module de vérifiant :
-
i)
;
-
ii)
pour tout , l’application envoie dans ;
-
iii)
.
Remarques. On n’a fait aucun hypothèse de faible admissibilité dans la définition précédente. En réalité, l’existence d’un réseau possédant ces propriétés est équivalente à la faible admissibilité de .
Le prototype de modules filtrés de rang donné par la proposition 4.2 admet le réseau évident .
Par ailleurs, contient lui aussi une structure entière qui consiste en un sous-anneau (voir [5] pour une définition) qui permet de relier les réseaux définis précédemment aux réseaux galoisiens. Précisément, considérons un -module filtré faiblement admissible tel que et et notons . On associe alors à tout -réseau la représentation :
qui est un réseau (au sens usuel) dans . Fontaine et Laffaille montre que cette recette établit une bijection entre les réseaux de et les réseaux de stables par Galois. De plus, ils prouvent que le foncteur est lui aussi exact.
4.4 Réduction modulo
Considérons un -module filtré. À un -réseau , il est possible d’associer un objet de qui calcule la réduction modulo de . Ceci se fait par les formules suivantes :
où par définition est l’unique application -semi-linéaire qui envoie sur . Le fait que calcule la réduction modulo de signifie que l’on a une identification canonique .
En particulier, considérons le caractère qui correspond via à l’objet de la proposition 4.2. Comme est un groupe compact, il prend ses valeurs dans , et on peut considérer sa réduction modulo ; c’est un caractère à valeurs dans et un calcul direct à partir de ce qui précède montre qu’il s’exprime comme suit :
(4) |
où est le caractère non ramifié de qui envoie un Frobenius géométrique sur l’image de dans .
4.5 Explication de la condition B
On considère suffisamment grand pour que se factorise par . On suppose qu’il existe un sous-ensemble de pour lequel la condition A est satisfaite avec et pour tout . D’après la formule (4), il existe un unique -module filtré (resp. ) de rang tel que :
-
la réduction modulo d’un réseau galoisien à l’intérieur de est isomorphe à (resp. ) par un morphisme noté (resp ) ;
-
les invariants associés à (resp. ) par la proposition 4.2 sont tels (resp. ) et est un représentant de Teichmüller.
La condition B s’exprime alors comme suit :
-
Condition B
: Il existe un -réseau (inclus dans un -module filtré ) qui s’insère dans une suite exacte courte et un isomorphisme -équivariant (où est la représentation de dimension donnée par ) s’insérant dans un diagramme commutatif :
Remarque. Il est évidemment possible d’utiliser l’équivalence de catégories (ou ) pour exprimer la condition B simplement en termes de représentations cristallines.
5 Preuve de la proposition 3.3.1 de [6]
On conserve l’extension suffisamment grande pour que se factorise par . On fixe des entiers compris entre et (en particulier, on notera que cela implique ), et un sous-ensemble de . On suppose que vérifie la condition A avec pour tout (et les précédents). Le but est donc de prouver que les conditions B et B’ expliquées dans les sections précédentes sont équivalentes. Notons pour cela et les -réseaux qui apparaissent dans la définition de la condition B’. Notons également et les -groupes avec donnée de descente qui apparaissent dans la définition de la condition B et et les objets de associés.
Si est un élément de , désignons par son représentant de Teichmüller, et si est un élément, appelons la fonction de domaine qui associe à et aux autres éléments. Avec ces notations, il existe et dans tels que l’on ait les descriptions explicites qui suivent :
où :
et :
5.1 Modules associés aux relevés cristallins
La proposition suivante donne la forme générale d’un qui intervient dans la condition B :
Proposition 5.1.
Il existe, pour tout , une -base de et des avec si et
-
i)
Pour tout , pour et pour .
-
ii)
Si , pour .
Si , pour .
-
iii)
et .
De plus, le morphisme (resp. ) est donné sur cette description par (resp. , ).
Démonstration.
Bien sûr, les sont ceux qui proviennent de . La condition sur la filtration détermine les lorsque . Par ailleurs, la condition sur , couplée au fait que s’annule pour , détermine la valeur de en fonction de lorsque . Ainsi lorsque , tous les sont déterminés et il est immédiat de vérifier qu’ils satisfont toutes les propriétés de la proposition.
Supposons vide. Soit un relevé quelconque de . Définissons , et ainsi de suite. Hélas, on n’a pas nécessairement comme cela . Toutefois, la réduction de cette égalité dans est vérifiée et donc on a pour un certain . Les éléments :
, etc. répondent alors à la question (notez que le dénominateur est bien inversible car ). ∎
5.2 Modules associés aux -groupes
On souhaite maintenant parvenir à une description explicite analogue pour les objets qui interviennent dans la condition B’. La donnée d’un -groupe (avec donnée de descente) qui s’insère dans une suite exacte est équivalente à la donnée d’un objet s’insérant dans la suite exacte . Cherchons à déterminer la forme de ces .
Choix d’un relevé compatible à la donnée de descente
Fixons un générateur de . Choisissons un relevé de appartenant à l’image de . On a une écriture de la forme :
pour un certain . Remplacer par modifie en . Ainsi dès que , on peut choisir de sorte à éliminer le terme en dans . Par conséquent, si l’on désigne par l’unique entier de congru à modulo , on peut choisir de sorte à avoir :
(5) |
avec . Libérons . Utilisant la relation , on s’assure que l’égalité (5) est valable pour tout pour une certain fonction soumise à la relation :
pour tous et dans . Autrement dit la fonction vérifie . Comme est d’exposant premier à et que est de caractéristique , la seule solution est d’avoir , et par suite .
Au final, on a prouvé le lemme suivant :
Lemme 5.2.
Il existe relevant et vérifiant :
pour tout . De plus, est défini à addition près d’un élément de la forme pour et l’unique entier de congru à modulo .
Forme de la filtration
Rappelons que la suite est exacte. Ainsi est engendré par et par un relevé de qui appartient à .
Supposons dans un premier temps que . Un relevé de est alors par exemple : c’est bien un élément de puisque . Ainsi est engendré par et .
Supposons maintenant que . Un relevé dans de s’écrit avec . Ainsi est engendré par et . On peut évidemment choisir de degré strictement inférieur à . Calculons :
Comme est stable par l’action de , cet élément doit être dans , ce qui implique que le facteur entre crochets est nul (puisque l’on a supposé de degré strictement inférieur à ). Cette condition se réécrit . Ainsi si est l’unique entier de congru à modulo (on rappelle que ), on a nécessairement avec . Donc :
Lemme 5.3.
Si , le sous-module est engendré par les deux éléments et .
Si , il existe tel que soit engendré par les deux éléments et où est l’unique entier de congru à modulo .
Pour les ,
Posons à présent si et sinon. Il est clair que se réduit sur dans . De plus, en utilisant la commutation de et , on obtient :
(notez que ne dépend pas de ). En réappliquant l’argument de la preuve du lemme 5.3, on voit que est engendré par et si , ou sinon par et avec , et .
Ainsi de suite, on construit , , etc., jusqu’à arriver à . Malheureusement, rien ne nous dit que celui-ci est égal à . Cependant l’image de dans est bien , d’où pour un certain . On doit par ailleurs avoir :
d’où l’on déduit que () où est celui du lemme 5.2. Ce même lemme nous précise que l’on peut modifier en lui ajoutant une quantité de la forme . Voyons comment cela modifie .
Si , il est facile de voir que n’est pas modifié. Ainsi en remplaçant par , on peut supposer que , c’est-à-dire que . De même, si , on peut reprendre tout le raisonnement précédent en commençant non pas à mais à un entier tel que .
Supposons donc . Dans ce cas, et . On en déduit la valeur de :
ce qui donne en particulier . D’autre part, (puisqu’ils sont tous les deux congrus à ). Écrivons avec . Réduisant cette égalité modulo , il reste et donc en particulier ne peut valoir ni , ni . Ainsi , ce qui implique que n’est pas modifié lorsque l’on ajoute à une quantité de la forme . On conclut comme précédemment.
Conclusion
Au final, la structure de est donnée par la proposition suivante :
Proposition 5.4.
Avec les notations précédentes, il existe, pour tout une -base de et des éléments tels que si et :
-
i)
et pour tout ;
-
ii)
est engendré par et où est le reste de la division euclidienne de par ;
-
iii)
, ;
-
iv)
, .
De plus, le morphisme (resp. ) est donné sur cette description par (resp. , ).
Démonstration.
On a déjà tout prouvé sauf la forme de l’opérateur de monodromie. Comme , il suffit de vérifier que le de la proposition prolongé par la relation de Leibniz vérifie et commute à . La première condition est équivalente à pour tout , et en écrivant explicitement la relation de commutation, on montre que la seconde condition est impliquée par les inégalités pour tout .
Nous reportons la preuve de ce deuxième énoncé combinatoire (qui implique à l’évidence le premier) à une sous-section ultérieure (lemme 5.10). ∎
5.3 Interlude : défaut de pleine fidélité
Oublions un instant le fil de la démonstration pour nous concentrer sur une question différente. Soient et deux objets de de rang . On note , et (resp. , et ) les invariants numériques associés à et par la proposition 2.2, et (resp. une base correspondant à ces invariants. En particulier, tout au long de cet interlude, les et les n’ont aucun rapport avec ceux que l’on manipulait jusqu’à présent.
Proposition 5.5.
On conserve les notations précédentes et on suppose donné un isomorphisme . Alors, il existe un morphisme non nul (dans la catégorie ) si, et seulement si pour tout .
Le cas échéant, il existe tel que le morphisme défini par satisfasse .
Démonstration.
Le fait que soit isomorphe à entraîne, grâce à la proposition 2.3, d’une part que les éléments de associés à et par la proposition 2.2 coïncident, et d’autre part que la congruence est satisfaite.
Soit un morphisme non nul dans la catégorie . L’image de est nécessairement de la forme avec . Si l’un des est nul, la condition de commutation à implique que l’est également, et par récurrence que est lui aussi nul. Comme ce cas a été exclu, tous les sont non nuls. Notons la « valuation -adique » de : c’est un entier compris entre et . En utilisant à nouveau, la commutation à , on obtient les relations . Celles-ci forment un système qui se résout aisément et conduit à . Ceci démontre le sens direct de l’équivalence de la proposition.
Pour la réciproque, on considère le morphisme défini par . Pour tout , on a par hypothèse . On en déduit :
pour tout . De même , d’où il suit que la différence est elle aussi strictement inférieure à . Ainsi le morphisme est non nul. Il reste à vérifier qu’il commute aux structures supplémentaires, mais cela ne pose plus aucune difficulté particulière. (Pour la donnée de descente, il faut utiliser la congruence .)
Reste à prouver la dernière assertion. La preuve de la proposition 2.3 (dont nous avons seulement expliqué les idées) montre en fait que est un isomorphisme. Comme et sont des -espaces vectoriels de dimension , on a nécessairement pour un . Il suffit donc de poser . ∎
Remarque. Quitte à modifier la base , on peut supposer dans l’énoncé de la proposition que . C’est ce que nous ferons par la suite.
L’énoncé suivant montre même que dans le « mauvais » cas de la proposition, la situation n’est pas désespérée :
Proposition 5.6.
On conserve les notations précédentes et on suppose toujours donné un isomorphisme . Alors il existe un objet de et des morphismes et induisant des isomorphismes via et tels que .
Démonstration.
Évidemment si pour tout , il suffit de prendre , et d’appliquer la proposition 5.5 pour obtenir . De même, si pour tout , on peut conclure avec .
Lorsque les -uplets et ne sont pas comparables, c’est plus compliqué. L’idée consiste à construire un dont les invariants associées vérifient . Pour y parvenir, on pose et . Ces nombres sont toujours des entiers, car on voit directement sur la définition que et sont des multiples de . Montrons que est positif ou nul. Cela ne pose pas de problème si . Si par contre , on a puis :
la première égalité se vérifiant simplement en remplaçant , etc. par leurs définitions. De même, on prouve : si , le résulat est immédiat et sinon on écrit :
(En réalité, on a même obtenu .) Un calcul simple montre par ailleurs que les associés aux vérifient , c’est-à-dire la condition rechechée. Définissons à présent et l’objet de associé aux nombres , et à l’élément de correspondant à (ou ce qui revient au même, à ). La proposition 2.3 montre que et sont isomorphes et il ne reste plus, pour conclure la preuve, qu’à appliquer deux fois la proposition 5.5. ∎
Remarque. Les résultats précédents ne doivent pas surprendre le lecteur. Ils sont simplement l’illustration en termes de la catégorie de propriétés analogues sur les schémas en groupes de type connues depuis Raynaud (voir [8], §2.2), la relation d’ordre (partiel) sur les prolongements d’un -groupe sur correspondant ici à l’ordre produit sur les .
5.4 Fin de la démonstration
Revenons à nos moutons et reprenons en particulier les extensions et données par les propositions 5.1 et 5.4. Voyons les objets , et comme appartenant à la catégorie et notons , to les objets de associés respectivement à , et par la recette de 4.4. Si on définit les constantes :
les objets et se décrivent explicitement comme suit :
où désigne la réduction modulo de . On rappelle que lorsque , on a et . On rappelle également que l’objet (resp. ) est le sous-objet de (resp. ) engendré par les (resp. les ) et que (resp. ) est le quotient par ce sous-objet. On note toujours (resp. ) les images de (resp. ) dans ce quotient.
Stratégie de la preuve
Les objets précédents viennent avec des identifications et . Appelons et les isomorphismes composés et . Pour conclure la preuve qui nous intéresse, il suffit de montrer que si , il existe un (iso)morphisme rendant commutatif le diagramme suivant :
à lignes exactes. Pour cela, on n’a pas envie de calculer explicitement les représentations galoisiennes et . L’idée, au contraire, est d’essayer de relever le diagramme précédent au niveau des objets de . On commence modestement par relever les isomorphismes et et c’est là qu’interviennent les résultats de l’interlude.
Précisément, d’après la proposition 5.6, le morphisme (resp. ) se relève via des morphismes et (resp. et ) pour un certain objet (resp. ) de la catégorie . On cherche donc au final à construire un objet qui s’insère dans le diagramme commutatif suivant :
(6) |
où les flèches en pointillés restent aussi à définir. Remarquons tout de suite que si l’on y parvient, on aura terminé la démonstration puisque le lemme des cinq prouvera immédiatement que les applications et sont des isomorphismes.
Description de et
Notons , , et les sommes correspondantes respectivement aux nombres , , et par la formule de la proposition 2.2. Elle valent :
Lemme 5.7.
On a si, et seulement si si, et seulement si .
Démonstration.
Des formules donnant les valeurs de et , on déduit l’expression suivante :
Comme , le facteur entre crochets a toujours une valeur absolue inférieure ou égale à . Ainsi, le signe de la somme est donné par le premier terme (i.e. celui pour lequel est le plus petit) non nul de celle-ci. Si , ce terme est celui obtenu pour , et la somme est donc strictement positive, i.e. . Supposons maintenant . Si , alors la somme est nulle et . Sinon, le premier terme non nul correspond au plus petit tel que et le facteur entre crochets associé est négatif (puisque et donc le terme avec n’apparaît pas). L’équivalence s’ensuit.
L’inégalité avec les et se traite de même. ∎
Posons pour simplifier les écritures qui vont suivre et . À partir du lemme précédent, une étude de la preuve de la proposition 5.6 montre que et se décrivent comme suit :
avec :
Quelques lemmes préparatoires
Avant de donner la construction de , nous regroupons dans ce paragraphe les identités combinatoires qu’il est bon de garder en tête pour faire les vérifications à venir :
Lemme 5.8.
On a les identités suivantes :
où on rappelle que est défini dans la proposition 5.4. Si de plus , on a aussi :
Démonstration.
Les deux premières égalités résultent directement des définitions, les deux suivantes en sont des conséquences immédiates, et les deux dernières s’obtiennent facilement à partir des quatre premières. Reste donc simplement à montrer la cinquième. Pour cela, on remarque que l’on a les congruences et . Ainsi . Grâce à l’écriture :
on s’aperçoit que . Supposons . D’après le lemme 5.7, on a et . Ainsi et . Si au contraire, , on a et puis . ∎
Lemme 5.9.
Si , alors et .
Démonstration.
Par le lemme 5.8, la différence s’exprime comme une somme de trois termes positifs. La première inégalité s’ensuit. Pour la seconde, l’expression :
montre qu’il suffit donc de prouver pour . Or, dans ce cas :
La conclusion s’obtient en remarquant que ainsi que tous les facteurs entre crochets sont majorés en valeur absolue par . ∎
Lemme 5.10.
Pour tout , on a .
Démonstration.
Les égalités du lemme 5.8 impliquent la congruence :
De , on déduit que n’est jamais un multiple de . Par ailleurs, par le même lemme, on obtient les congruences , et . Il s’ensuit :
(7) |
Fixons et supposons par l’absurde que . Comme, par hypothèse, on a et , la congruence (7) entraîne l’égalite , ce qui contredit le fait que ne divise pas . ∎
Définition de
On est enfin prêt à donner la définition du fameux objet . Il est obtenu par les formules suivantes :
La première inégalité du lemme 5.9 assure que le terme qui apparaît dans l’écriture précédente a bien un sens (on rappelle que est nul pour ), alors que la deuxième inégalité du même lemme implique l’inclusion . Les autres axiomes de la définition de la catégorie se vérifient sans grande difficulté (éventuellement en utilisant les égalités et la congruence du lemme 5.8). Bien évidemment le morphisme est donné par alors que celui est donné par , .
Voici enfin le lemme qui conclut la preuve :
Lemme 5.11.
Les applications -linéaires et définis par , , et définissent des morphismes dans qui font commuter le diagramme (6).
Démonstration.
C’est une vérification un peu longue mais très facile avec les identités regroupées dans le lemme 5.8. (Il est important aussi de garder à l’esprit que est nul pour et que l’on a supposé .) Par voie de conséquence, nous la laissons au lecteur. ∎
Références
- [1] C. Breuil, Construction de représentations -adiques semi-stables, Ann. Scient. ENS. 31 (1997), 281–327
- [2] C. Breuil, Groupes -divisibles, groupes finis et modules filtrés, Annals of Math. 152 (2000), 489–549
- [3] C. Breuil, B. Conrad, F. Diamond et R. Taylor, On the modularity of elliptic curves over : wild -adic exercices, J. of Amer. Math. Soc. 14 (2001), 843–939
- [4] K. Buzzard, F. Diamond et F. Jarvis, On Serre’s conjecture for mod Galois representations over totally real fields, preprint.
- [5] J.-M. Fontaine, Le corps des périodes -adiques, Astérisque 223, Soc. math. France (1994), 59–111
- [6] T. Gee, On the weights of mod Hilbert modular forms, preprint.
- [7] D. Savitt, Modularity of some potentially Barsotti-Tate Galois representations, Compos. Math, 140 (2004), no. 1, 31–63
- [8] M. Raynaud, Schémas en groupes de type , Bull. Soc. Math. France 102 (1974), 241–280